DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Fantasia 2022 : Partie 6

Par Thomas Filteau, Olivier Thibodeau et Maude Trottier


prod. Defiant

CHOROKBAM
Yoon Seo-jin  |  Corée du Sud  |  2021  |  89 minutes  |  Camera Lucida

Premier long métrage de Yoon Seo-jin, Chorokbam étonne par l’équilibre extrême avec lequel son traitement filmique s’ajuste aux affects sombres qu’il explore avec une patience de tisserand. Ses premiers plans, longs et fixes, instillent une forte concentration, à la manière d’une invitation au recueillement et à la méditation. Immédiatement, l’image prend, l’attention se pose, balisées et propulsées par un cadrage dont on sent tous les bords.

Durant la nuit, un gardien de sécurité s’affaire dans la zone résidentielle qu’il surveille. De loin, le miaulement plaintif d’un chat se fait entendre. À la recherche de l’origine de cette plainte continue, le gardien se met en route. Son corps traverse à l’oblique le champ de l’image jusqu’à en ressortir, se retrouvant à poursuivre sa trajectoire dans le plan suivant, à la manière d’un déroulé, d’une page que l’on tourne. Celui-ci fait alors la découverte macabre de l’animal pendu à un module de jeu pour enfant. Tandis qu’il l’enterre, la caméra effectue un léger travelling avant, d’une très grande lenteur, sertissant le geste. Partout autour, la « nuit verte » (chorokbam) diffuse sa couleur, maladive ou bien porteuse d’espoir. Une couleur ambivalente qui, telle la trame musicale signée par Hiroyuki Nagashima, vient jouer dans ce film à la façon d’un leitmotiv, une répétition, un signifiant à remplir parmi d’autres à venir, et qui dès lors soutient la composition de l’ensemble. Chorokbam traite de fuite, de refoulé, de suicide, de passation intergénérationnelle de l'accablement et de petite détestation intime. De l’irritation banale mais constante qui quotidiennement s’immisce dans les relations jusqu’à annihiler la tendresse et la joie de l’autre, de cette impasse où elle confine les êtres. Ces tensions se produisent tranquillement au sein de la famille de ce gardien de sécurité, irascible et renfermé, dont la mort du père vient relever d’un cran la tension émotionnelle déjà palpable entre lui et sa femme et entre ses sœurs. Il n’est question parmi ces gens que d’ordinaire. Que d'une vie de tous les jours passée à manger, travailler, vaquer aux tâches ménagères et chier la porte ouverte tant la familiarité et les habitudes se sont paresseusement installées. Vivant à l’hôtel avec sa copine dans une sorte de vie en transit et sans dessein ferme, le seul fils du couple, Won-Hyung, paraît impavide, subissant déjà, alors qu’il n’est encore qu’un jeune adulte, le cours des choses.

Seulement, si tout cet ordinaire scruté au jour le jour pourrait nous être asséné de manière pathétique et déprimante, il est au contraire soumis à une forme de respiration filmique que l’on peut sans difficulté associer à l’ordre des rituels, mortuaires, conjugaux et bouddhiques, qui viennent moins surprendre le récit qu’en élaborer une trame temporelle plus profonde. Le temps semble amenuiser les gens et tout à coup, un plan magnifique, une lumière crépusculaire, une rencontre saisissante avec un animal, viennent nous rappeler qu’en-dessous ou par-delà, quelque chose compte. Si bien que la femme continue à préparer le kimchi, le mari et bientôt le fils, continuent de fumer la cigarette pour échapper à la lourdeur de la vie ou peut-être alors pour parvenir à toucher à ce point d’éphémère dont l’envers serait d’incarner un plan immanent d’éternité. De surcroît, ce sens philosophique de l’envers se donne à travers un ensemble de motifs visuels dont la reprise est l’occasion de retourner les choses sur elles-mêmes. Le motif de la pendaison sera tout au long du récit réitéré en différents termes jusqu’à la constitution d’une scène de tentation suicidaire dont émane une sensualité poignante et émouvante à l’extrême, car venant figurer cette autre tentation, celle de vivre. Aussi l’émotion paradoxale et souterraine que construit Chorokbam se joue-t-elle au final moins dans les parages de la dépression et des idées noires que dans ce qui nous rattache profondément au temps qui passe. (Maude Trottier)

