Le Nid (David Paradis, 2018)
Longs-métrages
Disons-le d’emblée, on s’explique mal le choix du Nid de David Paradis pour ouvrir officiellement les Percéides. Car Le Nid est un mauvais film. Un échec. Mal écrit. Mal foutu. Malhonnête. Esthétiquement quelconque. Éthiquement questionnable. Rien — depuis son titre jusqu’à son générique — ne fait sens. C’est l’histoire d’une femme qui décide de se venger de son homme ? Non. C’est l’histoire d’une femme prise à son propre piège ? Même pas. C’est l’histoire d’une femme qui désire que son mec la reconquière ? Pas pantoute. C’est un ramassis d’idées qui ne vont nulle part. C’est un film qui a la prétention de tirer son spectateur par le bout du nez pour le mener dans des dédales où il se perd lui-même. C’est un film qui cherche sa voie : étude de mœurs (crise de couple), comédie scatologique (un gars sur la bol ha ha ha je me marre), film d’horreur (bruits étranges, apparitions d’objets, présence inquiétante), remake poche de Saw (le mec — derrière lequel sont allumés sans aucune raison des téléviseurs cathodiques — est claustré, épié, manipulé), film fantastique (double, ubiquité, éternel retour) ou tragédie familiale sur laquelle repose finalement tout le film et qui vient rendre si abjectes, au fond, les tonalités énumérées. Le spectateur — que le film prend par la main et pour un idiot —, se sent floué, calomnié, agressé même, autant que peut l’agresser ces maudites balounes qui pètent inexplicablement à tout bout de champ et cette putain d’alarme qui retentit trop intensément toutes les cinq minutes. C’est un film dont la symbolique est, ou bien trop pompière (on peut lire, sur la porte qui empêche le personnage de sortir de son trou : « Sésame »… ouvre-toi !), ou bien trop quintessenciée (faut-il voir une symbolique freudienne dans la queue — de billard — que trimbale avec lui ce personnage masculin manifestement castré ?).
Mais que trouve-t-on, au juste, dans ce Nid ? Une femme passe une entente avec son homme : celui-ci devra rester enfermé dans un immense sous-sol insalubre — comprenant cuisine, chambre, toilette, salle de pool, allée de bowling et de shuffleboard — afin de faire un film qu’il tournera et montera quotidiennement. Chaque jour, il devra lui envoyer un bout de sa réalisation. Chaque jour, elle lui enverra une « vérité » pour l’aiguiller. L’entreprise — qui semble avoir une visée thérapeutique — doit durer cinq jours. Mais dans ce film où personne ne respecte les prémisses — ni le couple, ni le réalisateur — tout ira à vau-l’eau, le contrat ne sera pas respecté : plus de vérités, pas de film, rien. Une fois enfermé, notre cotonneux gugusse, qui a pourtant accepté le défi de sa gonzesse, glandouille, se morfond, se poigne le beigne plutôt que de faire son hostie de film. Enwèye ! Grouille ! Opère calvaire ! Tourne ! Monte ! Mais non… ça niaise… ça tergiverse… ça procrastine… ça braille parce qu’y’a pas d’bière dans l’frigidaire ! Et quand il se décide enfin à se mettre au boulot, il le fait à la va-vite, sans originalité aucune, préférant se filmer (en plan fixe) jouant de la musique ou faisant des gribouillis, bref, s’exprimant par tous les moyens sauf celui pour lequel il est là. Au mitan du film, exagérément creusé comme un prisonnier de Sobibor, il murmure, pour lui-même : « Je veux sortir… Je veux sortir… » Mais dude ! Ça fait juste trois jours que t’es là ! Et t’étais d’accord ! On t’a pas forcé ! T’es rendu à la moitié de ton contrat ! Come on ! Nous aussi, on veut sortir, faque… fais-le ton film qu’on scrame !
