DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Le festival international de films FIN Atlantic

Par Shelagh Rowan-Legg

Note de la rédaction : Cet article réfère à l’édition 2021 du festival. Le directeur général de l’époque, Wayne Carter (en poste depuis 2012) a été remplacé par Martha Cooley en avril 2022.

 

C’est comme un labyrinthe pour se rendre au centre commercial Park Lane ; c’est la fin septembre 2021, et Spring Garden Road est en construction, mais les sons s’estompent dès que je franchis les portes vitrées et me dirige vers le multiplexe au sous-sol. C’est le dernier cinéma du centre-ville d’Halifax et il présente presque tout ce qui sort en ville, des superproductions aux petits films indépendants. Pour la prochaine semaine, il sera l’hôte du festival international de films FIN Atlantic.

C’est la première fois que j’assiste au FIN, et c’est la première fois que je vais dans un festival en personne depuis mars 2020. Tous les protocoles de sécurité sont en place, alors je suis vraiment excitée à l’idée de me retrouver dans une salle avec tous mes camarades cinéphiles, prête à découvrir un nouveau film fraîchement sorti et à écouter les cinéastes parler de leur travail. Mais surtout, je suis prête à me plonger dans une nouvelle vague de films de la côte est.

« Nous sommes un festival complètement canadien », déclare Wayne Carter, directeur général du FIN, « nous avons une communauté de cinéastes très dynamique dans la région. Les quatre provinces créent une quantité énorme de contenu chaque année, qu’il s’agisse de courts métrages, de documentaires ou de longs métrages. Les habitants de l’Atlantique font surtout des films à propos de la vie dans l’Atlantique, ils ne font pas des films où l’on fait semblant que l’histoire se déroule ailleurs. » 

:: Wildhood (Bretten Hannam, 2021) [Rebel Road Films/Younger Daughter Films]

Le film d’ouverture, Wildhood (Bretten Hannam, 2021), coche beaucoup de cases : il est produit et se déroule en Nouvelle-Écosse, il est réalisé par un cinéaste micmac, et il traite d’un jeune autochtone queer parti à la recherche de sa mère disparue, effectuant un (court) road trip dans la région avec son demi-frère blanc durant lequel il découvre l’amour et la sexualité auprès d’un danseur micmac. Or, au-delà de son caractère inclusif, il s’agit d’un excellent film, représentatif du genre de voix nouvelles que Carter, et d’autres représentants de l’industrie, aiment découvrir.

« Ces voix marginales qui ont désormais la chance de raconter leurs histoires, ce sont surtout celles des jeunes cinéastes. La plupart du temps, leurs histoires traitent de la jeunesse ou des jeunes dans des communautés marginalisées, ou ce sont des histoires qu’on raconte pour plaire à d’autres jeunes », rajoute Carter. « Lorsqu’on présente un film comme Wildhood, on est très confiant que le public régulier du festival va adorer », poursuit-il, « mais on sait aussi que ça va attirer un public plus jeune. »

Wildhood fut un très bon départ pour moi au FIN. Le film adopte le style et le format standard du cinéma indépendant nord-américain, mais Bretten Hannam, scénariste et metteur.e en scène du film, se l’approprie parfaitement. Link, l’adolescent bispirituel, ne doit pas seulement composer avec une communauté et un père blancs, mais aussi avec l’aliénation de son héritage micmac provoquée par l’absence de sa mère. Alors que Link, son frère Travis et son amoureux Pasmay se promènent, conduisent et se disputent, on ressent à la fois une vraie tendresse, une joie intense et un certain chagrin dans leur périple. J’ai adoré la rugosité du film — comment le style reflète l’esprit tourmenté de Link, sa difficulté à découvrir et à exprimer ses différentes identités. Il représente aussi de belle façon sa première relation sexuelle, qui semble aussi passionnée et maladroite que dans la vraie vie.

