GOOD TIME
Ben Safdie et Joshua Safdie | États-Unis | 2017 | 100 minutes
Le dernier film des frères Safdie a fait sensation au 70
e Festival de Cannes. Mettant en vedette Ben Safdie et Robert Pattinson, le public de Fantasia est venu nombreux applaudir sa première Nord-Américaine, se gratifier de la présence des cinéastes et de la star internationale. À la croisée des chemins entre
Dog Day Afternoon (Sidney Lumet, 1975) et
After Hours (Martin Scorsese, 1985)
, rappelant l’agitation effrénée de
Cours, Lola, cours (Tom Tykwer, 1998), le ton irrévérencieux de l’univers de Harmony Korine, ce suspense sympathique et audacieux emboîte une prouesse de péripéties. Le film retrace la nuit cavalière de Connie (Pattinson), un anti-héros proportionnellement charismatique et manipulateur, après un braquage de banque raté ayant mené à l’arrestation de son frère. Influencé par la psychologie de son protagoniste,
Good Time développe sa propre touche aberrante et cauchemardesque. Le duo Safdie peut se « congratuler » d’une direction d’acteurs honorable. La performance de Ben Safdie lui-même, est subtile et bluffante dans le rôle de Nick, le frère handicapé mental de Connie. Une autre bonne surprise s'avère être la découverte de l’actrice Taliah Webster qui incarne Crystal, une adolescente décomplexée et naïve croisant la route de Connie. Les têtes d’affiches que sont Robert Pattinson et Jennifer Jason Leigh campent avec naturel des comportements loin de leur champ habituel, l’un versatile, pervers malgré lui, l’autre crédule et déconcertée. Au fil de cette folle nuit de course poursuite aux situations cocasses décrochant plusieurs sourires voire de franches rigolades, les divers personnages se trouvent sous l’emprise de Connie, dans un grand domino mythomaniaque où défilent autant de tableaux symptomatiques de sa psychologie défaillante. Asocial, sociopathe ou psychopathe ? Tels furent les termes utilisés pour tenter de qualifier le personnage de Connie, lors du Q&A avec l’équipe du film. Mis à part un mixage sonore pénible aux dialogues souvent inaudibles en contraste avec la musique tonitruante d’Oneohtrix Point Never,
Good Time porte bien son nom, du moins pour le spectateur...
(Anne Marie Piette)
KING COHEN
Steve Mitchell | États-Unis | 2017 | 104 minutes | Documentaires de la marge
Si on doit juger un documentaire au lot d’informations qu’il obtient et qu’il divulgue,
King Cohen est une réussite. Larry Cohen voulait être humoriste — plein de finesse et d’esprit, maîtrisant le rythme et ayant le sens du punch, il prouvera d’ailleurs qu’il en est un lors du désopilant Q&A qui suivra la projection —, il voulait faire de la télévision, mais comme il n’aime pas trop collaborer et qu’il veut faire les choses à sa façon, il deviendra réalisateur. On apprend que l’homme est une véritable « boîte à idées », que c’est le « maître des prémisses », qu’il a « la phobie de se répéter », qu’il écrit tous les jours de sa vie, mais jamais sur un ordinateur ou une machine à écrire, toujours sur des blocs-notes avec un crayon, qu’il travaille sans arrêt dans l’urgence mais continuellement dans le plaisir, qu’il aime les acteurs au point de changer leur personnage en cours de route pour mieux les gonfler de leur personnalité ou au point de leur offrir des rôles écrits sur mesure quand ils se cherchent désespérément du travail, qu’il a été démoli plusieurs fois mais qu’il s’est plusieurs fois relevé, qu’il est mû par un incontrôlable désir de coucher ses idées et de prendre des risques, même si on lui a répété que ce qu’il faisait n’avait aucun sens. Voilà King Cohen.
Si on doit juger un documentaire au nombre d’intervenants qu’il convie, d’anecdotes qu’il égrène et d’archives qu’il déterre,
King Cohen est une réussite. John Landis, Mick Garris, Joe Dante, Martin Scorsese, Yaphet Kotto, Fred Williamson, Michael Moriarty (pour ne nommer que ceux-là) ajoutent tour à tour un coup de crayon au portrait que Mitchell veut brosser, souvent complété par des photos, des films Super 8 ou des « Home Video » et de nombreuses séquences de films. Et on sourira en entendant répéter par chacun comment Larry Cohen ne s’est jamais soucié de demander le droit de filmer dans les rues ou les aéroports de New York ; cachant ses caméras, lançant ses acteurs dans la foule, il captait ces moments de vérité pendant lesquels les badauds allaient sans le savoir livrer, en réagissant spontanément à une bagarre ou à une fusillade, une sincère prestation à un film de fiction. Puis on rira en apprenant comment Cohen, qui demandait à ses acteurs d’exécuter leurs propres cascades, s’est déjà fait répondre de la tester lui-même d’abord ; Mitchell pousse la plaisanterie en faisant dialoguer, par un savant montage, le réalisateur et l’acteur, chacun racontant sa propre version des faits et traitant l’autre de couard.
