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Festival Fantasia 2012

Par Alexandre Fontaine Rousseau
FANTASIA 2012 OU L'IMPOSSIBLE RÉSUMÉ

À chaque année, c'est avec un mélange d'enthousiasme et d'appréhensions que l'équipe de Panorama-cinéma voit débarquer la programmation-monstre de Fantasia. Enthousiasme. Parce qu'à chaque fois, le menu proposé par l'équipe du festival s'avère à la fois audacieux et éclectique. Appréhensions. Parce que même pour le critique chevronné, prêt aux raccourcis les plus honteux lorsqu'il est question de remettre un texte à temps, la tâche qui m'incombe aujourd'hui de « résumer » pour vous cette seizième édition de l'événement semble à toutes fins pratiques impossible.

Pire encore, l'exercice monumental n'est au bout du compte qu'un bref prélude à ce qu'il annonce : trois délirantes semaines passées à courir d'une projection à l'autre, à se faire brutaliser à grands coups d'expériences extrêmes, à tenter de faire le pont entre une absurdité typiquement nippone et un film d'horreur américain particulièrement traumatisant… Soyons franc. Une telle épreuve exige une rétine en fer forgé.

Mais commençons tout compte fait par le commencement et épluchons ensemble cet imposant catalogue de près de 400 pages, petit guide à l'intention du festivalier dans lequel d'emblée celui-ci risque de se perdre… Car, cette année encore, il y a matière à se perdre dans cette programmation qui va dans toutes les directions, sans que ce soit nécessairement celles auxquelles on pouvait s'attendre.

WAKAMATSU, FRIEDKIN, LYNCH, MIIKE ET COMPAGNIE

Première constatation : les gros noms sont une fois de plus au rendez-vous. Évidemment, l'indomptable Takashi Miike est de la partie - avec non pas un, mais deux titres, dont la comédie musicale For Love's Sake, présentée à Cannes plus tôt cette année, qui aura l'honneur de lancer le bal le 19 juillet prochain. Ace Attorney, pour sa part, est l'adaptation d'un jeu vidéo à succès dans lequel des avocats s'affrontent lors d'une suite de… duels légaux sans merci… Nous verrons bien ce que le cinéaste le plus effréné des deux dernières décennies fera de cette prémisse pour le moins… Quelque peu… Enfin.

11/25 The Day Mishima Chose His Own Fate  //  Koji Wakamatsu

Une autre grosse pointure, le vétéran Koji Wakamatsu revient à la charge cinq ans après l'excellent United Red Army avec 11/25 The Day Mishima Chose His Own Fate, drame biographique retraçant les derniers jours de la vie du fameux romancier japonais - qui s'enleva la vie après avoir tenté en vain d'orchestrer un coup d'état. Un autre vieux de la vieille, William Friedkin, dont les jours de gloire remontent tout de même à The French Connection ainsi qu'à The Exorcist, aurait supposément retrouvé son mordant d'antan avec le scabreux Killer Joe - une seconde collaboration avec le scénariste Tracy Letts, suite au surprenant Bug de 2006.

C'est à titre de producteur et de scénariste que l'on retrouve le nom du Coréen Kim Ki-duk au générique de Poongsan de Juhn Jai-hong - annoncé comme un retour au style plus brutal de Bad Guy ou de The Coast Guard. Le Thaïlandais Pen-Ek Ratanaruang effectue lui aussi un retour aux sources avec le film d'action Headshot - une proposition intrigante même si les contemplatifs Invisible Waves et Ploy, dans l'esprit du Last Life in the Universe qui l'avait fait connaître en 2004, nous avaient aussi convaincus.

Wrong  //  Quentin Dupieux

Deux ans après le fameux Rubber, nous pourrons enfin savoir si l'humour décalé de Quentin Dupieux est exportable. En effet, son tout nouveau long métrage Wrong est une production américaine qui viendra faire son tour à Montréal après un passage remarqué à l'iconique festival de Sundance. Un autre expatrié français, le réalisateur de Martyrs, Pascal Laugier, ose lui aussi le « grand saut » avec The Tall Man qui met en vedette Jessica Biel. De son côté, l'enfant terrible du cinéma espagnol Alex de la Iglesia ne quitte pas l'Europe, mais filme la star Salma Hayek dans As Luck Would Have It - une attaque en règle contre le milieu de la publicité.

Une autre iconoclaste d'envergure, la fameuse « fille de l'autre » Jennifer Lynch, viendra quant à elle faire son tour en ville pour présenter deux oeuvres. Tandis que son plus récent long métrage, Chained, raconte l'histoire d'un tueur en série qui tente d'élever un enfant qu'il a kidnappé, le documentaire Despite the Gods de Penny Vozniak relate les péripéties ayant entouré le tournage en Inde du film précédent de Lynch, Hisss, qui devait être présenté l'an passé au Festival du Nouveau Cinéma.

