IF BEALE STREET COULD TALK
Barry Jenkins | États-Unis | 2018 | 117 minutes | Film d’ouverture
Au cœur du roman à succès de 1974 de l’auteur américain James Baldwin écume un drame romantique, social et politique. If Beale Street Could Talk se déroule à Harlem, au début des années 1970. Fait de passion et de tristesse, — à l’image du blues —, le titre s’inspire directement d’un vieux succès de William Christopher Handy, Beale Street Blues. Tish Rivers (KiKi Layne), 19 ans, est enceinte d'Alonzo Hunt, alias « Fonny » (le Torontois Stephan James), 22 ans, injustement emprisonné pour le viol d’une femme d’origine portoricaine. Les deux amoureux voudraient se marier, mais les démarches judiciaires traînent, et la justice tout comme la vérité ne semblent pas être des enjeux éthiques pour la police. L’intrigue s’offrait, déjà toute prête pour être adaptée en salle par le cinéaste oscarisé Barry Jenkins (Moonlight).
On y découvre la dignité et la résilience dont doivent faire preuve les protagonistes au jour le jour. Les relations interraciales qui entachent la communauté afro-américaine d’alors y sont décriées dans un discours à la fois frondeur et languissant, exprimant bien les abus vicieux et délibérés de caucasiens tout puissants dans une amérique encore largement discriminatoire. Pour faire écho au long monologue du roman, c'est la voix off de Tish et quantité de flash-backs, dont certains sont moins portés sur des éclaircissements que sur une jolie narration, qui font évoluer l'histoire et les personnages à l’écran. La jeune femme d'apparence conciliante, effacée, au physique délicat, contraste avec cette voix omnisciente et un ventre récalcitrant un peu plus imposant chaque jour. Parlons de la direction photo de James Laxton, élégante et cérémonieuse. Sa lumière veloutée, aux couleurs de nuits sans sommeil, donne une texture au film. Elle vit au rythme des personnages obscurcis mais positifs, quelque peu déconnectés, dans l’attente d’un dénouement hypothétique. La caméra épie intensément les personnages, bien souvent filmés frontalement en gros plans fixes. Le regard est complexe et semble aussi pudique que pénétrant. Son champ visuel trace une narration autonome qui encadre le spectateur et l’amène quelque part entre photographie, théâtre et cinéma. Émanations spontanées du défunt photographe Roy DeCarava, hommage au premier photographe noir à être récompensé d’une Bourse Guggenheim, un témoin de la renaissance de Harlem.
Outre son héritage afro-américain, — témoignage de la vie dans les quartiers noirs avoisinant Beale Street au Tennessee, mais aussi, et tout particulièrement celle d'Harlem, — If Beale Street Could Talk pousse son pion plus loin en se permettant des libertés dans la forme et des référents en clins d’oeil. Le malaise vient d’une surenchère d’éléments romancés, d’un sentimentalisme aggravant le sujet initial déjà bien fourni, propension mieux servie sur papier que via l'image. Certes le récit a un fondement tragique loin du happy end, il est vrai que les tensions entre les deux familles ainsi que cette touche entre conte de fées et réalité sociale rappellent de petites et grandes tragédies, allant de Shakespeare à Demy. Au final pourtant, c’est dans cette même résilience qu’une fin heureuse semble toujours possible. Un équilibre fragile qui rend ici d’autant plus difficile l’amalgame entre factualité et réalité trop romancée et stylisée. Mention enfin à la performance de Regina King en mère dévouée, ainsi qu’à l’apparition de l’acteur Diego Luna. En salle le 30 novembre. (Anne Marie Piette)
A LAND IMAGINED
Yeo Siew Hua | France/Pays-Bas/Singapour | 2018 | 95 minutes | 2018 | Panorama international
Couronné du Léopard d’or lors de la dernière édition du festival de Locarno, A Land Imagined de Yeo Siew Hua mélange les genres et les influences pour proposer une réflexion sur les conséquences de l’agrandissement de Singapour par le déversement de sable sur les côtes de la ville-État. Étude sociale cachée dans un film néo-noir qui lorgne parfois du côté de Lynch, le film se déroule exclusivement sur les immenses chantiers de réhabilitation du territoire où Lok, un policier insomniaque et solitaire, amorce une enquête sur la disparition de Wang, un ouvrier chinois étranger, introuvable depuis quelques temps. Son enquête le mène à passer ses nuits sans sommeil dans un cybercafé non loin du dortoir des ouvriers. Une étrange connexion entre Lok et Chang se fait de plus en plus sentir et nous amène éventuellement à faire un bond en arrière afin de suivre Wang dans les derniers jours qui ont mené à sa disparition. Évidemment, les apparences confirment qu'elles sont toujours trompeuses et le mystère s’épaissit à mesure qu’on essaie de le percer.
À travers son récit, le cinéaste cherche aussi à parler du phénomène de réclamation des terres et de l'impitoyable délocalisation, tout en rendant compte de la situation de plusieurs ouvriers migrants qui sont en grand nombre sur ces chantiers. Dans un élan plus philosophique, on questionne la notion de territoire lorsque l’essentiel du sable utilisé pour agrandir Singapour vient de Malaisie ou du Vietnam, posant la question du lieu où l'on se trouve si notre terre est elle-même le fruit d'une délocalisation massive. Tout ce flou géographique est particulièrement bien saisi par les choix esthétiques et narratifs du cinéaste. La direction photo très stylisée de Hideho Urata regorge de nombreux jeux de focales qui rendent les arrière-plans flous, nous laissant parfois incertain des lieux qui entourent les personnages ou le chantier. La structure narrative vient aussi déboussoler la notion de temps, de lieu et d’identité, allant du présent au passé de façon abrupte, créant des liens entre les deux temporalités ainsi qu’entre les deux personnages. Film très ambitieux pour un cinéaste qui en est à son deuxième long métrage de fiction, il faut dire que A Land Imagined en souffre parfois. À vouloir essayer beaucoup de choses, certains aspects du film semblent moins travaillés (on aurait aimé par exemple voir certains personnages être plus développés, tel que Mindy, l’employée du cybercafé qui verse dans la caricature).
Il n'en demeure pas moins que Yeo Siew Hua, en faisant preuve d'une approche plus onirique et délaissant le potentiel suspense du genre, détourne les attentes et propose des réflexions sur la notion de territoire, physique et mental, dans un film rêvé, peuplé de personnages insomniaques qui traversent, tel des somnambules, les lieux abstraits d’une terre imaginée. (David Fortin)
JOUR 1
(If Beale Street Could Talk, A Land Imagined)
JOUR 2
(Die Tomorrow, Killing, Sharkwater Extinction)
JOUR 3
(Ash is Purest White, Burning, Dogman, Thunder Road)
JOUR 4
(Anthropocene: The Human Epoch, Going South, The Guilty)
Le Livre d'image de Jean-Luc Godard
JOUR 5
(In Fabric, Sheherazade, Une affaire de famille)
Too Late to Die Young de Dominga Sotomayor Castillo
JOUR 6
(Birds of Passage, Drvo — The Tree, Roulez jeunesse, Sticks and Stones)
JOUR 7
(Holiday, Season of the Devil, Touch me Not)
JOUR 8
(La casa lobo, Fugue, Mishima: A Life in Four Chapters)
Entrevue avec Quentin Dupieux (Au poste!)
JOUR 9
(The Gentle Indifference of the World, Phantom Islands,
Tourism, Woman at War)
Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez
JOUR 10
(3 Faces, All Good, Hommage à Robert Todd, Lemonade, Vision)
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