 


prod. Rumble Fish Productions, Natrix Natrix

VESPER
Bruno Samper, Kristina Buozyte  |  Belgique/France/Lituanie  |  2022  |  112 minutes  |  Sélection 2022

Il y avait assez de signaux d’alarme avant la projection pour refroidir mes attentes face à cet objet plutôt stérile, d’une beauté visuelle stupéfiante, mais sans grande substance : une bande-annonce qui laissait clairement entrevoir le caractère ostentatoire de la mise en scène et un producteur venu arracher le micro aux cinéastes pour nous vendre un film qui n’est « ni belge, ni français, ni lituanien, mais universel », c’est-à-dire anonyme. Certes, on pourrait croire que le monde dévoilé à l’écran, sorte de dystopie futuriste classique où les riches vivent dans des cités fermées et les pauvres parcourent les champs de ruine à la recherche de nourriture, possède un vaste attrait auprès des membres du premier monde, qui ne crèvent pas déjà de faim dans des terres inhospitalières, mais les problèmes de coproduction se font sentir constamment, particulièrement dans la variété des accents abstrus d’acteurs susurrants, enterrés constamment par une bande musicale tonitruante et manipulatrice. En fait, malgré un fort ton mélodramatique, appuyé par une lourde esthétique de la misère, on note ici que la représentation des êtres humains est secondaire à la représentation du monde dans lequel ils évoluent, au cœur de ce qui constitue avant tout un exercice de world-building. Or, le world-building, c’est le propre des développeurs de jeux vidéo, dont les univers artificiels sont destinés au peuplement par des joueurs humains aux passions palpables, et non seulement par un effectif de PNJ archétypiques… Ceci inclut ici la jeune héroïne titulaire, enfant endurcie, forcée par les circonstances à protéger un père alité, dont la conscience est projetée dans un petit robot volant, et une esclave synthétique issue des citadelles bourgeoises, rassemblés contre un potentat local et les stormtroopers Nazgûl envoyés à leurs trousses par les méchants riches.

Le monde de Vesper est absolument fabuleux : tous les décors et les costumes postapocalyptiques sont minutieusement confectionnés et son iconographie biosynthétique, déclinée entre autres dans une flore étrange et captivante que jalouserait même James Cameron, est source d’un émerveillement constant. Malheureusement, on sent que, trop fière du travail esthétique accompli, la mise en scène sert principalement à faire étalage de la direction artistique, laquelle possède une qualité distinctement fantaisiste qui entrave l’identification aux personnages. Dur de se projeter dans le quotidien de protagonistes dont plusieurs des actions possèdent une signification nébuleuse et dont le domicile est rempli de machines à l’usage abscons. Dur de s’investir dans un récit qui manque cruellement de ligne directrice, où les pistes intrigantes se multiplient sans jamais mener à des développements satisfaisants. En effet, on évoque ici tous les tropes de la science-fiction contemporaine — le désastre écologique, le contrôle oligarchique des semences, les manipulations génétiques, les droits des créatures synthétiques, la lutte des classes, la conscience robotique — mais sans jamais s’engager pleinement sur aucune de ces pistes. Le principal coupable de cet état de fait est un scénario lacunaire qui fait fi des règles de base de l’écriture et qui, dans l’absence d’un véritable élément déclencheur, nous garde toujours au stade de situation initiale, c’est-à-dire d’exploration candide d’un monde dont les potentialités dramatiques et symboliques ne sont jamais vraiment exploitées au-delà de leur valeur superficielle. Il faudra attendre le dernier acte pour que Vesper quitte enfin la cabane qu’elle partage avec ses deux protégés. Il en ressort une expérience de visionnage lassante qui s’apparente plus au cinéma d’aventure qu’au cinéma de science-fiction, où la majorité des péripéties tient de la mise en image de quelque concept avant tout visuel et où les enjeux narratifs sont bâtis en cours de route, au gré de développements qui semblent désespérément aléatoires. Les puristes préféreront sans doute à l’œuvre de Samper et Buozyte le film fauché de Franklin Ritch, The Artifice Girl (2022), qui, malgré son allure théâtrale, possède au moins un bon scénario de science-fiction, édifié autour des considérations philosophiques et éthiques touffues propres au genre. (Olivier Thibodeau)