Jennifer Lynch dans Despite the Gods de Penny Vozniak

Ajoutons à cette liste quelques « habitués » du festival : Kim Jee-woon (Doomsday Book, un projet co-signé par le réalisateur d'Hansel & Gretel Yim Pil-sung), le réalisateur de Combat Shock Buddy Giovinazzo (qui revient deux ans après Life is Hot in Cracktown avec A Night of Nightmares) et le jeune prodige de l'horreur à l'américaine Ti West (qui a réalisé l'un des six segments du collectif V/H/S)… N'oublions pas Yoshihiro Nakamura, cinéaste japonais qui en avait impressionné plusieurs il y a de cela deux ans avec Fish Story et Golden Slumber et qui est de retour cette année avec A Boy and His Samurai.

FRONTIÈRES DOCUMENTAIRES

Qu'un festival de genre tel que Fantasia concède au cinéma documentaire une place de plus en plus importante au sein de sa programmation, voilà qui constitue un indice de l'intérêt grandissant du public pour ce créneau autrefois jugé marginal. Cette année encore, la section Documentaries from the Edge prend ainsi du galon - un nombre record de dix films ayant été sélectionnés par l'équipe du festival.

Parmi ceux-ci, soulignons le très actuel We Are Legion: The Story of the Hacktivists de Brian Knappenberger, qui traite du mouvement Anonymous, ainsi que l'intriguant Il n'y a pas de rapport sexuel de Raphaël Siboni - qui lève le voile sur l'industrie de la pornographie et s'intéresse, plus particulièrement, à l'oeuvre du controversé producteur HPG.

We Are Legion: The Story of the Hacktivists  //  Brian Knappenberger

Sujets chocs, en vrac. Tant et si bien que l'on se demande toujours si les films présentés feront preuve du doigté nécessaire pour éviter la complaisance et le spectaculaire. My Amityville Horror revient (une fois de plus) sur « l'histoire vraie » ayant inspiré la célèbre série de films d'horreur, The Mechanical Bride s'intéresse au monde surréaliste des poupées érotiques et The Ambassador de Mads Brügger suit le journaliste danois jusqu'en Afrique où il tente de s'inventer de toutes pièces une carrière de diplomate. Pour sa part, L'hypothèse du Mokélé-Mbembé de Marie Voignier se penche sur une vieille légende camerounaise.

Sur une note plus légère, le skateboarder professionnel Stacy Perelta nous revient onze ans après Dogtown and Z Boys avec Bones Brigade: An Autobiography - qui se veut une chronique plus intime des belles années de ce sport. Quant à Eurocrime! The Italian Cop and Gangster Films That Ruled the '70s… le titre devrait vous donner une bonne idée de ce dont il en retourne.

L'ANNÉE DU PASSÉ

La présentation d'Eurocrime! tombe évidemment à merveille puisque le festival a décidé de rendre hommage cette année au cinéma de genre italien. Après Bollywood et le Mexique, l'infatigable DJ XL5 convie donc le public à un Zappin' Party thématique spaghetti : western, giallo, zombies, cannibales, cinéma post-apocalyptique et science-fiction à rabais sont au programme de cette soirée qui s'annonce d'ores et déjà mémorable.

Le choc des étoiles  //  Luigi Cozzi

Pour ceux qui voudraient pousser leurs recherches un peu plus loin, une rétrospective de cinq titres pourra servir de complément à cet célébration festive sous forme de collage. La série B sera évidemment à l'honneur, pour notre plus grand plaisir, avec Les centurions an 2001 (1984) de Lucio Fulci, Le choc des étoiles (1978) de Luigi Cozzi ainsi que Les guerriers du Bronx (1982) d'Enzo G. Castellari. De jolies copies 35mm, doublées dans ce français miteux propre aux heures de gloire du format VHS.

Dans un tout autre ordre d'idées, le controversé et passablement décadent Caligula (1979) de Tinto Brass sera lui aussi présenté à la Cinémathèque québécoise et les âmes sensibles sont évidemment priées de s'abstenir. Puis, pour couronner le tout, on termine la rétrospective avec un classique de la comédie italienne qui ressort un peu du lot : Affreux, sales et méchants (1976) d'Ettore Scola, récipiendaire du prix de la mise en scène lors de la 29e édition du Festival de Cannes.

L'enthousiasme que génère la sélection rétro de Fantasia cette année est-elle l'indice d'un essoufflement du cinéma contemporain? De plus en plus, c'est une certaine nostalgie qui semble guider le regard cinéphile. Car si l'année 2011 a semblé confirmer l'émergence d'un cinéma « hypnagogique », l'événement-phare de l'année 2012 à Montréal est sans contredit la fameuse rétrospective Nikkatsu, co-orchestrée par Fantasia et le FNC.

