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Spécial sexe
C’est à un Spécial sexe plutôt pudique que nous a convié Jarrett Mann, au Théâtre Plaza, mercredi dernier, après avoir expliqué au public que cette catégorie fut créée, il y a quelques années, en constatant que de nombreux courts métrages exploraient cette thématique. En cela, SPASM est un festival à l’écoute des préoccupations de ses cinéastes. Cependant, cette cuvée 2017 s’est montrée beaucoup plus prude — presque politiquement correcte — que celles des années précédentes. La qualité nettement supérieure des productions aurait-elle édulcoré quelque peu le propos ? La maîtrise technique aurait-elle inhibé les artistes ? Le souci esthétique aurait-il agi comme spécieuse censure ? Or, à travers la thématique sexuelle, c’est plutôt sur une autre question que ces films se seront penchés : la solitude.
Marie suce tue ? (Sébastien Trahan, 7 min.) nous faisait voyager, en voiture, avec un couple de francophones – elle Québécoise, lui Belge — qui s’adonnait, pour passer le temps, à une sorte de « vérité ou conséquence » peu concluant qui nous apprenait ce que l’on savait déjà : qu’une femme d’ici et qu’un gars de là-bas pouvaient camper, à leur façon, « deux solitudes », matrone et macho ne faisant pas toujours bon ménage.
:: Be my First (Philippe McKie, 2017)
Be my First (Philippe McKie, 11 min.) racontait, dans une esthétique rose néon, l’histoire d’une jeune Japonaise marchandant sa virginité sur le net : on pourra la dépuceler pour quelques yens. Le court métrage nous racontait habillement (quoique de façon un peu trop appuyée — pourquoi le flash-back nous montrant ce que nous avions déjà compris ?) l’histoire du point de vue de cette (fausse) vierge qui, au fond, brisait subrepticement, à l’insu du paternaliste parthenophile qui s’activait (mais au su du spectateur qui comprend assez vite le racket), des gélules rouges sur le drap en guise d’hymen déchiré ; la fille se prostitue et atteint ses orgasmes, une fois le client parti, seule, dans sa douche.
Le jouissif Hermetic Dating Rituals (Brent Sievers, 2 min.) — naïvement crayonné, vivement coloré, nerveusement monté, ponctué de très gros plans et traversé d’une bande-son psychotronique — racontait l’histoire d’un homme seul qui, se rendant chez une fille rencontrée en ligne que le rituel satanique excite diablement, finira au fond de son donjon, pendant qu’elle s’envoie en l’air avec un bouc, meurtri… et seul.
Dans un minimalisme affiché qui évoquait la Webtélé, Bros (Jean-Martin Gagnon et Philémon Crête Vandales, 8 min.), faisait de nous les témoins privilégiés — et bientôt un peu voyeurs — d’une discussion entre Will et Félix qui allait, entre deux joints et deux parties de Nintendo, prendre une curieuse tournure. Une caméra fixe, posée frontalement, cadrant le divan du sous-sol dans un plan demi-ensemble et des coupes savamment opérés (tantôt pour ellipser d’insignifiants propos, tantôt pour nous donner à voir des flash-back que les gars rejouaient) nous montraient les deux bros qui, au terme de la discussion pendant laquelle chacun testait les inhibitions de l’autre, allaient se branler, côte à côte, sur de la porn gay. Deux autres solitudes.
La nuit je danse avec la mort (Guillaume Blanchet, 6 min.) nous faisait pénétrer dans la psyché d’un jeune homme seul qui, lors d’une soirée bien arrosée, avale une phosphorescente substance lui permettant d’atteindre un interminable orgasme que le délire visuel et coloré allait nous faire vivre également. Jack a-t-il vraiment baisé avec cette fille ou l’a-t-il seulement imaginé ? L’a-t-il fait seul ou avec d’autres ?
Dans un ratio carré étouffant et un noir et blanc déprimant, Screw me and Leave (Paul Lazar, 9 min.) rendait bien compte de la solitude de cette fille que de nombreux amants d’un soir ramonaient fougueusement avant de repartir ipso facto. Grâce à (ou à cause d’) une bande-son légèrement déficiente et une sublime direction photo (notamment lors d’une danse pendant laquelle des effets stroboscopiques allaient souligner l’écart de cette étudiante en sociologie… et la société), le court métrage nous donnait, lui aussi, à voir une fille qui allait finir par se procurer — seule — le plaisir vivement et vainement demandé aux hommes en se chatouillant le clitoris dont le court métrage suivant allait nous raconter l’histoire.
