DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Berlinale + WdK 2025 : Partie 5

Par Mélopée B. Montminy, Thomas Filteau, Alexandre Fontaine Rousseau, Anthony Morin-Hébert et Olivier Thibodeau

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prod. International Film and TV School - EICTV Cuba

THE LEAP (EL PASO)
Roberto Tarazona  |  Cuba  |  2025  |  15 minutes  |  Generation Kplus

Étudiant de Mike Hoolboom à l’EICTV de Cuba, le cinéaste espagnol Roberto Tarazona est un talent à découvrir. Après son passage à la Semaine de la critique de Montréal pour la première mondiale de son court métrage Now He Is in the Truth (2025), il me faisait plaisir de découvrir son nouveau film, mais dans un contexte tout autre, celui d’une projection du matin pour enfants d’âge scolaire. Un documentaire qui marque à la fois une rupture et une continuité avec ses œuvres précédentes, incluant Not Yet (2025), dont le regard mythifiant s’intéresse aux mœurs des populations villageoises cubaines.

Axés sur un travail de recherche minutieux durant lequel le réalisateur se lie d’amitié avec ses sujets, les films de Tarazona dénotent une posture intimiste qui n’est jamais aussi évidente que dans The Leap, où la réciprocité qui existe entre lui et ses jeunes intervenants, Fabián et Christian, transparaît dans les jeux auxquels les trois s’adonnent par caméra interposée, qu’il s’agisse des séances de course-poursuite ou des grimaces devant l’objectif. Plutôt que d’une présence diffuse dans un monde aux contours nébuleux, les deux garçons nous apparaissent dans le prosaïsme d’un univers enfantin parfaitement lisible, à la course, à la pêche, ou assis sur un arbre. Mais les lubies esthétiques de l’auteur ne sont jamais bien loin. À preuve, la deuxième partie du film, où les paysages nocturnes fantomatiques de son répertoire et les silhouettes découpées par le halo des flammes refont surface, mais dans une perspective de conte initiatique, où Fabián et Christian devront affronter leurs peurs lors d’une balade en forêt, et composer avec la réalité funeste du bétail massacré qu’on retrouve dans la région. Plus qu’un simple portrait détaché, il ressort du processus une œuvre sensuelle, une œuvre tactile, qui puise dans l’imaginaire local, mais aussi dans celui du cinéaste, qui ajoute à sa diégèse des visions oniriques de son cru (la figure allégorique du passeur) dans un processus de création réciproque profondément ancré dans son lieu de création. Il s’agit en somme d’une proposition parfaitement cohérente dans la filmographie d’un cinéaste qui travaille toujours d’une façon instinctive, guidé par un lien primordial avec la terre issu de ses parents paysans, visant à faire du cinéma un travail manuel, un travail agraire (tel qu’en témoignent les plans terreux d’inhumation bovine), mais qui ne perd jamais de vue la composante mystique de la vie pastorale. (Olivier Thibodeau)

 


prod. Lotus Filmproduktion / Senator Film Produktion

WELCOME HOME BABY
Andreas Prochaska  |  Autriche et Allemagne  |  2025  |  115 minutes  |  Panorama

