BLACK HOLLOW CAGE
Sadrac González-Perellón | Espagne | 2017 | 105 minutes | Les nouveaux alchimistes
Une longitudinale maison moderne se découpe au cœur d’une luxuriante forêt brumeuse et vallonnée. Toute en vitre conçue, elle n’en déclenche pas moins des angoisses claustrophobiques. Blindée d’une inexpugnable armature de fer et d’un ostensible système d’alarme, elle n’en laisse pas moins entrer d’inquiétants étrangers (dont le sang éclaboussera le tapis comme la peinture le tableau du salon). Intéressants paradoxes qui nous rappellent que nous ne sommes jamais à l’abri de rien… même à l’abri de tout. À l’intérieur de cette forteresse transparente, trois habitants : Adam (le premier homme ?), un père de famille placide et contrit, Alice (de l’autre côté du miroir ?), une petite manchote vêtue d’une jaquette d’hôpital et Béatrice (de Dante ?), un chien muni d’un transmetteur qui lui permet d’échanger verbalement avec la fillette qui l’appelle incidemment « maman ». Que fait-il dans la vie ? On ne le sait trop. Comment a-t-elle perdu son bras ? Non plus. Maman ? Aucune idée. Et puis, il y a de mystérieux meurtres et de sordides passages à tabac dans cette histoire un peu absconse. Il faut accepter beaucoup et consentir de très bonne grâce à suspendre son incrédulité devant ce film au jeu froid, à la plastique symétrique et au symbolisme appuyé. Son papa lui offrira un bras artificiel qu’elle devra apprendre à actionner par la seule concentration de son esprit. Son exercice journalier consistera à saisir trois bâtonnets — un rouge, un bleu, un vert — aux circonférences diverses. Un jour qu’elle promène son chien — ou sa mère —, elle découvre avec étonnement une immense « cage » noire anthracite reposant au milieu d’une clairière verdoyante, une sorte de version cubique du monolithe de Kubrick qui, s’ouvrant sporadiquement afin de nous inviter à prendre place en son centre, permet de voyager dans le temps. On se dit qu’on y est ! Pas vraiment. Tout reste nébuleux, comme dans la vallée. Aussi faut-il se concentrer sur (ou se contenter des) multiples comparaisons que le cinéaste semble proposer pour y voir plus clair. D’un côté la piaule épurée et ratissée, de l’autre la nature impénétrable et indomptée. D’un côté, le verre, de l’autre le vert. D’un côté le quotidien, de l’autre l’abracadabrant. D’un côté, des cylindres, de l’autre, un cube. D’un côté, les couleurs, de l’autre, son absence. En somme, il s’agit, d’un côté, de répéter inlassablement les mêmes gestes afin d’apprendre de ses erreurs… de l’autre, de revivre les mêmes erreurs, afin de ne pas les répéter. Ce serait là, peut-être, la leçon qu’on tirera de ce film un peu prétentiard dont les nombreux trous laissés dans le récit et les innombrables questions laissées sans réponses nous donnent tout de même envie d’embarquer à notre tour dans le cube Kubrick, ou bien pour retourner dans le passé et tenter de boucher les trous de cet univers trop poreux, ou bien pour filer vers l’avenir et passer rapidement à autre chose. (Jean-Marc Limoges)
LES FANTÔMES D'ISMAËL
Arnaud Desplechin | France | 2017 | 132 minutes | Les incontournables
Les Fantômes d’Ismaël, présenté en ouverture hors compétition du 70e Festival de Cannes, joue volontiers avec les nerfs du spectateur par son scénario à rebrousse-poil, dont l’histoire, entre anachronie, expressionnisme et hystérie théâtrale, sert moins le film que son découpage technique et ses soubresauts temporels. Film cortège dans un ensemble ratoureux qui se rapproche du feuilleton télé, Les Fantômes d’Ismaël est une œuvre d’aspect inachevée, inconstante, ponctuée de ratages impulsifs et de mises en abyme. Elle est l’ébauche et le terrain de jeux, à l’image des tourments du processus de création traversé par son protagoniste, un sujet récurrent du réalisateur. Cette irrégularité devient ainsi la force motrice et le point d’appui du film, apportant au détour des moments de ravissement et permettant la bonhomie du spectateur car, malgré ses défauts évidents, le nouveau film d’Arnaud Desplechin s’enorgueillit une fois encore de cette volonté d’exploration affranchie et ludique ramenant au passage les personnages familiers de son univers ondoyant et nébuleux.
