DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Les 10e Percéides : courts métrages

Par Jean-Marc Limoges

Ta mère est une voleuse (Marie-Josée Saint-Pierre, 2018)

 

C’est avec Ta mère est une voleuse, la sombre animation de Marie-Josée Saint-Pierre, que le Centre d’art inaugurait la semaine et donnait le ton au Festival. Sommairement crayonné en blanc sur fond noir, le film donnait à voir l’amour d’un couple s’effriter peu à peu après la naissance de leur enfant. Le recours aux mentions écrites, dans ce film pourtant muet et dont on comprenait malgré tout la trame, laissait toutefois dubitatif. Mais la récupération qu’on en a faite – les mots lancés à la mère par le père (« salope », « pute », « connasse », etc.) devenaient autant d’étiquettes qui lui collaient littéralement à la peau – venait nous convaincre. Malgré quelques ponctuels clichés (le père alcolo et violent) et une finale un peu moralisante (l’enfant est sauvé par la mère), le film retient l’attention et reste gravé dans les mémoires.

Dix jours plus tard, pour clore l’événement, on lançait à la trogne du public, l’excellent Fauve, de Jérémy Comte, un autre court-métrage troublant mettant en scène deux enfants qui, pour tuer l’ennui, jouent à un jeu dont le réalisateur s’abstient intelligemment d’expliquer la prémisse (et dont nous comprendrons les règles bien assez vite). Tous deux criants de vérité, dirigés par une main de maître, ils donnent pourtant l’impression d’avoir été filmés à leur insu, tant leurs jeux (leur jeu d’acteur, leur jeu d’enfants) percent l’écran. En plus de nous offrir ce moment de vérité, le contexte surréaliste dans lequel il les plonge (les dunes), les péripéties surréalistes dont il ponctue leur parcours (le camion-benne), les images poétiques qu’il n’a aucune gêne à insérer (le renard), nous enjoignent à descendre dans le sol argileux d’où nous sortirons pétrifiés.

Entre les deux, un ensemble de surprises présentées en première partie de divers longs métrages et dont nous offrons, ici, une petite sélection.

Sur un mode plus mignon, et grâce à une direction photo éthérée, Émetteur récepteur, de Vincent Wilson, racontait l’histoire d’un garçonnet surdoué qui, plutôt que d’envisager croiser le fer avec les monstres terrestres, cherchait désespérément à entrer en contact avec le monde extra-terrestre. Nous l’accompagnions dans l’élaboration de son outil, nous espérions avec lui recevoir un message de l’au-delà et nous découvrions par ses yeux l’aboutissement de telles recherches. Placé, encore une fois, dans la perspective de l’enfant, dans un monde où l’adulte était encore absent, le spectateur pouvait, là aussi, aller au bout de ses espoirs et apprendre, dans un revirement combien plus charmant, que l’« Autre » n’a toujours pas les traits qu’on lui prête. En somme, le film nous encourage à aller vers l’inconnu.

 

Le Cowboy du mont Laurier (Gabriel Vilandré, 2017)

 

Le Cowboy du mont Laurier, de Gabriel Vilandré, dont l’action — simple et comique — se situe dans une buanderie de province, nous montre un sympathique cinquantenaire qui, après avoir sauvé une jeune fille des menaces d’un p’tit thug, lui propose un lift pour la conduire au party où elle doit se rendre après son séchage. Or, comme celle-ci hésite à lui faire confiance — « Qui me dit que vous n’êtes pas un violeur ? » —, notre homme revêt le costume de cowboy qu’il sort de sa machine, dépose l’aiguille sur un vinyle et entreprend une danse aussi gauche qu’attendrissante qui lui prouvera que, au fond, c’est un maudit bon jack. La jeune fille craque… et finit dans son sac ! Après un lieu commun (le téléphone cellulaire de la victime qui sonne dans la poche du filou quand celui-ci quitte la sœur de celle-là qui la cherche et tente de la rejoindre) et une finale surfaite (lors de laquelle il nous jette un regard complice), le film confirme l’adage selon lequel il ne faut pas parler aux inconnus.