Le Nid, c’est l’histoire d’un gars qui accepte de s’enfermer dans un sous-sol pour faire un film qu’il refuse toutefois de faire. C’est l’histoire d’un gars qui ne trouve rien de mieux à faire que de s’empiffrer de crottes de fromage quand il apprend que sa blonde s’est envoyée en l’air avec un pompier (mais pas pour vrai). C’est l’histoire d’un gars qui n’empoigne pas la hache qui repose sur sa table afin de défoncer une porte, sortir prestement et faire la passe à la crapule qui la brutalise (mais pas pour vrai). C’est l’histoire d’un gars cadenassé sur une chaise roulante avec un collier de fleurs autour du cou et qu’on menace de martyriser (mais pas pour vrai). C’est une kyrielle de canulars un peu cons. En somme, les mensonges racontés — par la femme à son mec, par le mec à lui-même, par le cinéaste au public — sont tout simplement atroces, atroces parce qu’ils s’échafaudent sur des décombres encore fumants. On ne peut pas croire — quand on connaît la triste fin (« triste » dans tous les sens) — qu’on ait pu faire de l’humour aussi noir (charbon). Dans ce Nid ne se cache finalement rien d’autre qu’une couvée de coquilles vides.
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Est-ce parce qu’on se retrouve loin de la ville que plusieurs films sélectionnés ont mis en scène des animaux ? Gaspar va au mariage, d’Antony Cordier, film dont l’action se situe dans le zoo du Reynou, en Haute-Vienne, se présente comme un drame de famille doux-amer qui a le défaut, en s’intéressant épisodiquement au destin de chacun de ses membres (au jeu, de surcroît, inégal), de courir trop de lièvres à la fois. Petit paysan, d’Hubert Charuel, film dont l’action est campée dans la ferme parentale du réalisateur, en Haute-Marne, se présente quant à lui comme un captivant thriller fermier qui, en plus de nous sensibiliser aux problèmes que rencontrent les agriculteurs, fait mouche en adoptant la focalisation du fermier fautif, que l’acteur savait du reste nous rendre attachant par la grande sensibilité de son jeu. The Rider, de Chloé Zhao, film à cheval sur le documentaire et la fiction, suit un jeune cowboy du Dakota grièvement (et réellement) blessé à la suite d’une violente chute de rodéo et parvient presque à émouvoir en nous montrant l’homme dompter la bête et ses passions, apprivoiser la bête et son nouvel état, dresser la bête et son ami paraplégique.
Est-ce parce qu’on s’éloigne, non seulement de la ville, mais aussi des nôtres que plusieurs films levaient également le voile sur des familles dysfonctionnelles. Tadoussac, de Martin Laroche, relève le pari, avec peu de moyens – une trame narrative épurée (une jeune adolescente part à la recherche de la mère qui l’a abandonnée), peu de personnages (une mère et sa fille, essentiellement) et un décor minimaliste (Tadoussac), de nous tenir cloués à notre siège et de nous tirer les larmes lors d’une double performance d’actrice – confrontant Isabelle Blais et Isabelle Boivin – se déroulant de surcroît, dans le dernier tiers du film, au téléphone. Inversant, pour ainsi dire, la proposition, Loveless d’Andrey Zvyagintsev, nous plaçait plutôt du point de vue des parents à la recherche de leur jeune garçon disparu. Captant l’attention grâce à son rythme lent et à ses mouvements de caméra qui nous laissaient sans cesse espérer un revirement, le film évite toutefois habillement de tomber dans le thriller policier et nous offre, en se concentrant sur la réaction des parents en instance de divorce – lesquels continuent de s’entredéchirer et non de s’inquiéter – plutôt que sur les recherches du garçonnet, une étude de mœurs des plus fines et des plus grinçantes.
Pour le reste, le Festival a présenté plusieurs films dont Panorama-Cinéma a déjà offert la critique : The Square (Ruben Östlund), Le Redoutable (Michel Hazanavicius), 120 Battements par minutes (Robin Campillo), Labrecque, une caméra pour la mémoire (Michel La Veaux), All You Can Eat Bouddha (Ian Lagarde), Claire l’hiver (Sophie Bébard Marcotte), La Petite fille qui aimait trop les allumettes (Simon Lavoie), Les Affamés (Robin Aubert) et La Rivière cachée de Jean-François Lesage, cinéaste avec lequel nous avons fait une entrevue.
