ARAGNE : SIGN OF VERMILLION
Saku Sakamoto | Japon | 2018 | 75 minutes
« Petit » film d’animation,
Aragne: Sign of Vermillion est le premier effort à la réalisation d’un long métrage de Saku Sakamoto, qui a auparavant travaillé longtemps comme animateur de séquences numériques (notamment sur les scènes oniriques de
Ghost in the Shell 2 : Innocence). Petit, oui, car il ne faut pas avoir vu beaucoup d’anime pour réaliser le manque de moyen dont souffre
Aragne par moments, avec cette mise en scène hyper statique (les points de vue émulent une caméra-épaule agaçante pour insuffler de la nervosité et du suspense à l’écran) et ces visages qui passent de l’animation 3D à la 2D avec un grand manque d’élégance. En effet, si les images en 2D s’avèrent aussi efficaces en mobilité pleine qu’en faisant ces pauses si caractéristiques de l’anime, celles en 3D souffrent d’une plastique qui échoue totalement à transmettre les émotions des visages. En résultent des alternances entre l’un et l’autre qui n’ont d’autre justification que celle des contraintes de production, nous faisant passer, à l’intérieur d’une même scène, du visage de l’héroïne Rin, les yeux tremblotants, à son visage rendu inerte par l'infographie paresseuse. Sans émotion, l’horreur graphique de Sakamoto a beau nous effrayer, elle le fait en perdant son sens et sa profondeur.
L’erreur d’
Aragne, c’est de ne pas avoir tiré des éléments de ce régime esthétique afin de donner corps aux thèmes de son récit (thèmes qui sont l’amitié, la dépression, la solitude et qui sont généralement bien traités par le scénario). Rin aurait été poussée du haut d’un étage (où était-ce une baignoire ? où un immeuble ? le film multiplie les versions pour nous faire nous concentrer sur le geste) par sa meilleure amie (jeune ? ado ? adulte ?) qui revient la hanter en incarnant des papillons de nuit géants qui volent au-dessus de la ville. Ce supernaturel à la japonaise, tout près de Mamoru Oshii (les rêves d’
Aragne rappellent
Angel’s Egg, la réalisation et ses teintes semblent par moments tout droit sortie de
Ghost in the Shell 2), joue habilement avec les nerfs des spectateurs, préparant des attaques-surprises venant des coins de l’écran, utilisant le numérique pour étirer au maximum ces peaux qui démangent et que des mains grattent avec frénésie (sans doute l’une des utilisations de l’animation 3D les plus intéressantes du film). S’enfonçant d’un régime de références à un autre (du trauma enfantin jusqu’aux expériences morbides de la Seconde Guerre mondiale — le tout sans lisibilité intéressante parce que l'animation elle-même n'en fait rien),
Aragne se dérobe sous nos pieds séquence après séquence, structurant sa descente en enfer comme un jeu vidéo un peu cliché, un peu terrifiant, un peu oubliable.
(Mathieu Li-Goyette)
COLD SKIN
Xavier Gens | France / Royaume-Uni | 2018 | 107 minutes | Sélection 2018
Dès la citation qui ouvre le film (vous savez, celle de Nietzsche sur les abysses qu’il ne faut pas contempler trop longtemps), nous sommes en terrain convenu.