Lorsqu'une Berlinoise apprend que son père biologique, qu'elle n'a jamais connu, vient de mourir et qu'elle hérite de sa maison en campagne allemande, elle décide de s'y rendre avec son mari. La jeune femme a l'intention de mettre la propriété en vente puis de repartir prestement, mais d'étranges phénomènes surviennent dès son arrivée et l'empêchent constamment de quitter. Une panoplie de codes éculés du cinéma d'horreur et du thriller est mobilisée pour nous inquiéter, nous faire comprendre que quelque chose cloche : une caméra voyeuse, d'énigmatiques souvenirs refoulés, des jump scares trompeurs, d'inconfortables regards caméra, de vieilles dames confuses mais dotées de clairvoyance qui lancent des avertissements; ça n'en finit plus. La horde de villageoises exagérément chaleureuses et complices qui insistent pour que la protagoniste reste parmi elles et fonde une famille laisse très vite deviner l'existence d'un culte quelconque, mais la teneur de toute l'affaire est si nébuleuse qu'elle éclate par son artificialité. Le suspense est nul puisque nous ne connaissons pas le risque auquel s'expose la jeune femme, pas plus que les capacités des antagonistes ni les conséquences en jeu. Le récit tourne en rond, aucune péripétie ne fait avancer ou dévier le cours de l'histoire et nous finissons par décrocher. Ne restent plus que les sourires mièvres de la tante, mauvaise actrice, et un attirail de procédés filmiques tournant à vide. En l'absence de tension à amplifier, ils sautent au visage comme de simples marqueurs d'énonciation, nous extirpant constamment de la fiction pour nous rappeler que nous sommes devant un mauvais film qui enchaîne les tremblements de caméra, les glitchs, les décadrages et les dédoublements d'images. L'enfilade de trois «plans Vertigo» ne peut dès lors que susciter la consternation. Quant à la chute, qu'on a sans doute tenté de retarder pour créer une surprise saisissante, elle survient bien trop tard pour susciter l'effet désiré; nous l'avions anticipée, et puis elle paraît ridicule, l'effet camp à son apogée s'accordant terriblement mal au ton assez sérieux qui a guidé le récit jusqu'à ce point.

Empêtré dans un discours anémique et rempli d'incohérences sur les valeurs traditionnelles de la famille et de la femme, Welcome Home Baby est un vrai navet, une farce lorsqu'on sait que ce mauvais « Midsommar en campagne allemande » était le film d'ouverture de la section Panorama. (Anthony Morin-Hébert)

 


prod. Jeonwonsa Film Co.

WHAT DOES THAT NATURE SAY TO YOU (GEU JAYEONI NEGE MWORAGO HANI)
Hong Sang-soo  |  Corée du Sud  |  2025  |  108 minutes  |  Compétition

Projetées sur l'écran de l'opulent Berlinale Palast, les images imparfaites et soi-disant «pauvres» de What Does That Nature Say to You jurent gracieusement. Elles narguent le décorum ambiant et l'ostentatoire richesse de ce casino déguisé en salle de cinéma le temps d'un festival, questionnant par leur présence même le prétendu « professionnalisme» qui s'érige habituellement comme barrière afin de bloquer l'accès de certains films à des lieux tels que celui-ci. Creusant depuis un bon moment déjà le sillon de la basse résolution, Hong Sang-soo l'a désormais normalisé  à un point tel que les plans hors foyer ne surprennent plus, chez lui. Lorsque Kwon Hae-hyo s'étonne que Ha Seong-guk ait des lunettes, ce dernier lui répond qu'il n'avait jamais remarqué que sa vision était floue, jusqu'à ce qu'il se mette à en porter. Il se cache, derrière la nonchalance de cette réponse, une clé de lecture de l'œuvre du cinéaste coréen. Car, à trop vouloir intellectualiser sa démarche, on passe à côté de l'essentiel : chez lui, les choses sont comme ça parce qu'elles sont comme ça. La forme est simple, modeste. Elle relève d'un naturalisme qui permet à l'émotion de transparaître, tout bonnement.

L'émotion en question, c'est bien entendu cette mélancolie existentielle que l'ivresse attise. On boit toujours autant, chez Hong Sang-soo. On boit au point de perdre le contrôle de soi, de révéler sa vraie nature et d'exposer maladroitement ses angoisses les plus intimes à sa belle-famille que l'on rencontre pour la première fois. On perd la face. On titube sous l'influence du makgeolli. Mais, de façon de plus en plus franche, ce malaise provoque aussi le rire. What Does That Nature Say to You est donc à ranger du côté des Hong Sang-soo «comiques», avec ses remarques récurrentes sur la moustache de Ha Seong-guk et ses conversations inopinées sur la Kia Pride 1996 qu'il conduit. L'humour y est spontané, comme d'ailleurs tout le reste. Rien n'est jamais forcé. Cultivant l'insouciance et la légèreté, le cinéaste trouve ainsi dans cette mise en scène leste et décomplexée une partie de la solution aux questionnements esthétiques soulevés par ses personnages de poètes et d'artistes : quelle est la meilleure façon de faire ressentir à l'autre ce que l'on a soi-même ressenti? Sans ambages, sans artifices. Avec la plus grande sincérité possible, quitte à ce que la finition soit un peu rugueuse, inégale. Sans être ni une comédie, ni un drame. Car la vie n'a que faire de telles catégories, et Hong Sang-soo non plus. (Alexandre Fontaine Rousseau)