Le défi n’est pas seulement de découvrir et de promouvoir ces voix, mais de leur trouver un public. Comme plusieurs autres festivals, le FIN a migré en ligne en 2020. Mais ça fait longtemps qu’on exige que les films de la côte est jouent sur la côte est, et pas seulement dans des festivals annuels. Les projections numériques n’ont pas été une contrainte, mais une bénédiction, comme l’explique Carter : « Le côté positif de la COVID, qui nous a forcé à développer notre plateforme de streaming, c’est qu’elle nous a aussi ouvert des portes, de sorte que notre catalogue en ligne n’inclut maintenant que du contenu de l’Atlantique. Et c’est la direction que nous souhaitons prendre pour l’avenir. Nous croyons que le streaming devrait constituer une extension de notre mandat, qui est d’offrir une plateforme et de promouvoir d’abord et avant tout le contenu en provenance de l’Atlantique. »

Le cinéaste néo-écossais John D. Scott s’intéresse à la poétesse Elizabeth Bishop, et particulièrement à l’une de ses œuvres les plus célèbres, dans le documentaire Elizabeth Bishop and The Art of Losing (2021). Le film traite de la signification de ce poème dans l’œuvre de Bishop et des années passées en Nouvelle-Écosse lors de sa jeunesse. Dans ses écrits, Bishop a souvent évoqué ses années au Canada comme des années formatrices, et Scott s’intéresse à cette partie de son passé, à son écriture, aux erreurs que mettent en relief son poème, et bien plus. J’ai aussi attrapé quelques courts documentaires produits par des cinéastes locaux, racontant tous l’histoire de quelqu’un qui essaie de laisser sa marque : une batteuse autochtone du Labrador dans Evan’s Drum (Ossie Michelin, 2021), une jeune musicienne noire dans Being Black in the Nova Scotian Music Industry (Juliet Mawusi, 2021), des militants qui tentent de protéger une terre sacrée de l’Île-du-Prince-Édouard dans Pituamkek: A Mi’kmaq Heritage Landscape (John Hopkins, 2021), un artiste visuel acadien dans François Gaudet: An Acadian Artist (Charles Currie, 2021), et l’histoire de deux militants noirs célèbres en Nouvelle-Écosse durant les années 1960 dans Rocky and Joan (Olesya Shyvikova, 2021). Non seulement chacun de ces films raconte-t-il l’histoire de quelqu’un qui a fait sa marque dans la communauté atlantique, mais il est aussi fait par quelqu’un de cette communauté. Comme le souligne Carter, « le pouvoir de raconter des histoires est de plus en plus accessible puisque les gens sont littéralement capables de faire des films avec leurs téléphones. Le coût de l’équipement était particulièrement dissuasif pour les personnes marginalisées. Ce que le virage numérique a permis, c’est de mettre des outils entre les mains de gens qui, franchement, n’auraient jamais été capables de faire des films autrement ».


:: Pituamkek: A Mi’kmaq Heritage Landscape (John Hopkins, 2021) [Square Deal Productions]


:: Rocky and Joan (Olesya Shyvikova, 2021) [White Lelou Media]

J’aime particulièrement le cinéma de genre : la science-fiction, l’horreur, tout ce qui puisse me faire voyager dans l’occulte et l’inexpliqué. Tin Can (2020), le troisième long métrage du cinéaste local Seth A. Smith est l’histoire d’une parasitologue, Fret, qui se réveille coincée dans une capsule cryogénique ; elle semble être l’une des seules personnes immunisées contre une pandémie, et l’une des seules personnes que l’on garde en vie, possiblement jusqu’au moment qu’un traitement soit découvert. Non seulement s’agit-il d’un film claustrophobe, mais terrifiant dans sa perspective littéralement et métaphoriquement oblique sur le monde ; comme Fret, il nous incombe de découvrir ce qui se passe au juste, et Smith auréole à la fois l’image et les dialogues d’un étrange halo doré qui embrouille la vérité.

