prod. Exhibit A Pictures
LYNCH/OZ
Alexandre O. Philippe | États-Unis | 2022 | 108 minutes | Documentaires de la marge
En 2001, après la projection de Mulholland Drive (2001) au festival du film de New York, David Lynch paraît troublé par une question sur l’influence qu’exerce The Wizard of Oz (1939) sur son œuvre. Il confesse qu’il ne passe pas une journée sans penser au film de Victor Fleming. Sans jamais recevoir d’explications définitives du cinéaste, Lynch/Oz insiste sur le fait que The Wizard of Oz figure bel et bien parmi ses grandes obsessions. La première des six parties de ce documentaire, chacune narrée par différents intervenants (dont John Waters, David Lowery et Karyn Kusama), a d’ailleurs pour fonction de nous le démontrer, preuves à l’appui. Il y a bien sûr cet aveu inattendu de 2001, mais aussi les citations et les emprunts directs au film de 1939 que l’on retrouve dans sa filmographie, comme les sorcières dans Wild at Heart (1990) ou l’omniprésence de chaussures rouges, de Blue Velvet (1986) à Twin Peaks (1990).
Mêlant la fine analyse à l’anecdote cocasse, appuyées par un montage convaincant, Lynch/Oz constitue un essai franchement bien ficelé sur l’une des origines de l’art lynchien. Mais on sent parfois le film un peu trop fier d’avoir enfin débusqué l’une des influences primordiales de cet abscons cinéaste, ressassant souvent les mêmes pièces à conviction et présentant les résultats de son analyse comme une grande découverte. Or, est-ce vraiment une révélation d’affirmer que Lynch est resté marqué par une œuvre de son enfance? Par un film qui fascine la planète entière depuis 80 ans, incluant plusieurs des intervenants, qui profitent de l’occasion pour professer leur amour de celui-ci? Au bout du compte, ce qui impressionne, c’est moins l’influence évidente du film de Fleming sur Lynch, démontré à travers de nombreuses comparaisons visuelles, que le miracle que constitue la réinterprétation aussi idiosyncrasique d’une œuvre ayant influencé des milliers d’artistes durant toutes ces années. Nous avons donc plus que jamais l’impression de faire affaire avec un génie, et en cela, le documentaire finit par renforcer le mystère des arcanes lynchiennes plutôt que de les percer. Il semble bien que le cinéaste aura encore et toujours le dernier mot! (Antoine Achard)
prod. Velvet Films
L'EMPLOYÉE DU MOIS
Véronique Jadin | Belgique | 2021 | 78 minutes | Sélection 2022
La satire déjantée de l’indécrottable machisme en milieu de travail que propose initialement le film est beaucoup plus amusante que le scénario vaudevillien qui se déploie ensuite, alors que ce sont des cadavres, et non des amants dénudés, qui s'accumulent dans les placards de la compagnie EcoCleanPro (« le cleaning des pros »), centre de toute l’action. La séquence d’ouverture est saisissante, avec son plan séquence inquisiteur qui nous révèle l’intérieur des bureaux où saillent les signes standards de l’aliénation quotidienne mêlés à des empreintes flagrantes d’un boys’ club (l’aquarium vide et la tasse World’s Best Boss côtoient les photos de femmes nues placardées au-dessus de la cuisinette). Le reste est à l’avenant, alors que nous accompagnons Inès, une employée de longue date, zélée, professionnelle et pluridisciplinaire, mais trop réservée, témoins de ses rapports avec une ribambelle de collègues mâles qui ne manquent pas une occasion de la mépriser de cette façon grossière, narquoise et décomplexée qui est celle des « vrais hommes ». Le ton pourrait presque sembler excessivement caricatural par moments, si ce n’était de sa pertinence à l’égard d’une critique politique de la gent masculine, qui a encore le beau jeu de prétendre que les femmes ne sont bonnes qu’à faire le café et acheter du PQ afin de mieux conserver les privilèges liés indûment à leur sexe. Comme seule alliée, Inès n'aura finalement que la jeune stagiaire Melody, qui l’aidera à se débarrasser d’abord du cadavre de son ignoble patron, mort accidentellement après une querelle à propos de l’équité salariale… puis de ceux de quelques autres pourritures phallocrates que les deux femmes laisseront malgré elle dans leur sillage au cours d’une décevante deuxième partie.
