CAM
Daniel Goldhaber | États-Unis | 2018 | 94 minutes | Compétition Cheval noir
Pour tout son manque de substance, Cam reste un thriller plutôt amusant, qui mise non pas sur la condamnation morale des sites de live stream érotiques, mais sur une exploitation ludique et affective du flot d’informations qui y circule. Les gros plans d’emojis provenant des utilisateurs mâles, mais aussi le tintement obsédant des alarmes de paiements virtuels deviennent ainsi les engrenages de séquences fort palpitantes, fruits d’un montage au rasoir qui contribue également à maintenir l’allure folle du flot narratif. L’apport du jeu de caméra est à l’avenant, entraînant le spectateur dans un monde en constante mouvance, en constante métamorphose, où la multiplication incessante des miroirs cimente petit à petit le leitmotiv triomphant de la duplicité. La prémisse est presque risible, surtout qu’aucun effort n’est déployé pour faire sens de l’apparition soudaine du doppelgänger d’Alice/Lola. Mais cela compte peu au final, puisque c’est le trajet qui importe, trajet cahoteux vers une finale explosive, qui même si elle n’explique pas grand-chose, nous éblouit quand même d’astuce scénaristique.
La première scène du film nous donne à voir l’une des performances en ligne de Lola_Lola (ainsi nommée en référence au personnage de Marlene Dietrich dans L’ange bleu [1930]). Les frasques érotiques de la jeune femme emplissent l’écran, jusqu’à ce que la caméra recule et révèle une barre de clavardage latérale où se succèdent les commentaires de ses admirateurs. Les hommes sifflent et aboient virtuellement, offrant à leur idole des sommes de jetons numériques pour la voir accomplir les actions de leur choix. Prenant la balle au bond, Lola propose alors une enchère visant à déterminer le vibrateur qu’elle utilisera pour le clou du spectacle, incitant un visiteur « inconnu » à suggérer un couteau. Fin de la partie ? Non, puisqu’il s’agit en fait d’un de ses complices, dont l’intervention vise à pimenter l’événement. Déjà, le processus de dédoublement est enclenché, dédoublement multiple où Alice devient Lola, où l’écran de cinéma devient écran d’ordinateur, où l’agresseur devient allié, où l’érotisme devient violence, etc… Les miroirs pullulent, symboliquement et littéralement, préparant la table pour un thriller qu’on dirait peut-être hitchcockien (vertigoien du moins) si sa facture n’était pas si contemporaine. Un thriller post-hitchcockien disons, qui possède même assez de recul pour interroger spécifiquement les mécanismes du « plaisir visuel » machiste (dans les forums de discussion en ligne, mais aussi dans le cinéma lui-même).
Le rythme narratif du film est foudroyant, et c’est sans doute là que réside sa plus grande force. Les événements se bousculent et l’enquête se développe rapidement, gardant constamment le spectateur en haleine. Son atout le plus surprenant par contre, étant donné le potentiel scabreux de la prémisse, c’est le portrait nuancé qu’il dresse des habitants du cyberespace, de ses femmes auto-objectifiées, mais aussi des hommes qui les regardent. Ces derniers, quoiqu’ils s’avèrent tous un peu tordus, ne sont pas les monstres auxquels on pourrait s’attendre. Ce sont de vraies personnes, capables de violence certes, mais aussi de tendresse et de générosité. Le plus intéressant par contre, c’est la représentation gynophile des personnages féminins, sur lesquelles on refuse ici de poser un regard misérabiliste ou complaisant, n’en faisant ni des putes, ni des victimes. Ce sont des travailleuses autonomes, des maîtresses de cérémonie, dont la pratique revêt presque toujours un caractère ludique et bon enfant, mais aussi un potentiel véritablement émancipateur. Bravo pour cela à la scénariste Isa Mazzei, qui en signant cette variation contemporaine de Stepford Wives (1975), promeut également une représentation distinctement contemporaine des genres. (Olivier Thibodeau)
DA HU FA
Busifan | Chine | 2017 | 93 minutes | Axis
Da Hu Fa est d’une splendeur absolue. C’est une invitation galante au voyage, parmi les vallons sinueux du shanshui (le paysage pictural chinois), les cavernes miyazakiennes et les bidonvilles du cinéma d’action philippin, autant d’univers parallèles aboutés ici comme dans les plus délirants programmes de cartoons dominicaux. On note à cet égard que le réalisateur Busifan fait un usage exemplaire de la mise en scène 3D, où la technologie ne sert pas qu’à briser le quatrième mur, mais à matérialiser la profondeur de champ et les lignes de fuites, bref à concrétiser l’idée du voyage par la représentation d’un monde qui nous attire toujours vers l’horizon (plutôt que de se projeter vers nous). Aidé par le design schématique des personnages, le film bénéficie en outre de l’incroyable fluidité de l’animation, garante de plusieurs séquences d’action enlevantes. Le problème, c’est que le scénario est beaucoup, beaucoup, beaucoup trop verbeux, balafrant chacun des fabuleux tableaux arpentés par les héros de sous-titres disgracieux, qui de surcroît se révèlent totalement littéraux. La trahison langagière est telle que toutes les subtilités narratives sont sûres d’échapper au public occidental, pour qui le récit, pourtant excessivement explicatif, se résume à la guerre d’indépendance d’un peuple asservi d’hommes-cacahuètes.