 


prod. Saga Film

KONTINENTAL '25
Radu Jude  |  Roumanie  |  2025  |  109 minutes  |  Compétition

Dans les rues de Cluj-Napoca, Roumanie, un homme bourru erre, grognon. On le devine, son hostilité à l’égard de son environnement n’est pas étrangère à sa condition sociale ; elle en est le miroir. Sans domicile fixe, il se promène, côtoie la faune urbaine. Dans un parc, il est agacé par un robot-chien qui le poursuit. Le type ronchonne, le chien persiste. La scène est drôle, mais c’est lorsqu’un quidam injurie le grincheux qui s’en prend à la bête mécanique qu’on capte véritablement la signature grinçante de Radu Jude. On semble alors prioriser la défense du tas de ferraille canin — l’innovation faite meilleur ami de l’homme — plutôt que de reconnaître la souffrance humaine du laissé-pour-compte. Et le manège est enclenché, c’en est reparti pour une autre comédie sociopolitique à la lucidité acidulée dont l’ancrage dans l’hypermodernité provient certainement d’une urgence aussi créative que sociale.  Tandis qu’il délaisse pour une rare fois le territoire de Bucarest, Jude aborde la montée des nationalismes racistes en regard de la situation géographique propre à la Transylvanie, puis frappe sur la crise du logement en s’amusant de la perspective d’un propriétariat « sensible ». Dans Kontinental ‘25, il revisite la culpabilité petite bourgeoise de la protagoniste d’Europa ‘51 de Roberto Rossellini et l’enrobe de sa sauce vulgaire, conférant une aura diogénique au film. Orsulya Ionescu (Esther Tompa), huissière, est tâchée d’évincer d’une salle de chaufferie un indésirable occupant, Ion Glanetasu (Gabriel Spahiu). Elle lui laisse une vingtaine de minutes pour quitter l’espace, juste assez de temps pour qu’il se donne la mort d’une façon aussi absurde que symboliquement chargée : à l’aide d’une corde de métal, il attache son cou au radiateur. Son dernier geste, de mort et de résistance, aura été de se ligoter à une source de chaleur lui étant inhospitalière.

S’en suivent les épanchements larmoyants de la protagoniste prise de remords, qui s’avèrent grossiers dans la mesure où ils sont stériles. Ce n’est pas le fait d’avoir causé la mort mais plutôt l’idée d’avoir pu apparaître insensible qui semble provoquer la honte. Orsulya et ses pairs sont en mode gestion de crise, car vient immanquablement un scandale sur les médias sociaux, commentaires haineux puis balivernes idiotes et fascistes pavant leur chemin jusqu’à la triste femme. En somme, la crise morale déclenchée par l’événement résulte-t-elle d’une véritable empathie pour l’autre ou davantage de cette pitié distanciée qui laisserait croire qu’il est presque plus intolérable d’être témoin de la misère humaine que de la subir ? Scotomisation et dissonance cognitive, comment est-ce possible qu’une âme charitable qui paie sa dîme mensuelle à coup de quelques 2 euros par cause humanitaire via sa compagnie de téléphonie cellulaire puisse-t-elle se retrouver dans pareil mauvais rôle ? Une longue conversation entre Orsulya et son amie Dorina (Oana Mardare) sur l’odeur de caca exhalant d’un sans-abri illustre parfaitement cette idée selon laquelle la puanteur de l’indigence est un fardeau insoutenable pour la classe aisée forcée de respirer les émanations de crasse. Et Dorina de référer à Perfect Days de Wim Wenders comme un chef-d’œuvre : il faudrait un bon ouvrier qui prendrait plaisir à nettoyer la saleté.