:: Clitoris (Lori Malépart-Traversy, 2016)
Que dire du didactique et sympathique Clitoris (Lori Malépart-Traversy, 3 min.), une animation en rose et blanc, dont l’espiègle et cristalline narration nous offrait une dose d’informations ahurissante que le candide dessin allait enjouer pour notre plus grand plaisir ? Ce minuscule organe ne permet-il pas à la femme de se procurer, seule, un plaisir que lui ont trop souvent refusé les hommes ?
Enfin, le soutenu et surprenant Judy (Alex Kavutskiy et Ariel Gardner, 10 min.) allait clore la soirée en force. Un jeune célibataire reçoit un étrange colis : une blonde androïde de latex vêtue qui lui propose d’accomplir toutes les tâches qu’il jugera bon lui faire exécuter. Comme tout homme, ses premières pensées seront sexuelles : « Puis-je te baiser ? », « Puis-je te venir dans le cul ? », « Suces-tu ? » Grâce à son esthétique blanchâtre et épurée, le court métrage nous fait jovialement accepter une prémisse futuriste dont il rompra comiquement les fondements lorsque l’homme apprendra — et nous avec lui — que cet androïde est en fait une vraie femme qui cherche sans doute à combler le manque affectif dans lequel la laisse croupir un mari jaloux. Le taupin viendra la chercher, la tirera à la maison tel un homme des cavernes, et laissera notre homme retrouver sa solitude.
Ce Spécial sexe résonnait comme un cri du cœur.
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Les inclassables # 2
Cette deuxième soirée de courts métrages pour lesquels SPASM a « Carte blanche » aurait très bien pu être titrée « Les incassables ». En effet, chacun de ces films nous montrait des personnages en danger qu’un instinct de survie allait désespérément mouvoir. S’en sortiront-ils indemnes ? Pas toujours !
Curve (Tim Egan, 10 min.) donnait le coup d’envoi à la soirée. Épuré, inventif, efficace, gommant volontairement sa prémisse pour laisser place à l’angoisse la plus pure, le court métrage nous montrait — sans expliquer pourquoi ni comment — une jeune femme se réveillant, passablement amochée, sur une surface de ciment glissante et incurvée, au bas de laquelle l’appelait un grondant abîme. Elle doit déployer de surhumains efforts pour remonter, sur le dos, une paroi dont rien ne laisse deviner un sommet. Les bruits assourdissants, les angles obliques, les gros plans oppressants, l’obscène profondeur de champ, le montage austère, les péripéties savamment égrenées, les incompréhensibles inserts sur une mer déchaînée, l’impossible posture du personnage, le décor grisâtre, le sombre abysse, la pluie fatale, tout, dans ce petit bijou australien, contribuait à susciter la terreur. La chute, dont on se gardera bien de révéler l’issue, finira de nous achever.
:: Keep the Customer Satisfied (Quentin Fabiani, 2016)
Keep the Customer Satisfied (Quentin Fabiani, 9 min.) levait le voile sur un tabou qui hante le monde du sport : les commotions cérébrales. Alors qu’on se demandait si — et comment — le personnage du précédent film allait s’en sortir, il nous sera d’entrée de jeu crûment annoncé que le hockeyeur au centre de ce film-ci allait y laisser sa peau. La dissection de son cerveau meurtri et le commentaire explicite d’une universitaire sauront, dès le proleptique générique, nous dire combien toute la discussion qui suivra, autour d’un souper regroupant le joueur en question, sa femme, sa mère, son fils, son ami et son gérant, sera vaine. Forcé de taire sa commotion sous peine de perdre un gros contrat et beaucoup d’argent — et de décevoir, du même coup, les spectateurs —, le sportif en paiera de sa vie. Sa chute sera, pour lui aussi, fatale.
Après un court métrage nimbé d’angoisse et de mystère et un autre aux visées plus concrètes et politiques, le dessin animé suivant viendra dérider la foule tout en racontant l’histoire d’un personnage luttant lui aussi pour rester en vie (ou disons, pour retrouver une vie plus décente). Gokurosama (coll., 7 min.) part d’une prémisse toute simple — une vieille femme, en préparant ses sushis dans un restaurant sis au centre commercial qui ouvrira sous peu ses portes, a le dos malencontreusement coincé — et mène son récit vers son rééquilibre — elle retrouvera sa verticale posture — en passant par une avalanche de péripéties toutes plus comiques et absurdes les unes que les autres nous révélant que, même dans le monde hyper technologique qui régit la société japonaise, tout peut se déglinguer en moins de deux. Après Garden Party, Résistance, La nuit je danse avec la mort, Gokurosama et (comme on le verra sous peu) Poilus, on peut affirmer sans se tromper que les films de la MOPA — avec leurs surenchères d’idées brillantes, leurs personnages attachants, leur esthétique diversifiée et leur réalisation soignée — méritent dorénavant toute notre attention.