La surenchère de bavardage constitue ici un double handicap, compromettant sans cesse les dispositions contemplatives du spectateur, mais justifiant aussi les plus ennuyeuses séquences du film. La beauté envoûtante des paysages mérite effectivement qu’on s’y attarde, question que puisse nous envelopper la douce quiétude qui en émane et que tous les somptueux détails picturaux, toutes les soyeuses pointes de couleur puissent obtenir notre attention complète. Face au foisonnement de splendeur esthétique, ce sont d’ailleurs les scènes de dialogue qui font tache, dévoilant une maestria défaillante du médium. L’auteur cède alors à la logique ennuyeuse du champ-contrechamp, mais avec des gros plans d’autant plus ennuyeux que l’animation y est minimale. Les lèvres bougent, ainsi que le menton, pour délivrer un flot incessant de litanies explicatives et de mots d’esprit incompréhensibles. En contrepartie, tout le reste est magnifique, les scènes de déambulation obsédante dans des souterrains fantasmagoriques, les scènes de poursuite dans des labyrinthes urbains expressionnistes, mais surtout les scènes de combats vigoureuses, où l’auteur démontre sa maîtrise de l’espace via l’assimilation des points de fuite à la trajectoire des balles, qui viennent strier le décor à la manière de pinceaux, aériennes mais létales, à l’instar de Busifan, son protagoniste et de toute(s) leur(s) entreprise(s). (Olivier Thibodeau)
HANAGATAMI
Nobuhiko Obayashi | Japon | 2017 | 169 minutes | Camera Lucida
L’impact du film Hanagatami (The Flower Basket) sur le spectateur est puissant et se fait sentir dès les premières minutes. Le flot d’images découpées et recomposées qui défilent rapidement sous nos yeux grâce au montage kinétique donnent l’impression d’un collage d’images aux couleurs saturées trouvé dans le scrapbook d’un surréaliste. Accompagné par des dialogues livrés en rafale, le ton est rapidement donné et le spectateur aura alors à s’adapter à cet étrange objet, mais sa patience et son ouverture d’esprit seront récompensés par la richesse de cette œuvre majeure qui dévoile tranquillement sa force tout au long des trois heures de récit dense qu’elle renferme.
