Par quel cliché commencer ce texte?
Le renouvellement de l'intérêt du public pour le documentaire? L'importance de cette tradition dans le paysage cinématographique québécois? Le besoin, toujours plus pressant, d'images du réel à l'ère du web 2.0? Ils sont tous un peu juste et un peu ennuyeux, parce que les clichés sont généralement justes et ennuyeux.
L'an dernier, l'équipe des RIDM avait invité le cinéaste français Denis Gheerbrandt à venir présenter sa splendide série de sept films
La République Marseille : « il faut éviter la dictature du sujet », avait dit le réalisateur suite à la projection de
Marseille dans ses replis. Il me semble que cette phrase résume, en toute simplicité et en toute limpidité, le plus grand danger qui guette le cinéma documentaire et, plus encore, la perception que nous en avons, la manière que nous avons de le consommer.
Car il faut résumer les films pour les vendre, en déterminer les enjeux pour les rendre « percutants »; et le cinéma documentaire, au fond, ce n'est pas cela. C'est surtout un regard, un rapport à l'univers, un apprentissage du monde que fait le cinéaste et dont le spectateur devient le témoin privilégié par l'entremise du film. Ce n'est pas de « vérité » dont il est question, de cette objectivité journalistique à laquelle prétend le reportage, mais d'une sensibilité au réel qui se renouvelle au fil du tournage. C'est à la recherche de ce regard que nous irons et non à la recherche de faits, de données statistiques, « d'informations ».
Quel contact saura nous toucher? Quelle oeuvre changera non pas notre vision du monde, mais notre manière d'entrer en contact avec celui-ci? Voici des questions auxquelles il s'avère impossible de répondre avant l'événement, avant la rencontre. Nous devrons suivre nos instincts :
At the Edge of Russia, film sur la frontière fantôme d'un empire déchu, défendu par des soldats laissés à eux-mêmes au beau milieu de nulle part?
Dragonslayer, chaleureusement accueilli à Hot Docs et South by Southwest, sur la vie marginale et déroutante du skateboarder américain Skreech Sandoval?
The Future is Now! de Jim Brown et Gary Burns, amalgame de documentaire et de fiction permettant à Paul Amharani de rencontrer Sartre ressuscité?
Position Among the Stars, conclusion de la trilogie indonésienne de Leonard Retel Helmrich?
Il y a évidemment, en guise de clou du spectacle, cette rétrospective consacrée au légendaire Frederick Wiseman - dont le plus récent film,
Crazy Horse, a été sélectionné pour ouvrir le festival. Célébration nécessaire d'une oeuvre monumentale, rivée sur les institutions qui ordonnent et dirigent nos existences, fascinée par la relation complexe entre les systèmes et les individus. Il y a aussi les hommages aux grands disparus : au pionnier du cinéma direct Richard Leacock, au roi du documentaire d'exploitation Gualterio Jacopetti, dont on présentera le controversé classique
Mondo Cane…