Ta peau si lisse (Denis Côté, 2017)
Documentaires
Ta peau si lisse, de Denis Côté, cherche à nous faire monter au sommet de quelques montagnes de muscles. Or, l’univers des body builders est à des kilogrammes du mien. Il ne me serait même jamais venu à l’esprit de m’intéresser à leurs corps. Ils nourrissent leurs espoirs, j’alimente mon gras. Ils soulèvent des poids, je traine le mien. Ils pèsent leur bouffe, et moi mes mots. Ils empilent leurs livres, je les dévore. Ils se donnent en spectacle, je préfère les salles obscures. Ils ont des gueules patibulaires, j’ai une bouille de chérubin. Ils arborent leurs tatous, j’abhorre les aiguilles. Ils ont des maisons en banlieue, je ne pourrais pas y vivre plus de 15 minutes. Ils ont des chiens à leur ressemblance, je ne les supporte pas en image. Ils conduisent de gros camions, j’ai jeté mon permis. Ils aiment la discipline, je déteste l’autorité. Ils s’épient avec jalousie, je me fous pas mal du voisin. Voilà deux mondes. Et pourtant, j’ai subi le leur, lourd et dur et suintant sans trop revoir mes positions. Certes Côté s’attarde à ses sujets et les ausculte dans leurs moindres détails comme chacun d’eux balance sa poudre, mesure sa taille, surveille son poids, compte ses poussées. Sa caméra saisit chaque muscle qui se contracte, chaque veine qui saille, chaque pore qui s’ouvre, chaque poil qui pointe, reste rivée à leurs visages même quand, hors champ, éclatent des feux d’artifice qu’on préférerait regarder péter. Son micro capte l’expiration que causent leurs efforts, le ronflement qu’appelle leur réfection, le cliquetis que créent leurs haltères, le clapotis que produit leur huile, le frottement qu’enfantent leurs chairs. Nous sommes au plus près de leur intimité et pourtant, on continuera de les juger de loin, de les regarder comme nous les regardions, avec des yeux chargés d’incompréhension dans lesquels percent même un peu de moquerie. Nos idées ne seront pas ébranlées. Nos consciences ne seront pas décloisonnées. Ils continueront d’évoluer dans cet univers comme nous continuerons de le trouver factice, loin du nôtre, même si, dans le deuxième tiers, Côté égraine les points que nous aurions en commun : vie de famille, chicane de couple, gestion de temps, fatigue, faiblesse, effort, stress, etc. Mais cette incursion arrive trop tard et demeure trop lacunaire pour nous permettre de tisser quelque lien et susciter quelque sympathie. Au reste, que font-ils (d’autre) dans la vie ? Qu’est-ce qui les a poussés à se muscler ainsi ? Ont-ils d’autres trips que leur triceps ? Quels sont leurs rêves ? Que pensent-ils du monde ? De l’art ? De la politique ? Quelle est leur philosophie du muscle ? Voilà des questions qui auraient suscité des réponses grâce auxquelles on nous les aurait peut-être rendus plus humains, voire plus attachants. Le dernier tiers nous les montre – selon le récit narratif classique –, recevoir la sanction pour laquelle ils ont peiné. Avant la montée sur un ring où ils feront semblant de faire de la lutte et recevoir des applaudissements pour vrai ou sur une scène où ils feront reluirent leurs corps pour éblouir la galerie, on les voit se faire maquiller, sécher, coiffer, exfolier, jouxtés de coachs attentifs à des détails qui échappent à l’œil du vulgaire : pas assez d’estrogène, hémisphère droit trop faible… Et voilà qu’on se dit derechef que nous eussions aimé au moins comprendre ce qui nous échappait ainsi. Après une curieuse finale, lors de laquelle nos montagnes se reposent au creux d’une vallée, on est contraint d’admettre, en se regardant dans le miroir à notre tour, qu’il faut bien, sans rien n’y comprendre, dépenser son énergie quelque part, que ce soit en levant des poids, en réalisant des films ou en rédigeant des critiques.