Entre le monde (naïf) de l’enfance et le monde (terrifiant) des adultes, il y a celui de l’adolescence. Ce qui fascine, captive, étonne, dans Pre-drink, de Marc-Antoine Lemire, c’est la justesse avec laquelle le réalisateur a su trouver – et filmer – ses deux attachants « outcasts », c’est la liberté qu’il semble leur avoir généreusement et amoureusement donnée, c’est la confiance avec laquelle il leur a demandé d’évoluer dans ce demi sous-sol érotiquement éclairé, jusqu’à ce que les masques tombent. Ce qui émeut, touche, renverse, c’est la sincérité avec laquelle les deux protagonistes se parlent, se moquent, s’approchent, s’éloignent, se taisent, se teasent, se niaisent, se révèlent, se confient, s’embrassent, se laissent aller et reviennent « à la réalité ». Ce qui est audacieux, hardi, courageux, c’est non pas d’avoir choisi un gay et un trans et de nous avoir donné à entendre quelques propos croustillants et à voir quelques images salaces, mais d’avoir réussi à nous montrer plutôt deux amis d’enfance qui, un soir de boisson, se questionnent ouvertement sur leur sexualité et se demandent jusqu’où ils peuvent l’explorer sans pourtant fragiliser les rapports qui les lient. Voilà un film qui sait habilement – et presque pudiquement (ou en tout cas respectueusement) – nous faire pénétrer dans une intimité à laquelle, sans la discrétion de cette caméra, nous n’aurions jamais pu avoir accès.

 

Va jouer dehors (Adib Alkhalidey, 2017)

 

Programme Percé tout-court !

Particulièrement stimulante fut la sélection de Percé tout court! dont les courts métrages mettaient souvent en scène des crises d’adolescence. Où vont les chats après neuf vie? (Marion Duhaime) abordait, avec une comique candeur, la question du suicide assisté. Tout, dans ce film, faisait preuve d’un indéniable savoir-faire. Les acteurs, d’abord, qui livrèrent tous (jusqu’au bébé!) une performance juste et bien sentie. Les images, ensuite, dont la désaturation et la froide symétrie rendaient bien compte de l’univers aseptisé dans lequel la jeune suicidaire évoluait; il faut également souligner la maîtrise des cadrages qui réussissaient à faire basculer dans un futurisme anonyme des lieux pourtant familiers. Le montage et la bande-son, enfin, qui servaient efficacement l’émotion de chaque scène. En somme, on commençait le programme par une très alléchante mise en bouche. Suivaient Meute (Florence Lafond) et The Catch (Holly Brace-Lavoie) qui traitaient, l’un de la responsabilité d’une adolescente envers sa petite sœur trisomique, l’autre, d’une adolescente qu’on targue d’homosexualité, mais avec trop peu de recul et trop peu de souci esthétique pour étonner ou émouvoir. La soirée se terminait par un dessert : Va jouer dehors (Adib Alkhalidey), un sympathique court-métrage qui renouait presque avec l’esprit du cinéma d’André Melançon. Rarement aura-t-on vu, depuis les films que le géant nous a légués (notamment dans les années 1970) un si juste portrait d’enfants livrés à eux-mêmes, tuant le temps dans les rues avoisinant leur piaule. Il faut notamment souligner la verdeur du dialogue livré par les deux mioches, au début du film. Il est à souhaiter qu’Alkhalidey poursuive sur cette lancée, nous offre des films plus longs, des études plus fouillées sur la façon dont les enfants d’aujourd’hui – de surcroît de toute origine ethnique – occupent leur journée et discutent des sujets qui sont les leurs.

La seconde soirée Percé tout court! commençait plus mollement. La psychologie des planètes (Anick Lemay), sûrement à cause de sa prémisse un peu simplette, décevait par la maladresse de son écriture et l’invraisemblance de sa mise en scène. Après des années de recherches, une jeune adolescente retrouve sa mère à l’Observatoire du Mont-Mégantic, laquelle, astrophysicienne de renom, vient de donner une importante conférence devant (du moins c’est ce que la vacuité des lieux laisse croire) une salle vide. Le discours inutilement alambiqué que la jeune fille, trop excitée, tient à sa mère, trop blasée, déçoit par la pauvreté de sa métaphore : la Lune en orbite autour de la Terre est comme comme une fille qui tourne autour de sa mère. On enchaînait avec un film maintes fois primés, Toutes les poupées ne pleurent pas (Frédérick Tremblay), un autre stop motion recourant à diverses modalités réflexives pour nous apprendre (un peu à la façon de Duck Amuck, mais sur un mode plus glauque) que nous sommes tous les marionnettes de quelqu’un d’autre. Comme digestif, Crème de menthe (Jean-Marc E. Roy et Philippe David Gagné) raconte l’histoire d’une jeune femme un peu cynique – Charlotte Aubin, qu’on a connu plus désinhibée et dont on admire, cette fois, la colère contenue – qui se rend dans son village natal pour assister aux funérailles de son père et vider l’appartement de cet accumulateur compulsif. C’est sur cette prémisse plutôt simple et grâce à cette autre métaphore un peu convenue (faire le ménage de la maison et faire le ménage de sa vie) que le tandem déploie le récit d’un lent et salutaire rachat du passé. How Tommy Lemenchick Became a Grade 7 Legend (Bastien Alexandre) se présentait comme le savoureux petit bonbon de ce deuxième bloc. Par le recours à une voix narrative, une jeune femme (que l’on ne voit pas) nous parle, comme si elle était assise à côté de nous, de son premier baisé (à douze ans), de la façon dont elle a sélectionné (parmi les garçons de sa classe) son cobaye, du plan qu’elle a fomenté pour hameçonner le candide jouvenceau jusque chez elle (grâce au tout dernier jeu vidéo à la mode). L’utilisation de cette voix « juxtadiégétique », de ses « dissonances » humoristiques, de ses jouissives « métalepses », le recours au chapitrage en « Level », l’emploi des sons tirés de jeux vidéo pour rendre compte de sa déception, les renvois musicaux aux westerns lors d’un duel la confrontant à l’ensemble de l’école, la kyrielle de retournements tous plus drôles les uns que les autres, tout, dans ce petit film, réussissait à nous décrocher un sourire et à finir la soirée en beauté.