Étant une satire de la vie de bureau, l’œuvre rappelle à plusieurs égards le Office Space (1999) de Mike Judge, un autre film qui, passé une mise en contexte délectable remplie d’un humour excessif qui fait mouche à tout coup, se perd en fades péripéties. Ici, c’est le portrait de l’aliénation quotidienne d’Inès qui vaut le détour, et le spectacle de l’atrocité des mâles qui l’entourent, suffisants dans leurs petits habits pathétiques et absolument méprisables dans leur joviale mesquinerie, déployés avec un sens tout belge, tout exubérant de la caricature. Or, même la mise à mort de ces ordures n’est pas particulièrement satisfaisante puisqu’il ne s’agit pas d’exécutions sommaires. Le caractère accidentel des exécutions entrave en effet leur potentiel émancipateur et cathartique pour l’héroïne, laquelle ne prend pas plaisir à tuer, contrairement aux protagonistes d’un film comme Compulsus (2022) [critique à venir], où la confrontation de l’ordre patriarcal est formulée de manière frontale, directe et ouvertement revendicatrice. Ici, on assiste plutôt à une sorte de rétribution karmique dont les femmes deviennent presque de simples instruments, peinant à développer une véritable agentivité, voire une simple camaraderie (Inès et Melody iront même jusqu’à se pointer des pistolets l’une vers l’autre). Il est surtout problématique de constater ici que c’est le sexisme que dénonce l’autrice qui vient finalement sauver les deux héroïnes, considérées inaptes au meurtre par le vieux misogyne chargé de l’enquête. Quant à la question du viol (comme manifestation ultime de la violence machiste), elle est introduite trop tardivement, comme une arrière-pensée, et ce, malgré sa pertinence à l’égard du discours diégétique central, dans un style solennel certes ad hoc, mais qui cadre très mal avec le ton joueur utilisé précédemment. (Olivier Thibodeau)
prod. Cinéma Defacto, Wood Producciones, Match Factory Productions
THE COW WHO SANG A SONG INTO THE FUTURE
(LA VACA QUE CANTÓ UNA CANCIÓN HACIA EL FUTURO
Francisca Alegría | États-Unis/Allemagne/France/Chili | 2022 | 98 minutes | Camera Lucida
Prochaine projection : Mercredi 20 juillet à 14 h 45
La nature frémit, la caméra la longe, hume la terre, détaille ses composantes. Une impression d’ancrage se produit, ancrage non seulement au sol, mais dans une forme d’ambiance dense. Des poissons gisent par centaines sur les bords d’une rivière, une femme émerge de l’eau. Qu’est-elle au juste ? C’est autour du statut énigmatique de cette figure qui désarçonne le champ magnétique — tout matériel électronique réagit à son approche — que The Cow Who Sang a Song Into the Future scellera son intrigue dramatique. Le sens est ouvert, les liens entre les choses flottent, les apparitions terrestres de Magdalena, femme anadyomène et que l’on apprendra décédée, surgissent de façon néanmoins concrètes et récurrentes. L’ouverture de ce premier long métrage de Francisca Alegría installe avec assurance un ton éthéré, chevillé à une mise en récit qui maintient en haleine.
Parallèlement aux animaux morts et aux effets irréels qu’elle engendre, la matérialité de Magdalena dans le champ de l’écran nous situe psychologiquement près des membres de sa famille qu’elle revisite, tour à tour hébétés, interloqués et puis acceptant stoïquement la réalité de son retour parmi les vivants. Morte suicidée il y a au moins vingt ans selon la rumeur, elle a laissé dans son sillage des tensions traumatiques palpables de même qu’une fissure intergénérationnelle. Sa présence éclaire peu à peu ces blessures à géométrie variable, à coups d’apparitions et d’interventions étranges. Son mari défaille la première fois qu’il l’aperçoit, sa fille lui en veut, son petit-fils l’admire, son fils et sa petite-fille se sentent naturellement près d’elle, Felicia, la domestique qui l’a vue grandir croit qu’elle est venue emporter un proche vers l’au-delà. La psychologie retorse des uns se retourne sur son passage, la sympathie des autres se révèle, le drame familial se charge et se décharge alors que tous assistent à l’avancée en filigrane d’un phénomène plus ample aux conséquences mortifères sur les animaux. Les abeilles disparaissent, les vaches de la ferme tombent malades. En somme, Magdalena porte en son sein mutique une forme de présence mythique, elle incarne une force spirituelle qui agit sur le vivant et appelle à le conscientiser de façon nouvelle.