Esprit de cantine (Nicolas Paquet, 2017)
Esprit de Cantine (Nicolas Paquet) a réussi – pendant quelques sporadiques moments – ce que le documentaire précédent avait raté : nous faire un peu mieux comprendre ce qui peut bien motiver des gens (des femmes, pour la plupart) à s’enfermer pendant six mois entre les quatre murs poisseux d’une cabane exigüe, entassés les uns sur les autres, afin de goinfrer de « hot doy » d’obèses clients qui les enquiquineront de leurs « jokes » plates et les entretiendront de la pluie et du beau temps entre deux mots croisés. Disons-le d’emblée, je ne comprends rien à cette engeance qui s’exprime à coup de « si j’aurais », d’« à cause que », de « mé t’en allé » et de « mink que j’sèye ». Je ne peux m’empêcher de rire tristement à la vue de ces menus bourrés de fautes et de ces clients bourrés de frites. Je regarde toujours, avec un drôle d’abattement, les déclinaisons qu’on peut lire sur leurs portes : « Fermer », « Fermé », « Fermez » « Fermés », « Fermai »… Bref, cet « esprit de cantine » – comme on dit « esprit de clocher » pour parler d’une forme de fermeture sur soi – me laisse un peu indifférent. Or, lors de parcimonieux moments (surtout au début), Paquet parvient à nous donner une meilleure idée de « ce qui se passe derrière la petite fenêtre » (dixit Jason Béliveau). On comprend mieux les rêves et les aspirations, les difficultés et les obstacles, le bonheur et les malheurs d’un travail bien fait (quoique tout relatif), la joie de s’entourer de clients assouvis et satisfaits, l’exigence de tenir à bout de bras ces endroits si propre à notre arrière-pays et qui scandent nos promenades en char sur les routes du Québec… Or, cette piste ne rassasie pas. Cette proposition nous laisse sur notre faim. Comme si on n’avait le droit qu’à quelques frites (sans sauce) dans une poutine format familial. En revanche, le documentaire s’étend, s’éternise, perd un peu son propos de vue en cours de route. Passant d’une cantine à l’autre, sises, l’une à Saint-Alexandre-de-Kamouraska, l’autre, à Tadoussac, il nous montre, d’une part, une femme âgée épaulée par ses quatre grandes filles faire frire les frites dans le rire et, d’autre part, une jeune diplômée en anthropologie qui, trouvant aliénant d’éplucher des patates 24 heures sur 24, en bave un peu pour relever le défi qu’elle s’était posée à 25 ans. Mais ces multiples allées et venues manquent de rythme, de clarté et surtout, de motivation. Veut-on vraiment nous montrer les deux envers d’une même médaille ? Pas vraiment. Voulait-on plutôt nous sensibiliser à ces endroits « en voie de disparition », à la difficulté de faire survivre cet « esprit », au désir de s’agrandir qui en dénature le lieu, à la perte du combat devant les Goliath américains, les grandes chaînes qui pullulent comme des champignons vénéneux autour de ces si authentiques endroits ? À cet égard, une image à elle seule disait tout, mais passa trop fugacement, sans qu’on ne sente le désir de la questionner réellement : celui où, la nuit, derrière une cantine un peu bancale éclairée aux ampoules de Noël, brille ostentatoirement l’enseigne lumineuse et vivifiante d’un Tim Horton. En somme, le documentaire – beaucoup trop long – aurait gagné à établir plus clairement sa proposition, à la fouiller plus avant, à la déployer selon des axes narratifs plus clairs. Le sujet était pourtant alléchant, la digestion fut par contre difficile.
Snowbird (Joannie Lafrenière, 2017)
Après les deux précédents films, Snowbird (Joannie Lafrenière) pourrait se présenter comme le troisième opus d’une trilogie sur ces hermétiques et incompréhensibles microcosmes. Les « p’tits vieux » qui passent leur été en Floride sont aussi loin de mon univers que les « body builders » et que les « truckers » de cantine. Allait-on me les rendre sympathiques ? Allait-on me les faire comprendre un peu ? Allait-on me convaincre d’y prendre, avec eux, ma retraite ? Allait-on semer en moi l’envie de passer mes jours en bedaine, entre une joute de pétanque et une game de shuffleboard ? Allait-on, sous le soleil, faire fondre mes idées reçues au sujet de cette bizarre engeance ? Allait-on briser les clichés qu’inlassablement on s’amuse à répéter à leur sujet ? Point ! Les protagonistes se nomment « Yvette », « Monique » et « Ginette », exactement comme dans les stéréotypes des histoires que l’on s’invente pour s’en moquer. On a du mal à s’imaginer ses protagonistes contempler leur sun tan à l’écran tant leur portrait est cuisant. La condescendance affichée envers ces sujets crève chaque plan. En cela, le documentaire de Lafrenière peut heurter. Cependant, on ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir maintenu et assumé son point de vue. Elle filme ses protagonistes passant leur vie entre leur chaise de parterre et leur climatiseur, entre les parties de bingo et les danses en ligne, entre les bains et les beignes, entre le repos sous les palmiers et les puzzles de paysages québécois, on les voit farfouiller dans ces ventes de garage – qu’on exporte au même titre que notre culture –, lesquels font la joie des vacanciers qui repartent, qui avec des Pères Noël en macramé, qui avec des télés cathodiques incluant lecteur VHS, ramassant des « cossins » et des « coquilles ». Non seulement la température reste toujours la même, mais le temps y semble figé. Et nous restons, nous aussi, sur nos positions. Parfaitement immuables. On continue de les trouver pathétiques.