 

Marcel Jean présente le Best of Annecy 2018 | Photo : Antoine Amnotte-Dupuis

 

Best of Annecy 2018

Marcel Jean, coiffé de ses deux chapeaux – celui de directeur de la Cinémathèque Québécoise et celui de Délégué artistique du Festival d’Annecy – est débarqué à Percé avec, dans sa boîte à surprises, un best-of de court-métrages d’animation et des « trésors » de la Cinémathèque. C’est devant une foule conquise d’avance et avide de voir les petits chefs-d’œuvres dont il lui vantait les mérites que l’écran s’est illuminé pour laisser place à près d’une dizaine de films de différents pays, de diverses factures et de sujets variés. L’autobiographique Weekends (Trevor Jimenez) racontait, grâce à un dessin animé enfantin plein de chaleur et de tendresse, la difficulté d’être le jeune garçon d’une garde partagée entre une mère pauvre, mais bosseuse, et un père friqué, mais fantasque. Les multiples « détails inutiles » (Barthes) – le collet cervical que portait la maman, par exemple –, n’ayant aucune pertinence dans l’« économie narrative », étoffait toutefois le récit d’un puissant « effet de réel ». Par le recours à l’animation 3D, Hybrids (Florian Brauch, Matthieu Pujol, Kim Tailhades, Yohan Thireau et Romain Thirion) nous plongeait dans un fond des mers autant fascinant que désolant : chaque poisson, chaque crustacé, chaque mollusque, chaque amphibien, au mitan d’une affligeante mutation, prenait des airs de bidon d’essence, de capsule de bière ou de chaudron antiadhésif. Habile façon de nous sensibiliser à un problème bien réel sans sombrer dans le pathos. Egg (Martina Scarpelli), en racontant un pan de sa vie grâce à une narration à la première personne et un fin tracé noir sur fond blanc, donnait vie à un corps filiforme et atrophié, par moment translucide, et réussissait ainsi à nous faire comprendre « de l’intérieur » le problème de l’anorexie. Sur un mode plus coloré, plus jovial et plus joufflu, Biciklisti (Veljko Popovic) nous faisait comprendre que le sexe sera toujours la motivation qui poussera les hommes à se dépasser …et à arriver le premier. « Rien ne sert de courser, il faut venir à point », telle serait la morale qu’on en tirerait. Comme si Botero illustrait La Fontaine.