Quittant l’esthétique inquiétante, réaliste ou bédéesque pour un traitement plus gore, le court métrage Undress me (Amelia Moses, 13 min.) nous fera partager le destin d’une jeune gothique un peu timorée qui, après une baise d’un soir, se voit littéralement tomber en lambeaux. Luttant, elle aussi, pour retrouver son apparence d’origine, elle retournera voir son one night pour lui demander — en vain — réparation : « You’ve done something to me. You’ll have to fix it. » Si la réalisation d’ensemble souffrait de quelques maladresses, on applaudira toutefois les très convaincants effets spéciaux.
Situant son action dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, Poilus (coll., 4 min.) remplaçait ses soldats par d’attachants lapins dont les longues oreilles allaient bientôt trouver leur justification. L’un d’eux, visiblement peu apte à se battre, préférera lutter à sa façon : en jouant de l’harmonica. Alors qu’un insensible général envoie son instrument dans la boue, qu’une bombe éclate, que l’assaut est donné, que tous se dispersent et se perdent de vue, notre lapin rencontrera un cadavre dans la main duquel repose un autre harmonica qu’il lui arrachera non sans avoir hésité, pour se remettre à souffler. C’est alors que, dans la fumée des obus, les oreilles des camarades se dresseront comme un drapeau blanc agité pour la paix.
:: Le secret du plaisir (Hughes Provencher, 2017)
Ne se prenant visiblement pas au sérieux, Le secret du plaisir (Hughes Provencher, 15 min.) allait offrir aux spectateurs une solide dose de délire. Présentant deux actions distinctes dans un montage parallèle qu’une inexplicable finale rapprochera, le court métrage nous donnait à voir, d’une part, un homme avouant à une femme sa fascination pour un code secret qu’on a un jour laissé sur son répondeur, de l’autre, deux paumés curieux de connaître le « secret du plaisir ». De superbes plans de pylônes électriques dans des décors embrumés et enneigés, une bande-son psychotronique juste assez dérangeante et un jeu très crédible des comédiens — dont celui savoureusement extravagant de Guillaume Ouellet —, font de ce film un objet de curiosité dont le « secret » ne nous sera toutefois jamais révélé. Au terme de cette lutte lors laquelle des personnages tentent de résoudre, chacun de son bord, une énigme qui les taraude, le spectateur lui-même devra lutter pour déchiffrer le générique en lettres blanches sur fond blanc. Non, Provencher ne se prend pas au sérieux.
La soirée allait se terminer par un court métrage au scénario fort simple (presque simpliste) et à la réalisation soignée (presque aseptisée) qui allait résumer à lui seul la thématique de la lutte filée d’un film à l’autre : Lucha (Eddie Rubio, 19 min.). Construit sur deux temporalités — l’époque contemporaine où le fils d’un ancien lutteur est contraint de vendre le centre d’entraînement familial à une bande de rapaces et un passé lors duquel fiston a vu son père se faire tabasser parce qu’il refusait obstinément de laisser son gym —, le film, avec force gros plans, de redondantes musiques sirupeuses, de multiple rack focus et de bien faibles péripéties, nous donne à voir cette double lutte : celle du père pugiliste et vaincu et celle du fils pacifiste et vainqueur.
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Total Crap Spécial Sexe
Nous l’avons déjà dit, les deux bougres de Total Crap font œuvre utile. En déterrant ici et là toutes sortes de segments télévisuels et cinématographiques, en les projetant dans un contexte auquel ils n’étaient pas destinés et en nous permettant ainsi de leur jeter, sinon des projectiles, du moins un nouveau regard, Simon Lacroix et Pascal Pilote nous donnent la chance de prendre ce recul salutaire et d’adopter ce rassurant ascendant. En prélevant des extraits d’affligeantes émissions, en saucissonnant de pitoyables talk-shows, en remontant de piètres films de série B, en collectant d’insignifiantes publicités, en glanant sur le web d’atterrantes capsules, en décontextualisant ces diverses productions qui, a priori, ne cherchaient aucunement à susciter le rire et en nous invitant à nous en moquer en gang, le tandem nous offre la possibilité de prendre la mesure de la bêtise humaine et le pouls d’une société malade. Sous le couvert de la franche raillerie, c’est à un profond questionnement que le duo convie ses spectateurs qui, peut-être, un jour, se sont fait engluer, lors d’un impardonnable