ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Festival du nouveau cinéma 2018 : Jour 2

Par Anne Marie Piette et Olivier Thibodeau

DIE TOMORROW
Nawapol Thamrongrattanarit  | Thaïlande  |  2017  |  75 minutes  |  Les nouveaux alchimistes

Nawapol Thamrongrattanarit réussit ici son humble pari, malgré (ou grâce) à la nature éclatée et épisodique de son œuvre, ainsi qu’à la conception pré-moderne du temps qu’elle préconise. L’idée est simple : démystifier la mort par le biais d’un journal intime qui se dédouble en nature morte ; pas un journal filmé, mais un fourre-tout d’idées relatives à la mise en scène du flot temporel. Qu’il s’agisse d’entrevues frontales sur la question de la mort (posée alternativement à de jeunes enfants incrédules et à un centenaire exaspéré), d’illustrations de faits divers funestes, d’intertitres assortis d’un compteur double (où s’affiche à la fois le temps écoulé depuis le début du film et le nombre de morts estimés durant cette période), ou de tranches de vie fictionnelles, de photos ou de plans statiques de fleurs en pot (pour ceux qui n’auraient pas encore compris la démarche auteuriale), le tout se donne à voir comme un album de vignettes temporelles, un peu comme un arsenal de vanitas lancées tous azimuts. Le processus est mécanique, comme l’avancée de la mort : les plans en 4:3, d’une intimité suffocante, succèdent aux plans widescreen où l’existence cède au vide, du moins à sa raréfaction inévitable. La séquence liminale de la chambre d’hôtel est particulièrement réussie à cet égard, puisqu’elle vise à illustrer le prélude de la mort d’une jeune étudiante, fauchée dans le lobby de l’établissement par un véhicule en déroute alors qu’elle y était descendue pour acheter de la bière. Le réalisateur nous donne ainsi à ressentir un exaltant suspense hitchcockien, fruit de notre connaissance préalable du dénouement des événements, ponctué en outre par le tic-tac obsédant d’une horloge extra-diégétique. Quatre jeunes femmes discutent ; elles discutent de leur horoscope, de leur avenir, en vain puisque nous connaissons déjà le sort imminent de l’une d’entre elles : c’est l’inévitabilité tragique du sort, démontrée d’une façon rafraîchissante et ludique. Malheureusement, le film n’atteindra plus jamais une telle complexité, se contentant dans ses vignettes suivantes de démontrer le passage du temps par le biais de leur caractère épisodique, de quelques allusions circonstancielles à la mort, mais surtout de la langueur des plans-séquences, vecteur d’un réalisme bazinien lourdement appuyé. Malgré tout, malgré le caractère redondant et mécanique de son œuvre, on ne peut finalement pas remettre en doute la cohérence, la pertinence ou l’originalité de la démarche du réalisateur, qui dans l’universelle proximité et le traitement direct de son sujet fait preuve d’un humanisme qui transcende toutes les barrières. (Olivier Thibodeau)

 

KILLING
Shin'ya Tsukamoto  |  Japon  |  2018  |  80 minutes  |  Temps Ø

Tuer. « Si tu n’arrives pas à tuer, ton épée ne sert à rien » :c’est ce que dit Jirozaemon, le ronin vétéran (le ronin de métal) à Mokunoshin, le ronin impuissant (le ronin de bois), sous-entendant par-là que « si ton épée ne sert à rien, tu ne sers à rien ». Car, chez Tsukamoto, l’aliénation urbaine est très semblable à l’aliénation de la guerre :c’est le mélange indu de l’acier et de la chair, de la froideur des alliages à la chaleur des viscères. Quoi de mieux alors, pour effectuer un retour à la forme primaire de son cinéma, que le film de samouraï ? Quoi de mieux qu’un genre qui mythifie à ce point la mécanisation de l’homme, dans la ritualisation du geste certes, mais surtout dans la fusion du sabreur et de son attirail ? Les plans fétichistes abondent ainsi, aujourd’hui, comme hier : les gros plans liminaux sur les braises rougeoyantes de la forge, d’où jaillit la lame, le spectacle de la lame entre les dents du protagoniste surtout, qui nous renvoie directement à l’un des premiers plans de la filmographie du réalisateur, ce fameux panorama de dents grinçantes sur une tige filetée qui donne le coup d’envoi au ballet funeste de Tetsuo (1989). Les sonorités industrielles et les grincements métalliques aussi abondent, comme un écho d’outre-tombe, un écho qui en le présent lieu nous paraît irréel, emplissant les cavernes et les forêts moites du Japon médiéval, contribuant ainsi au basculement iconographique de l’œuvre vers l’esthétique sépulcrale qui l’engouffre finalement tout entière. Basculement structurel aussi, puisque même si la mise en scène est ici d’une violence attendue, évidente dès les scènes d’ouverture, les scènes de forgeage et les scènes d’entraînement martial, où les travellings vertigineux sont hachés menu, l’auteur nous réserve pourtant quelques accalmies. Ainsi, nous assistons, lors de la phase initiale du récit, à une sortie d’idylle pastorale, celle de Mokunoshin planqué dans une ferme isolée avec une famille de paysans, effectuant la moisson sous un soleil chaleureux. Or, c’est l’introduction de Jirozaemon qui vient tout gâcher, puisque la Faucheuse lui emboîte le pas. De fil en aiguille, de lacération à l’éviscération, en passant par le démembrement, la violence des images, la violence du rythme, et l’omniprésence de la noirceur viennent ainsi submerger la diégèse, évoquant avec une rare fougue, mais aussi avec une rare ostentation, l’humanisme crépusculaire inhérent à la logique belliqueuse. (Olivier Thibodeau)