 


prod. Omnes Films

HAPPER'S COMET
Tyler Taormina  |  États-Unis  |  2022  |  62 minutes  |  Camera Lucida

Prochaine projection : Mercredi 27 juillet à 14 h 15

La nuit se façonne comme un espace d’exception qui génère un regard singulier, cherchant l’évènement tapi dans l’obscurité. Dans la lignée de films exploratoires et somnambules tels que Toute une nuit (Chantal Akerman, 1982) ou Dark Night (Tom Sutton, 2016), Tyler Taormina compose dans Happer’s Comet une mosaïque déambulatoire qui se faufile dans la banlieue américaine, glissant calmement d’intérieur en intérieur pour dévoiler des personnages isolés dans un état de flottement silencieux. Tourné majoritairement avec l’aide de sa famille, le film de Taormina se reçoit comme un objet pandémique par excellence, autant par la fragilité audacieuse de ses moyens que par son exploration d’une réclusion crépusculaire. Il ne s’agit pas ici de la noirceur fêtarde, celle de l’échange ou de la confidence intime, mais d’un somnambulisme solitaire, muet et mélancolique. Les passages d’une patrouille policière dans les quartiers résidentiels mornes semblent assurer un regard autoritaire par ses phares qui illuminent les chambres et les corps endormis. Alors que cette présence crée une nette délimitation entre un espace privé carcéral et une rue inaccessible, une attraction nocturne, un désir de parcourir ces voies désertes se développe, peut-être justement par l’interdit. C’est la seule ligne de fuite narrative que se permet l'auteur, alors qu’une suite de personnages se glisse hors des demeures, saute par les fenêtres, enfile des patins pour visiter la nuit comme un nouvel espace à l’orée d'un terrain familier. Ces gestes font montre d’une envie commune de reprendre possession d’une ville dans ses moments d’assoupissement.

Si Happer’s Comet peut engourdir par la pesanteur de son rythme appuyé, par l’assurance parfois niaise d’une lueur révélatrice qui serait générée par la rencontre entre la rêverie noctambule et le quotidien plus-que-banal, j’aurais tout de même du mal à taire ma tendance à savourer ce type d’images qui m’enivrent d’une lenteur généreuse, où chaque mouvement, par sa rareté, se gonfle de potentiel. Ces films ont une relation privilégiée au temps de leur écoute, et il me semble que l’artificialité d’un retour sur des pensées nocturnes de la veille, devenues anachroniques après la levée du jour, s’apparente facilement à la surprise que j’ai eue de voir Happer’s Comet se clore, alors que l’éclairage dessille graduellement les yeux. En discuter alors, c’est aussi observer la distance insurmontable entre la nuit de l’écoute et la lumière aveuglante d’un discours apposé a posteriori. Ces images font de la salle de cinéma un repaire d’insomniaque, le lieu d’un secret bien gardé. (Thomas Filteau)

 


prod. Hangar 18 Media

THE BREACH
Rodrigo Gudiño  |  Canada  |  2022  |  93 minutes  |  Ombres du Septentrion

