Le renouveau du documentaire ces dernières années a de quoi réjouir au-delà de son abondante offre, toujours plus riche, plus diversifiée et éclatée dans ses esthétiques comme dans ses postures face au réel. Plus qu’une offre bonifiée, l’actuelle révolution (et ce n’est rien de moins) qui traverse la forme passe aussi par un intérêt croissant et franchement impressionnant du public à l’égard de ce cinéma du réel ; en VOD et à la télévision, le reportage fait place au documentaire, c’est-à-dire au regard singulier, à celui qui, plutôt que de ne tirer de son sujet qu’une approche objectifiée, travaille à s’y inscrire. La démarche ne cherche pas à médire, mais bien à insérer la sensibilité des auteurs au cœur même des problématiques tout à fait concrètes dont ils font état alors que certains, comme des urgentistes de l’image, somment leur public de ne plus fermer les yeux sur ce qu’on lui donne à voir.
Au sens strict et culturel, le documentaire manifeste constamment la volonté de renouveler le contrat social qui nous lie tout un chacun, une poignée de main ferme, une forme de rappel placé sous le joug d’une esthétique, d’une recherche visuelle et informative qui donne à voir un état des choses et de la question qui combat l’ignorance, la censure et la massmédiatisation des instances d’information ; le documentaire semble aujourd’hui à la pointe du cinéma parce que les fictions de ce dernier ne sont plus en mesure de faire le travail à accomplir. Plus léger et plus agile, le documentaire est la forme de cette époque éclatée et parcellaire qu’est la nôtre, il plonge dans ce que l’actualité nous donne en surface, il raye ce que le pouvoir politique nous donne en vernis, il est vigilant, actif, réactif, mais aussi l’expérimentateur par excellence d’un langage cinématographique globalement ankylosé.
C’est pourquoi ces Rencontres internationales du documentaire de Montréal qui se tiennent pour la 18
e fois sont d’une grande importance : à travers ce que le documentaire permet et en dépit du rouleau compresseur de la disponibilité numérique, les RIDM conjuguent engagement et rassemblement avec un succès inspirant, œuvrant à offrir à ses festivaliers une programmation riche et plurielle, proposant des nouvelles tant attendues du monde (
Coma,
Homeland [Iraq Year Zero],
Democrats,
Je suis le peuple,
The Other side,
Ah Humanity !), un regard sur la contre-culture (
Machine Gun or Typewriter?,
The 1000 eyes of Dr. Maddin,
The Cult of JT LeRoy) ou encore une approche poétique et radicale du réel (
88 :88,
Object,
Ondes et silence,
Bring Me the Head of Tim Horton). Des films québécois se pencheront aussi sur quelques-uns des sujets les plus névralgiques de notre société (les HLM dans
Les vaillants — film d’ouverture du festival —, un établissement d’accueil dans
Manoir, les oléoducs dans
Pipelines, pouvoir et démocratie, la formation policière dans
Police Académie ainsi que la réforme de l’assurance-emploi dans
Pouding chômeurs), la programmation UXdoc donnera quant à elle à vivre (dans la salle Norman-McLaren de la Cinémathèque québécoise) diverses installations interactives bénéficiant des toutes dernières avancées technologiques (la réalité virtuelle au premier chef). Au rayon des rétrospectives, les RIDM nous enthousiasment avec celle autour de l’œuvre de
Thom Andersen, grand cinéaste-philosophe comme il s’en fait peu ainsi que celle sur la photographie et le documentaire poétique
L’œil du photographe, deux programmes passionnants qui sauront ouvrir les horizons du documentaire et déployer la forme au-delà des conventions d’usage.
Bon cinéma, bons horizons.
CRITIQUES
Ah Humanity!
Democrats
Pipelines, pouvoir et démocratie
Red Hollywood