C’est suite à un diagnostic médical l’amenant à voir ses jours comptés que le réalisateur, Nobuhiko Obayashi, a ressorti ce scénario qu’il chérissait depuis près de 40 ans. L’adaptation du roman de Kazuo Dan, Hanagatami, racontant diverses expériences de vie allant avec l’arrivée à l’âge adulte d’un groupe de jeunes vivant dans une ville côtière à l’aube la guerre du Pacifique. Cependant Obayashi nous avertit dès le début du film que ce qui suit n’est pas de la nostalgie mais le chagrin de tout ce qui a été dévoré et perdu par la guerre. Le film termine d’ailleurs une trilogie anti-guerre amorcée avec les films Kono Sora no Hana (Casting Blossoms to the Sky) en 2012, à propos des bombardements de Nagaoka, et No No Nanananoka (Seven Weeks) en 2014, sur la responsabilité du Japon dans la Deuxième Guerre mondiale. Avec Hanagatami, il souligne tout l’enthousiasme et la force de la jeunesse en la confrontant à ce qui l’attend, laissant planer l’ombre de la mort au-dessus de la vitalité de celle-ci. On y suit Toshihiko qui emménage chez sa tante Keiko afin de poursuivre ses études dans la ville de Karatsu. Il se fera ami avec sa cousine Mina qui est atteinte de tuberculose, ainsi que deux de ses amies. Il y fait aussi des rencontres déterminantes dans sa classe avec Ukai (Un homme déterminé et fort à qui il voue une admiration particulière et avec qui il partagera une balade nocturne à cheval des plus mémorable) et Kira (qui se veut plus amer et mystérieux). Ces deux personnages, qui peuvent facilement être vu comme des figures d’Eros et Thanatos, lui montreront deux visions du monde. Et tous ensemble ils feront l’expérience de la jeunesse (l’âge plus avancé des acteurs renforce cette idée de fatalisme quant à leur avenir) et du passage à l’âge adulte. Une telle prémisse pourrait laisser croire à un mélodrame, mais le cinéaste y applique son style cinématographique si particulier (qu’il maîtrisait déjà dans son très imaginatif Hausu de 1977) et le résultat est plus proche d’un télé-théâtre surréaliste qui laisse place à toutes les émotions possibles et où les souvenirs d’une époque ressemblent plus à un rêve fiévreux. Le cinéaste expérimente avec tout ce que le cinéma lui permet aujourd’hui. Les nombreux renversements d’angles, les découpages et recompositions improbables sur écran vert, le jeu théâtral des interprètes, le montage rapide et souvent arythmique démontrent bien qu’Obayashi défit ici toutes les règles cinématographiques et réinvente un langage qui lui est propre et cohérent. Tout le travail sonore y est aussi complexe avec les percussions typiques au théâtre Noh, venant régulièrement annoncer les transitions, puis l’utilisation de musique traditionnelle japonaise et classique européenne (la Suite pour violoncelle no1 de Bach qui est intimement liée au défunt frère de Mina) et les multiples répétitions de mots ou de phrases dits par les protagonistes qui finissent par créer des liens entre les gens, les lieux et les moments dans le temps.
Passant du romantisme surligné à l’humour éclaté, à l’exercice de style assumé sous des faux airs de sitcom kitsch, Obayashi crée avec Hanagatami une vision délirante, un pamphlet cinématographique hallucinatoire contre la guerre et soulignant la vie. Rempli d’images évocatrices, son film est à l’image de ce Haïku de Kazuo Dan qui y est régulièrement cité, à propos du cycle se terminant des fleurs en pleine floraison, une suite d’images, de personnages et de moments qui sont tous souvent au maximum de leur intensité, laissant la guerre annonciatrice de morts en arrière-plan (mais toujours présente), préférant montrer la beauté de ce qui se perd plutôt que de montrer sa perte. Exigeant lorsqu’on l’approche pour la première fois, Hanagatami est un film tellement riche, autant techniquement que dans ses thématiques, qu’il exige plus d’un visionnement. (David Fortin)
LÔI BÁO
Victor Vu | Viêtnam | 2017 | 105 minutes | Action !