Sans faire de miracle, le réalisateur Rodrigo Gudiño (président du magazine Rue Morgue) nous offre un trip nostalgique amusant en amalgamant quelques clichés bien-aimés du cinéma d’horreur des années 1980 et 1990. Après la découverte du cadavre déchiqueté d’un scientifique excentrique, spécialiste de la physique des particules, dans un petit bled du nord de l’Ontario, un trio d’enquêteurs génériques est chargé d’investiguer, en commençant par la fouille de sa retraite forestière qui cache une machine aux pouvoirs surnaturels. Parmi eux, on compte le flic local sur sa dernière enquête avant de quitter pour la grande ville, son ex-blonde, accessoirement tireuse et batelière, ainsi que son ex-amoureux à elle, un coroner frustré qui se transforme vite en agneau sacrificiel. S’ensuit une sorte de variante canadienne sur From Beyond (1986), mais sans l’atmosphère sulfureuse que semblait promettre la prémisse, avec un soupçon de The Fly (1986) en son lieu… et des zombies dedans-dehors. Plein de belles « choses » minutieusement conceptualisées dans une sorte de méli-mélo réconfortant d’horreur scientifique et de délire occulte.

« Tout a changé depuis 2008 », dira ici un expert excentrique par visioconférence, l’année de la mise en service du Grand collisionneur de hadrons sur la frontière franco-suisse, lequel aurait, selon lui, modifié notre perception de la réalité. Il dira en outre que les physiciens des particules pratiquent la magie noire. Et c’est pas mal ça qui se passe à l’écran : de la nécromancie, des lumières qui s’allument toutes seules, des portes qui s’ouvrent toutes seules, des métamorphoses corporelles dégueulasses, des doppelgängers, des bestioles étranges, des chambres tapissées de dessins cryptiques, des murs couverts d’yeux, des ombres vivantes et une machine qui sert de panacée scénaristique, capable de transformer la substance même du réel. Tour à tour cabalistique et exubérante, capitalisant d’abord habilement sur l’anticipation macabre du spectateur grâce à un usage brillant du hors-champ qui retarde la révélation des éléments horrifiques du récit, puis sur l’illustration généreuse de ceux-ci une fois la brèche ouverte, la mise en scène de Gudiño nous permet d’apprécier le film comme un bonbon fourré — délicieux sur le moment, mais sans impact durable. Grâce à cette mise en scène, il transcende d’ailleurs le jeu légèrement exsangue d’une distribution stoïque, que souligne malgré lui l’acteur de télévision Adam Kenneth Wilson qui, dans le style acteur à sourcils en carton, rappelle une autre figure proéminente de la série B de la fin du siècle précédent, le délectablement kitsch Andrew Divoff, notre Wishmaster (1997) préféré. (Olivier Thibodeau)

 


prod. Mutiny Pictures, Ero Picture Company

SKINAMARINK
Kyle Edward Ball  |  Canada  |  2022  |  100 minutes  |  Section Underground

C’est en refusant la théâtralité, la narrativité, voire la lisibilité que le réalisateur albertain Kyle Edward Ball atteint l’essence du film d’horreur moderne, livrant avec Skinamarink une expérience cinématographique quasiment pure, un cauchemar incarné auquel il nous incombe de nous abandonner totalement afin d’en récolter les terrifiants fruits. De facture semi-expérimentale, nourrie par un récit schématique d’enfants banlieusards aux prises avec des terreurs nocturnes dans leur grosse maison unifamiliale vide (ou presque…), l’œuvre propose en lieu de trame scénaristique un amalgame de tableaux angoissants et incongrus, souvent fragmentaires, évoquant une série d’impressions passagères plutôt qu’une description cartésienne des lieux et des événements. C’est une plongée directe dans les affres d’un esprit infantile paniqué, baignée de ténèbres, d’angles tranchants, de potentialités monstrueuses, à mi-chemin entre le rêve et l’angoisse déconcertante provenant d’un séjour prolongée dans une ténébreuse nef suburbaine.