Cold Skin a beau nous amener sur une île isolée en Antarctique pour organiser une rencontre avec des créatures inconnues, nous promettre quelque chose comme un conte lovecraftien d’hommes devenus déments en découvrant un autre monde à l’autre bout du monde, notre esprit demeure parfaitement calme, reposé — pour ne pas dire ennuyé — devant ce traitement des plus ordinaires d’un récit qui devrait reposer sur l’extraordinaire. Quelques images ici et là sont plus inspirées (la lumière d’un phare balayant la nuit, découvrant sporadiquement les créatures qui s’avancent ; un scaphandre massif explorant une épave sous l’océan), mais nous retombons aussitôt dans l’ordinaire, dans des personnages qui obéissent à leurs réflexes de stéréotypes pour servir ce qui tient de propos sur la nature de l’humanité, pas très gentille, vous savez, mais aussi capable d’amour. Alors bien sûr, le film ne sait trop quoi faire de cette créature que les deux hommes gardent auprès d’eux, Xavier Gens (derrière la caméra) ou ses scénaristes ayant trop peu d’imagination pour inventer un monstre véritablement fantastique (nous avons droit à des mi-hommes mi-poissons qui imitent Gollum) ou pour mettre en scène un récit d’apprentissage de l’autre ; il ne reste qu’une créature domestiquée, asservie aux hommes, démontrant moins le besoin de domination de ceux-ci que les facilités d’un film à l’imagination tout autant domestiquée. On se dit alors que si cet abysse nietzschéen est devenu un cliché, c’est peut-être précisément pour se protéger le regard, et que si Gens avait osé s’y plonger plutôt qu’y jeter un rapide coup d’œil pour la forme, s’il avait cherché à penser l’impensable, il en serait ressorti (ou non) avec un film aux antipodes de ce
Cold Skin que j’aurai déjà oublié une fois cette phrase terminée.
(Sylvain Lavallée)
CRISIS JUNG
Baptiste Gaubert et Jérémie Hoarau | France | 2018 | 70 minutes | Axis
Je n’aime pas les animations. Encore moins les animations japonaises. Leurs protagonistes monolithiques vidés de toutes substances, toujours trop gentils ou toujours trop méchants, ne suscitent en moi aucun dégoût ni aucune admiration. Leurs quêtes aux innombrables et lassantes péripéties m’ennuient au possible. Leurs dialogues pseudo-poétiques imbibés de bons sentiments m’extirpent de profonds bâillements. Leurs esthétiques léchées, leurs animaux gentillets, leurs personnages aux yeux brillants, leurs décors fuyant pendant qu’ils se figent entre ciel et terre, chaque fois, me sidèrent. Même leurs trames sonores rose bonbon me font pisser le sang par les
oneilles. Après cinq minutes, ma rétine se décompose, mon cerveau s’atrophie et mon moral s’affaisse. Non — qu’on me pardonne ce jugement péremptoire qui n’implique que moi —, je ne supporte pas ces infantilisants récits peuplés de monstres protéiformes et de princesses de pacotilles qu’animent des conquêtes de royaume ou des déplacements intersidéraux. Je n’aime pas les animations, bon. Aussi ai-je adoré
Crisis Jung. J’y ai retrouvé là le condensé de tout ce qui m’ennuie et m’agace et m’horripile. Plus jouissif encore, le tandem français composé de Baptiste Gaubert et de Jérémie Hoarau est parvenu à décupler mon plaisir — plaisir revanchard, s’il en est — non pas en se moquant des codes du genre ou en les tournant en ridicule, mais en les poussant au-delà du sérieux auxquels ils se prennent eux-mêmes. Tout était dans le ton… et dans le contexte. Si bien que je me demande encore si, extraites de leurs syntagmes et présentées dans une autre salle, certaines scènes n’auraient pas suscité l’émotion des aficionados. Mais le nom des personnages, les traits de leurs physionomies, la voix qu’on leur donnait, les légendes qu’on déballait, les serments qu'on prêtait, les défis qu’on relevait… tout était si sérieux — trop sérieux — dans ce film post-apocalyptique-à-la-con qu’on ne pouvait pas ne pas s’empêcher, ponctuellement, d’éclater d’un rire salutaire et cathartique. Si on fait fi du saucissonnage qu’imposait le format sériel (on aurait quand même pu gommer les 10 génériques) et des répétitions de certaines scènes qui — sans égard au comique du même nom —, finissaient tout de même par lasser, on doit admettre que le duo savait joliment faire progresser son récit, le ponctuer de poèmes introspectifs très bien mal écrits, de chutes qui rebondissaient sans cesse, repoussant un peu plus chaque fois d’un cran l’absurde des situations dans le coin desquelles il semblait prendre un malin plaisir à se peinturer. « Trop sérieux pour être pris au sérieux », telle pourrait être la devise de Bobbypills.