moment d’absence, dans cette médiocrité ambiante et généralisée. Ainsi, certains seront sans doute déchirés entre la nostalgie et l’ahurissement en revoyant d’attristants extraits de Caméra ‘89, de Sur l’oreiller, des Mots pour le dire, de Sexe primer, du Ministère d’Alberto Carbonne, de Garden Party et autres émissions principalement produites par TQS (ou la télé communautaire). D’autres se rappelleront avec désolation — ou apprendront avec surprise — que La Poune, Jeannine Sutto, Louise Turcot, Denis Drouin, Roméo Pérusse, Réal Béland, Jean Lapointe, Pierre Labelle, René Angélil, Donald Lautrec et Donald Pilon ont derrière eux de bien discutables passés. Le reste aura la confirmation que Michèle Richard, André Moreau, Jean-Luc Mongrain, Denis Lévesque, Gregory Charles et le petit Jérémy ont toujours été aussi pathétiques. Quelques-uns se régaleront — ou se désoleront — de voir diverses parodies pornos (d’un mauvais goût consommé) de films ou d’émissions connus : Star Wars, Zorro, Dr. Jekyll and Mr. Hyde, Edward Scissorhands, Teenage Mutant Ninja Turtles, Pokémon, Bob l’éponge… Et puis, on ouvrira — ou fermera — les yeux devant ces hommes à deux bites et ces femmes à trois boules, ces pénis minuscules ou ces énormes poitrines, ces gonzesses qui lâchent des « pets de noune » ou s’en servent pour jouer Jingle Bells à la flûte, ces ventrus énergumènes en string se badigeonnant de mélasse et se trémoussant devant des vieillards impassibles, ces septuagénaires androgynes pérorant à poil dans un français approximatif sur les vertus de la légumineuse, ces mecs s’offrant une autofellation avec un concombre dans le cul, ces travestis s’empiffrant d’excréments de caniche… Bref, c’est un concentré de conneries que les deux larrons nous catapultent à la trogne, secouant notre léthargie et nous sommant de réagir en serrant les dents ou en montrant la gorge.
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La grande soirée horreur
SPASM nous conviait, au Club Soda, à la grande soirée qui a donné naissance au festival, il y 16 ans, « sur un coup de tête », rappelle Jarrett Mann. Les amateurs de films d’horreur et de film gore, les fans de zombies, de démons, de revenants, de monstres, de loups-garous et de maisons hantées allaient trouver de quoi se sustenter devant les 13 courts métrages qui furent présentés lors de cette soirée endiablée. Au-delà des sursauts et du dégoût provoqués, ces films nous avertissaient surtout, chacun à sa façon, que nous n’étions en sécurité nulle part.
Le bal s’ouvrait avec un électrisant jeu de couleurs, de lumières, d’éclairs, d’explosions et de lasers qui nous bousillait les rétines et nous empêchait du même coup de suivre adéquatement son récit haletant. En faisant brusquement passer ses incandescentes chasseuses de l’univers virtuel où elles traquent les fantômes au paisible salon où, trop concentré sur le jeu vidéo auquel il joue, un jeune homme aura à peine le temps de voir sa blonde, subitement transformée en créature démoniaque à son insu, se faire violemment pulvériser, Daemonrunner (Roache-Turner Brothers, 4 min.) nous apprenait que nous n’étions même pas en sécurité dans notre propre maison.
:: Overtime (Craig D. Foster, 2016)
Le second court métrage allait en revanche nous apprendre que, si nous pouvions être en sécurité chez nous, nos invités pouvaient, quant à eux, s’y retrouver en danger. Overtime (Craig D. Foster, 8 min.) commençait plutôt efficacement en filmant en extrêmes gros plans les gestes quotidiens et répétitifs d’un jeune fonctionnaire : les dents pointues de la dégrafeuse, le stressant cliquetis du clavier, l’encre rouge du stylo, le grognement sourd de la déchiqueteuse… nous montrant par là que le moindre outil dissimulait sa dose d’épouvante. La suite allait par contre tomber dans des conventions scénaristiques un peu surfaites : notre fonctionnaire est un loup-garou qui, pressé de rentrer chez lui parce que la pleine lune se montre le bout du nez, doit sans cesse abattre un boulot de dernière minute que son patron lui impose (pour une raison que nous apprendrons sous peu). On aura entrevu — ou sinon déjà vu — la fin : réussissant enfin à quitter le boulot, mais arrivant chez lui déjà métamorphosé, il constatera que sa famille, ses amis et ses collègues lui avait préparé, pour son anniversaire, une surprise. Or, la surprise, ce sont eux qui l’auront quand la bête les dévorera un à un, pendant le générique final.