C’est surtout l’occasion pour l’auteur de défier les règles classiques du cinéma narratif afin de maximiser l’usage de décors restreints, mais surtout de maximiser la puissance d’évocation d’images imprécises. En filmant les recoins des pièces plutôt que les pièces elles-mêmes, Ball multiplie non seulement les déclinaisons possibles de chaque espace, mais aussi les angles expressionnistes; en faisant murmurer ses jeunes acteurs, il sacrifie leur intelligibilité au profit d’un paysage sonore fantomatique ponctué de rumeurs angoissées (et angoissantes); en cadrant les lieux de manière partielle, il étend énormément le hors-champ, misant ainsi sur l’un des atouts primordiaux du metteur en scène d’épouvante, soit le potentiel de menace infini qui règne par-delà les limites du cadre. Combinée à la relative opacité du contenu diégétique, à l’absence d’une trame narrative solide, l’exploitation de ce potentiel permet de garder le spectateur dans une anticipation constante, rappelant à ce titre le travail systémique d’un Michael Snow, qui semble souvent ne filmer que le potentiel d’épanchement du hors-champ dans le champ (comme dans le fascinant <---> [1969]). C’est également de l’extérieur du cadre que provient l’un des dispositifs les plus terrifiants de l’œuvre, soit la voix monstrueuse qui s’immisce subrepticement dans la diégèse, intimant aux enfants de se mettre des couteaux dans les yeux, insinuant dans notre esprit une image insoutenable qu’il n’est plus alors besoin de matérialiser.

Le film ne s’intéresse pas qu’au hors-champ, néanmoins, et c’est à l’intérieur du cadre que se déploient quelques-unes des plus intrigantes idées de mise en scène du réalisateur. Il faut s’investir dans le visionnage pour y arriver cependant, puisque c’est vers la fin que les choses deviennent vraiment délirantes, que le film accélère la cadence et revêt une texture sensiblement cauchemardesque. Usant d’astuces sommaires, mais ingénieuses, Ball crée d’abord de simples objets évanescents, filmant des murs ou des recoins où apparaissent puis disparaissent soudainement des cloisons et des toilettes, évoquant un monde familier mais insaisissable qui, à tout moment, peut se dérober ou emprisonner les sujets. Ce n’est rien pourtant, en comparaison avec la débrouillardise qu’il démontre pour les perspectives inversées, parvenant à matérialiser de façon étrangement vraisemblable l’avancée d’un personnage sur un plafond, mais aussi le « mouvement » d’une « créature » aberrante faite de jouets agglutinés, preuve tangible d’une astuce cinématographique hors pair dans l’utilisation de ses ressources scénographiques limitées. Et cela sans compter l’utilisation effarante qu’il fait ici des téléphones pour bébés… (Olivier Thibodeau)

 


prod. Nao Yoshigai

SHARI
Nao Yoshigai  |  Japon  |  2021  |  61 minutes  |  Documentaires de la marge

Prochaine projection : Vendredi 29 juillet à 15 h 35

Quelque part entre le journal filmé, le documentaire ethnographique et l’essai, Shari constitue un effort précieux et délectable de la part de la cinéaste et chorégraphe Nao Yoshigai. Dressant le portrait de la ville titulaire (située dans le nord d’Hokkaidô), celle-ci refuse de se cantonner à la réalité prosaïque des lieux et décide d’y injecter une dose de mysticisme, privilégiant l’usage d’un montage expressif (tantôt rythmique, tantôt symbolique, voire magique) en plus d’introduire une créature étrange, la « chose rouge », au cœur du paysage. Cette engeance errante, interprétée par la réalisatrice au visage fardé de rouge et au corps vêtu d’un costume poilu d’allure vaguement fongique, arpente les plaines enneigées qui ceignent l’agglomération, puis fait irruption dans le musée d’histoire naturelle de Shiretoko et dans l’école primaire, où les jeunes s’entraînent au sumo. S’imposant comme une trace de réalisme magique au sein du cadre naturaliste de l’œuvre, elle constitue surtout l’itération centrale de l’opposition graphique étrangement fructueuse que propose Yoshigai entre le rouge et le blanc, qui évoque l’agencement de la force vive locale et de la pureté stérile des tableaux hivernaux qui lui servent de terreau. Si l’autrice s’applique à créer un portrait palpitant de la communauté titulaire, c’est donc en ancrant ses différents membres profondément au cœur des lieux où ils ont décidé d’élire domicile, mais en scrutant plus loin encore, et en dégageant une part de l’imaginaire fertile qui les habite.