Tourné à l’aide d’un iPhone, le film à l’esthétique garrochée rappelle par moments Hong Sang-soo, notamment lors d’une scène de beuverie philosophique où l’autofocus de l’appareil ajoute un petit glitch qui sied bien à l’ivresse. La séquence alcoolisée culmine d’ailleurs dans une sexualité carnavalesque, toujours aussi précipitée et bancale que ce à quoi le cinéma de Radu Jude nous a habitué·e ·s. Bien que la culpabilité bourge de la protagoniste soit vaine et risible, elle octroie un caractère attachant à cette dernière, sa bonhomie donnant un brin d’espoir en l’humanité. C’est que Radu Jude ne condamne pas ses personnages à une cruauté immuable. Son diagnostic nous indique que ce sont avant tout l’idéologie et le système capitaliste qui posent problème. Kontinental ‘25 rappelle le sens initial de l’école philosophique du cynisme, qui n’a rien à voir avec la satire complaisante et nihiliste contemporaine préfabriquée. En résulte un élan de subversivité qui dénonce l’hypocrisie morale sans verser dans ce pessimisme qui confère une fatalité au statu quo. (Mélopée B. Montminy)

 


prod. Participant / Rich Spirit Studios

BLKNWS: TERMS & CONDITIONS
Kahlil Joseph  |  États-Unis, Ghana  |  2025  |  113 minutes  |  Perspectives

Adapté d’une installation vidéo à deux canaux qui était présentée à la Biennale de Venise en 2019, le premier long métrage de Kahlil Joseph est un objet hybride vivifiant, d’une énergie rythmique insoupçonnée et d’une audace formelle qui détonnent absolument de ce que propose habituellement la frange «indépendante» de la production hollywoodienne. S’inspirant en partie d’un projet de livre qu’avait entamé W. E. B. Du Bois à la veille de sa mort, Africana: the Encyclopedia of the African and African-American Experience, le film de Joseph se présente comme une accumulation de gestes essayistiques dont l’étendue pourrait sembler en théorie trop vaste pour contenir la densité d’un discours clair. Mais, justement, ce n’est pas un discours limpide et unitaire que travaille à composer BLKNWS: Terms & Conditions, c’est davantage une démarche d’harmonisation de la multiplicité des expériences noires. C’est un film musical, dans l’idée d’un «album visuel» qui se tient dans la rencontre entre le mainstream et l’expérimentation filmique, telle qu’elle a pu se loger dans certaines pratiques du vidéoclip (Joseph a d’ailleurs largement œuvré dans cette sphère, dans des collaborations avec Kendrick Lamar, ou Beyoncé). Mais c’est aussi un film de pur défilement d’archives, parfois grapillées sur TikTok, ou bien provenant de conférences académiques, si ce n’est des séquences trafiquées de Godard (Vivre sa vie) et de Jean Rouch (Petit à petit). Puis, une trame spéculative purement fictionnelle s’enchâsse dans tout cela, où se rencontrent divers·es passager·ères se croisant dans un luxueux navire futuriste, le Titania, faisant le voyage depuis les Amériques jusqu’au Ghana.

J’observe habituellement avec suspicion les productions hollywoodiennes qui optent pour une esthétique du lisse, leur perfection refusant que le sens le plus fort se retrouve parfois dans des moments d’accrochages, dans la tension du geste qui peut sembler manqué. Mais BLKNWS réussit justement à investir sa maîtrise formelle ahurissante à l’intérieur d’une démarche de fluidité qui dirige la mise en échos de ses trames distinctes. Il est d’autant plus impressionnant de voir le travail des sommités intellectuelles des études noires ayant pris part au projet (Saidiya Hartman, Fred Moten, Christina Sharpe, entre autres) se traduire dans un corps filmique où leurs pensées se déploient sans contradiction avec l’accessibilité de la forme. L’installation vidéo initiale de Joseph travaillait à partir de séquences d’actualités pour interroger l’inscription de la présence noire dans l’industrie journalistique états-unienne. Il s’agit d’un filon que la version filmique conserve, mais sa portée est étendue largement, au profit d’une pratique d’autoreprésentation qui s’oppose à l’exposé informationnel du reportage. «I know what you’re thinking, but this is not a documentary », nous signale un intertitre dès ses premières minutes. Comment écrire l’histoire, celle qui nous précède, celle contemporaine qui s’observe mais reste à noter, puis celle à venir, qu’on voudrait écrire pour la faire advenir ? En route, le navire des séquences fictionnelles traversera un espace océanique de « zone de résonance », une parfaite allégorie employée pour faire accorder des voix et inclure leur différenciation. Il ne s’agit jamais de suivre l’écho d’une parole unitaire mais de faire justement résonner des expériences, comme la démarche encyclopédique à sa source et ses entrées successives contraste la méthode de l’écriture historique classique, linéaire. (Thomas Filteau)