(Jean-Marc Limoges)
UNITY OF HEROES
Lin Zhen-Zhao | Chine/Hong Kong | 2018 | 104 minutes | Sélection 2018
Le manichéisme n’est pas étranger au cinéma de genre ; c’en est même une partie intégrante, pourvoyant aux cinéastes une stratégie économe pour caractériser leurs personnages. Le problème, c’est lorsque le manichéisme devient la raison d’être d’une œuvre, comme dans cette affligeante production sino-hongkongaise, qui non seulement propose un repli populiste sur l’une des figures les plus célèbres et consensuelles de la culture chinoise (le héros martial et révolutionnaire érudit Huang Feihong), mais une vision profondément passéiste, réactionnaire et caricaturale de la culture occidentale. Recréation d’époque oblige, c’est la Compagnie britannique des Indes orientales, ses agents et ses serviteurs locaux qui servent ici de méchants, mais, ce n’est là qu’une excuse pour opposer tout le fait chinois à tout le fait étranger dans un exercice redondant et écervelé de représentations antagonistes.
Le ton est donné dès les premiers instants du film, alors qu’au spectacle glorieux, aérien et lumineux du héros et de ses disciples à l’entraînement (incluant une flatteuse contre-plongée sur le maître effectuant des postures devant l’astre solaire) est opposée une scène glauque et sordide d’attaque monstrueuse, perpétrée par l’un des sbires zombifiés des Britanniques. C’est (littéralement) la nuit et le jour, et cette opposition devient bientôt emblématique de tout le discours filmique. Entre les plans pittoresques de jardins chinois, où la caméra flottille comme un papillon parmi les fleurs et les travellings souterrains à travers les chambres de torture sordides de l’ennemi, entre les plans ensoleillés de Huang Feihong qui livre des perles de sagesse sous ses blancs atours et les plans du méchant Mr. Vlad dans son costume noir, seyant dans un caveau strié de noirceur par les pales d’une hélice industrielle, entre les exposés péremptoires du maître à propos des vertus de la médecine chinoise traditionnelle et les plans dédaigneux des flacons, canules et tubes utilisés par les étrangers, force est ainsi de constater la mécanique exclusivement conflictuelle du film. C’est gros, c’est gras et ça pue la propagande, dénaturant volontairement les codes du film de kung-fu classique en y retranchant les questions d’honneur, souillées par l’utilisation constante d’une drogue apparentée à la fois à l’opium et aux stéroïdes. Cela dit, même les scènes d’action, fruit d’un montage énergique, mais trop souvent imprécis, ne parviennent pas ici à sauver la mise, s’avérant en outre trop rares et trop peu spectaculaires, bref trop subordonnées au dessein principalement chauviniste de l’œuvre.
(Olivier Thibodeau)
NUMÉRO HOMMAGE À JOE DANTE
JOURS 1-3
(Being Natural, Dans la brume, Microhabitat, Tremble All You Want)
JOURS 4-5
(Aragne: Sign of Vermillion, Cold Skin, Crisis Jung, Unity of Heroes)
JOURS 6-7
(The Blonde Fury, Luz, Profile, Relaxer, Satan's Salves)
JOURS 8-9
(Fireworks, I Have a Date With Spring, La Nuit a dévoré le monde, Laplace's Witch,
People's Republic of Desire, The Vanished, The Witch: Part 1. The Subversion)
ENTREVUE AVEC JOE DANTE
JOURS 10-11
(Amiko, Blue my Mind, Buffalo Boys, Chained for Life, L'inferno,
True Fiction, Unfriended: Dark Web)
JOURS 14-15
(Le Nid, La Quinceañera, Small Gauge Trauma 2018,
V.I.P., Violence Voyager, Windigo)
JOURS 16-18
(1987: When the Day Comes, The Dark, The Field Guide to Evil, Number 37, Pledge,
Pourquoi l'étrange monsieur Zolock s'intéresserait-il tant à la bande dessinée ?)
JOURS 19-20
(Amanita Pestilens, Detective Dee: The Four Heavenly Kings,
Five Fingers for Marseilles, The Ranger, Rondo, Tigers Are Not Afraid)
JOURS 21-22
(Arizona, Brothers' Nest, DJ XL5's Outtasight Zappin' Party, Madeline's Madeline,
Mandy, The Oily Maniac, One Cut of the Dead, Penguin Highway, Piercing, What Keeps You Alive)