Ismaël Vuillard, (Mathieu Amalric) est cinéaste ; il tourne laborieusement un film d’espionnage, le portrait d’un diplomate, inspiré de la vie de son frère Ivan (Dédalus, interprété là par Louis Garrel). Lors de vacances à la plage, dans sa petite retraite coutumière, accompagné de Silvia (Charlotte Gainsbourg), sa conjointe des dernières années, Ismaël voit ressurgir non sans surprise sa femme Carlotta (Marion Cotillard) alors qu’elle avait disparu sans laisser de traces il y a de cela 21 ans. Entre les chimères du réalisateur tâchant de terminer la réalisation de son film et le trio amoureux proposé, le puzzle se forme difficilement. Bien qu’ayant une distribution costaude, les personnages mis en scène dans un brouillon haletant, presque convulsif, se cantonnent dans des déclamations et mimiques surjouées et s’en trouvent atrophiés et sans relief. Mathieu Amalric s’embourbe le premier dans des fonctionnements excessifs et empruntés, leur conférant une soudaineté délirante. Dans ce crescendo grinçant, Cotillard est la plus desservie ; son personnage de femme fatale énigmatique est si fade et vulgairement expédié qu’on en oublie la grande actrice qu’elle peut être. Seule Gainsbourg parvient à maintenir le cap, sans pour autant briller de mille feux, on lui trouve une prise qui se rapproche d’un vécu authentique et crédible. On retrouve avec amusement Hippolyte Girardot dans le rôle du producteur d’Ismaël mais encore Bloom (László Szabó) dans celui du beau-père éploré. [...] (Anne Marie Piette)
>> Lire la critique complète
LOVELESS
Andreï Zvyagintsev | Russie/France | 2017 | 127 minutes | Les incontournables
Faute d’amour, il y a l’internet. Faute d’amour, il y a le sexe. Faute d’amour, il y a la fuite. Mais faute d’amour, l’humanité s’abîme inexorablement, contre l’écueil d’un narcissisme devenu dogme, et grâce auquel chaque personne ne possède plus qu’une valeur d’échange dans une économie perverse du bonheur individuel. C’est du moins ce que suggère ici le grand chroniqueur de la Russie contemporaine, Andreï Zviaguintsev, dont le Nielioubov (littéralement : « négation d’amour » ou « non-amour ») constitue un portrait désarmant de la glaciation émotionnelle généralisée à l’heure des égoportraits. Fort d’une mise en scène redoutablement efficace, où l’escamotage d’un garçon mal-aimé, le spectacle du vide (intérieur/extérieur) et la subordination des personnages aux décors évoquent tour à tour la socialité évanescente de l’homme d’aujourd’hui, il parvient à créer une cinglante satire sociale aux allures sordidement réalistes.
On voudrait reprocher à Faute d’amour son caractère excessif. On voudrait lui reprocher la mesquinerie extrême de ses personnages et leur crasse misanthropie. On voudrait lui reprocher la nature lourdement appuyée de sa critique des mœurs contemporaines (et particulièrement des dérèglements relationnels provoqués par la télécommunication triomphante). Mais ce n’est que par excès d’idéalisme. La triste vérité, c’est que Zviaguintsev capture ici l’essence même de la vie, sans concession à tout espoir naïf pour l’avenir. C’est le détachement qu’il filme, du début jusqu’à la fin, et la froideur mélancolique d’un monde où le projet humaniste s’est disloqué contre le monolithe de l’individualisme. [...] (Olivier Thibodeau)
>> Lire la critique complète
JOUR 1
(Ava, Napalm, Samui Song)
JOUR 2
(La caméra de Claire, Claire l'hiver)
JOUR 3
(Black Hollow Cage, Les Fantômes d'Ismaël,
Loveless)
JOUR 4
(The Day After, Félicité, The Last of Us)
JOUR 5
(KFC, Mass for Shut-Ins, Sexy Durga, Unrest)
JOUR 6
(Bangkok Nights, Honeygiver Among the Dogs,
Marion, La Zone)
JOUR 7
(Le ciel étoilé au-dessus de ma tête,
Les prédatrices, Summer Lights)
JOUR 8
(All you Can Eat Buddha, The Florida Project,
Histoire que notre cinéma (ne) racontait (pas)
JOUR 9
(9 Doigts, Jeannette : l'enfance de Jeanne d'Arc,
Loving Vincent, Phase IV, Planet ∞)
JOUR 10
(Detective Bureau 2-3 – Go to Hell Bastards!,
Gate of Flesh, Thelma)
envoyer par courriel | imprimer | Tweet |