Si on doit juger un documentaire au rythme qu’il insuffle à son propos,
King Cohen est une réussite. Malgré son parti pris clairement chronologique, la pulsation du documentaire est donnée par les films de Cohen qui entrecoupent et complètent les commentaires. Mais en plus de suivre platement et fidèlement cette ligne du temps, chaque film constitue un nouveau défi à relever, un nouveau tabou à défoncer, une nouvelle technique à explorer. L’homme parvient-il enfin à faire accepter ses scénarios, il veut les réaliser. Parvient-il enfin à les réaliser, il veut les produire. A-t-il abordé la question du racisme, il abordera celle de l’homosexualité, a-t-il parlé de justice ou de politique, il parlera d’écologie ou de consumérisme. Jamais redondant — parce que Cohen détestait se répéter (bis) —, le film de Mitchell avance et progresse sans cesse jusqu’à son climax.
Si on doit juger un documentaire aux « messages » qu’il nous lègue, aux « leçons » qu’on en tire,
King Cohen est une réussite. Ceux qui veulent faire du cinéma auront de quoi se sustenter dans les paroles du King. Ceux qui veulent réussir dans la vie, auront aussi de quoi se nourrir. Vous voulez écrire un scénario ? Ayez d’abord quelque chose à dire. Le reste viendra ensuite. Pourquoi demander la permission pour faire quelque chose ? Donnez-vous-la vous-même. Partant, tous les autres penseront que vous l’avez ! Pourquoi s’esquinter à tout préparer pour le tournage puisque inévitablement, ça va chier ? Soyez plutôt capable de vous r’virer rapidement et de ne jamais vous laisser démonter. Et puis, quand on vous dit « Ce n’est pas comme ça qu’on fait », vous pourrez toujours répondre : « J’ai toujours fait comme ça, et ça a toujours marché. » Un coach de vie, ce Larry.
Après la projection, se présentant sur scène sous les chaleureux applaudissements d’un public conquis, King Cohen commencera ainsi : « Mon Dieu ! Quand je regarde ça, je me dis que je suis chanceux d’avoir débuté dans les années 1970. Aujourd’hui, je me serais sans doute fait arrêter et serais, à l’heure qu’il est, en prison. Et je devrais diriger mes films depuis ma cellule. Au fait… Il y a déjà un réalisateur qui a fait ça… ? Non… ? Hum… Tiens, ce sera le sujet de mon prochain scénario ! » Pas arrêtable, le bonhomme !
(Jean-Marc Limoges)
THE LAPLACE’S DEMON
Giordano Giulivi | Italie | 2016 | 109 minutes
Réflexif, ce petit bijou cinématographique l’est dans tous les sens. Tirant son titre (et son propos) de la théorie d’un scientifique méconnu du public — Pierre-Simon de Laplace — contemporain de Sade et de Laclos, ayant entre autres choses soutenu que ce que nous vivons au moment présent est « l’effet de son état antérieur et […] la cause de celui qui va suivre » et que, du même coup, nous pourrions établir la formule mathématique grâce à laquelle l’avenir nous serait aussi connu que le passé, le film de Giulivi nous convie lui-même à résoudre l’équation qui nous permettrait d’en anticiper la fin. Avec un sérieux qui devient volontairement comique, l’équipe de scientifiques qui débarque sur l’île angoissante du Docteur Cornélius dans le but d’échanger des informations travaille elle-même à cette formule, laissant tomber obsessionnellement des verres sur le sol afin de prédire avec exactitude le nombre de fragments qui y choiront. Cloîtrés dans le manoir dont l’hôte est étonnamment absent (tiens, ils ne l’avaient pas prévue celle-là !), nos scientifiques deviendront eux-mêmes les fragments d’une expérience dont le Maître, à l’aide de cassettes VHS pré-enregistrées, se plaira à annoncer l’issue. Coup d’éclat, en somme, qui nous permet de voir dans les morceaux du verre qui se fracasse dès l’intro une métaphore — et une annonce — de ce qui s’en vient (premier procédé réflexif).
Faut-il alors se surprendre de compter les mises en abyme (autre procédé réflexif) hantant cette sombre demeure ? Nos scientifiques constatent d’abord, dans la salle principale de cette vaste demeure, une réplique exacte (à l’échelle) du château dans lequel ils sont piégés, laquelle en contient à son tour une autre (mise en abyme infinie). Tirant de lourdes draperies, deux protagonistes discernent avec stupéfaction un tableau qui reproduit — tel un miroir — leur exacte position (mise en abyme simple). Mettant la main, à la toute fin, sur le « rapport » du Docteur Cornélius, le dernier survivant (car ces pions disparaissent tous les uns à la suite des autres) découvre, avec angoisse, que tout ce qui s’est joué et dit plus tôt y a été consigné, jusqu’à ce moment même où il lit et découvre avec angoisse ce qu’il lit (mise en abyme aporétique). Ce rapport pourrait alors prendre les traits du scénario dont le réalisateur serait le « Démon » (lui-même, sans doute, ayant voulu tout prévoir en faisant évoluer ses acteurs dans un décor entièrement reconstitué par ordinateur) et qui aurait voulu jouer avec l’horizon d’attente de ses spectateurs en les invitant, à leur tour, à anticiper les actions des personnages de son expérience.
