prod. Queen's Gambit Films, Sandwich Video
ASPIRATIONAL SLUT
Caroline Lindy | États-Unis | 2022 | 15 minutes | Cavalcade of Perversions: A Regular Little Orgy
Dans cette savoureuse satire des relations amoureuses à l’ère Tinder, Rosemary (Ellie Jameson) gît en larmes sur le plancher de son appartement. Un zoom out révèle des mouchoirs éparpillés autour d’elle, preuves d’une récente rupture qu’elle viendra confier pathétiquement à un livreur de pizza (le musicien Kenton Chen) qui, surprise ! se transformera immédiatement en coach de vie. « Arrête de tomber amoureuse de tous les hommes avec qui tu couches », lui ordonne-t-il avec sévérité, « il faut que tu deviennes une salope [slut] ! » Or, bien qu’Aspirational Slut soit déjà monté et mis en scène comme un film d’action (où on utilise les zooms et les champs-contrechamps pour leur potentiel comique), c’est à partir de là qu’on s’abandonne complètement au genre, avec un montage d’entraînement à la Rocky (1976) où le livreur lui apprend les rudiments du twerking, du Kama sutra et de l’épilation pubienne. Rosemary est prête à devenir une salope ! S’ensuit un autre montage de félicité sexuelle où l’héroïne libérée enfile avec joie les amant·e·s de passage et les pratiques sexuelles qu’elle s’était jusqu’alors refusées dans sa poursuite stricte de la monogamie. On assiste ainsi à une ribambelle de gags pince-sans-rire grossiers qui peuvent parfois sembler évidents, mais dont le timing est néanmoins parfaitement étudié et dont l’exécution bénéficie de l’excellente plume comique et de la direction d’acteurs adroite de Caroline Lindy, qui nous propose en somme un voyage amusant de part en part. Cet inspirant récit de libération culmine même avec une inversion réjouissante des rôles genrés provoquée par l’apparition d’un énième amant (Jake Nordwind), un homme un peu coincé, névrosé et obsessif qui, à son tour, tombe amoureux tout de suite après l’amour. Heureusement, ce personnage n’a pas la seule fonction de renvoyer à l’héroïne l’image de son moi d’hier, mais se développe comme une entité pittoresque à part entière, impayable dans ses fantasmes romantiques à la fois étrangement précis et désespérément intenses. Et, bien que l’ensemble se conclut finalement sur une potentielle revalorisation du couple hétéronormatif, le message central pro-sexe ne semble jamais atrophié pour autant. (Olivier Thibodeau)
prod. Getaway Films, La Classe Américaine, SK Global, Blue Light
COUPEZ !
Michel Hazanavicius | France | 2022 | 110 minutes | Compétition Cheval Noir
« Les gens le savent quand on leur sert de la merde », s’exclame le cinéaste interprété par Romain Duris dans l’infâme remake que Michel Hazanavicius consacre au génial One Cut of the Dead (2017) de Shin’ichirô Ueda. Le protagoniste, marié à Bérénice Bejo (ce qui en fait le clair alter ego de l’auteur des OSS 117, nettement plus réussis), ne croit pas si bien dire, alors qu’on épluche au même moment les couches trop épaisses et surfaites de son film faussement fauché, où quelques clins d’œil sympathiques (des contraintes de production débiles obligent par exemple les personnages français à conserver les noms japonais de l’original) ne justifient ni un remake si onéreux ni la mollesse de l’angle choisi.
Outre les retournements connus du scénario original, Coupez ! mise sur sa propre nature d’adaptation interculturelle, mariant les éléments de la comédie française avec son star système habituel au style guérilla des microproductions japonaises, bestioles d’inventivité qui se démarquent dans les festivals avant de devenir les nouveaux trésors de la distribution numérique et excentrée (ex. : Beyond the Infinite Two Minutes (2020) de Junta Yamaguchi). Or avec ses quatre millions d’euros, un budget, il faut le dire, environ 200 fois supérieur au film japonais (de 21 000 euros), Coupez ! tient davantage du pastiche industriel que de la lettre d’amour au cinéma de genre qu’était le film d’Ueda. Présenté en ouverture du Festival de Cannes en mai dernier, où les films d’ouverture zombifiés ressemblent de plus en plus à une tirade cynique sur l’état de santé d’un certain cinéma de festival, le film d’Hazanavicius est une blague de marché du film, une sorte de calcul malhonnête qui considère le cinéma d’horreur comme un bastion de la rentabilité cinématographique, l’ensemble des idiosyncrasies de l’œuvre gravitant autour d’un rapport purement productiviste à la réalisation et aux tensions liées à ses impératifs de rendement (alors que le cinéma français a lui-même une si longue et riche histoire avec le cinéma de genre d’importation et avec la culture populaire japonaise, deux aspects complètement ignorés par l’écriture de Coupez !).