Qu’un bédéiste beau bonhomme soit atteint du cancer-du-poumon-qui-lui-monte-au-cerveau, je veux bien. Que le couple qu’il forme avec une jeune et belle restauratrice (tout aussi filiforme que lui) ait un enfant obèse, je veux bien. Qu’il tente de finir ses jours, un soir, au bout d’une corde, dans le fin fond de la cambrousse, au moment même où un gangster se fait assassiner à ses pieds, je veux bien. Que le vieil oncle de la famille cache, derrière les rideaux de son modeste salon, une immense salle de chirurgie hyper sophistiquée, je veux bien. Que le neveu n’ait jamais remarqué, dans sa piaule, les innombrables éprouvettes en constante ébullition, les centaines de béchers toujours fumants, les multiples alambics remplis de liquides colorés et autres flacons inutiles servant simplement à faire comprendre au spectateur que le vioque est un homme de science, je veux bien. Que l’oncle explique posément à son neveu qu’il lui coupera la tête pour la coller au corps du gangster, je veux bien. Que l’opération s’exécute en quelques secondes et fonctionne à merveille, je veux bien. Que le bédéiste obtienne, dès la fin de l’opération, des superpouvoirs que rien ne motive, je veux bien. Qu’une fois blessé, il aille chercher les soins d’une jolie chirurgienne — plutôt que d’aller voir son oncle ! —, je veux bien. Que cette chirurgienne, qui remarque une curieuse cicatrice sur son épaule, en le soignant, reconnaisse, émue, le corps de son amant disparu, je veux bien. Que cet amant fût le gangster, je veux bien. Que ce gangster travaillât pour le parrain d’une mafia qui œuvrait, incidemment, dans la traite d’organes, je veux bien. Que ce parrain fût aussi le père de la chirurgienne, je veux bien. Que l’oncle fût également le chirurgien de ce parrain, je veux bien. Que l’oncle soit, oui, oui, le père du bédéiste, je veux bien. Que la chirurgienne fût elle-même l’assassin de son amant, je veux bien (mais pourquoi semblait-elle si follement émue à l’idée de le retrouver ?). Que les hommes de main du parrain tentent de tuer le bédéiste qui les poursuit, alors qu’ils ont besoin de ses organes pour sauver leur chef, je veux bien. Qu’on nous passe sous le nez toutes ces incongruités scénaristiques pour nous offrir un film plein de rebondissements, je veux bien. Mais que l’appartement de tous les protagonistes — bédéiste, oncle, chirurgienne, gangster, parrain, etc. — soit décoré de tableaux de Magritte, là, je dis « STOP ! ». C’en est assez ! C’est invraisemblable ! Je n’y crois plus ! J’en perds la tête ! (Jean-Marc Limoges)
OUR HOUSE
Anthony Scott Burns | Canada/Allemagne/États-Unis | 2018 | 90 minutes | Sélection 2018
Dans la scène ultime de cette œuvre banale, un des personnages arbore un t-shirt où l’on peut lire « Heavy Metal » (en hommage non pas au magazine français, mais au vaste style musical éponyme). Pour moi, il s’agit là de l’image emblématique du film, un film sans personnalité et sans idées spécifiques, dont tous les mécanismes sont issus de l’adhérence servile aux dogmes d’un genre érigé en monolithe. La mise en scène, excessivement anthropocentrique est d’une rare pauvreté, surtout qu’elle n’est « pimentée » que par des effets d’épouvante surannés. L’expérience de visionnage se révèle donc particulièrement éprouvante, pour ne pas dire soporifique, spécialement pour les amateurs blasés de récits paranormaux, qui ne trouvent ici rien à se mettre sous la dent.
La scène d’introduction ne rime à rien, usant d’un montage alterné sans dessein entre plans aériens de la ville et gros plans d’un tourne-disque en giration, images qui ne trouvent écho que dans quelques inserts transitoires et quelques manifestations fantomatiques éparses. L’introduction subséquente des personnages est faite à la va-vite, et le nœud dramatique du récit (la mort des parents) n’est que platement mentionné. Le reste du développement narratif est à l’avenant, reposant sur un treillis ennuyeux de têtes parlantes insipides et de tactiques effroyables usées (ampoules papillotantes, boîtes à outils et poupées ambulantes, apparitions de silhouettes vaporeuses, etc.), toutes accompagnées de bruitages assourdissants. On assiste ainsi à la manifestation cent fois réitérée d’un subterfuge éprouvé : provoquer l’affect par violence sonore, faute d’images évocatrices, si bien que le spectateur, même s’il effectue quelques sauts nerveux, se sent toujours dupé. Comble de malheur, les éléments de science-fiction du scénario ne mènent jamais à aucun questionnement métaphysique, servant de simple assise à la prolifération fongique de faux-semblants grossiers et de révélations télégraphiées (i.e. la malfaisance des esprits qui rôdent dans le décor), de sorte que le film se révèle finalement comme un échec tout azimuts. (Olivier Thibodeau)
