DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
L’équipe Infolettre   |

Festival Fantasia 2017 : Jour 1

Par Panorama - cinéma



THE VILAINESS
Byung-gil Jung  |  Corée du Sud  |  2017  |  129 minute  |  Film d’ouverture
 
Le plus récent film de Byung-gil Jung, The Vilainess, peut être interprété comme un anti-Cid. Alors que, dans la pièce de Corneille, une fille refuse de marier, en toute connaissance de cause, l’assassin de son père, dans le film de Jung, elle finit par marier, sans le savoir, celui qui a zigouillé son paternel. Là, Rodrigue bat en duel son futur beau-père pour prouver à Chimène qu’il sait défendre l’honneur de sa famille, ici c’est Sook-hee elle-même qui, pour défendre le sien, finit par péter la gueule à son meurtrier de mari. Dans la pièce, Chimène, qui promet de faire son deuil, finira par marier Rodrigue, dans le film, Sook-hee rumine sa vengeance et finira ses jours seule, sans mari ni enfant.

Mais au-delà de ce baroque jeu d’esprit, The Vilainess se présente aussi comme une énième histoire de vengeance racontée dans un récit savamment déconstruit, un casse-tête de 1000 pièces qu’il nous faut, à un rythme fou, recoller. Commençant in media res — et comment ! — le film s’époumone à multiplier les analepses et les prolepses et à diviser les points de vue. Et c’est dans ces allers-retours étonnants entre le passé et le présent, entre les causes et les effets, dans ses changements d’ocularisations et le jeu de ses raccords rarement modalisés (on passe aussi du « réel » aux rêves ou aux souvenirs — bref, aux images mentales — sans jamais crier gare), que le film est le plus captivant et le mieux maîtrisé.

Dès la première scène, le ton est lancé, un subjuguant plan-séquence — dont tout le monde parle — en ocularisation subjective (à l’exemple de ces jeux vidéo « à la première personne ») : on voit le monde comme le personnage le voit. Et ce personnage, dont on épouse le regard et dont le visage nous demeure par le fait même une énigme, kick des culs à qui mieux mieux (une bonne centaine au moins). Puis, c’est quand on lui écrase le crâne dans une glace que le point de vue change violemment. On passe à une habile ocularisation semi-subjective : on voit le personnage voir le monde et on le voit (toujours) comme il le voit. Car la caméra continue de courir, de sauter, de tomber, de bondir, de frapper, de virevolter. Bref, l’image demeure gorgée de subjectivèmes. Et puis, on reverra bientôt la même scène, d’un autre point de vue encore : celui des caméras de surveillance qui ont tout capté, du haut de leur fixité. Une ocularisation objective, cette fois, qui sera réinjectée d’une autre dose de subjectivité, puisque ces images sont vues par d’obscurs sbires travaillant pour le gouvernement et désirant capitaliser sur la force brute de cette attachante « vilaine ». Etc.

Toute la suite de ce récit finement ficelé de fils à retordre nous obligera à jeter, sans cesse, un autre regard — un autre point de vue — sur des scènes déjà jouées et sur ces visages à deux faces qui évitent d’avancer à découvert. Aussi, le « rôle » social qu’on fera jouer à cet étonnant personnage féminin — elle sera actrice le jour et tueuse la nuit — est-il à prendre comme une clé nous permettant de lire l’ensemble du film : dans ce monde où chacun joue un rôle, faut-il croire à tout ce qu’on voit ? (Jean-Marc Limoges)
 



JOJO'S BIZARRE ADVENTURE: DIAMOND IS UNBREAKABLE – CHAPTER 1
Takashi Miike  |  Japon  |  2017  |  119 minutes  |  Compétition Cheval Noir
 
