LA CAMÉRA DE CLAIRE
Hong Sang-soo | Corée du Sud | 2017 | 69 minutes | Les incontournables
« The only way to change things is to look at them again very slowly. »
Depuis Le jour où le cochon est tombé dans le puits, son premier long métrage en 1996, Hong Sang-soo accumule les films à un rythme surprenant et livre régulièrement une énième variation sur ses thèmes de prédilection : les rapports amoureux (pas que nous allons nous en plaindre). Cependant, le cinéaste semble depuis quelques années se livrer plus ouvertement dans ses films et il est de plus en plus évident qu’il trouve son inspiration dans ce qu’il vit. Réinterprétant certains moments de vie en les transformant en des récits aussi simples que justes.
Pour La caméra de Claire, Hong Sang-Soo a profité de son passage au Festival de Cannes en 2016 pour y poser sa caméra et improviser un film avec des moyens rudimentaires, démontrant plus que jamais le côté intuitif du cinéaste. On y suit quelques moments déterminant dans la relation qui lie So, un réalisateur coréen, Mihee, la patronne de sa boîte de production (qui se trouve aussi à être sa conjointe) et Manhee, l’assistante de la boîte (qui se trouve à avoir eu une aventure avec le réalisateur). Cette situation triangulaire, dont chacun a sa propre vision et d’aucuns la vue entière, provoquera le renvoi de l’assistante durant le séjour de ces trois personnes au Festival, suite à quoi elle décidera d’errer dans la ville. Leurs chemins respectifs croiseront éventuellement celui de Claire (Isabelle Hupert), une professeure-poétesse à ses heures, qui se trouve au même moment à parcourir la ville et son festival. Passé et futur se croisent et les destins de chacun sont affectés par leur rencontre respective avec elle, et plus particulièrement avec sa caméra Polaroid qui ne la quitte jamais. C’est que cette caméra, aux dires de Claire, transforme les gens si elle les prend en photo. « The only way to change things is to look at them again very slowly », nous dit Claire. Elle changera donc le cours de leur existence par les photographies qu’elle prendra de chacun d’eux en leur révélant quelque chose de plus sur la situation ainsi que sur eux-mêmes.
Si l’art peut changer les gens, Hong Sang-soo nous en fait ici une belle interprétation. Alors que le titre est un clin d’œil évident au cinéaste auquel il est souvent comparé, Éric Rohmer (et son Genou de Claire), il pointe aussi vers l’élément clé du film : la caméra de Claire, cet objet qui permet de changer le cours des choses et la vie des gens. Le cinéaste aborde son idée avec un ton léger et humoristique tout en s’appuyant sur une situation plutôt sérieuse. Les réactions surprenantes des personnages viennent agréablement dérouter. On pense à la scène du renvoi de l’assistante, suite à quoi elle prend son appareil photo pour faire un selfie avec sa patronne afin d’immortaliser ce moment entre elle et celle qui vient de la mettre à pied (cherche-t-elle instinctivement à capturer ce moment pour mieux l’observer par la suite et le transformer comme Claire sait le faire ?).
Si on veut changer un évènement, aussi bien se le jouer de nouveau. Car Hong Sang-Soo parle ici aussi de lui-même. Le fait qu’on y présente un réalisateur coréen ayant le coude léger en plein festival de Cannes, réfléchissant à son aventure récente avec l’assistante du département des ventes de ses films fait énormément écho à la liaison médiatisée d’Hong Sang-soo avec son actrice fétiche, Kim Min-hee, qui joue ici justement un rôle similaire. Une histoire qu’il commençait déjà à révéler plus discrètement dans son film Right Now, Wrong Then. Le personnage de Mihee, la patronne de la boîte de production et conjointe du réalisateur (So Wan soo) qui apprenant l’aventure avec son assistante, la renvoi et cherche à ramener son homme vers elle, peut rappeler la femme d’Hong Sang-soo qui, alors sous le choc de la révélation mise au grand jour, avait tenté de raisonner son mari à demeurer auprès d’elle. Le cinéaste utilise donc une fois de plus ses films pour parler de lui-même et, utilisant les pouvoirs de la caméra, celle de Claire autant que la sienne, il se projette une deuxième fois certains moments de vie afin de les changer. Le tout est présenté sur un ton plus léger, avec un jeu un peu décalé produit en partie par cette obligation de chacun à jouer majoritairement dans une langue étrangère (l’anglais), amenant ainsi des moments de répétitions jusque dans la communication. Simple, juste et possédant un charme bien à lui, La caméra de Claire capture l’essentiel de ce qui fait la force des films du cinéaste. Hong Sang-soo fait des films et y refait sa vie, afin de mieux l’observer et, ultimement, la transformer — c'est le pouvoir restauratif de son cinéma. (David Fortin)
