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Les Sommets du Cinéma d'Animation de Montréal 2010

Par Guilhem Caillard
La Cinémathèque québécoise sous les feux de l’animation

Habile variation de Marcel Duchamp, la Blanche Neige descendant un escalier de Francis Desharnais est lourde de promesses : la 9ème édition des Sommets du cinéma d’animation de Montréal s’annonce colorée, vivace, diversifiée. Pâte à modeler, 2D/3D, dessin, pixilation, peinture sur verre, gravure, collage, marionnettes : autant de techniques que d’univers pour plus d’une centaine de films provenant de 22 pays. L’occasion de vous parler de nos coups de coeur, mais aussi de revenir sur la genèse de cet évènement et ses perspectives d’avenir.

Des Sommets à Montréal?

À la veille de sa nouvelle édition, le festival est plus qu’un simple pion ajouté à l’échiquier montréalais. La saturation de l’offre à travers la métropole n’aura pas pour autant privé la Cinémathèque québécoise de s’offrir son propre évènement. Une gâterie de fin d’année dont nous pouvons nous réjouir. L’idée remonte à loin, alors que dans les années 1980, Louise Beaudet proposait des programmes courts tirés de la sélection du festival d’animation d’Annecy. Voilà près de dix ans que son successeur, Marco de Blois, programmateur-conservateur responsable du cinéma d’animation, cherche à rendre légitime ces journées. D’abord intitulés « Trois jours pour s’animer », les Sommets ont alors pris une autre envergure.

Avec un budget initial de 27 000 dollars, la Cinémathèque initie plusieurs partenariats complémentaires visant à augmenter les sources de financements de l’édition 2008 : en collaboration avec les Archives Françaises du Film, la rétrospective Du praxinoscope au cellulo accompagne l’expansion de l’évènement. Simultanément, l’édition d’un catalogue et l’affirmation d’une facture visuelle défendue par un artiste canadien invité (Alan Sutherland en 2008, Claude Cloutier l’année suivante) apportent une indéniable valeur ajoutée.

Mais l’initiative est d’abord motivée par un constat : le seul grand festival d’animation au Canada se tient à Ottawa depuis 1976. Or, la Cinémathèque entame ses travaux de conservation dès l’Exposition Universelle de Montréal, où est présentée une importante rétrospective consacrée à l’animation. Pendant près de trente ans, la conservatrice Louise Beaudet cherche à enrichir les collections, tandis que du côté de l’ONF, la production bat son plein. À l’aube des années 2000, la réputation de Montréal comme Mecque de l’animation n'est plus à prouver, si ce n’est qu’aucun festival ne s’y consacre entièrement.

Raison de plus pour mettre les bouchées doubles sur les Sommets : c’est l’occasion rêvée de faire cohabiter l’expertise locale avec les représentants internationaux du secteur. Les résultats avancés par la Cinémathèque pour 2008 sont encourageants : avec une forte augmentation de la fréquentation par rapport aux années précédentes, 2600 spectateurs sont au rendez-vous à Montréal, 830 pour le volet organisé à Québec en collaboration avec Antitube. Il ne reste aujourd’hui qu'à faire doubler, voire tripler ces chiffres, en plus d’offrir au festival une compétition officielle. La Cinémathèque peut déjà compter sur deux nouveaux partenaires : la Régie du cinéma et Téléfilm Canada. Marco de Blois, qui assiste chaque année aux grands rendez-vous internationaux pour trouver des films (Annecy, Zagreb et le festival Fantoche de Baden en Suisse), espère faire des Sommets un espace de convivialité et de rencontre entre public et professionnels du milieu de l’animation. Voyons même plus grand : pourquoi ne pas songer, dans un proche avenir, à des rencontres professionnelles ou un marché du film d’animation? Après tout, si les Sommets peuvent bien s’immiscer dans le calendrier international, c’est aussi parce que l’évènement ne partage ses dates qu’avec le festival Animateka de Ljubljana, en Slovénie. L’affaire reste donc à suivre de très près.


THE EXTERNAL WORLD de David O'Reilly

Un monde à découvrir

Il y a quelques jours, la Cinémathèque proposait donc aux journalistes une sélection de films. De là ont surgi des tendances propres à cette cuvée 2010 des Sommets à travers la récurrence de motifs qui méritent d’être soulignés.