Je ne savais pas grand-chose sur Jojo’s Bizarre Adventure avant de voir cette adaptation du manga à succès signée Takashi Miike — et je ne suis, à vrai dire, pas vraiment sûr d’y piger grand-chose deux heures plus tard. J’ai, pour être honnête, l’impression d’avoir écouté les épisodes cinq et six de la deuxième saison d’une série que je ne suis pas vraiment. Prenant pour acquis que le spectateur sait d’emblée de quoi il en retourne, JoJo’s Bizarre Adventure : Diamond Is Unbreakable — Chapter 1 ne s’intéresse manifestement pas au sort des non-initiés — qui sont pour ainsi dire laissés à eux-mêmes dans cet univers auquel on pourrait accoler le qualificatif de « décalé », faute d’un euphémisme plus inspiré. Le prolifique cinéaste semble ici s’acquitter d’une tâche, livrant un produit relativement compétent mais néanmoins insatisfaisant — pour peu que l’on aspire à y voir autre chose qu’un énième produit dérivé d’une marque de commerce établie. Rien, dans la trame narrative pourtant éclatée que lui offre l’œuvre de Hirohiko Araki, ne permet à Miike de transcender la simple commande — comme il arrivait à le faire, par exemple, avec The Mole Song : Undercover Agent Reiji (2013) ou encore l’amusant As the Gods Will (2014). Les excentricités et autres aspérités du récit sont généralement traitées sans enthousiasme particulier — laissant au final l’impression que Miike s’ennuie un peu aux commandes d’un projet qui nous laisse, nous aussi, indifférent. (Alexandre Fontaine Rousseau)




SUPER DARK TIMES
Kevin Philips  |  États-Unis  |  2017  |  102 minutes

Le premier long métrage de Kevin Philips est bien meilleur que tout ce que sa prémisse éculée pourrait laisser présager – et c’est en soi le signe d’un jeune auteur à surveiller. Quatre ados à vélo, un sachet de pot, Twisted Metal dans la console et un katana plus tard… Le drame de Super Dark Times ne cesse jamais d’être prévisible, n’étonnant que lorsqu’il pousse trop loin les limites de son ton, généralement calme et feutré. Or sa poésie de petite ville boisée, faite d’un montage d’instants effervescents, de plans de brume dans des quartiers vallonnés, d’un cauchemar récupéré d’Antichrist (2009), suffit amplement à transformer ce coming of age bien joué, bien filmé, en incontournable du genre. À l’heure où la complaisance rétro sacre Stranger Things comme autre chose qu’un pastiche maniéré, Super Dark Times a les deux pieds solidement vissés dans les années 90, soutenu avec une authenticité qui traverse sa mise en scène et son dialogue de toute part. Plutôt que de récupérer en archéologue les artéfacts d’une époque révolue pour les astiquer, Philips préfère retrouver dans ces années un rythme bien particulier, celui des sprints à vélo, des Discman, des coups de téléphone en soirée (et sur une ligne personnelle), un rythme qui dicte la logique de son suspense, mais aussi des chamailles adolescentes (qui tournent mal). Les gamins, incarnés avec un naturel qui évoquera assurément leur propre enfance à tous les spectateurs nés quelque part il y a trente ans, ne semblent pas avoir été écrits, pas plus que l’image n’est décorative, mais plutôt vivifiée par une météo humide, de la pluie tombante et des obscurités inquiétantes. Ce naturalisme généreux et décomplexé fait de Super Dark Times l’une des œuvres ouvertement nostalgiques les plus sincères des dernières années. (Mathieu Li-Goyette)




PRÉSENTATION
JOUR 1
(The Vilainess, JoJo's Bizarre Adventure: Diamond is Unbreakable – Chapter 1,
Super Dark Times)

JOURS 2-3
(A Ghost Story, The Honor Farm, Museum)

JOURS 4-5
(Animals, Brigsby Bear, Confidential Assignment, Liberation Day, My Friend Dahmer)

JOURS 6-7
(Bitch, The Little Hours, Origami, Radius, Poor Agnes,
Valerian and the City of a Thousand Planets)

JOURS 8-10
(78 / 52, The H-Man, House of the Disappeared,
The Night of the Virgin, The Senior Class)
JOURS 11-12
(A Day, Cold Hell, Have a Nice Day,
Ron Goosens, Low-Budget Stuntman)

JOURS 13-15
(Good Time, King Cohen, The Laplace's Demon, 
Most Beautiful Island)

JOURS 16-19
(68 Kill,  L'ange et la femme, Fabricated City, Mayhem,
The Tokyo Night Sky is Always the Densest Shade of Blue, Tiger Girl)

ENTREVUE AVEC LARRY COHEN
JOURS 20-21
(Bushwick, Fritz Lang, Geek Girls, Tragedy Girls)

Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 14 juillet 2017.
 

Festivals


>> retour à l'index