DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Festival du nouveau cinéma 2017 : Jour 6

Par Panorama - cinéma



BANGKOK NITES

Katsuya Tomita  |  Japon/France/Laos  |  2016  |  183 minutes  |  Panorama international

Ambitieux, indépendant et sans compromis, Bangkok Nites livre un portrait presque documentaire d’une faune nocturne de la capitale thaïlandaise, tant locale que japonaise, qui vit au rythme de l’argent qui circule. Le réalisateur Katsuya Tomita nous offre un film longuement développé (il aura passé plusieurs années entre le Japon et la Thaïlande afin de se glisser dans ce groupe social, y gagner la confiance des tenanciers de bordels, et mieux comprendre les codes complexes de cette société). Filmé en décors réels avec des moyens réduits, une équipe composée d’amis et des interprètes non professionnels, Bangkok Nites capture bien le visage et l’atmosphère de ce milieu tout en évitant de tomber dans les clichés. Mais le film n’est pas qu’un simple portrait. Il se développe aussi en tant que quête identitaire, en film nomade, où les trajectoires de son récit nous apportent aux frontières du Laos, dans la province de Isan (lieu stratégique lors de la guerre du Vietnam et cible de nombreux bombardements), y démontrant toutes les traces de l’ancien colonialisme.

Au cœur de Bangkok, il y a la rue Thaniya, arborant des bordels qui s’adressent essentiellement à une clientèle japonaise. C’est là que se trouve Luck, la fille no1 d’une maison close qui arrive à faire vivre toute sa famille élargie avec ses revenus. Arrive un jour Ozawa (interprété par le cinéaste), ancien client et amant, expatrié du Japon qui se cherche une vie possible. Plusieurs destins s’entremêlent et chacun est lié à une quête du paradis, qu’il soit financier, sexuel ou narcotique. Certains cherchent à s’évader, d’autres à survivre. À travers son récit épique de trois heures, Tomita dresse aussi un portrait de l’Asie de l'après-guerre du Vietnam. Les touristes ont remplacé les soldats et le destin des personnages semble lié aux bouleversements qui se sont opérés autrefois sur ces territoires. Malgré son budget minimal et quelques performances inégales, Bangkok Nites est un film choral impressionnant dans toute l’étendue de son discours, de sa maîtrise technique, et de sa photographie qui procure un certain lyrisme aux scènes nocturnes, un film qui observe les cicatrices du colonialisme tout en cherchant à se connecter au monde et en comprendre sa réalité actuelle. On a déjà hâte à la prochaine quête du cinéaste. (David Fortin)
 



HONEYGIVER AMONG THE DOGS
Dechen Roder  |  Bhoutan  |  2016  |  132 minutes  |  Compétition internationale

L’action se situe dans les immenses montagnes embrumées du Bhoutan, minuscule pays coincé entre l’Inde, la Chine, le Népal et le Bangladesh. Une jolie Dakini (femme vivant en ermite afin d’atteindre l’illumination) est soupçonnée du meurtre d’une abbesse ; l’inspecteur Kinley est chargé de l’enquête. Pour son premier film, la réalisatrice bhoutanaise Dechen Roder, détourne les codes du genre policier. On l’a dit : foin de la ville et de la nuit, oublions le bitume mouillé et les bars enfumés, out le noir et blanc contrasté et la narration à la première personne, Roder conserve les personnages — l’enquêteur intègre, la femme fatale, le chef corrompu —, mais change de cadre. De plus, elle insuffle à son récit une dimension spirituelle qui ne lasse pas d’envoûter. Jouant donc avec les codes discursifs (la photo est nimbée d’une lumière verdâtre que viennent sporadiquement déranger des touches de couleurs chaudes), la réalisatrice s’amuse aussi avec les codes narratifs. Mandaté par son chef (destinateur), l’inspecteur Kinley (sujet) doit laisser tomber son uniforme, se vêtir en civil, et capturer Choden (objet) qui vient de quitter le village. Or, dans une aire de repos où les arrête l’autobus dans lequel ils voyageaient (elle, fuyant, lui, poursuivant), Choden (destinateur) approche inopinément Kinley (sujet) pour lui demander de l’aider à se rendre, à pied, par les sinueux sentiers, dans le village voisin (objet), afin de fuir les policiers qui, présuppose-t-elle, sont à sa rescousse. Et voilà donc notre flic dans une drôle de situation, sujet de deux quêtes qui s’opposent et le déchirent. D’un côté, obéir à son boss, de l’autre, obéir à la belle. Acceptant de l’accompagner (il gardera au moins un œil sur elle), Kinley sera l’auditeur privilégié des légendes que lui racontera Choden pendant l’interminable marche, lesquelles mettront toujours en scène des femmes qui, désirant vivre de méditation, seront chaque fois méprisées et violentées par les lois patriarcales régissant l’univers dont elles essaient d’être en marge (ces récits, on l’aura compris, ne sont pas sans faire écho à la situation que vit Choden elle-même). Or, si Kinley, au début du trajet, se montre fermé et sceptique en regard de ces fables, il laissera entrevoir, vers la fin, une ouverture qui permettra de penser qu’il devient moins méfiant et plus attentif à leur message. Et voilà où la cinéaste détourne encore les codes. Alors que nous nous attendions à ce que ce soit l’une des deux quêtes qui aboutisse, que ce soit la relation du sujet (Kinley) à l’objet (mener Choden au village ou la ramener au poste) qui soit transformée, voilà que c’est le sujet lui-même qui connaît une transformation : il croit. Non satisfait de déjouer ainsi le spectateur au niveau de l’histoire, Roder le déjoue aussi au niveau du récit : alors que nous croyions que Choden ne savait pas que Kinley était flic, voilà qu’on apprend que c’est plutôt le flic qui ne savait pas que Choden savait qu’il était flic. Mieux encore, il ne savait pas non plus que, tout au long de ce trajet lors duquel il connut sa transformation, il trimbalait avec lui, dans les plis de son vêtement, la preuve de l’innocence de Choden. Sous les dehors d’une enquête policière, c’est à une quête spirituelle que Roder nous convie, nous montrant que, avant d’accuser qui que ce soit ex abrupto, il faut se montrer ouvert et réceptif aux récits qu’il raconte... et à ce que l’on porte en soi. (Jean-Marc Limoges)




