Panorama-cinéma retourne au TIFF cette année après une absence de 4 ans ! Notre chroniqueur Mike Hoolboom, l'un des plus célèbres et attachants cinéastes expérimentaux au pays, nous livrera ses impressions de quelques films choisis parmi la sélection du festival. Ne manquez pas la chance d'assister à l'évènement par procuration, mais surtout de vous abreuver de la verve singulière et revendicatrice de Mike, qui ne manquera pas d'évoquer chez vous des images inspirantes ou horrifiques, comme si vous étiez vous-mêmes dans la salle bondée du Ligthbox. — Olivier Thibodeau, éditeur Festivals |
:: Meteor (Atefeh Khademolreza, 2023) [Good Mesure Productions]
Toute révolution est un mème vivant, une force irrésistible, tirée vers l’avant par des corps et des images. La plupart ne sont pas « complètes » ; elles ne réussissent pas à renverser un État ou à changer les esprits et les corps de tous les gens qui vivent à l’intérieur de ses frontières. Mais chaque geste représente un pas sisyphéen de plus dans l’imagination d’un nouveau mode de vie, de nouvelles manières de voir et de toucher.
Dans le cadre de la plus récente édition du TIFF, un court métrage relève le défi de traduire en images la résistance et la réinvention. Meteor d’Atefeh Khademolreza est un rêve animé de 9,5 minutes qui raconte l’histoire de son béguin secret pour Amin, un jeune homosexuel qui vit non seulement sous la menace de la criminalisation des relations sexuelles queers en Iran, mais aussi de leur punition par la peine de mort. À l’aide d’une technique fantasmagorique de rotoscopie numérique, qui permet de tracer par-dessus des photographies et des clips, puis d’ajouter des couleurs surnaturelles, des couches surprenantes et des bordures fluides, l’artiste entremêle l’histoire du mouvement Femme, Vie, Liberté et la sienne. Le film est propulsé par la voix off de l’artiste qui narre une lettre à son ami décédé. C’est une voix hantée par des fantômes et une intériorité insondable — elle connaît trop bien ce qu’il en coûte de parler.
Chaque photogramme déborde de beauté, de vitalité, d’action et de vie. Comme si les contraintes étatiques avaient été levées et les espoirs d’une nouvelle génération pouvaient enfin être réalisés. Avant d’ouvrir le cadre du film à l’État entier, l’artiste s’affaire d’abord à son propre visage préoccupé dans le métro. Reconfigurée de façon délirante par l’animation, chacune des bordures s’effiloche et scintille, tandis que de fines lignes aux couleurs d’arc-en-ciel laissent des traces sur son visage. Des images de protestataires, de brutalités policières et de manifestations sont revisitées de façon similaire, dans un flux rapide et irrésistible qui morcelle fréquemment le cadre en des perspectives multiples, alors que l’artiste redessine des images filmées au cellulaire, des arrestations secrètes et des évasions, des femmes qui retirent leur hijab, mains levées en solidarité.
La question primordiale de la solidarité ? Comment faire ressentir quelque chose de lointain comme si elle était tout près ? Comment combler la distance entre le lieu qui nous servait de chez soi, et ce nouveau lieu où la réflexion est maintenant possible ? Atefeh le réalise de deux manières. Premièrement, elle incarne ces perspectives éloignées en les redessinant. L’animation n’est pas un effet spécial ici : c’est une manière de toucher chaque image, de les absorber dans son corps, leur permettant ainsi de devenir parties intégrantes d’elle-même. Deuxièmement, elle raconte l’histoire de son ami queer, dont elle est secrètement amoureuse. Elle quitte le pays sans le lui annoncer ; il semble que leur culture a transformé chaque individu en maître des secrets. Il lui dit qu’il a rencontré un homme et lui décrit les nouveaux corps qu’ils se sont inventés ensemble. Il a peur d’en parler à ses parents, même à ses ami·e·s, car il craint de les perdre. Ce secret les lie l’un à l’autre, même si elle en a le cœur brisé. Les images permettent d’entrevoir momentanément une main chercheuse sous un drap, des bouts de visages enchevêtrés les uns dans les autres, comme s’ils étaient tous les deux en train de chercher quelque chose, de trouver une façon de séparer leurs désirs des désirs de l’État.
Des nuages de gaz colorés se transforment en coups d’œil intergalactiques. L’artiste ne craint pas de plonger dans l’abstraction, puis d’entourer ses figures de ces mondes infernaux qu’elle a invoqués. Peut-être la science-fiction n’est-elle jamais bien loin lorsqu’un régime tente d’éduquer ses sujets dans l’art de rêver ? L’écran se remplit d’éruptions solaires et de la fumée de mille incendies, illustrant le moment où Amin devient séropositif. Les cellules souples se multiplient et changent de couleur, se transformant en planètes habitées d’un œil clignotant unique. Atefeh peint le drapeau arc-en-ciel sur sa poitrine alors qu’elle médite sur les personnes qui, « comme nous, ont été privées de leur droit d’être elles-mêmes ».
:: Meteor [Good Mesure Productions]
Comment vivre dans un corps qui a déjà été recadré par l’État ? Particulièrement quand le désir a été redirigé, détourné à travers les antichambres juridiques et gouvernementales. L’artiste évoque le prix vécu de la théocratie dans un monde où les secrets font loi, même entre ami·e·s et en famille. Même dans les lieux les plus intimes, la distance demeure. Et, comme le démontre clairement cette cascade d’inventivité, ces distances peuvent être fatales.
Un jour, le régime s’écroulera, paralysé par sa propre suffisance. Combien de personnes consacreront leur vie à ce grand élan ? La plupart resteront anonymes et méconnues, sauf par leurs proches. Leurs visages n’apparaîtront jamais sur les statues publiques. Mais alors que la révolution se poursuit, intermittente et spontanée, d’autres jalons comme celui-ci marqueront le chemin, racontant l’histoire sans histoire des nouvelles vies qu’on a déjà mises à l’épreuve, des nouveaux désirs qu’on a goûtés, des nouveaux corps qu’on a essayés et habités.
Comment raconter une seule histoire comme s’il s’agissait de l’histoire d’un pays entier, d’un monde entier ?
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Mike Hoolboom a commencé à faire des films en 1980. Mis en pratique, avec application quotidienne. Une remixologie continue. Depuis 2000, un flot constant de docus biographiques à partir de séquences trouvées. La question qui anime une communauté : comment puis-je être utile ? Des entrevues avec des artistes médiatiques au fil de trois décennies. Des monographies et des livres, écrits, édités, co-édités. Des écologies locales. Du bénévolat. Ouvrir la porte.
Traduction : Claire Valade
Meteor
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