PARALLEL
Isaac Ezban | Canada | 2018 | 104 minutes | Sélection 2018
Un groupe de quatre colocs un peu paumés découvre, derrière le mur d’un des appartements du cottage qu’ils habitent, une pièce dans laquelle se trouve un miroir magique, un miroir qui, comme celui d’Alice, nous permet de passer de l’« autre côté ». Cette prémisse à 10 balles, que l’on achète pourtant avec beaucoup de plaisir et d’attentes, permet au scénariste (Scott Blaszak) d’explorer la théorie des mondes parallèles et au directeur photo (Karim Hussain) de s’amuser comme un fou avec ses appareils, afin d’épauler le jeune réalisateur mexicain, Isaac Exban, qui nous offre un film à la fois sympathique, enchanteur et intelligent. La direction artistique soignée (voyez le nombre de miroirs savamment accrochés dès la très bonne scène d’ouverture), la mise en scène efficace (le caractère des personnages se révèle par ce qu’ils font et par ce qu’ils vivent, non par ce qu’on en dit) et le jeu des acteurs (sachant se faire attachants ou détestables sans en mettre une tonne), participent aussi à la réussite de ce film, malgré tout modeste, qui a aussi la vertu de ne pas prendre son spectateur pour un con. Ni les pouvoirs du miroir, ni la théorie des mondes ne seront longuement justifiés ou expliqués. Les passages répétés d’un univers à l’autre sont accélérés par le montage et efficacement signifiés par des jeux d’éclairage et de distorsions de l’image. Ce qui intéresse avant tout le cinéaste, c’est de nous faire comprendre que le miroir — on aurait pu choisir mille autres adjuvants magiques — ne fait pas seulement que refléter notre enveloppe corporelle, mais qu’il dévoile aussi notre intériorité, met au jour notre personnalité la plus enfouie, fonctionne, bref, comme un révélateur de conscience. L’un, détestable arriviste, profitera de l’outil pour s’enrichir sans vergogne. La deuxième, sympathique artiste en mal de reconnaissance, piquera tout de même des idées à d’autres pour jouir d’une gloriole toute passagère et discutable. Un troisième, altruiste mouton noir, sera obsédé par l’idée de sauver son père d’un emprisonnement et d’un malheureux suicide. Certains découvriront même — avec angoisse ou suffisance — qu’ils n’éprouveront aucun scrupule à cacher la mort d’un des leurs. Le réservoir infini de possibilités mènera chacun dans les bas-fonds les plus troubles de sa personnalité, jusqu’au point de non-retour. Le miroir donne à réfléchir. On peut juger de la qualité d’un film sur les questions qu’il pose et sur la façon dont il nous invite à y répondre. Que ferions-nous d’un tel miroir ? Que nous empresserions-nous de faire si nous avions la possibilité de voyager entre ces multiples mondes et le nôtre ? Jusqu’où irions-nous avant d’arrêter le délire que promettent ces voyages ? En cela, Parallel est une des jolies découvertes de Fantasia. (Jean-Marc Limoges)
UNDER THE SILVER LAKE
David Robert Mitchell | États-Unis | 2018 | 140 minutes | Camera Lucida
Au terme d’une discussion avec un ami, nous nous étions mis d’accord sur la définition. « L’intelligence, c’est l’art de faire des liens. » Et c’est ce que fait Sam (Andrew Garfield), dans le dernier film de David Robert Mitchell. Peut-être même un peu trop. Mais c’est aussi ce que Mitchell demande à son spectateur de faire — des liens —, pour peser son bagage, d’abord, et pour mesurer son intelligence, ensuite, c’est-à-dire pour voir les rapprochements qu’il orchestrera entre les éléments qui y reposent. Under the Silver Lake est en effet un film qui nous demande de plonger bien profondément dans nos souvenirs afin de faire remonter à la surface argentée les multiples trésors qui y sommeillent. C’est un cinéma de l’intertextualité, un cinéma de la citation, de la référence, de l’allusion, du clin d’œil, de l’hommage, voire du pastiche, autant de pratiques réflexives qui demandent au spectateur de réfléchir et de mener, à la façon du protagoniste, sa propre enquête, et dont le moindre signe — judicieusement décodé — épaissira la trame de significations insoupçonnées. C’est le film noir sur lequel on jette une nouvelle lumière. C’est