Si personne — ni nous-mêmes ni nos hôtes — n’est en sécurité à la maison, peut-être faut-il trouver la paix ailleurs, dans une résidence secondaire par exemple ? Le Loup (Carl Tremblay, 15 min.) allait nous prouver le contraire. Un jeune homme ayant trompé sa copine invite celle-ci dans un chalet loué à un inquiétant bonhomme afin de regagner son cœur. Verre de vin, piano, musique langoureuse, feu de cheminée, peau d’ours… les choses se déroulent rondement jusqu’à ce que d’inquiétants moines masqués de tête d’animaux viennent kidnapper les tourtereaux et les ligoter à un arbre dans une forêt où ils opéreront un sacrifice satanique. Or, malgré un arsenal de procédés cinématographiques intéressants — superbe paysage québécois, grand-angle, timelapse, rack focus… —, le scénario, en jouant sur le fait que ce n’est jamais celui que l’on croit qui se cache sous le masque, s’enlisait, lui aussi, dans une finale quelque peu convenue. Et il en rajoutait une couche en nous montrant, après le générique final, un second couple louer le même chalet au même bonhomme offrant la même réplique.
Et si, restant chez nous, nous trouvions une cachette, une planque, un abri, à l’intérieur même de la maison ? Après avoir expliqué que le court métrage était la meilleure école pour « essayer différentes affaires », le réalisateur de Banshee (Adam O’Brien, 14 min.) a avoué que l’idée de son film lui était venue de son enfance, cette époque où il s’imaginait, comme tant d’autres, qu’un monstre était caché sous son lit. Ayant eu peur dans le bois où elle s’est perdue, ayant peur dans le foyer où elle est revenue, la petite Olivia n’a même plus sa garde-robe — cette maison dans la maison — pour s’y réfugier et s’y trouver en sécurité : le monstre rencontré dans la forêt s’y cacherait. La discussion (un peu longuette) entre la petite fille et sa grande sœur — par ailleurs bien dirigées — allait récompenser notre patience par un délirant voyage et une glaçante finale nous faisant découvrir le visage craquelé du monstre, bien réel, qui se cachait dans ce sombre et abyssal placard.
Surfant sur une prémisse semblable, Even the Darkness has Arms (Chris Bavota, 2 min.) nous fera voir — malgré une direction photo déficiente et un scénario rapidement expédié — que la chambre à coucher est aussi le lieu où les cauchemars semblent s’extirper de notre psyché et prendre concrètement corps pour s’attaquer ensuite à ceux qui n’en sont même pas habités.
Situant, à son tour, son action dans la forêt, le très beau, très pur, très vif et très coloré dessin animé suivant – Natsuko (Alexandre Lusignan, 2 min.) – allait proposer une relecture gore de petit chaperon rouge et nous apprendre que si les petites filles ne sont jamais en sécurité dans la forêt, les loups ne le seront dorénavant plus eux-mêmes lorsqu’y débarquera la pulpeuse et hyperstylisée Natsuko.
Nous ne sommes donc en sécurité, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur. C’est ce que nous dira, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Lady in Red (Edgar Nito, 3 min.), qui situera le danger — provenant ici d’une autre pulpeuse femme en rouge dont les cuisses charnues sont par contre dévorées par un « noir bataillon de larves » —, tantôt dans l’ascenseur où elle a séduit un homme, tantôt hors de l’ascenseur d’où celui-ci s’est enfui.
À la fois impressionnant tour de force (le film est tourné en un plan-séquence dénotant une solide maîtrise de la mise en scène) et savoureux hommage à Halloween (le plan séquence lui-même renvoie à l’ouverture du film de Carpenter et le masque du tueur, à l’effigie de Mr Spock, n’est pas sans faire écho au masque de William Shatner que portait Michael Myers), Night of the Slasher (Shant Hamassian, 12 min.) développait une intelligente prémisse : une jeune fille qui avait sans doute échappée de peu à un tueur entreprend de le faire revenir chez elle en transgressant un à un tous les « interdits » des slasher movies (danser à moitié nue, boire de l’alcool, fumer de l’herbe et avoir une relation sexuelle). Le guet-apens fonctionnera, le tueur masqué se pointera et le film nous donnera à voir un interminable et prenant duel. Quand on n’est en sécurité nulle part, autant faire soi-même venir le danger à la maison.
Cauchemar capitonné (Jean-Claude Leblanc, 9 min.) posait non seulement une intéressante question — serions-nous prêts à nous asseoir dans une chaise grâce à laquelle un homme s’est pendu ? —, mais explorait aussi habilement sa prémisse : et si, quand on s’assoyait dans cette chaise, des visions d’horreur nous apparaissaient ? Si aucun lieu ne peut nous offrir la sécurité attendue, cette chaise nous apprend que, peu importe où nous la poserons, le lieu deviendra diabolique.
Après la chaise hantée, Polaroid (Lars Klevberg, 16 min.) nous présentait un appareil photo hanté. Dans ce court métrage où la tension était soutenue, mais la substance un peu maigre, nous apprenions que c’étaient les objets qui pouvaient déclencher la panique et nous indiquer à tout le moins où, dans la maison, se trouvait le danger.