C’est-à-dire que pour Hazanavicius le cinéma de genre, qu’il n’a lui-même pratiqué que dans son rapport aux formes les plus majeures (le pastiche hollywoodien à partir du Grand détournement [1993] jusqu’à The Artist [2011], ou encore la Nouvelle Vague française avec Le redoutable [2017]), n’est qu’une suite de décisions fonctionnelles qui doivent rapporter (monétairement et narrativement) : un élément planté dans une scène devant servir à la scène suivante, une remarque prémonitoire devant obligatoirement s’accomplir dès que l’occasion se présente, un tour de magie sans finesse, sans délai, sans attentes où rien n’échappe à son éventuelle liquidation. Où Ueda jouait avec la facture esthétique bancale du film de zombies auquel il rendait hommage, Hazanavicius est beaucoup plus intéressé à montrer à quel point sa distribution étoilée (comptons la performance de Jean-Pascal Zadi parmi les authentiques réussites du film) parvient à s’amuser dans un genre apparemment loufoque et sans ambition aucune, au risque de signer un film d’une agressante complaisance envers les systèmes artisanaux qui tiennent l’inventivité de ce cinéma à bout de bras, là où Ueda, sans ironie aucune, signait une lettre d’amour au péril de toute production faite avec la passion des premières fois.
Pire encore que de se faire servir un film qui est de la merde, il y a se faire servir un film qui n’a pas de cœur. (Mathieu Li-Goyette)
droits : Nikkatsu Corporation
THE FISH TALE (SAKANA NO KO)
Shuichi Okita | Japon | 2022 | 139 min | Compétition Cheval Noir
Les films de Shuichi Okita s’intéressent avant toute chose à la qualité idiosyncratique des personnages qu’ils montrent à travers leurs occupations quotidiennes singulières (calligraphie, cuisine, peinture, natation, etc.). Ils sont moins des études psychologiques que des sortes de peintures humoristiques en forme de quête, avec à la clé des thèmes rassembleurs et humains. Dixième film du cinéaste, The Fish Tale poursuit dans cette veine et propose un regard sur la vie de Meebo, personnage inspiré par l’autobiographie de Sakana-Kun, un biologiste marin connu au Japon pour son militantisme environnemental et ses apparitions à la télévision, coiffé d’un couvre-chef à l’effigie d’un poisson. Ici, qui est Meebo ? Une personne au genre indéterminé ou peut-être non-binaire (ce n’est pas totalement clair, le personnage, joué à l’âge adulte par l’actrice Non, est plutôt approché en petit garçon, sans que cet aspect ne soit mis de l’avant), qui se caractérise surtout en vertu de son amour inconditionnel des poissons. Quels poissons ? Tous les poissons, précisément. C’est en effet la variété ou mieux dit, la différence des poissons qu’admet aimer Meebo à une énième personne qui trouve curieuse sa passion invétérée.
Avec sa longue trame narrative durant laquelle on suit Meebo de sa jeunesse jusqu’à l’âge adulte, The Fish Tale donne un peu l’impression de regarder le Japon regarder sa propre propension à l’excentricité et son propre fétichisme de l’enfance, selon cet humour dérisoire et décalé qui le caractérise culturellement, tout en articulant une critique littérale et explicite de la normativité et de la société de performance. Dès l’enfance, la fréquentation de l’aquarium local propulse Meebo vers cet engouement donnant lieu à une soif encyclopédique et à une envie viscérale de fréquenter physiquement les êtres aquatiques, comme l’illustre une étrange scène de rencontre avec une pieuvre que le bambin, à la mer avec sa famille, laisse se mouler à son corps. Si le père de Meebo et la plupart des gens voient d’un œil réprobateur cet investissement libidinal hors-norme (comment ne pas penser à cette notion freudienne, d’autant plus que le thème de la sexualité intervient, furtivement, dans la première partie du film), sa mère au contraire encourage ce dernier à embrasser sa passion, voire à ne pas se conformer aux exigences disciplinaires du système scolaire. Intuitivement, elle prône une approche alternative de l’éducation où Meebo peut simplement se développer en tant que Meebo.