CLAIRE L'HIVER
Sophie Bédard Marcotte | Québec | 2017 | 65 minutes | Focus Québec/Canada
Il ne faudrait pas que les nouveaux cinéastes québécois prennent trop exemple sur le deuxième film de Sophie Bédard Marcotte. Il ne le faudrait pas, car les générations futures auraient encore moins de financement qu’ils n’en ont déjà pour réaliser les petites œuvres qu’ils voudraient bien tourner ; les gens finiraient par comprendre, quelque part entre deux commentaires fermés d’esprit d'un « jury de pairs », qu’il ne faut au fond que du génie et très peu de moyens pour faire un beau film… De toute façon, ceux qui s’y essaieraient n’y parviendraient probablement pas, du moins pas à faire un film aussi miraculeusement minuscule, qui soit à la fois complètement au diapason de son époque tout en demeurant si personnel. Claire l’hiver nous montre Bédard Marcotte dans le rôle-titre. En jeune professionnelle diplômée, elle vaque à des occupations éphémères et tente de produire du sens dans sa vie de petits objets pas de sens (surtout qu’elle traverse une rupture amoureuse qui a le culot d’être sans chicane). Donc elle s’en prend à ses objets, elle les tord, les tortille, les plie, les fracasse. Un jour elle en fera même une expo de photos, l’indice d’une détresse exprimée sur de la matière abîmée.
Une amie, jouée par Alexa-Jeanne Dubé (prometteuse, drôle, elle surprenait déjà dans Apnée, sans toutefois réussir à sauver le film de sa prétention), est là à ses côtés. D’autres tiennent parfois la caméra, quand ce n’est pas Claire qui l’a placée, mettant en scène sa vie de jeune artiste non pas pour en faire un film, mais simplement pour l’accompagner au quotidien, comme si la caméra freinait sa solitude, comme si sa technique, qui lui permet d’insérer dans l’image des lubies impossibles, des satellites russes, un dauphin volant et autres totems d’une génération née dans le collage aréférentiel, était l’interlocuteur imaginaire de son regard déboussolé. Claire l’hiver n’aspire ni au film de found footage ni au métafilm — il n’a pas de gêne à ne se réclamer d’aucune étiquette — et il n’hésite pas à rire doucement de l’ennui. Il en ressort au final un premier film enchanteur, qui ne ment pas sur ses sentiments sans jamais faire du cinéma un outil du spleen ou du misérabilisme ; au contraire, la plus grande qualité de Claire l’hiver, et particulièrement dans le contexte québécois, c’est d’avoir réservé la détresse véritable que pouvait ressentir sa protagoniste dans le hors-champ, ne la laissant actionner la caméra que pour marquer sa volonté (toujours cabotine et sympathique) à esthétiser sa vie, à la rendre minimalement belle pour les projecteurs. Chose certaine, si l’hiver de Bédard Marcotte trouve ainsi le moyen de garder le sourire, nous avons bien hâte de voir son printemps. (Mathieu Li-Goyette)
JOUR 1
(Ava, Napalm, Samui Song)
JOUR 2
(La caméra de Claire, Claire l'hiver)
JOUR 3
(Black Hollow Cage, Les Fantômes d'Ismaël,
Loveless)
JOUR 4
(The Day After, Félicité, The Last of Us)
JOUR 5
(KFC, Mass for Shut-Ins, Sexy Durga, Unrest)
JOUR 6
(Bangkok Nights, Honeygiver Among the Dogs,
Marion, La Zone)
JOUR 7
(Le ciel étoilé au-dessus de ma tête,
Les prédatrices, Summer Lights)
JOUR 8
(All you Can Eat Buddha, The Florida Project,
Histoire que notre cinéma (ne) racontait (pas)
JOUR 9
(9 Doigts, Jeannette : l'enfance de Jeanne d'Arc,
Loving Vincent, Phase IV, Planet ∞)
JOUR 10
(Detective Bureau 2-3 – Go to Hell Bastards!,
Gate of Flesh, Thelma)
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