On y fait, par exemple, la connaissance d’Agathe, « cougar » délurée à la peau flétrie et brunie comme des « chicken wings », laquelle se badigeonne d’huile à friture pour être « bananée à l’année [sic] ». Elle nous dit faire attention à sa santé en prenant sans arrêt du soleil et en se nourrissant de Pepsi et de chocolat. On croit voir la suite d’Elvis à Santa Banana ! Comment saliver ? De plus, la superposition de la bande-son avec certaines images fonctionne comme un commentaire. Yvette avoue en voix-off qu’elle « vient se reposer » alors que défilent des images où se dessine un « Stop » s’éloignant derrière le tricycle qu’elle conduit péniblement. Elle se dit heureuse d’y être entourée de « vrais » Québécois, de gens comme elle donc, propos tenus sur des images de flamands roses en plastique qui se toisent sur leur parterre dans un effet de symétrie spéculaire. Monique avoue, elle aussi en voix-off, qu’elle « aime la tranquillité, mais [qu’elle aime voir] du monde… » alors que défilent des images de ses animaux de jardin qui « chillent » en gang sur son parterre. On est même étonnés de voir que cette galerie de « Québécois francophones d’Amérique du Nord d’expression française française », qui ne parlent pas un traitre mot d’anglais, peinent à se comprendre entre eux. Personne n’y parle anglais, sauf Julien, à qui revient la palme de la meilleure citation : « Moi, je parle très bien anglais, mais il ne me comprennent pas. Et je ne les comprends pas, parce qu’ils le parlent très mal. »
L’irrévérence de la cinéaste transpire à chaque plan, hante la bande-son, surgit même dans quelques comiques raccords. Lafrenière cadre irrémédiablement ses sujets – des petites vieilles aux voix trainantes et éraillées, à la diction molle, à la syntaxe approximative, aux propos désarmant de pauvreté – frontalement, assis sur leur divan laitte, devant un mur à l’affreux papier-peint, leur refusant, du coup, toute profondeur et tout dynamisme et préférant les « perdre » dans le cadre, ménageant un espace toujours trop grand au-dessus de leur tête (toujours trop de « headroom »), ajoutant ainsi au malaise déjà palpable. Les plans sont toujours fixes et mettent en boîte du monde dont le plan est aussi de rester fixe. Mêmes certains raccords décochent le rire : « End of the Road/Cul-de-sac » – « Paradise ». Vers la fin, nous sommes presque touchés de les voir, courbés, plier leur chaise et préparer leur retour. Certains font part de leur crainte de se voir expropriés par les voraces promoteurs immobiliers qui grugent chaque parcelle de terrain. Mais là n’est pas le propos. On revient vite à ce regard hautain sur cette bande de « p’tits vieux ». Ils le disent eux-mêmes : « Quand on devient vieux, on retombe en enfance ». Et c’est sûrement pour cette raison qu’on les entend, péniblement, chanter l’alphabet en anglais. Ils ont presque notre admiration. Mais, entre deux leçons, ils ont l’air d’attendre la mort. Comptant les jours. Au soleil. Au terme de ce moyen-métrage, les comprend-on mieux ? Pourquoi passent-ils donc six mois par année dans le Sud ? Pour la raison que l’on savait. L’ostie de frette !
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