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Sommets du cinéma d'animation 2019 : Partie 2

Par Samy Benammar

Les couleurs et les nuances du deuil s’invitent aux sommets de l’animation, au sein d’un Best of Annecy où se tissent entre les films un lien mélancolique. À la croisée des techniques (stop motion, 3D, mine de crayon), les paroles résonnent comme autant de variations sur la perte d’êtres chers, qu’il s’agisse d’un oncle bienveillant, d’un père parti trop tôt, d’une mère morte soudainement où d’un amour que l’Alzheimer plonge dans l’oubli. C’est cette puissance émotionnelle qui, dans une sélection où chacun des dix films mériterait qu’on en dise quelques mots, nous pousse ici à sélectionner les trois courts métrages qui sont parvenus à échapper à l’oubli inhérent à ce type de programmation condensée.

 


:: Oncle Thomas : la comptabilité des jours (Regina Pessoa, 2019) [Ciclope Filmes/Les Armateurs]


Le deuil apparaît d’abord dans les objets où s’inscrivent les souvenirs, ceux d’un oncle avec qui Regina Pessoa a appris à dessiner et dont elle immortalise la mémoire dans
Oncle Thomas : la compatibilité des jours. Tactile et sensible, l’approche graphique de la réalisatrice prend comme point de départ les artefacts laissés par son oncle : des couteaux de toutes tailles, une paire de lunettes, un ruban à mesurer et des centaines de pages de comptabilité dont la texture vieillie devient l’inspiration du reste du traitement visuel tandis que les lignes droites commencent à construire la personnalité obsessionnelle d’un personnage dont les troubles fascinent le regard de l’enfant qu’a été Régina. Les séquences en stop motion ancrent ainsi le récit dans une réalité tangible qui discute avec des dessins vacillants entre croquis inachevés d’espaces dont les détails se sont effacés et rituels, ablutions et mine taillées compulsivement, qui eux s’animent avec précision. Ici on taille un crayon, là on attache une cravate, puis trace une ligne sur ce carnet qui hante la réalisatrice copiant le comportement de son oncle. Mais la ligne déborde des feuillets, elle devient fusain brulé au coin du feu pour dessiner sur les murs, dans un acte de rébellion qui permet quelques secondes d’échapper à la rigidité des nombres. C’est là qu’a lieu en même temps que le portait sensible d’un homme blessé, l’histoire de la genèse de l’œuvre de Regina : ces visages griffonnés pour se libérer à la lumière du brasier, d’une lourde histoire. Le deuil de l’oncle Thomas devient, dans une touchante douceur, le début de la carrière d’une animatrice qui nous transmet ses doutes entre les traits tremblants des souvenirs.

 


:: Mémorable (Bruno Collet, 2019) [Vivement Lundi]

Dans Mémorable, on essaye aussi de rassembler ce qui survit au temps mais la mémoire s’effrite plus vite que les mots que se note ce grand-père. Le regard se vide progressivement, au rythme de l’Alzheimer qui l’affaiblit. Le personnage de ce court métrage est un homme vieillissant dont le monde, à l’image de ses peintures, perd de plus en plus de détails, glissant doucement d’une toile réaliste vers l’impressionnisme pour finir, on s’en doute, en une abstraction de couleurs qui représente métaphoriquement la perte progressive des repères liés à la maladie. Classique dans sa forme, ses dialogues notamment qui sonnent souvent faux, Mémorable s’inscrit dans une tradition du court métrage qui ne surprendra personne mais qui parvient à construire des personnages suffisamment convaincants pour que l’on se laisse emporter par ses figures de styles, certes éculées, mais dont la réalisation reste remarquable. Le stop motion permet de donner du relief à ces visages qui se déforment sous le regard d’un père qui ne distingue plus, dans les yeux de son fils, que du Francis Bacon. La 3D donne lieu à certaines séquences inventives, dont la danse finale, un peu larmoyante mais non moins touchante (on pensera forcément à Ryan de Chris Landreth lors de cette séquence). Ainsi Mémorable devient la trajectoire d’un deuil double, celui d’un vieillard renonçant à la réalité qu’il oublie et celui de ses proches acceptant au rythme d’une animation de plus en plus dépouillée, qu’il sombre dans la maladie. Le résultat ne prend pas vraiment de risque et conforte plus qu’il ne rafraichit le paysage de l’animation, on prend pourtant un plaisir un peu coupable devant le romantisme de l’œuvre de Bruno Collet.

 


:: Daughter (Daria Kashcheeva, 2019) [FAMU/MAUR film]


C’est dans la froideur de Prague que prend forme le film le plus chaleureux du programme
Best of Annecy. Récompensé à juste titre dans presque tous les festivals qui l’on accueilli, Daughter est un film très personnel de la jeune réalisatrice tchèque Daria Kashcheeva. L’animation en stop motion vient rompre les habitudes du genre pour proposer une œuvre qui joue énormément avec la profondeur de champ et les courtes focales, nous permettant ainsi d’entrer dans l’intimité de ses marionnettes. La caméra se déplace dans les maquettes, privilégiant les « plans rapprochés » aux « plans d’ensemble », ce qui donne un caractère extrêmement singulier à ces personnages aux visages miniatures dont les émotions passent autant par les cadrages que les textures des coups de pinceaux dessinant leurs traits. Discrète, la virtuosité technique de Daughter est entièrement mise au service du film, rendant l’univers tangible en faisant des choix déroutants : les yeux par exemple sont simplement redessinés en couches superposées sur le papier-mâché et le frame rate oscille entre quelques images (3 ou 4) par secondes et des mouvements de caméras réels qui permettent des transitions fluides. Les simples mises au point allant des larmes de la fille au regard malade du père sur son lit ou encore les moments complètements abstraits où les images se percutent pour signifier la course contre le temps de personnages qui essayent une dernière fois de se dire qu’ils s’aiment, créent des moments efficaces et perturbants. Muet, Daughter joue avec nos émotions, nous enferme dans son univers et parvient à trouver un équilibre parfait entre narration et symbolisme afin de transmettre, plus qu’une histoire, une atmosphère que l’on embrasse au bord des larmes, dans une expérience visuelle où le deuil est plus sensoriel que narratif.

 

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Article publié le 8 décembre 2019.
 

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