MARION

HPG  |  France  |  2017  |  58 minutes  |  Temps Ø

Hervé P. Gustave, un cabotin de cinquante ans, a près d’une centaine de films porno derrière la bite. Comme réalisateur, il en cumule une dizaine. Aucunement familier avec son cinéma, nous découvrons Marion, un film à la sexualité omniprésente et explicite qui, sans toutefois manifester un désir réfléchi de détourner les codes du genre, n’est pas tout à fait un film porno. Gus, homme timoré au sexe « monstrueux » (dirait Sade), passe de nana en nana, habité par les remords : il trompe Marion, une jeune femme de 25 ans qu’il a pourtant mariée — « J’ai deux fois votre âge, il est normal que vous soyez ma moitié. », aurait dit avec plus d’esprit Sacha Guitry, « Mais d’esprit… » aurait poursuivi Edmond Rostand –, dont on ne verra le visage et la vulve que bien tard dans le film et à qui le réalisateur ne prêtera qu’une voix off (« parce qu’elle jouait mal », précise-t-il), lui refusant du même coup de mettre à profit l’orifice qu’elle avait de libre pendant que l’autre était occupé. De baise en baise, entrecoupées par des courses à poil dans Paris que rien ne motive sinon le délire, Gus (osons le mot) réfléchit à voix haute pendant qu’il les « gamahuche » (Sade, encore) et entame avec ses comparses d’un soir, au rythme de ses va-et-vient chevronnés, des discussions dans lesquelles il cherche à comprendre la situation où il s’engouffre. Les dialogues, manifestement improvisés, ne vont nulle part et Gus, par ses maladresses et ses questionnements, en vient presque à être attachant. Cependant, malgré ses érections difficiles (est-ce l’âge ? le contexte ?) et ses éjaculations parcimonieuses, Gus ne parviendra jamais (sans trop le savoir ni s’en soucier du reste) à faire jouir aucune femme, se paluchant plus souvent qu’à l’envie (en ayant au moins la diligence d’en demander la permission à ses compagnes avant de se mettre en branle), se finissant lui-même à la main, envoyant son foutre valser sur le ventre, le cul ou le visage de ses partenaires (selon l’humeur), quand ce n’est pas, de façon à peine plus originale, au centre d’un cercle tracé sur un tableau blanc. Il en devient presque touchant, le Gus, qui semble inquiet, perdu, rongé par le doute finalement plus que les remords. « Suis-je encore capable ? », semble-t-il se demander avec un soupçon d’angoisse que son jeu approximatif mais sincère laisse deviner. Malgré son côté manifestement broche à foin, ce film, on l’a dit, n’est toutefois pas du porno. Et c’est peut-être dans ce décalage qu’il mérite un mince intérêt. Comme HPG le souligne lui-même : les plans, le montage, ne sont pas ceux du porno. « J’ai filmé des personnes à poil qui dialoguent pendant l’acte, c’est tout. » L’idée était presque bonne. Le résultat est moins convaincant. Baiser en parlant retire certes le potentiel érotique que cherche à susciter le porno, mais parler en baisant ne vient malheureusement donner aucune profondeur aux dialogues (lesquels auraient pu être tournés, précise le réalisateur, par des personnages habillés). Alors, nous nous demandons, comme Gus lui-même, où est-ce que ça s’en va tout ça, en nous montrant incapables, comme lui, de trouver quelque réponse. En somme, il faut voir ce film en se mettant un peu dans l’esprit grâce auquel il a été réalisé. Un film réalisé comme ça, sans prétention, sans vision, sans même l’envie d’être diffusé ni d’engranger des profits. C’est un film « sans histoire », dit-il de façon lucide (ou désinvolte ?), dont les scènes ont été « écrites » au hasard des actrices qui ont daigné se dévêtir au risque de voir leur jeune carrière prendre le bord, un film dont les dialogues sont semi-improvisés, lâchement guidés par quelques vagues idées qu’avait en tête notre Gus et que l’on cherche encore à dégager longtemps après le visionnement. Un film que le réalisateur lui-même peine à défendre et devant lequel il assume candidement son malaise. Un film qui n’arrivera sans doute pas à provoquer chez le spectateur ce que Gus peine à provoquer chez ses amantes. (Jean-Marc Limoges) 