Après la chaise, après l’appareil photo, c’était au tour de la guitare électrique à être hantée. Dans une facture délibérément maladroite et sanglante à souhait rappelant les premières heures du festival, Death Metal (Chris McInroy, 5 min.) nous montrait un poilu dans un parc tenter de ramasser quelques sous en jouant de la guitare dont la tête en forme de hache décollait comme une soucoupe volante pour trancher les membres de tous les badauds qu’elle allait rencontrer sur son passage. Aucunement politicaly correct et totalement désinhibé, le court métrage nous montrait des jeunes et des vieux, des fillettes et même des poupons se faire promptement zigouiller. Moins le sérieux est au rendez-vous, plus les tabous semblent transgressés.
:: Buzzcut (Michael Marrero et Jon Rhoads, 2016)
Évoquant un cataclysme qui fait en sorte que les gens explosent sans prévenir, Buzzcut (Michael Marrero et Jon Rhoads, 9 min.) allait nous apprendre que nous ne sommes en sécurité, ni dans les parcs, ni nulle part dans la ville. Mais le court métrage allait poser sur cette prémisse fantastique une autre prémisse, combien plus réaliste : Jane ne pourra baiser sa blonde que si elle se fait couper l’hirsute tignasse. Or, comme tous les coiffeurs de la ville explosent aussi, et que notre lesbienne a une terrible envie de s’envoyer en l’air, la quête prendra des dimensions épiques. Elle devra même, au mitan du récit, terrasser un improbable diable pour consulter un annuaire téléphonique qui lui fournira la liste de ceux qui pourront peut-être lui donner la coupe de cheveux qui lui permettra enfin de tirer son coup. Bref, après une course folle dans la ville en vélo — dont un mode singulatif rendra comiquement compte —, on arrivera à une finale (explosive !) qui ne pouvait pas être autrement que celle pour laquelle le récit était fait.
La soirée se terminait en force avec un court métrage sur l’adrénaline et rempli l’hémoglobine : Wyrmwood (Roache-Turner Brothers, 7 min.), qui situait son action dans un bunker grillagé où des zombies encagés attendaient que d’impassibles hommes vêtus de combinaisons et casqués de masque à gaz déchiquettent sans pudeur leurs corps. Le sang gicle, éclabousse, tapisse les murs. Parmi les victimes, une femme, atrocement forte, mue par un violent désir de vivre, sachant se battre, réussira à s’enfuir de cet antre sanguinolent. On admirera la mise en scène hyper chorégraphiée et l’originalité avec laquelle cette pugiliste invétérée s’en sort. Or, si ce sous-sol métallique était le lieu le moins sécuritaire sous la Terre, on apprendra assez vite que la surface de la Terre l’est encore moins.
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Remise de prix
C’est donc après une soirée forte en émotions que le jury — composé des Blood Brothers (Carlo Harrietha et Jib Bérubé), de Sébastien Landry et de Laurence « Baz » Morais — est venu décerner les prix tant attendus.
Les quatre membres ont d’abord offert plusieurs mentions.
Un film d’animation les a unanimement conquis et méritait qu’on le nomme : Résistance (Alex Chauvet, Anna Le Danois, Quentin Foulon, Fabien Glasse, Juliette Jean et Julie Narat, 7 min.).
Un film aurait reçu un prix pour le montage (s’il avait existé), étape de la postproduction que chacun des membres du quatuor connaît bien : Iron Spyder (Chris Mitchell et Yoav Lester, 11 min.).
Un autre film aurait reçu un prix (s’il avait, lui aussi, existé) pour le court métrage le plus gore : Termitator (Camille Monette, Roxane De Koninck et Keenan Poloncsak, 14 min.).
Les quatre jurés ont aussi proposé une mention « coup de cœur » pour un film qui les a « jetés à terre » : Ruby pleine de marde (Jean-Guillaume Bastien, 18 min.).
Et puis, ils ont tenu à souligner les « éternels deuxièmes ». Une première mention pour Petit poulet (Nicolas Legendre, 7 min.), dont le scénario, le jeu, etc. méritaient l’attention. Une deuxième mention pour La nuit je danse avec la mort (Guillaume Blanchet, 6 min.), dont les expérimentions visuelles, notamment, ont ébouriffés les membres. Une troisième mention pour The Robbery (Jim Cummings, 10 min.) et sa crack head qui vole dans un dépanneur où sont utilisées des armes peu conventionnelles. Et une quatrième mention pour Curve (Tim Egan, 10 min.) « parce que c’est un film dans lequel tu rentres immédiatement sans trop comprendre ce qui se passe ».
Vint enfin la remise de prix officiels.