Possédant un œil exceptionnel pour la composition graphique — ses plans sont toujours très soignés —, la réalisatrice fait aussi preuve d’un discernement hors pair dans le choix de ses sujets. Qu’il s’agisse de la boulangère/bergère de l’endroit, une chrétienne dont les deux métiers sont inspirés par la vie du Messie, du pêcheur nettoyeur des berges ou de la chasseuse de gibier, les personnes qu’elles filment confèrent tous une saveur distinctive à la diégèse semi-fantasque de l’œuvre, au même titre que les lieux et les objets que cadre sa caméra. La neige est particulièrement fascinante comme objet scénique ; les demeures d’allure étrangement moderne où vivent les sujets le sont également. Mais c’est sans compter sur le surprenant spectacle des centaines de statues accumulées par un vieil homme entasseur, les steaks de gibier grésillant de la chasseuse ou les pains de mie craquants de la boulangère. S’il constitue un festin pour les yeux, le film stimule aussi les autres sens, l’ouïe et le goûter notamment, que titillent gentiment les scènes gastronomiques. Toute la mise en scène contribue en somme à saisir l’impression des lieux avec le plus d’acuité possible, adoptant un ton contemplatif qui sied parfaitement à la sérénité ambiante et à l’immensité des panoramas naturels, mais sans jamais perdre de vue le caractère rigoureux de ce havre septentrional, où le simple spectacle du feu dans le poêle exsude une chaleur réconfortante. Elle parvient en outre à distiller toute la sensualité des gestes posés par les sujets, parcelles d’un portrait palpitant qui se déguste comme le bon vin. Le bon vin rouge. (Olivier Thibodeau)

*Critique publiée une première fois dans notre couverture du Festival de Rotterdam 2022

 

 

INTRO

PARTIE 1
(Polaris, The Diabetic, My Small Land,
The Tales of the Party Pooper Monster, The Heroic Trio)

Face/Off

PARTIE 2
(Aspirational Slut, Coupez !, The Fish Tale,
All Jacked Up and Full of Worms, Popran)

PARTIE 3
(Lynch/Oz, L'employée du mois,
The Cow Who Sang a Song Into the Future, From.Beyond)

Entrevue : John Woo

PARTIE 4
(Les pas d'allure, One and Four, Sissy, The Harbinger)

PARTIE 5
(Detective Vs. Sleuths, The Fifth Thoracic Vertebra, Give Me Pity!,
The Pez Outlaw, Megalomaniac, My Grandfather's Demons)

PARTIE 6
(Chorokbam, Vesper, Happer's Comet, The Breach, Skinamarink, Shari)

PARTIE 7
(We Might as Well Be Dead, Opal, Resurrection,
Inu-Oh, Freaks Out, Monsieur Magie)

PARTIE 8
(Speak No Evil, Island of Lost Girls, Deshabitada, Ring Wandering)

Il demonio

PARTIE 9
(Country Gold, Whether the Weather Is Fine, Cult Hero,
Incroyable mais vrai, Compulsus, Next Sohee)

 Entrevue : Shinji Higuchi

Maigret

Topology of Sirens

Shin Ultraman

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Article publié le 27 juillet 2022.
 

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