 


prod. Fat City / A24

IF I HAD LEGS I’D KICK YOU
Mary Bronstein  |  États-Unis  |  2024  |  113 minutes  |  Compétition

Quelque chose dans la première parole énoncée d’If I Had Legs I’d Kick You m’a tout de suite placé sur le qui-vive, quand dans l’hors-champ d’un plan qui s’approche au plus près du visage de Linda (Rose Byrne) surgit la voix d’une enfant. Déterminée, quelque peu enjouée mais cherchant tout de même ses mots, la gamine s’affaire à décrire à une troisième personne qui reste indiscernable la propension de chacune de ses figures parentales à se plier ou non à ses envies, et si elle parle de son père comme d’un être sculpté de certitude, chez qui les mots prononcés ne pourront jamais être remis en doute  un des poncifs classiques d’une certaine paternité masculine dont la présence restera quasi-absente dans le récit, le père de l’enfant étant en voyage d’affaire militaire , sa mère, à ses côtés, est quant à elle décrite comme étant «stretchable». C’est qu’une étrangeté langagière radicale réside dans cette description inadaptée à parler du tempérament (on préférerait peut-être flexible) comme du corps humain (pour lequel on pourrait parler de stretchy) et que dans cette voix d’enfant apparaît déjà la tension d’une existence élastique, tirée au bout de l’éclatement jusqu’à dépasser les limites de ce qu’un corps peut donner, puis que le film dévoile, déjà, par la phrase enfantine qui inaugure son potentiel de body horror du quotidien maternel.

Mais en réalité, décrire la vie de Linda en usant du terme de quotidien, c’est également étirer l’usage d’un mot au-delà de son acceptation courante, tant les journées du personnage prennent la forme d’un constant état de crise. Il y a sa fille, qu’elle doit suivre quotidiennement dans un programme d’accompagnement pédiatrique, celle-ci étant gravement malade d’un trouble qui restera innomé mais comportant un enjeu d’alimentation qui pourrait être soit sa source soit son symptôme. Il y a le trou énorme dans le plafond de sa chambre, causé par une inondation inexpliquée et obligeant le duo familial à se loger temporairement dans un motel. Puis son emploi de thérapeute, où une patiente semble elle aussi vivre une crise dont les conséquences s’apprêtent à se déverser sur Linda. Cette deuxième œuvre de la New-Yorkaise Mary Bronstein, après un premier long bien ancré dans la tradition du mumblecore, témoigne bien de la transformation qui s’est effectuée dans le paysage filmique de la métropole, se rythmant à la manière des derniers films des Safdie, à partir d’un montage vif, de péripéties qui s’additionnent et d’une friction constante qu’on ne cesse d’alimenter. Mais il y a aussi une attention particulière à cette figure maternelle, qu’on pourrait décrire par litote comme «pas irréprochable», à travers un récit qui travaille à rendre impropre la question de savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise mère, et qui s’affaire à identifier la misogynie qu’implique l’interrogation tout en multipliant les mauvaises actions (et là il n’y a aucune ambiguïté) de cette protagoniste au bord de la chute. Le film est ainsi mené par une performance superbe de Rose Byrne (lauréate du prix d’interprétation de la Berlinale), laquelle est accompagnée de performances secondaires surprenantes : Conan O’Brien en thérapeute progressivement épuisé par Linda, A$AP Rocky en voisin cherchant à se lier à la protagoniste. Il peut y avoir quelque chose d’épuisant dans sa forme si bien ficelée, ses métaphores filées un peu excessives (le trou dans le plafond, celui dans le corps de l’enfant, attachée chaque nuit à une machine qui l’alimente), mais c’est dans le traitement généreux quant au dépassement d’une lecture morale de sa protagoniste que le film de Bronstein trouve un sens, qu’il étire jusqu’à un évident déchirement final. (Thomas Filteau)

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Article publié le 24 février 2025.
 

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