CALABRIA
Pierre-François Sauter | Suisse | 2016 | 118 minutes | Compétition internationale longs métrages
Entre la réminiscence d’un temps passé et la saveur délicate d’un gâteau accompagnant le thé,
Calabria a bel et bien ce petit quelque chose de la madeleine de Proust. Récit poétique, fable de la vie à la douce vertu euphorisante, Pierre-François Sauter nous gratifie d’instants réels de bonheur tout aussi drôles que philosophiques. « J’ai voulu concentrer l’attention du spectateur sur l’observation de la vie qui se déroule sous nos yeux, avec toujours en arrière-fond la présence de la mort — qu’on oublie souvent —, mais qui plane toujours sur nous. En partant de la mort, j’ai voulu réaliser un film qui montre la surprenante richesse de la vie quand on prend le temps de l’observer. » Sur un même tableau se côtoient magie et spontanéité du quotidien, tristesse et mélancolie, dans une synergie harmonieuse instillant la certitude que rien n’aurait pu se passer autrement. En choisissant pour sujet des employés des Pompes Funèbres Générales à Lausanne, le réalisateur relève l’audacieux pari de rendre hommage à l’existence de la vie au travers de deux destins, celui du défunt, Francesco Spadea, ouvrier de chantiers de routes en Suisse issu de la vague d’immigration italienne des années 70, et, celui de deux autres immigrés, les conducteurs du corbillard : Jovan, un musicien tzigane serbo-croate et José, un intellectuel portugais qui par leur histoire unique et singulière, nous hissent au-delà des frontières et renversent le stéréotype du destin tragique de l'émigré. Tout au long de la route nous partageons la compagnie de ces deux hommes qui communiquent entre eux en français, tout en parlant italien aux personnes qu’ils croisent sur leur route et échangent des mots dans leur langue natale respective ; ils se connaissent peu et pourtant nous livrent leurs peurs, doutes, croyances par des regards expressifs et des émotions contagieuses. Alors que la majorité du récit se développe à l’intérieur du corbillard, il ne constitue jamais une contrainte, bien au contraire. La facilité avec laquelle l’on s’échappe de cet habitacle aux contours enveloppant est assez stupéfiante, la caméra placée juste au-dessus du cercueil nous donne à voir les paysages extérieurs des montagnes enneigées avec une époustouflante esthétique, les plans des visages nous propulsent directement dans l’intimité, la tendresse et la complicité. José et Jovan jouent les aventuriers, prennent le temps d’échanger, de chanter, de discuter avec les personnes qu’ils rencontrent sur leur route, d’écouter Beethoven, de ramener de l’eau de la mer pour leurs enfants et de parler d’amour, convertissant le rapatriement de l’italien sur sa terre natale en un vivier de l’imaginaire, de la réflexion et du moment présent. Toutes ces années de préparation, des premiers repérages au mixage final du son, les problèmes de financement et obstacles techniques rencontrés lors du tournage, n’auront pas été vains pour ce
road movie aux touches brillantes et singulières.
(Claire-Amélie Martinant)
LE GOÛT D’UN PAYS
Francis Legault | Québec | 2016 | 102 minutes | Présentations spéciales
Rarement un documentaire –
a fortiori portant sur un produit de consommation – n’aura suscité autant de fierté ni d’émotions. Le sirop d’érable coule, et les larmes – de tristesse, de rire ou de joie – aussi. Qui eût cru qu’au générique, la salle se fût spontanément levée pour ovationner le réalisateur et son équipe ? Car, qu’on se le dise, le documentaire de Francis Legault est beau, bon, instructif, émouvant. On a beau débarquer avec des attentes hautes comme ça, les bras croisés obstinément sur le torse, le sourcil froncé, le regard suspicieux, le film n’est pas sitôt commencé que nos bras accueillent, que notre sourcil se pâme et que notre œil en prend plein la tronche. La formule était gagnante, mais le pari, loin d’être gagné. Prenez Gilles Vigneault, notre attendrissant chantre national, et Fred Pellerin, notre sympathique conteur de village, tirez-leur une bûche et faites-les bavarder. Faites-les bavarder non pas du pays, de la langue, de l’identité nationale… mais de sirop d’érable, tout simplement. Dès lors, ils vous parleront – en recourant à moult métaphores et autres allégories (quelquefois réussies, quelquefois alambiquées) – du pays, de la langue, de l’identité nationale. Car le sirop, ici, est un prétexte, un prétexte servant à dire notre histoire, notre société, nos mœurs et au sujet duquel parleront écrivains, poètes, chanteurs, comédiens, conteurs, historiens, politiciens, psychologues, sociologues, biologistes, écologistes, activistes, cuisiniers, acériculteurs, commerçants, vieillards, parents et enfants. Partant, le sirop s’aborde sous tous les angles : politique, économique, écologique, sociologique, ethnologique, anthropologique… il permet de parler de l’éducation, du capitalisme, du réchauffement climatique. Les plans sont superbes et le montage, surtout, est soutenu. Si Vigneault et Pellerin nouent l’ensemble par leurs discussions régulières, les nombreux invités – de tout âge, de tout genre et de toute provenance —, tous plus attachants les uns que les autres, interviendront sporadiquement depuis leurs univers respectifs afin de dynamiser l’échange, chacun apportant un point de vue neuf et vivifiant duquel se détacheront régulièrement, dans des registres de langue bien différents, des perles truculentes. Au bout du compte, nous aurons eu aussi l’impression d’avoir passé quelques semaines avec tous ces gens, puisque le documentaire est aussi construit à la façon d’un récit nous permettant d’apprivoiser, du début à la fin, sans être péniblement didactique toutefois, chacune des étapes de l’entreprise : entaillage, collecte, bouillage, évaporation, filtration, dégustation, encannage. Les feux de bois qui se dégagent des poêles et autres fourneaux traversent l’écran et nous réchauffent le cœur. Émus, fiers, apaisés, il faut donc prendre le temps de nous questionner.