Tokyo Drifter  //  Seijun Suzuki

Parmi les cinq titres présentés par Fantasia, soulignons dans un premier temps le formidable Tokyo Drifter (1966) de l'iconoclaste Seijun Suzuki - audacieux délire formel repoussant constamment les limites du genre policier. Puis l'extravagant Stray Cat Rock: Sex Hunter (1970) de Yasuharu Hasebe, quintessence du cool nippon mettant en vedette l'inimitable Meiko Kaiji dans le rôle d'une fringante jeune délinquante à la tête d'une bande d'écolières rebelles. L'iconique gangster à la gueule d'écureuil Joe Shishido tient pour sa part le rôle principal dans un autre film d'Hasebe, Massacre Gun (1967).

Rappelons que la Nikkatsu n'a pas donné que dans le film noir revu et corrigé à la sauce yakuza. Ceux qui voudront en avoir la preuve sont priés d'aller voir The Profound Desires of the Gods (1968) du grand Shohei Imamura - oeuvre ambitieuse de près de trois heures qui figure parmi les classiques méconnus de l'auteur. Puis Postman Blues (1997), comédie déjantée signée par l'auteur-réalisateur Sabu.

Évidemment, une édition de Fantasia serait incomplète sans la projection d'un bon petit film de kung fu à l'ancienne comme on les aime. Les amateurs attendent donc avec impatience la dernière copie 35mm en existence de Fists of the White Lotus (1980) pour se régaler de combats sonores à souhait. Les nostalgiques des vraies de vraies années 80, celles auxquelles les frères Brandon et Jason Trost rendaient hommage avec le succès-surprise de Fantasia 2011 The FP, seront quant à eux contents d'apprendre qu'on a programmé pour leur plus grand plaisir Miami Connection (1987), qui semble rassembler tous les ingrédients d'un bon film culte… à commencer par des ninjas chevauchant des motocyclettes. Dans une veine similaire, n'oublions pas de mentionner la deuxième édition de La nuit excentrique, marathon de l'étrange pour cinéphiles insomniaques en manque de médiocrité.

Pour marquer la parution du livre House of Psychotic Women de Kier-La Janisse chez Fab Press, le festival organise aussi une rétrospective autour du thème de la représentation de la folie féminine au grand écran. Serons présentés The Haunting of Julia (1977) de Richard Loncraine, Dr. Jekyll et les femmes  (1981) de Walerian Borowczyk, Possession (1981) d'Andrzej Zulawski et Christiane F. (1981) d'Uli Edel. Notons que chaque film de la sélection sera présenté par Kier-La Janisse.

Possession  //  Andrzej Zulawski

Du côté du cinéma québécois, l'intriguant film d'animation de 1956 Le village enchanté sera présenté, précédé du classique court métrage de l'ONF Ti-Jean s'en va-t-aux chantiers - une vraie leçon de folklore donnée par le plus fort des petits bûcherons québécois. Non mais, sérieusement, si vous n'avez pas encore vu Ti-Jean… On ressort aussi Dans le ventre du dragon (1989) des boules à mites, à l'occasion de sa sortie en DVD. Une bonne occasion de voir si le passage du temps a été clément à l'égard du film d'Yves Simoneau.

… ET LE RESTE

On pourrait en écrire encore beaucoup sur cette édition de Fantasia. On pourrait parler de l'importance renouvelée du cinéma d'animation dans la programmation de cette année. On pourrait aussi souligner le retour pour une quatrième année consécutive du Fantastique week-end du court métrage québécois, la remise d'un prix d'excellence pour l'ensemble de sa carrière à l'historien et théoricien David Bordwell ou encore la mise en place d'un marché du film qui pourrait avoir un profond impact sur l'importance du festival à l'échelle internationale. Mais l'heure des bilans n'est pas encore venue et il est toujours difficile de prédire de manière juste ce que nous réserve le plus imprévisible des festivals montréalais. On se revoit donc de l'autre côté du délire.


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CRITIQUES

11/25 The Day Mishima Chose His Own Fate  //  Kôji Wakamatsu (2012)
A Letter to Momo  //  Hiroyuki Okiura (2011) 
Chained  //  Jennifer Lynch (2012)
Children Who Chase Lost Voices from Deep Below 
//  Makoto Shinkai (2011)
Easton's Article  //  Tim Connery (2012)
Excision  //  Richard Bates Jr. (2012)
For Love's Sake 
//  Takashi Miike (2012)
Headshot  //  Pen-Ek Ratanaruang (2011)
Killer Joe  //  William Friedkin (2011)
Profound Desire of the Gods
 //  Shōhei Imamura (1968)

Starcrash  //  Luigi Cozzi (1978)
Stray Cat Rock: Sex Hunter
 //  Yasuharu Hasebe (1970)
Toad Road  //  Jason Banker (2012)

ENTREVUES

Jennifer Lynch (Chained)
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Article publié le 18 juillet 2012.
 

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