Le visionnement en rafales de courts et de moyens métrages permet souvent de prendre le pouls d’une société. On y constate très souvent, sous les formes les plus variées et les tonalités les plus diversifiées, les mêmes angoisses, les mêmes interrogations, les mêmes préoccupations. Que pourrait nous apprendre, sur notre époque, le survol de quelques-uns d’entre eux?
Décapant récit d’anticipation situé à Montréal en 2028 dans un mois de décembre sans neige (tiens! tiens! les températures n’ont-elle pas atteint 10 degrés en plein mois de février?),
En attendant Pascal (Guillaume Harvey et Marc-André Charpentier, 15 min.) fourmille d’idées toutes plus brillantes et jouissives les unes que les autres : quatre jeunes
hipsters, enclos sur leur terrasse à l’abri des pauvres hispanophones qui survivent en bouffant des écureuils dans la ruelle, vapotent de la
dope à l’envi, gaspillent de la bouffe à tirelarigot et se
frenchent tout sexe confondu à bouche-que-veux-tu. C’est un retour
du retour du balancier. Après avoir grandi dans une époque exagérément
politically correct (soyons soucieux de l’environnement, mangeons végé, respectons notre prochain, portons le condom, sans oui c’est non, pas d’alcool au volant), voilà que nos protagonistes
slackent la poulie et « se foutent de tout » (même de la sincérité). La délirante parenthèse météo (justement), avec son animateur en
chest égotiste, narcissique et imbu de lui-même n’est pas sans évoquer les frasques de certaines personnalités récemment déboulonnées de leurs piédestaux. Retenons enfin ceci de cette acerbe critique : jetant sans aucun remords et dans un je-m’en-foutisme accablant le repas trop cuit par-dessus sa clôture, notre hôte infatué poussera l’arrogance en déguisant son geste d’un altruisme auquel il ne croit pas lui-même : s’il jette sa bouffe aux poubelles, c’est pour bien
aider les pauvres.
Situant son action dans une buanderie de province,
Le cowboy du mont Laurier (Gabriel Vilandré, 11 min.) lève aussi le voile, à sa façon, sur des questions d’actualité. Nous faisons connaissance avec un sympathique cinquantenaire qui, après avoir sauvé une jeune fille des menaces d’un p’tit
thug, lui propose un
lift pour la conduire au party où elle doit se rendre après son séchage. Or, en cette ère où chaque homme cache un harceleur potentiel, celle-ci hésitera (avec raison) à lui faire confiance : « Qui me dit que vous n’êtes pas un violeur? » Notre homme revêtira alors le costume de cowboy qu’il sort de sa machine, déposera l’aiguille sur un vinyle de fortune et entreprendra une danse aussi gauche qu’attendrissante qui lui prouvera que, au fond, c’est un maudit bon
jack. La jeune fille craque …et finira dans son sac! Après un lieu commun (le téléphone cellulaire de la victime qui sonne dans la poche du filou quand celui-ci quitte la sœur de celle-là qui la cherche et tente de la rejoindre) et une finale surfaite (lors de laquelle il nous jette un regard complice), le film confirme l’adage selon lequel il ne faut pas parler aux inconnus …et encore moins accepter leur aide quand ils revêtent un costume, surtout en ces temps où les masques ne cessent de tomber.
Dans une ambiance tout autre,
No Wave (Stéphane Lapointe, 11 min.) nous plonge dans un cauchemar bleuté et lynchéen dans lequel un homme, s’adonnant à la relaxation après avoir syntonisé, sur sa radio, un poste lui donnant à entendre en continu le bruit des vagues, perçoit avec angoisse les cris d’un homme qui, se noyant, appelle désespérément à l’aide. Aussi absurde que semble la situation, il entreprend de téléphoner à la station pour les convaincre de le secourir. Si nos
hipsters n’avaient qu’à déguiser leur égoïsme en marque de générosité et si le cowboy n’avait qu’à se déguiser lui-même pour convaincre de sa sincérité, notre
lifeguard de service, lui, aura en revanche du fil à retordre pour faire avaler sa véritable mais bien invraisemblable histoire au propriétaire du poste. Pire encore, dans une finale singulièrement surprenante, il paiera même le prix de son altruisme, nous portant à conclure que, s’il ne faut pas accepter l’aide que nous proposent les inconnus, il faut encore moins penser à leur proposer la nôtre. Notre époque nous aura conduit à nous méfier de tout le monde, même de ceux qui veulent notre bien.
Désespérés, désappointés, déçus, faut-il alors se tourner vers les sciences occultes pour trouver quelque réconfort.