L’attention qu’accorde ainsi Meboo à la différence des poissons porte en creux la problématique à caractère social que tisse Okita. Là où le personnage réussit somme toute à garder toujours vive sa passion pour les animaux marins tout au long de sa jeune vie est également là où il échoue dans une certaine mesure à trouver sa place dans le monde. Sa connaissance à la fois pointue et non-scientifique s’arrime en effet mal aux normes de la société civile. Ce sont plutôt la sympathie qu’inspirent son ingénuité et son incapacité à se conformer aux règles, cette perpétuelle enfance en son être et sa façon de communiquer tout ce que recèlent les poissons de joie simple, qui parviennent à lui obtenir une place d’animateur télévisuel, créé à sa mesure par son ami d’enfance devenu producteur. Touché par cet être excentrique qui ne cherche pas à l’être, on regarde The Fish Tale animé d’une curiosité pour la curiosité, sympathique au personnage à l’instar de son entourage, le long de tous les petits rouages anecdotiques dépliés. On pourra néanmoins regretter la facture visuelle somme toute très conventionnelle du film, puisque l’imaginaire enfantin et marin en jeu offraient de belles occasions d’explorer des avenues formelles plus audacieuses, voire expérimentales. (Maude Trottier)
prod. Special Movies, Eleven04 Productions, Full Spectrum Features
ALL JACKED UP AND FULL OF WORMS
Alex Phillips | États-Unis | 2022 | 72 minutes | Section Underground
Prochaine projection : Jeudi 21 juillet à 12 h 30
Objet étrange et singulier, produit à faible coût avec toute la débrouillardise et la passion cinéphile propres au cinéma de genre DIY, le premier long métrage d’Alex Phillips n’en demeure pas moins un succès mitigé. Exhibant ostentatoirement son irrévérencieuse causticité et son mauvais goût extrême, qui rappellent parfois plus le cinéma d’exploitation des années 70 à la Worm Eaters (1977) ou I Drink Your Blood (1970) que celui de John Waters ou de Frank Henenlotter, le film constitue une entorse si profonde à la bienséance bourgeoise qu’il risque même de s’aliéner certains spectateurs plus stoïques, que le gore complaisant et les références pince-sans-rire à la pédophilie ou à la lubricité phallocentrique risquent de dégoûter. Qu’à cela ne tienne, le film exhibe aussi une mise en scène dynamique et inventive qui, en multipliant les zooms et en s’accompagnant d’un montage rythmé et d’une bande sonore délicieusement éclectique, nous garde constamment en haleine. Il est surtout doté d’une imagerie singulière et mémorable, pétrie d’un humour noir terreux que souligne une plastique savoureuse, déclinée notamment dans l’incarnation d'intestins constricteurs et de poupées gonflables grotesques d’apparence préscolaire. Intrigant de prime abord, s’apparentant au mumblecore ironisant d’Adam Wingard, le récit des personnages s’abîme malheureusement dans le déploiement d’un cinéma des attractions qui, pour le meilleur ou pour le pire, finit par tout dévorer, transformant presque toute la dernière partie en délire narcotique dont le caractère odieux évoque souvent un pamphlet antidrogue.
Démarrant sur les chapeaux de roues, avec une introduction chorale imbue d’un troublant mysticisme et d’une charge érotique effrontée, le film place habilement ses pions hors norme : un jeune concierge de motel nommé Roscoe dont la copine ésotérique entretient une relation ambiguë avec un grano de service nommé Jared, un sataniste repenti dans un talk-show télévisuel que regarde une travailleuse du sexe dans son bain d’un motel pourri et un schizophrène libidineux qui vient de recevoir un enfant par la poste. On assiste tour à tour à une épiphanie spirituelle, à des aveux transcendants et à un accès soudain à la paternité. C’est beaucoup pour une simple introduction, mais ça nous met en train pour la suite, pour l’accompagnement des différents personnages au gré d’une sorte de psychanalyse filmique teintée de cet humour autodérisoire salutaire qui est le propre du mumblecore. Le film commence à s’enliser au contact des vers, qui constituent une lourde et littérale métaphore pour la drogue qui dure et perdure jusqu’à devenir le point focal de l’œuvre. On gobe des vers dans All Jacked Up, on les sniffe, on se les fout dans les veines et ils nous font délirer. Immanquablement. Inexorablement. Comme une force obscure, dévastatrice, qui provoque des lésions cutanées, de violents vomissements, même une irrémédiable soif de sang (c’est là d’ailleurs que la référence à I Drink Your Blood se fait le mieux sentir). Introduits à l’instar des maux de l’humanité, sortis de leur boîte par une Pandore péripatéticienne, ce sont eux qui finissent par tirer le récit vers le bas, vers le « dirt », où même les plus amusants caprices de mise en scène peinent à sauver le film… (Olivier Thibodeau)