Explorant, à sa façon, une configuration réflexive commençant à être quelque peu sur-utilisée – le personnage de fiction en « stop motion » qui découvre n’être qu’un pantin entre les mains d’animateurs –, Inanimate (Lucia Bulgheroni) réussissait tout de même, en nous faisant pénétrer dans le quotidien de son personnage (métro-boulot-dodo), à nous amener à nous identifier à celui-ci. Ainsi, après le déboîtement nous apprenant – et lui apprenant – qu’il n’est qu’une marionnette dont des artistes tirent les fils, le film nous invitait-il à nous demander si nous ne sommes pas nous-mêmes le jouet de quelque omnipotente puissance. La finale, lors de laquelle, après un réemboîtement sur l’univers diégétique premier, la jeune femme réussit, par son seul souffle, à faire voler un origami en forme d’oiseau qui reposait dans le creux de sa main, nous permet tout de même d’imaginer d’autres mondes – voire d’autres modes – dont nous serions les Maîtres. On ne saurait rien dire d’autre du décoiffant Barbeque (Jenny Jokela), sinon qu’il se présentait comme un psychédélique Bosch à la gouache. Sorte d’hommage à l’humour absurde et déjanté de Tex Avery, Afterwork (Luis Uson et Andrés Aguilar) parvenait assez inopinément, au générique final, à nous tirer les larmes. Jouant sur deux univers diégétiques curieusement étanches nous montrant toutefois le même loup en deux esthétiques différentes – un dessin 2D comique à-la-Tex-Avery et un dessin 3D affreusement déprimant à-la-Pixar –, ce curieux court-métrage nous permettait de vivre le drame qui pouvait sourdement habiter ces personnages cartoonesques qui remarquaient, en faisant le point sur leur « vie », qu’ils n’auront, en somme, à force de se retrouver dans les mêmes situations, pas beaucoup évolués. Enfin, Bloeistraat 11 (Nienke Deutz) – qui a remporté le Cristal du meilleur court-métrage et le prix Connexion d’Annecy –, racontait, en utilisant lui aussi divers moyens d’expression (dessin sur verre, stop motion, etc.), une histoire que tout le monde a déjà vécu : deux amies d’enfance – ici, deux fillettes – après s’être juré, lors d’un pacte de sang, amitié « à la vie à la mort », voient leur destin se séparer, tout simplement, avec le temps qui passe. La délicatesse de l’animation, la simplicité de l’action, la sincérité du propos convergeaient habilement pour nous ébranler.

 

Un public attentif durant le programme du Wapikoni mobile | Photo : Antoine Amnotte-Dupuis

 

Wapikoni : le cinéma qui roule

Ayant levé les voiles il y a deux mois, la roulote de Wapikoni passait par Percé et s’est arrêtée au Centre d’art pour y monter sa toile. Le charismatique Geronimo Inutiq a empoigné le micro et invité les quelques touristes frigorifiés qui erraient encore sur la 132 à s’approcher afin d’applaudir chaudement la dizaine de courts-métrages réalisés par les membres de diverses communautés autochtones. Alors que l’Homme blanc pille, depuis un bail, le trésor des Peaux-Rouges, voilà que ceux du Wapikoni se familiarisent, depuis près de vingt ans, avec la boîte à images du colonisateur pour dévoiler ses joyaux. Échange de bons procédés. Le nacre était, semble-t-il, la pierre qui symbolisait le changement, l’évolution. Il tombe sous le sens que, passant du nacre à l’écran, les Premières nations recourent à ce moyen d’expression pour se dire, se raconter, se faire entendre et, ultimement, retisser les liens que nous avons fâcheusement élimés depuis l’arrivée de Jacques Cartier. De l’ensemble, se seront surtout distingués deux films, aux antipodes l’un de l’autre. Troubles, le film d’Erik Papati (le sympathique « geek » des 3 histoires d’Indiens de Robert Morin), s’est amusé à raconter comiquement la seule fiction de la soirée (laquelle aurait d’ailleurs pu se jouer sans paroles) en recourant jusqu’à plus soif de façon balbutiante et enthousiaste – comme le faisait Georges Méliès – à la magie du montage. À force de rire des naïves apparitions et disparitions que lui permettait sa pierre précieuse, on ne voyait plus rien tant nos yeux se remplissaient de larmes.

On retiendra aussi ce court-métrage du très jeune Jose Mestenapeo, J’aime tout, dans lequel l’attachant garçonnet filmait des pans de son bled – sa rue, son parc, sa maison – en répétant de sa voix cristalline : « J’aime toute! » La candeur et la sincérité de l’enfant (qui veut d’ailleurs être cinéaste) nouaient la gorge quand on constatait la tristesse et la pauvreté des lieux avec lesquelles elles contrastaient. C’était là, sûrement, le projet à la fois le plus gauche et le plus proche (et peut-être, en cela, le plus réussi) de Wapikoni. Car on ne peut juger ces films en regard de leur maîtrise. En effet, les films présentés – parfois un peu élémentaires, malgré leur très grande qualité – ne servaient, en somme, qu’à offrir des témoignages ou qu’à présenter des revendications (toutefois légitimes). Mais qu’importe! Il s’en dégageait une grande leçon : les Autochtones ont tout compris avant tout le monde : auto-suffisance et recyclage (« Je porte ma culture »), respect de la nature et des traditions (« On mange ce que l’on touche »). Il appert qu’en notre siècle de surconsommation, de gaspillage éhonté, de perte des valeurs et d’atrophie de l’imaginaire, nous avons beaucoup à apprendre de ceux à qui on a tout pris.

 

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Article publié le 13 septembre 2018.
 

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