Le Prix du meilleur film de science-fiction est allé à Breaker (Philippe McKie, 10 min.) pour l’intelligence de son scénario et la façon très juste qu’il a eu de peindre un futur déjà proche.
Le Prix du meilleur film d’horreur est allé à Night of the Slasher (Shant Hamassian, 12 min.) pour, notamment, sa très grande maîtrise technique et son brio scénaristique.
Le Prix du meilleur scénario est allé à 8=D (Charles-Alex Durand, Jonathan Larose et Philippe Morel, 18 min.), un film pour lequel chacun s’est dit : « Fuck ! C’est moi qui aurais dû l’avoir cette idée-là ! »
Le Prix de la meilleure réalisation est allé à Lucha (Eddie Rubio, 19 min.), un film qui, malgré ses 19 minutes, « nous donnait l’impression d’avoir assisté à un long-métrage ».
Enfin, le Prix du jury est allé — pour son scénario, sa direction artistique, ses effets spéciaux… – à Lost Face (Sean Meehan, 14 min.), « un film qui nous habite longtemps après l’avoir vu ».
Quant à lui, le Prix du public, remis au Café Cléopâtre, vers minuit, est allé à Ruby pleine de marde (Jean-Guillaume Bastien, 18 min.).
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Kino Kabaret
Il serait fastidieux de s’attarder aux 16 courts métrages (d’inégales qualités), réalisés en moins de deux semaines — pendant la durée du festival — et qui furent présentés samedi soir, au Club Soda, tout juste avant la traditionnelle soirée costumée, qui clôt officiellement l’événement. Aussi nous contenterons-nous de nommer nos trois coups de cœur.
Le film russe de Lawrence Côté-Collins : À cheval entre le film expérimental et la parodie de n’importe quoi, ce court métrage assumait franchement sa désinvolture sans pour autant être fait tout croche. Construit grâce à quelques plans fixes nous donnant à voir, dans des lieux carrés, une femme ronde, tantôt effectuer, sur une insupportable musique cacane et d’agressants jappements canins, une danse erratique pendant laquelle elle piquait du lilas, du lupin, de la lavande et autres fleurs mauves dans le sol, tantôt crémer exagérément des cup cakes, mauves eux aussi, sous les yeux vides de son insignifiant chien téléguidé, et ce, toujours en regardant imperturbablement la caméra, le film de Côté-Collins campait l’essentiel de son « action » dans un immense intérieur kitsch entièrement décoré de papier peint, de tapis, de couverture, de coussins, de bottes de pluie, de bibelots et de toutes sortes d’inutiles objets zébrés, pour terminer avec un punch — en russe ! — livré par un homme tout de brun vêtu et jurant dans le décor : « Que faites-vous chez moi ? »
Hypocondriaque de Carnior : Fort de 30 Kino, il faut convenir que Carnior est un habile artisan qui sait rendre la commande. Il prend le temps d’élaborer une maquette représentant un paysage lunaire, une maquette fort bien faite d’ailleurs (mais qui a l’air d’une maquette quand même), et qui donnera le ton — un ton pas sérieux du tout et sans prétention aucune — à ce récit qui se passe dans l’espace. Il y fait rouler une jeep téléguidée (qui a l’air d’une jeep téléguidée), sur un fond de musique country qui sourd de sa radio, et coupe comiquement sur son habitacle pour nous donner à entendre une triviale chicane de couple, néanmoins ponctuée de petites trouvailles (« Ici, le seul face à face qu’on peut faire c’est avec rien. »), laquelle devient, sans doute grâce à ce judicieux décalage, soudainement digne du plus grand intérêt. La finale rendra hommage, sans surprise, mais pour le plus grand plaisir de tous, à Alien.
Nature, morte. de Maxime Cormier : La soirée se terminait avec un film aux tonalités incomparablement plus morbides que les précédents. Une femme, au teint curieusement cadavérique, mais par ailleurs fort avenante, découvre avec effarement sa notice nécrologique dans le journal. Son mari, à qui elle en fait part, lui assure, avec un flegme mesuré, que c’est une erreur. Le tout est joué avec retenue, sans émotion. Elle a le regard vide, les joues creuses, le teint pâle, elle vomit, ne mange plus… Quelque chose ne tourne pas rond dans ce ménage que la routine semble avoir encroûté. Le minimalisme du jeu et du décor contribue à plomber l’ambiance. Seule l’arrivée inopinée d’un plombier — que le mari s’empressera de renvoyer — viendra colorer et déstabiliser le train-train du couple. La suite allait nous laisser un goût amer dans le fond de la gorge. Avant d’aller travailler, l’homme ligote placidement sa conjointe au lit, laquelle présente alors un visage verdâtre et putréfié qui ne laisse plus aucun doute sur son état, et cadenasse la porte de la chambre. Réussissant à se défaire de ses liens, elle hurlera de toutes ses forces et frappera de tous ses poings. Son mari laissera choir, de l’autre côté du mur, la réplique qui offrira à penser : « Je t’aime. Je te donne trop d’amour. Et tu ne sais pas quoi faire avec cet amour-là. » Simple film de zombies, troublant drame psychologique ou attristante métaphore de la femme au foyer ?