Il y a d’abord toutes ces histoires de têtes coupées, comme si le monde de l’animation tâtonnait les bras tendus dans le vide, ne sachant trop quelle direction prendre. Serait-ce dû à la profusion des techniques s’offrant aux professionnels? Ou est-ce plus largement à l’image de nos sociétés de surinformation dans lesquelles il est difficile de faire des choix? Le monde étrange dépeint dans Danny Boyle de Marek Skrobecki est composé d’humains sans tête. En ville, les rues sont envahies par des hommes qui, faute de pouvoir poser leur regard sur quelque chose, trébuchent sur les trottoirs, se cognent aux lampadaires. En somme, c’est l’histoire d’une époque aberrante, sans prise de décision, où des avions heurtent des tours et l’amour n’est possible qu’entre gens qui se ressemblent. Allégorie kafkaïenne, ce film vaut le détour pour l’austérité de ses décors et ses marionnettes aussi mal-à-l’aise que nous qui les observons. Tandis que le polonais Wojtek Wawszczyk aborde littéralement la question de front avec Headless, histoire d’un homme à la recherche de… sa tête. Dans Muzorama, des villageois tournent en rond autour d’une place publique alors que l’un d’entre eux se retrouve également dépossédé de sa tête. Considérée comme la meilleure formation française en animation 3D, l’école Supinfocom d’Arles offre avec ce film une expérience atypique parcourant un univers où nul ne respecte l’espace personnel de l’autre.

Cette forme d’agressivité fait d’ailleurs écho à Get Real, un véritable bijou d’animation qui vient des Pays-bas et explore les turpitudes d’un adolescent accro à un jeu vidéo d’un genre bien spécial. On tient là le Enter the Void des Sommets : ici pas de têtes coupées (et encore, ça reste à prouver), mais une agressivité visuelle qui n'est pas sans rappeler le dernier opus de Gaspar Noé. Le rythme déchaîné travaille la confusion entre monde réel et espaces virtuels. Dans leur profusion, les couleurs sautent au visage, aussi aberrantes que la sexualité vécue par le personnage principal. Cet univers peuplé d’adolescents aux actes maladifs et inféconds est aussi celui de The External World, film 2D pour lequel Marco de Blois avoue son attachement. D’une grenouille humanoïde à une jeune fille qui se suicide dans sa baignoire, ce film de David O'Reilly porte un regard sombre et désespéré sur les interactions humaines. C’est aussi de la liberté artistique dont il est question, symbolisée par ce garçon traumatisé par son professeur de piano.


DIVERS IN THE RAIN d'Olga & Pritt Pärn

Mais la grande nouveauté des Sommets, c'est la présentation cette année de longs métrages, dont une avant-première d’exception : Le vilain petit canard, signé par nul autre que Garri Bardine, grand artisan russe de l’animation en pâte à modeler. Le réalisateur, présent pour la soirée d’ouverture, devrait nous dire comment il est parvenu à transformer le conte d’Andersen en une merveilleuse dénonciation de l’ultra-nationalisme russe et de la montée des mouvements néo-nazis qui marquent l’actualité de son pays. À la fois politique et familial, le film renoue avec une certaine tradition classique de l’animation qu’il fait plaisir de retrouver (d’autant que la bande sonore est portée par la musique de Tchaïkovski). Et avis aux amateurs de marionnettes, Le vilain petit canard sera, en soirée d’ouverture, précédé d’une oeuvre qui vaut bien le détour : Un monde à découvrir. Avec ce petit film, les auteurs Renaud Plante et Matthieu Goyer n’ont pas peur de revendiquer leur amour pour la littérature et ses incontournables (Flaubert, Zola, Balzac, Faulkner…). Plus encore, on tient ici la problématique posée par la plupart des films de la programmation dont nous avons déjà parlé : qu’advient-il de cet autre, voisin ou étranger, du désir d’apprendre à le connaître et le comprendre?

Sans prétendre à l’exhaustivité, il faudrait tout de même signaler quelques autres titres à ne pas manquer : pour son humour et l’ambiance grisonnante du dessin sur papier, Divers in the Rain; mais aussi La formation des nuages, film sensible qui décompose les mouvements d’une enfant passant à l’âge adulte et rappelle les croquis de Degas; enfin, c’est l’occasion pour ceux qui ne les connaissent pas encore de découvrir les fameux Journaux de Lipsett selon Théodore Ushev et La tranchée de Claude Cloutier. À noter également la sélection de films sur la relève polonaise, toujours pour bousculer cette fausse idée d’un essoufflement créatif de l’animation dans les pays d’Europe de l’Est. Mais encore : la leçon de cinéma offerte par le japonais Koji Yamamura, occasion rêvée pour l’entendre parler de ses « rêves métaphysiques », et l’exposition de dessins inédits de Ryan Larkin récemment acquis par la Cinémathèque. De quoi se quitter en beauté pour cette fin d’année.

Du 2 au 5 décembre 2010 à la Cinémathèque québécoise.
Pour plus d'information, consultez notre page du calendrier.
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Article publié le 1er décembre 2010.
 

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