prod. Cinema Lab
POPRAN (POPURAN)
Shin'ichirô Ueda | Japon | 2022 | 96 minutes | Compétition Cheval Noir
Quatrième opus décevant de la part de Shinichiro Ueda, Popran bénéficie néanmoins d’un départ canon, alors qu’une astucieuse mise en abîme nous plonge dans la production d’un reportage télévisé sur les entrepreneurs à succès. L’invité du jour est Tagami Tatsuya, un distributeur de manga arriviste que l’équipe technique s’efforce de mettre en confiance avant l’entrevue. S’ensuit alors un savoureux guet-apens où les questions tranchantes de la journaliste, qu’une attachée de presse scandalisée finit par faire taire, nous révèlent que le héros est une ordure ayant abandonné père et mère, femme et enfant, de même qu’un partenaire d’affaire de longue date, à la poursuite de la fortune. On comprend dès lors que la disparition subséquente de son « popuran » (pénis), parti voler dans les lieux significatifs de son existence passée, et dont il devra retrouver la trace dans les six jours sans quoi il le perdra pour toujours, sera l’occasion pour lui de se racheter auprès de ses proches. S’il s’agit là d’une proposition intéressante pour tourner en ridicule l’imaginaire phallocentrique des riches entrepreneurs, laquelle donne lieu à quelques scènes hilarantes dans les premiers instants du film (la scène de l’urinoir et de la paille notamment), ce dernier s’abîme pourtant très vite dans un conte moral laborieux auquel les éléments comiques du scénario collent plus ou moins. Rien, d’ailleurs, que ne saurait sauver une trame narrative qui tient de la peinture à numéros, dans laquelle le héros revisite systématiquement les personnes qu’il a lésées afin d’obtenir des indices à propos de l’emplacement de son popuran. C’est surtout l’occasion ici pour Ueda de déployer la mise en scène la moins excitante de sa carrière, favorisant l’art dramatique qui lui est si cher en cultivant une théâtralité aride que même la prémisse complètement farfelue de l’œuvre ne parvient jamais vraiment à transcender.
Si la séquence d’ouverture laisse présager un retour au discours réflexif des films précédents du cinéaste, il ne s’agit malheureusement que d’un leurre puisque la mise en scène réflexive s’évanouit très vite au profit d’un type de cinéma vieilli, hyperthéâtral, ne carburant qu’à la (sur)performance des acteurs, laissés seuls comme dans des exercices d’improvisation dans de longs plans larges et statiques sans musique où on les voit faire diverses pitreries. Le succès de l’œuvre est donc imputable quasi exclusivement à la performance d’un comédien à qui l’on demande de faire semblant de courir après une bite volante. Il n’est pas dur de s’imaginer comment on peut se lasser d’une telle réalité… Il est surtout dommage de constater à quel point on est loin du chef-d’œuvre du réalisateur, One Cut of the Dead (2017), qui contenait un fiévreux film de zombies tourné en plan séquence dont le dynamisme extrême savait nous happer complètement et où l’encensement du travail d’équipe recelait une morale humaniste étrangement prenante. Ici, non seulement délaisse-t-on majoritairement l’idée de « travail collectif » (aussi très prégnante dans Special Actors [2019]), de même que l’idée d’une distribution d’ensemble, mais le concept singulièrement excentrique de la quête du pénis aérien bénéficie d’une représentation beaucoup trop morne. La caméra sort bien de ses gonds et la trame sonore se met bien de la partie à l’occasion d’une scène tardive où Tagami retrouve ses mangas d’enfance dans la maison de ses parents, mais s’il n’est pas alors trop tard pour le réveiller, lui, il est alors bien trop tard pour nous réveiller, nous. (Olivier Thibodeau)
PARTIE 2
(Aspirational Slut, Coupez !, The Fish Tale,
All Jacked Up and Full of Worms, Popran)
PARTIE 3
(Lynch/Oz, L'employée du mois,
The Cow Who Sang a Song Into the Future, From.Beyond)
PARTIE 4
(Les pas d'allure, One and Four, Sissy, The Harbinger)
PARTIE 6
(Chorokbam, Vesper, Happer's Comet, The Breach, Skinamarink, Shari)
PARTIE 7
(We Might as Well Be Dead, Opal, Resurrection,
Inu-Oh, Freaks Out, Monsieur Magie)
PARTIE 8
(Speak No Evil, Island of Lost Girls, Deshabitada, Ring Wandering)
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