J’ai regardé Tin Can dans le cadre de mon propre programme double de films de genre, le second étant Titane (Julia Ducournau, 2021). Comme moi, Carter est un inconditionnel du cinéma d’horreur, et dans son désir d’attirer plus de jeunes en salle, il a programmé ce film à une heure tardive. Ce fut la projection la plus achalandée à laquelle j’ai assisté, la salle étant remplie à capacité pour la deuxième représentation en deux jours. C’est toujours risqué pour un festival de films se déroulant en septembre de compter sur la présence des étudiants et des jeunes, mais ça a bien marché pour le FIN.

Pas qu’ils négligent ou ne vont jamais négliger leur public plus âgé (dont nous ferons tous partie un jour). Question de rencontrer ces spectateurs et de découvrir le cinéma canadien d’ailleurs que la côte est, j’ai amené ma mère voir All My Puny Sorrows (Michael McGowan, 2021). Basé sur le best-seller international de Miriam Toews, le film met en vedette deux actrices canadiennes, Allison Pill et Sarah Gadon, dans un récit à propos de deux sœurs mennonites, l’une qui est partie (Pill) et l’autre qui est restée (Gadon). Lorsque le personnage de Gadon fait une tentative de suicide, celui de Pill revient pour aider sa sœur dans un moment de crise, même si sa propre vie n’est pas vraiment en ordre. Bien que certains puissent y voir un film dramatique canadien plutôt standard, le scénario est émouvant et éprouvant, alors que Pill et Gadon livrent des performances d’une sobriété magnifique.  


:: Tin Can (Seth A. Smith, 2020) [Cut Off Tail]

Comme le souligne Carter, « l’important, c’est le processus de sélection. Nous avons reçu 1200 soumissions cette année, mais seulement 158 films jouent au festival. Ce qu’il faut que les spectateurs comprennent, c’est que nous effectuons une sélection minutieuse, et qu’ils risquent de ne pas tout aimer, en fait nous n’assumons pas que quiconque aimera toute la sélection, mais nous savons qu’il y a quelque chose là-dedans qu’ils vont aimer ». 

Le festival propose une belle sélection de films internationaux, à la fois pour les publics plus jeunes et plus âgés. Je suis retourné avec ma mère voir Mothering Sunday (Eva Husson, 2021) — certainement un film pour un plus vieux public, mais un film subtilement percutant néanmoins. Compartment No. 6 (Juho Kuosmanen, 2021) possède un attrait plus large avec son récit d’une femme qui voyage vers l’extrême nord de la Russie et développe une amitié singulière avec un étranger.

Le choix du multiplexe comme lieu de projection permet de créer un sens de communauté parmi les spectateurs : même lorsque nous allons dans différentes salles, nous sommes tous.tes excité.e.s par les films qui nous attendent, qu’il s’agisse d’un documentaire local, d’un nouveau film de genre, d’un récit autochtone ou d’une prestigieuse sortie internationale. Le festival de films FIN Atlantic, avec son retour en salle et l’adoption d’une plateforme de visionnage numérique en parallèle, a fait un travail remarquable de promotion du cinéma de l’Atlantique dans toute sa diversité, proposant aussi le meilleur du cinéma canadien et international. Le plan pour le festival est de réitérer ce modèle hybride tout en étendant ses activités (en ligne et en personne) durant le reste de l’année. Bien qu’il semble s’agir d’un impératif pour assurer la viabilité des festivals, il s’agit aussi là d’une occasion de présenter plus de cinéma canadien et de cinéma de la côte est à un public plus vaste. 

 

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Shelagh Rowan-Legg est écrivaine et cinéaste. Elle est directrice du Miskatonic Institute of Horror Studies, programmatrice pour le Wench Film Festival et rédactrice en chef pour ScreenAnarchy. Ses courts métrages ont été projetés dans des festivals du monde entier. Elle est titulaire d'un doctorat en cinéma fantastique espagnol du King's College de Londres.

    

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Article publié le 30 novembre 2022.
 

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