Il faudrait en effet tenter une « mythologie » du sirop d’érable et mettre au jour la part idéologique que lui injecte le film. Car ce sirop, à la base, n’était évidemment pas prisonnier de cette représentation. Il est devenu un mythe le jour où on s’est mis à spectaculariser la cabane en bois rond et à nous inviter à devenir les touristes de nos propres traditions. Enfin, passé à l’écran, objet d’un documentaire, le sirop est non seulement prétexte à toutes les métaphores, mais attire et englue en lui un lot de valeurs et de propriétés qu’il ne contient pas naturellement. Ce « produit de consommation » devient ainsi notre or liquide (le procédé est comparé à celui des alchimistes), le fruit de notre savoir-faire ancestral (légué par les Amérindiens, absents du documentaire), la preuve de notre respect pour la nature (exprimé à coup de hache et de
chainsaw). Le sirop et sa préparation nous ressemblent : cyclique, résilient, patient. On pourrait même émettre l’hypothèse que ce documentaire a plu parce qu’il a présenté une image, non qui nous ressemble réellement, mais à laquelle nous nous complaisons à ressembler. Pour faire du sirop, il faut être laborieux et endurant, il faut peiner fort pour récolter peu, faire du sirop nous permet d’être en famille et entre amis, de souligner notre générosité et notre désintérêt pour l’argent (on fait le sirop et on le donne… ou on n’en vit pas). On s’en convainc, même si nous sommes quotidiennement entourés de paresseux et de BS, de mauviettes et de feluettes, d’arrivistes et d’opportunistes, de misanthropes et d’avares, d’incultes et de corrompus… Patience, labeur, frugalité, famille, générosité, désintérêt, voilà de quelles valeurs le sirop se trouve injecté, valeurs dans lesquelles nous nous plaisons à nous reconnaître. Le sirop devient notre tremplin identitaire et notre passeport pour l’étranger. Non seulement devient-il ce qui nous rapproche, mais aussi ce qui nous distingue. Vu par les yeux de l’« Autre » — qu’il soit Anglais, Sénégalais, Vietnamien —, le sirop devient aussi le signe de notre joie de vivre, de notre pacifisme et de notre libéralité. Mais il est intéressant de noter que cet « Autre » ne nous devient sympathique que quand il s’intéresse à nous et ingère nos produits, non quand il les questionne ou nous présente les siens. On sortira donc de la salle avec un sourire béat étampé dans la face et une larme d’émotion perlant au coin de l’œil, satisfaits et rassasiés de cette image de nous-mêmes.
(Jean-Marc Limoges)
PRÉSENTATION
OUVERTURE : FUOCCOAMARE : PAR-DELÀ LAMPEDUSA
JOUR 1
(David Lynch: The Art of Life, Ta'ang)
JOUR 2
(Angry Inuk, Hier à Nyassan, Kate Plays Christine, Il Solengo)
JOUR 3
(Aim for the Roses, Fuocoammare : par-delà Lampedusa,
Dark Night, S.E.N.S., We Can't Make the Same Mistake Twice)
JOUR 4
(The Botanist, Brothers in the Night,
Manuel de libération, Territoire perdu)
JOUR 5
(Austerlitz, Combat au bout de la nuit, He Who Eats Children
Quebec My Country Mon Pays, Les tourmentes)
JOUR 6
(Brothers in the Night, Gatekeeper, The Great Theater,
Long Story Short, Speaking is Difficult, Uzu,)
JOUR 7
(A Train Arrives at the Station, Andrew Keegan déménage,
Animals Under Aneasthesia, Dialogue(s), Gulistan, terre de roses,
Isabella Morra, Manuel de libération, Non-contractual)
JOUR 8
(Calabria, Le goût d'un pays)
JOUR 9
(Le concours, The Dreamed Ones, Swagger)