DAVID LYNCH: THE ART OF LIFE
J. Nguyen, R. Barnes & O. Neergaard-Holm | États-Unis | 2016 | 90 minutes | Présentations spéciales
Un jour que j’étais de passage à Clermont-Ferrand, en France, afin d’y donner une conférence sur la métalepse au cinéma, j’appris qu’un petit musée présentait des tableaux de David Lynch. Ne sachant pas que le cinéaste peignait, je profitai de mon avant-midi pour découvrir une modeste partie de son œuvre picturale. L’après-midi, alors que je parlais de transgression de frontières diégétiques, je vis mon hôte, depuis le fond de la salle, s’étonner d’un texto. Il m’apprit par la suite avoir reçu un message d’un ami parisien qui, assis à la terrasse d’un bistrot, avait pour voisin de table nul autre que… David Lynch. Notre quotidien est rempli d’événements comme celui-là qui peuvent — avec le bon éclairage, le montage approprié, la musique adéquate — devenir angoissants ; c’est d’ailleurs la grande leçon que Lynch lui-même nous aura apprise. Et c’est aussi, d’une certaine façon, ce que les documentaristes tentent ici. Du fond de l’atelier où il peint, le cinéaste, seul avec lui-même, grillant clope après clope, se raconte, à micro — et à cœur — ouvert. On ne le verra que deux subreptices fois se prêter à l’exercice, mais on entendra sa voix — rugueuse, traînante, nasillarde — tout au long du film, lui imprimant d’ailleurs son rythme. Et tandis que l’homme se souvient, les images le montrent à l’œuvre, dans l’ici et maintenant de son antre, dessinant, peignant, tripotant, gossant,
drillant, mouillant, essuyant, reprenant, enfilant un tableau après l’autre… si bien qu’on dirait que cette voix sourd directement de cet esprit en plein travail, contribuant ainsi à nous faire sentir encore plus près de l’intériorité de cet artiste réputé hermétique. Les images d’archives — photos, films de famille, etc. — ponctuent son récit et de nombreuses œuvres picturales — accompagnées de pièces musicales aériennes — donnent, chaque fois, cette dimension angoissante (proprement lynchéenne) aux anecdotes (souvent anodines) qu’il égrène. Le documentaire nous donne donc essentiellement à entendre un cinéaste parlant de ses peintures : mû, depuis sa plus tendre enfance, par un indécrottable désir de dessiner, le septuagénaire nous explique comment sa mère refusa de lui acheter des cahiers à colorier (pour ne pas brimer son imagination) et comment son père dut accepter qu’il entre à la maison après 23h00 (parce qu’il peinait sur ses toiles à l’atelier d’un ami). Peindre, peindre, peindre… peindre toujours et partout, voilà ce qu’on nous raconte et ce qu’on nous montre, sans jamais nous offrir aucune clé de lecture ni aucune explication quant à l’œuvre cinématographique du bonhomme. Au reste, le générique final défile au moment où Lynch, arrivé au terme de ses études en peinture, se remémore avec bonheur et nostalgie le tournage de son premier long-métrage, nous laissant sur le sentiment que le tout attend sa suite, dans laquelle ce sera maintenant le peintre qui nous parlera de ses films.
(Jean-Marc Limoges)
FUOCOAMMARE : PAR-DELÀ LAMPEDUSA
Gianfranco Rosi | Italie | 2016 | 114 minutes | Film d'ouverture
Fuocoammare commence avec un lance-pierre et se termine avec un fusil. Un faux fusil, imaginé dans la main d’un gamin, personnage principal s’il en est un d’un documentaire qui va et vient sans hésitation entre deux types de mise en scène du réel. L’une, consacrée aux migrants qui débarquent sur Lampedusa, île du large de l’Italie qui en accueille une grande part depuis plus de quarante ans, renvoie la balle dramatique à la seconde, faussement prévisible, qui suit dans leur intimité quelques habitants de l’île en question (le gamin hyper attachant, sa famille, un animateur de radio). Au début, le garçon brise du bras d’un vieil arbre dont les branches embrassent l’écran un bout de bois en forme d’Y, première étape dans la confection de son arme. Redoutable tireur de pierres, le gamin découpe même à coup de canif les cactus plats du coin, pour extraire de leurs formes deux yeux, un nez, en faire des bonhommes de plante. Le caillou s’élance de l’élastique et la chaire des visages verts éclate, puis éclate à nouveau. Plus tard, même privé de la vue d’un œil car il subit un traitement pour de l’amblyopie, il persistera pour tirer ses cibles (et les rater). À cela, il faut ajouter que le garçon n’est pas bon marin, qu’il est malade lorsqu’il prend la mer et qu’il manie avec difficulté les rames de son embarcation. Il n’est pas, décidément pas, fait du même bois que les autres insulaires — tous des pêcheurs. Tout cela ne semble pas beaucoup nous rapprocher des migrants. Eux de leur côté, sans jamais qu’ils ne rencontrent le gamin, ont l’Europe dans le viseur. Or il s’agit d’une autre Europe : celle des garde-côtes pas très doux, du médecin qui trie les morts des presque morts, des couvertures thermiques dorées, des hommes en combinaison blanche, de leurs gants de latex, de leurs lunettes de protection, des grands navires gris intimidants qui pourraient faire feu autant qu’ils pourraient les sauver, tous ces éléments qui font, dans la mer par-delà Lampedusa, bouclier, membrane, amiante entre cette « mer en feu » (
fuocoammare) des migrants et la paisible nonchalance d’un garçon. [...]