 

SHARKWATER EXTINCTION
Rob Stewart  |  Canada  |  2018  |  88 minutes  |  Histoire(s) du cinéma

Sharkwater Extinction est la suite du documentaire Sharkwater (2006), tous deux signés par le défunt conservationniste torontois Rob Stewart. Le premier épisode avait fait sensation au TIFF et jouit d’une large distribution à l’international. Il dénonçait le « shark finning » : une pêche massive impliquant la coupe des ailerons et de la nageoire caudale des requins, destinée à la préparation d’une soupe traditionnelle chinoise prisée. Un mode opératoire cruel était révélé au public, accompagné d’images marquantes de corps de squales privés de nageoires et maudits à l’eau. Le film levait le voile sur la suppression annoncée d’un super ordre de poissons, dans l’indifférence générale. Avec l’écologiste Paul Watson de la Sea Shepherd Conservation Society, Stewart fût l’un des premiers activistes à tenter d’éveiller les consciences sur le triste sort du requin. Jusqu’à la sortie de Sharkwater, aucune forme de protection n’existait pour les squales. Aucun quota de pêche. Les médias, surtout intéressés aux faits divers tristes et aux images à sensations, ont contribué à réduire la compassion du public à leur égard. Le message véhiculé par le premier film rappelait que l’animal viscéralement craint occupe objectivement une place réduite dans le recensement des attaques d’humains commises par des animaux sauvages chaque année. Loin derrière l’éléphant, le tigre ou l’alligator qui sont pour leur part des espèces protégées. Et que ce prédateur ancré dans l’imaginaire collectif, qui aurait vu sa mauvaise réputation aggravée suite au blockbuster de Spielberg (Jaws) requiert une protection immédiate afin d’éviter son extinction. L’excellent travail de conscientisation de Stewart engendra un élan mondial de sensibilisation tel qu’après la sortie du film, au-delà de 80 pays interdiront la pêche aux ailerons de requins.

Hélas, moins d’une décennie plus tard, la situation a peu évolué. Pire, le massacre se perpétue sous couvert de protection. Les populations de squales continuent à être décimées par une pêche illicite scandaleuse, au service de mafias puissantes. Désormais, des dérivés de la pêche de requins pullulent incognito dans nos cosmétiques, fertilisants ou nourriture pour chat, nous rendant complices de l’extinction en marche de superprédateurs essentiels pour la conservation de la biodiversité... ce que Stewart voudra dénoncer coûte que coûte. Le documentariste, photographe animalier et biologiste de formation était ainsi en processus de tournage sur Sharkwater Extinction lorsqu’il trouva la mort le 31 janvier 2017, dans un bête accident de plongée. Plongeur expérimenté, cette dernière plongée dans les Keys en Floride était l’une de ses premières avec ce que l’on nomme un « recycleur », appareil à circuit fermé permettant une plus grande proximité avec les espèces étudiées, mais présentant plus de risques à l’utilisation. Le corps du trentenaire fût retrouvé trois jours plus tard. Un décès tragique, encore récent que proches et admirateurs acceptent difficilement. Il en résulte un projet de documentaire altéré, car privé tragiquement de son mentor. Le film se conclut par des bloopers, images et bandes vidéo nostalgiques de l’homme disparu. Les parents du cinéaste canadien, Brian and Sandra Stewart, tous deux producteurs sur le film, étaient présents lors de l’unique séance présentée dans le cadre du Festival. Ces derniers, avec l’équipe de Rob Stewart, ont contribué à mener le projet de leur fils à terme. Le final cut ne sera jamais totalement celui de son instigateur, mais le montage final respecte au mieux la vision de Stewart, entre autres via des notes laissées par le cinéaste. Sharkwater Extinction réitère avec cœur un dialogue ouvert, rappelant certains faits écologiques bien connus qui nous pendent au nez et l’urgence d’agir, à savoir l’équilibre fragile des écosystèmes et l’interdépendance de chaque espèce dans le maintien et le développement de la vie sur terre. Au train où vont les choses, une trentaine d’années de pêche déloyale aura suffi pour exterminer 99 % d’une espèce vieille de 430 millions d'années. Laissant une sensation creuse de vide, le film posthume chargé d’adrénaline présente l’avantage de conscientiser son public de façon proactive. Le porte-parole disparu dans le feu de l’action laisse un siège vacant, et incite à se responsabiliser collectivement afin de poursuivre le projet d’une vie. (Anne Marie Piette)


 


JOUR 1
(If Beale Street Could Talk, A Land Imagined)

JOUR 2
(Die Tomorrow, Killing, Sharkwater Extinction)

JOUR 3
(Ash is Purest White, Burning, Dogman, Thunder Road)

JOUR 4
(Anthropocene: The Human Epoch, Going South, The Guilty)

Le Livre d'image de Jean-Luc Godard

Au poste! de Quentin Dupieux

JOUR 5
(In Fabric, Sheherazade, Une affaire de famille)

Too Late to Die Young de Dominga Sotomayor Castillo

JOUR 6
(Birds of Passage, Drvo The Tree, Roulez jeunesse, Sticks and Stones)

 JOUR 7
(Holiday, Season of the Devil, Touch me Not)

JOUR 8
(La casa lobo, Fugue, Mishima: A Life in Four Chapters)

Entrevue avec Quentin Dupieux (Au poste!)

JOUR 9
(The Gentle Indifference of the World, Phantom Islands,
 
Tourism, Woman at War)

Grass de Hong Sang-soo

Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez

JOUR 10
(3 Faces, All Good, Hommage à Robert Todd, Lemonade, Vision)

This Changes Everything de Tom Donahue

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Article publié le 5 octobre 2018.
 

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