En effet, le film de Giulivi, s’inscrivant dans une longue lignée de «
Whodunit? » et entretenant des liens intertextuels avec un ensemble de films (nous sommes toujours dans la réflexivité) —
House on Haunted Hill (William Castle, 1959),
5 Dolls for an August Moon (Mario Bava, 1970),
Ten Little Indians (Peter Collinson, 1974),
Murder By Death (Robert Moore, 1976),
Clue (Jonathan Lynn, 1985)… —, inviterait chacun des spectateurs à fouiller dans son encyclopédie personnelle afin de démasquer – grâce à la « redondance » et à l’« entropie » (concepts nommés dans le film et par ailleurs théorisés par Vincent Jouve pour distinguer les deux outils grâce auxquels le « lectant-jouant » cherche à deviner la fin d’un récit) — ce curieux Docteur. Mais la première image du film révélait en quelque sorte la difficulté, sinon l’impossibilité, d’une telle découverte : le très lent ralenti qui captait le verre tombant sur le carrelage nous laissait amplement le temps d’anticiper le bruit qui, finalement, sera entièrement étouffé et remplacé par une musique extradiégétique proposant le premier d’une longue série d’habiles détournements. Il fallait s’y « attendre », ce plancher — dont les tuiles noires et blanches évoquaient manifestement le jeu d’échecs — nous promettait plutôt un jeu… d’
échecs, auquel on aura toutefois pris grand plaisir à être battu.
(Jean-Marc Limoges)
MOST BEAUTIFUL ISLAND
Ana Asensio | États-Unis | 2017 | 80 minutes
Prix du jury, Meilleur long métrage narratif SXSW 2017,
Most Beautiful Island retrace 48 heures des péripéties d’une sans-papiers, à New York. Luciana, interprétée par la réalisatrice, scénariste, et coproductrice du film, Ana Asensio, est fraîchement débarquée d’Espagne, des suites d’un drame familial déchirant qu’elle aimerait pouvoir oublier, en vain. Elle survit péniblement de petits boulots au noir, dans une précarité de chaque instant, teintée de culpabilité, et d’une touche de provocation lui venant du désespoir. Un jour qu’elle distribue des tracts déguisée en poule, sa collègue, une autre sans papier, caricature de mannequin d’origine russe, lui propose un boulot d’un tout autre registre : discret, facile et payant. C’est ainsi que Luciana se présente à une adresse, abandonnant temporairement ses effets personnels dans une poubelle, avec pour seuls vêtements une robe et des talons noirs. Il dépendra de sa capacité de résilience la suite de la machination qui s’enclenche. Glanant, de-ci de-là, des éléments d’intrigue ; ce parcours du combattant, dont le pardon vers la réhabilitation est l’objectif ultime, nous est souligné à gros traits sans subtilité. Dans son introduction,
Most Beautiful Island affirme s’inspirer de faits vécus. L’histoire affectée, excessive
, à la résultante facile, ne parvient pas à insuffler un ensemble réellement captivant et authentique. Il abandonne les éléments d’histoire les plus profonds et prometteurs, au profit d’un échafaudage léché caricatural au voyeurisme creux, se rapprochant fâcheusement d’un cinéma opportuniste. Le premier long métrage de Asensio s’en trouve ainsi digne des pires scénarios de thriller érotique ou alors parodiquement à son meilleur, c’est selon... Les images, tournées en Super 16mm, apportent cette touche de chaleur et de proximité qui manquent cruellement à l’héroïne, et dont le spectateur semble occuper la place tampon ; au même titre que l’amas de ruban adhésif retenant les blattes de plonger dans la baignoire, dans une scène mémorable du film.
(Anne Marie Piette)
PRÉSENTATION
JOUR 1
(The Vilainess, JoJo's Bizarre Adventure: Diamond is Unbreakable – Chapter 1,
Super Dark Times)
JOURS 2-3
(A Ghost Story, The Honor Farm, Museum)
JOURS 4-5
(Animals, Brigsby Bear, Confidential Assignment, Liberation Day, My Friend Dahmer)
JOURS 6-7
(Bitch, The Little Hours, Origami, Radius, Poor Agnes,
Valerian and the City of a Thousand Planets)
JOURS 8-10
(78 / 52, The H-Man, House of the Disappeared,
The Night of the Virgin, The Senior Class)
JOURS 11-12
(A Day, Cold Hell, Have a Nice Day,
Ron Goosens, Low-Budget Stuntman)
JOURS 13-15
(Good Time, King Cohen, The Laplace's Demon,
Most Beautiful Island)
JOURS 16-19
(68 Kill, L'ange et la femme, Fabricated City, Mayhem,
The Tokyo Night Sky is Always the Densest Shade of Blue, Tiger Girl)
ENTREVUE AVEC LARRY COHEN
JOURS 20-21
(Bushwick, Fritz Lang, Geek Girls, Tragedy Girls)