(Mathieu Li-Goyette) >> Lire la critique
TA'ANG
Wang Bing | Hong Kong/France | 2016 | 147 minutes | Présentations spéciales
Le danger, pour le critique devant un film de Wang Bing, est d’en parler comme d’un film de Wang Bing. Certes,
Ta’ang appartient à son auteur : on y reconnaîtra son sujet de prédilection, des errants sans-le-sou forcés de quitter leur foyer sous la pression de forces invisibles. Cette fois-ci, c’est la guerre civile au Myanmar, une violence qui ne sera représentée à l’écran qu’au tout premier plan, par un soldat assénant un coup de pied à une femme, ainsi qu’au son, avec les détonations et les pétarades résonnant au loin. Comme dans
À l’Ouest des Rails, où Bing évitait de filmer les propriétaires des usines pour rester au plus près des ouvriers perdant leur emploi, dans
Ta’ang sa caméra demeure collée aux migrants, les suivant dans leur marche en quête d’un abri, prêtant oreille à leurs discussions nocturnes autour d’un feu de fortune, afin d’éclairer leur dignité qu’autrement on aurait peut-être cru perdue. Mais il y a un danger, à aborder
Ta’ang ainsi, puisque justement ce film n’appartient pas à Wang Bing, mais bien à ces migrants devant la caméra. C’est tout le miracle de ce cinéma, l’incroyable sentiment d’intimité et de présence qu’il nous inspire, comme si la caméra, et celui qui la tient (Bing est seul sur le tournage), s’effaçaient derrière le monde filmé pour mieux le laisser vivre. Il y a, chez Bing, ce curieux paradoxe d’une caméra virtuose, sachant suivre intuitivement les êtres, passant de l’un à l’autre dans une chorégraphie complexe que d’autres essaieraient en vain de reproduire sur un plateau, mais épousant de si près le rythme de la vie que c’est elle qui nous émeut, avant toute autre chose. C’est que Bing a le cinéma dans le corps, alors sa caméra pointe toujours vers l’homme, qu’elle sait reconnaître jusque dans les circonstances les plus désespérées : oui, les coups de fusil résonnent entre les vallons, mais là, devant nous, les enfants exilés continuent de jouer et de sourire. Peu d’images nous seront aussi précieuses.
(Sylvain Lavallée)
PRÉSENTATION
OUVERTURE : FUOCCOAMARE : PAR-DELÀ LAMPEDUSA
JOUR 1
(David Lynch: The Art of Life, Ta'ang)
JOUR 2
(Angry Inuk, Hier à Nyassan, Kate Plays Christine, Il Solengo)
JOUR 3
(Aim for the Roses, Dark Night, Fuocoammare : par-delà Lampedusa,
S.E.N.S., We Can't Make the Same Mistake Twice)
JOUR 4
(The Botanist, Brothers in the Night,
Manuel de libération, Territoire perdu)
JOUR 5
(Austerlitz, Combat au bout de la nuit, He Who Eats Children
Quebec My Country Mon Pays, Les tourmentes)
JOUR 6
(Brothers in the Night, Gatekeeper, The Great Theater,
Long Story Short, Speaking is Difficult, Uzu,)
JOUR 7
(A Train Arrives at the Station, Andrew Keegan déménage,
Animals Under Aneasthesia, Dialogue(s), Gulistan, terre de roses,
Isabella Morra, Manuel de libération, Non-contractual)
JOUR 8
(Calabria, Le goût d'un pays)
JOUR 9
(Le concours, The Dreamed Ones, Swagger)