LA ZONE
Syned Sindrajed [sic]  |  Canada  |  2017  |  80 minutes  |  Focus Québec/Canada

Denys Dejardins [sic] ne se prend pas pour n’importe qui. Dédiant son film à Chris Marker, repiquant son titre à Tarkovsky, détournant des phrases reprises à Hiroshima, mon amour, il manifeste sans gêne ni pudeur son désir de passer à la postérité et de reposer parmi les grands. Présentant son film, il nous met paternellement en garde, avec une déconcertante fatuité : « Il y aura des moments où vous serez perdus. C’est voulu. C’est un film expérimental. » Malheureusement pour nous, nous ne nous perdîmes jamais, et sûmes toujours trop bien où nous fûmes : devant son film, démangé par l’envie pressante de sortir de la salle pour aller nous perdre pour vrai. Pendant 80 insupportables minutes, l’œuvre de Sindrajed [sic] raboute au hasard des films Super 8 sans doute tournés par son père tout au long de sa vie et englue pesamment l’ensemble dans un dialogue atrocement ampoulé livré par deux comédiens pourtant respectés (Élizabeth Chouvalidzé et Albert Millaire) dont les voix chevrotantes peinent et s’essoufflent à injecter de l’intensité dans des phrases sans profondeur qui étourdissent par leur vacuité (« Elle s’est endormie pendant son sommeil » étant sûrement la plus belle perle de ce vain verbiage). Le cinéaste nomme tout ce qu’il montre et montre tout ce qu’il nomme. Aucun décalage, aucune distorsion, aucun contrepoint qui mettrait notre intelligence ou notre sensibilité à l’épreuve. Il nous prend par la main pour nous montrer un insipide album de famille qu’il présente comme une érudite critique historique. Voici Expo 67. Voici Hiroshima. Voici le 11 septembre. Voici Cuba. Voici la Chine. Voici mon chat. Voici ma suffisance. Sindrajed [sic] prétend faire du cinéma expérimental. Il a raison. Il prétend. Son cinéma est prétentieux. (NaeJ-Cram Segomil)





L'ABC DU FNC

JOUR 1
(Ava, Napalm, Samui Song)

JOUR 2
(La caméra de Claire, Claire l'hiver)

JOUR 3
(Black Hollow Cage, Les Fantômes d'Ismaël,
Loveless)

JOUR 4
(The Day After, Félicité, The Last of Us)

JOUR 5
(KFC, Mass for Shut-Ins, Sexy Durga, Unrest)

JOUR 6
(Bangkok Nights, Honeygiver Among the Dogs,
Marion, La Zone)

JOUR 7
(Le ciel étoilé au-dessus de ma tête,
Les prédatrices, Summer Lights)

JOUR 8
(All you Can Eat Buddha, The Florida Project,
Histoire que notre cinéma (ne) racontait (pas)

JOUR 9
(9 Doigts, Jeannette : l'enfance de Jeanne d'Arc,
Loving Vincent, Phase IV, Planet ∞)

LES GARÇONS SAUVAGES

JOUR 10
(Detective Bureau 2-3 – Go to Hell Bastards!,
Gate of Flesh, Thelma)

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Article publié le 12 octobre 2017.
 

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