Notre Top 10
D’abord, cinq mentions :
Pour l’étonnante sincérité du jeu d’acteur, l’ambiance soutenue, mystérieuse et feutrée, le sens du détail et la façon de prélever un moment du quotidien de ses personnages : La voyante (Alexis Fortier Gauthier et Alexandre Auger, 18 min.).
Pour la candeur, la jovialité et la spontanéité avec lesquelles il fut réalisé, ainsi que pour le (délicat) sujet choisi et le très drôle traitement offert : 8=D (Charles-Alex Durand, Jonathan Larose et Philippe Morel, 18 min.).
Pour son absurdité assumée, ses paysages embrumés et irréels, sa bande-son psychotronique, son récit éclaté et le jeu très différent, mais toujours solidement campé, de chacun de ses comédiens : Le secret du plaisir (Hughes Provencher, 15 min.).
Pour son coup de crayon assuré, ses couleurs éclatantes, ses formes franches, le jeu sur la profondeur dans chacun de ses plans, sa beauté plastique d’une rare pureté : Natsuko (Alexandre Lusignan, 2 min.).
Pour sa mise en scène simple et inventive — un miroir de salle de bain, un pare-brise d’auto –, son montage nerveux, sa façon de raconter une histoire, sans dialogues, et de nous faire vivre les émotions par l’image et le son : 3:36 (Jean-Philippe Ferré, 13 min.).
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10° Pour le portrait de trois amis tracé de façon oblique, pour cette façon de suggérer les choses plutôt que de les expliquer, pour l’évocation pudique et économe du passé et notamment pour ce plan très émouvant où on devine le trio boire au cimetière en souvenir d’un ami perdu : Pisser dehors (Jonathan Beaulieu-Cyr, 15 min.).
9° Pour la façon dont le film a su nous faire adopter le point de vue de sa jeune protagoniste, la façon dont il nous a révélé les informations par ses yeux, pour les deux étonnants revirements qu’il nous aura fait vivre : Monsters (Steve Desmond, 13 min.).
8° Pour son écriture intelligente et (disons-le) visionnaire, pour son propos sociopolitique très sérieux traité sans mièvrerie mais, au contraire, avec un humour incisif, pour la justesse de ses fourmillantes idées : En attendant Pascal (Guillaume Harvey et Marc-André Charpentier, 15 min.).
7° Pour le jeu tout en nuance et mesuré de ses deux acteurs, pour les innombrables répliques savoureuses et pour les incessants revirements de situation : Ordalie (Sacha Barbin, 15 min.).
6° Pour les superbes décors, pour le sublime traitement de l’image, pour le rythme lent grâce auquel le récit a été déployé et pour le jeu juste et convaincant — disons même mémorable — de Martin Dubreuil : Lost Face (Sean Meehan, 14 min.).
5° Pour son sens du comique (la grenouille dans le pot de macarons !), son judicieux recours à la bande-son et au hors-champ, pour la façon dont il nous livre les informations et nous raconte son histoire (dont le propos est ailleurs) : Garden Party (Théophile Dufresne, Florian Babikian, Gabriel Grapperon, Lucas Navarro, Vincent Bayoux et Victor Claire, 7 min.).
4° Pour sa pertinence, son actualité, son acuité, son intelligence et son efficacité : La bite (Pierre Mortel et Jérôme Leroy, 4 min.).
3° Pour sa prémisse surréaliste, pour ses décors minimalistes et remarquables, ainsi que pour sa façon innovatrice et épurée de raconter une histoire (sans jamais perdre notre attention) : Curve (Tim Egan, 10 min.).
2° Pour la touchante utilisation du contrepoint musical, pour la façon peu conventionnelle de déployer son récit, en ne prélevant qu’un moment dans la vie de son personnage, et pour ce plan déchirant sur l’horaire d’autobus qu’il consulte avant de rentrer chez lui : Iron Spyder (Chris Mitchell et Yoav Lester, 11 min.).
1° Pour sa prémisse originale et sa brillante exploitation, pour la façon de nous faire entrer dans son récit (directement dans le climax), pour son montage rapide et sa réalisation soutenue, pour la manière dont il reprend un schéma narratif classique et le conduit avec force à sa fin : iMedium (Alfonso Garcia López, 6 min.).
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