Il y a dans ce film des réussites saillantes, notamment une scène musicale, nocturne de vaches, qui génère une sensation paroxystique lente, une façon d’envelopper l’intrigue de même qu’une amorce narrative ambitieuse. À mi-chemin entre l’exploration psychologique des personnages et la représentation de la crise climatique, le film lie entre eux des objets moins hétéroclites que différenciés, qui ont pour dénominateur commun de remettre en question et de faire revoir certains présupposés, ce qui est en soi une gageure. Parmi les problèmes qu’aborde le film, notons qu’il y a également celui du genre, à travers le petit-fils de Madgalena qui s’identifie aux femmes, ce que sa mère accepte difficilement. Si cette approche homogénéisante est ainsi formellement maîtrisée, la mise sur un même pied d’égalité de problèmes aux répercussions dissemblables a toutefois pour contre-effet d’en aplanir les ressorts problématiques, et même, de donner l’impression, dans la deuxième moitié du film, d’en instrumentaliser la complexité au profit d’une certaine recherche de cohésion esthétique. D’une part, l’intrigue tricotée par des enjeux du même souffle familiaux et écologiques, personnels et surnaturels, cette ambivalence même exploite efficacement le fantastique. D’autre part, les fils sont peut-être moins surnuméraires que trop respectivement chargés pour pouvoir se dénouer en profondeur, à la mesure de la gravité qu’ils supposent. Ainsi tressés, ainsi affleurés plus qu’approfondis, les grands thèmes du genre, du climat, de la famille sont ramenés à un appel à la conscience qui semble quelque peu naïf, ou avec lequel, du moins, nous sommes devenus trop familiers pour pouvoir se satisfaire narrativement du flou surnaturel et de l’effet de présence de Magdalena. (Maude Trottier)
prod. Perdurabo Productions
FROM.BEYOND
Fredrik S. Hana | Norvège | 2022 | 14 minutes | Cavalcade de perversions : Un Regard Religieux Obscène
Substance ténébreuse et hypnotique, brillamment conceptualisée, From.Beyond est un faux documentaire aux accents expérimentaux fait d’un mélange alchimique d’images d’archives truquées, d’effets spéciaux pratiques, de figurines et d’effets in camera qui, ensemble, forment un concentré synthétique de science-fiction pure accompagné d’une remise en question opportune de la véracité de l’image médiatique. Tissant le récit diffus d’un monde alternatif où les humains cohabitent sur Terre avec des extra-terrestres, le film puise directement à même notre sens de l’anticipation et la puissance de notre imaginaire, nourri aux images retouchées et au cinéma de genre, en multipliant les manifestations imprécises, mais évocatrices de visiteurs potentiels. Il stimule et interroge ainsi constamment notre émerveillement et notre dégoût face aux formes surnaturelles des étrangers, mais il questionne surtout notre crédulité par rapport à la véracité de la réalité qu’on retrouve à l’écran.
Construit comme une série de courtes séquences pseudo documentaires d’origines diverses, l’œuvre se présente comme une sorte d’état du monde post-avènement, couvrant de nombreuses facettes de la vie sur notre planète nouvellement partagée. Les home videos d’ovnis côtoient les films scientifiques sur la biologie martienne, les discours gouvernementaux précèdent les entrevues avec des citoyens paniqués, les annonces de parfum figurant des limaces noirâtres sont juxtaposées à des cartoons de bestioles tentaculaires et des dessins d'enfants où apparaissent les créatures… L’esthétique varie aussi beaucoup, s’apparentant autant au cinéma de Ridley Scott (avec lequel il partage une trame sonore à la fois angoissante et envoûtante) qu’à celui de Neill Blomkamp, si bien qu’on croirait assister également à un petit historique de l’iconographie extra-terrestre. C’est pourtant le caractère mystérieusement fragmentaire des images, la vraisemblance des effets spéciaux et la facture étrangement réaliste des séquences qui marquent le spectateur et charpentent l’illusion diégétique, bâtie à même la croyance aveugle des amateurs de science-fiction et des « believers » en l’existence d’intelligences non humaines. Or, s’il s’impose comme un traité sur la suggestibilité, le film constitue avant tout un pur plaisir cinéphile, adapté à la fois aux amateurs du cinéma de genre, qu’on récompense pour leur foi en leur offrant un premier contact presque palpable avec des visiteurs interstellaires, les amateurs de documentaires, auxquels on offre une réalité construite de toutes pièces, et les amateurs du cinéma l’expérimental, que saura réjouir la recontextualisation ingénieuse du found footage de base. From.Beyond est certainement l'une des perles de la programmation du Festival cette année. (Olivier Thibodeau)
PARTIE 2
(Aspirational Slut, Coupez !, The Fish Tale,
All Jacked Up and Full of Worms, Popran)
PARTIE 3
(Lynch/Oz, L'employée du mois,
The Cow Who Sang a Song Into the Future, From.Beyond)
PARTIE 4
(Les pas d'allure, One and Four, Sissy, The Harbinger)
PARTIE 6
(Chorokbam, Vesper, Happer's Comet, The Breach, Skinamarink, Shari)
PARTIE 7
(We Might as Well Be Dead, Opal, Resurrection,
Inu-Oh, Freaks Out, Monsieur Magie)
PARTIE 8
(Speak No Evil, Island of Lost Girls, Deshabitada, Ring Wandering)
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