l’âge d’or dont on tire profit. Et ce sont les Maîtres — spectraux — qui accordent les notes. Au premier chef, Hitchcock, évidemment, dont on voit la tombe, et dont on entend la musique (hermanienne) : Rear window (dont on devine l’affiche et reconnaît les personnages), Vertigo (dont on perçoit l’effet et revisite les situations), The Birds même (dont on entend les oiseaux)… Le spectateur jouira-t-il — dès lors qu’il se mettra à tisser — de quelque gain signifiant ? Sam parviendra-t-il, scotché sur sa chaise, à confondre le criminel ? Recroisera-t-il Sarah, dans la rue, sous les traits d’une autre femme ? Devra-t-il quitter son appart’ miteux, sans n’y avoir jamais vu clair, comme les habitants de Bodega Bay ? Connaîtra-t-il enfin, ce raté sympathique, quelque transformation (comme le loup-garou) qui le ramènerait à la vie (comme le monstre du Docteur Frankenstein) ? Ou n’est-il pas plutôt voué à claquer, trop jeune, comme tous ces « artistes maudits » dont on reconnaît les visages iconiques : Jim Morrison, Kurt Cobain, James Dean (dont on visite l’Observatoire rendu célèbre par le film de Nicholas Ray), Marylin Monroe (que l’on fait revivre en ressuscitant une scène de piscine restée inédite). Something's Got to Give to this Rebel Without a Cause? J’essaie de faire des liens. Et ce « Dogs Killer » qui hante les rues de Los Angeles… ? Comment ne pas penser à la finale de The Legend of Lylah Clare (Robert Aldrich, 1968) dans laquelle le Tout-Hollywood est comparé à une meute vorace et insatiable ? Et ce « Homeless King » qui, seul dans son château, pansu, tuméfié, rubicond, vissé à son clavier, livrant chacune de ses répliques sur un air connu (scène mémorable !)… ? Comment ne pas y voir le Diable terré dans le sous-sol du manoir de The Evil (Gus Trikonis, 1978), personnifié avec autant d’assurance et de brio par Victor Buono ? Ne tire-t-il pas, tout comme lui, toutes les cordes ? Je fais des liens. Je fais des liens. Et Janet Gaynor dont, à deux reprises, au début et à la fin, on entend le nom, avec insistance… ? N’y a-t-il pas un message à comprendre, un code à déchiffrer, une anagramme à concocter ? Juliet Gaynor : « A Regnant Joy » (la joie régnante ?). « Jan Arty Gone » (mais Jan Arty est partie ?). « Ante Jan Orgy » (tout juste avant l’orgie de Jan ?). « Jan Gay Tenor » (Jan, le ténor gay ?). « Earn Jay Tong » (mérite les gougounes de Jay ?). « Enjoy Rag Tan » (amuse-toi à frotter ton coup de soleil ?). « Agent Ran Joy » (l’agent menait le monde ?). « Agony Ran Jet » (l’agonie a mené le jet-set à sa perte ?). « A Jag Try Neon » (les aspérités essaient d’être lisses comme les lumières au néon ?). « Enjoy Nag Art » (amuse-toi à harceler l’art ?). Trop de pistes à explorer. Peut-être fais-je fausse route. Je n’y vois plus clair. Trop d’intelligence nuit. Peut-être est-ce parce qu’il vit dans un film que son enquête piétine et que sa quête n’aboutit à rien de tangible. Get back to reality! (Jean-Marc Limoges)
NUMÉRO HOMMAGE À JOE DANTE
JOURS 1-3
(Being Natural, Dans la brume, Microhabitat, Tremble All You Want)
JOURS 4-5
(Aragne: Sign of Vermillion, Cold Skin, Crisis Jung, Unity of Heroes)
JOURS 6-7
(The Blonde Fury, Luz, Profile, Relaxer, Satan's Salves)
JOURS 8-9
(Fireworks, I Have a Date With Spring, La Nuit a dévoré le monde, Laplace's Witch,
People's Republic of Desire, The Vanished, The Witch: Part 1. The Subversion)
ENTREVUE AVEC JOE DANTE
JOURS 10-11
(Amiko, Blue my Mind, Buffalo Boys, Chained for Life, L'inferno,
True Fiction, Unfriended: Dark Web)
JOURS 12-13
(Cam, Da Hu Fa, Hanagatami, Lôi Báo, Our House, Parallel,
Under the Silver Lake)
JOURS 14-15
(Le Nid, La Quinceañera, Small Gauge Trauma 2018,
V.I.P., Violence Voyager, Windigo)
JOURS 16-18
(1987: When the Day Comes, The Dark, The Field Guide to Evil, Number 37, Pledge,
Pourquoi l'étrange monsieur Zolock s'intéresserait-il tant à la bande dessinée ?)
JOURS 19-20
(Amanita Pestilens, Detective Dee: The Four Heavenly Kings,
Five Fingers for Marseilles, The Ranger, Rondo, Tigers Are Not Afraid)
JOURS 21-22
(Arizona, Brothers' Nest, DJ XL5's Outtasight Zappin' Party, Madeline's Madeline,
Mandy, The Oily Maniac, One Cut of the Dead, Penguin Highway, Piercing, What Keeps You Alive)
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