La voyante (Alexis Fortier Gauthier et Alexandre Auger, 19 min.) se présentait comme un film simple (un seul lieu), dépouillé (peu d’actions), verbeux (beaucoup de dialogues), classique (champ-contrechamp) dont la judicieuse
job de casting et la rigoureuse direction d’acteurs surent camper une atmosphère qui hantera longtemps le spectateur après le visionnement. Tout repose ici sur la justesse des comédiens et le savant équilibre sur lequel se tient l’écriture de cette histoire intime. La voyante, qui « reçoit [ses] clients chez elle » et qui « écoute leurs problèmes afin de leur venir en aide », nous dit le synopsis, est-elle, malgré ses yeux de biches et son charmant sourire, une charlatane? De minces indices nous permettraient de le penser. Mais qu’importe, puisque cette femme semble réellement aider ceux qui lui font confiance. Suffit-il de croire à l’honnêteté des gens qui nous apportent leur aide – même si ceux-ci portent un masque – pour en jouir réellement?
Dans
Petit poulet (Nicolas Legendre, 8 min.), ce sont deux jeunes ados – ces ados dont on dit qu’ils se foutent de tout – qui apporteront leur aide. Le film capte le
rap battle qu’ils pratiquent dans le
back store de la
shop où ils bossent. C’est tout croche. C’est gauche. C’est
cute. Quittant l’usine où ils s’aliènent sans doute, ils découvrent avec stupéfaction leur patron, juché sur une poutre, la corde au cou, prêt à se jeter dans le vide, pour commettre l’irréparable. Leur but devient dès lors plus grave. Recourant au moyen d’expression qui lui sied le mieux, un des jeunes entreprend, avec une attendrissante maladresse, de le dissuader de sauter. La « bataille » à laquelle ils se rendront ensuite, après ce moment fort en émotions, n’aura jamais paru aussi insignifiante.
S’intéressant aussi au but que se cherche cette jeunesse à la dérive,
Pisser dehors (Jonathan Beaulieu-Cyr, 15 min.) suivra les tribulations de trois amis que la vie a séparés – l’un (croit-on) est parti faire fortune à Toronto, tandis que les deux autres croupissent dans leur
bled – et qu’une seule soirée rapprochera. La caméra portée nous les montre buvant, déconnant, gueulant, riant, jouant et pissant dans les rues de Sainte-Adèle, rêvassant vaguement de partir leur entreprise de lavage de fenêtres (il n’y a pas de sots métiers). Or, aucun des trois n’a la trempe d’un patron, ni celui qui a lâché ses études (et qui ne fait finalement pas fortune à Toronto), ni celui qui souffre de dyslexie, encore moins le gros barbu dont la casquette BOSS (ironie, quand tu nous tiens!) reste vissée sur la tête.
Assez comiquement, le personnage qui aura poursuivi son but avec le plus de ténacité est un garçonnet surdoué cherchant désespérément à entrer en contact avec les extraterrestres.
Émetteur récepteur (Vincent Wilson, 9 min.) nous permet de l’accompagner dans l’élaboration de son outil, d’espérer avec lui recevoir un message de l’au-delà et de découvrer par ses yeux l’aboutissement de ses folles recherches. Placés dans la perspective de l’enfant, dans un monde où l’adulte est absent, nous irons au bout de ses espoirs et apprendrons, dans un revirement aussi charmant qu’inattendu, que l’« Autre » n’a toujours pas les traits que nous lui prêtons.
L’« Autre » aura d’ailleurs les traits d’un vampire dans l’hommage à
Karmina (Gabriel Pelletier, 1996, 110 min.) que propose
Sang papier (Kevin T. Landry, 8 min). Sur un ton éminemment léger, le film raconte l’histoire du vampire Grigore Constantirescu tentant, en déjouant l’autorité, de rentrer au Canada. Il y réussira, non sans avoir été inopinément aidé par sa tante, laquelle cache sa véritable personnalité sous son costume de douanière. Et voilà un film qui nous explique, à sa façon, pourquoi on qualifie le pays de véritable passoire.
Enfin, c’est sur une autre planète que nous voyagerons, pour retrouver, non pas l’« Autre » ou quelque présence extraterrestre, mais le « Même », le proche, le conjoint, pour mieux le voir, justement, avec un regard neuf. Dans
Hypocondriaque (Steve Landry, 5 min.), Carnior prend le temps d’élaborer une maquette représentant un paysage lunaire, une maquette fort bien faite d’ailleurs (mais qui a l’air d’une maquette quand même), et qui donnera le ton – un ton pas sérieux du tout et sans prétention aucune – à ce récit qui se passe dans l’espace. Il y fait rouler une jeep téléguidée (qui a l’air d’une jeep téléguidée), sur un fond de musique country qui sourd de sa radio, et coupe comiquement sur son habitacle pour nous donner à entendre une triviale chicane de couple, néanmoins ponctuée de petites trouvailles (« Ici, le seul face à face qu’on peut faire c’est avec rien. »), laquelle devient, sans doute grâce à ce judicieux décalage, soudainement digne du plus grand intérêt. Voilà la preuve, s’il en est, qu’il faut parfois prendre de tels détours pour voir notre quotidien avec plus d’acuité.
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