ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Festival Présence autochtone 2016

Par Claire-Amélie Martinant


:: Napaquuna qullusi (Se tenir debout)
(Ole Gjerstad, 2015)


Le cours de l'histoire autochtone

Si le cinéma autochtone incarne dans la plupart des esprits les coutumes, la spiritualité, l’importance de la terre, le rejet du colonialisme, la spoliation des territoires et des ressources et la souffrance encourue due à la ségrégation raciale et aux génocides, il s’étend bien au-delà et embrasse le vaste monde des peuples premiers qui regroupe un nombre impressionnant de 370 millions d’individus présents sur l’ensemble des continents. La curiosité devient alors un précieux allié avec lequel voguer en images sur ces terres afin d'appréhender ces cultures riches en visages.
 
José Martínez Cobo, nommé rapporteur spécial par la Sous-Commission des Nations unies qui lui a confié une étude exhaustive sur le problème de la discrimination à l’égard des populations autochtones, a rendu son rapport au début des années 1980, proposant des mesures nationales et internationales dans le but d’enrayer la discrimination. Cobo définit les communautés autochtones comme celles « liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l’invasion et avec les sociétés précoloniales qui se sont développées sur leurs territoires » et qui « ... sont déterminées à préserver, développer et transmettre aux futures générations leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuples, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques. »
 
à Du point de vue cinématographique, la vulgarisation de l’identité et de la culture des peuples autochtones se manifeste principalement au travers du documentaire à dimension sociale qui revendique la non-intégration des peuples autochtones par l’État-nation. Depuis ses débuts le cinéma autochtone cherche l’émergence de la parole et de l’écoute, les premières étapes à une reconnaissance étatique et juridique. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée en 2007 transfigure cette situation urgente et préoccupante de ces peuples laissés à la dérive et son préambule pose les bases d’une prise de conscience mondiale : « Consciente de la nécessité urgente de respecter et de promouvoir les droits intrinsèques des peuples autochtones, qui découlent de leurs structures politiques, économiques et sociales et de leur culture, de leurs traditions spirituelles, de leur histoire et de leur philosophie, en particulier leurs droits à leurs terres, territoires et ressources… ». Constituant le premier instrument universel des droits des peuples autochtones, cette déclaration ratifiée par plus de 140 pays accorde un statut juridique conforme aux autres peuples du monde : « Les peuples autochtones sont égaux à tous les autres peuples, tout en reconnaissant le droit de tous les peuples d’être différents, de s’estimer différents et d’être respectés en tant que tels ». Le Canada qui dans un premier temps y opposa son refus — étonnamment non mentionné sur le site du gouvernement incapable d’en assumer la responsabilité et de reconnaître ses fautes — a finalement, une décennie plus tard, annoncé en mai 2016 son plein appui sans réserve. 
 
Mais bien avant l’adoption de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le Québec connaît au cours des années 70 un bouleversement sans pareil suite à la décision du premier ministre Robert Bourassa de construire des barrages hydrauliques dans la Baie-James, destinés à éclairer le sud du Québec, impliquant du même geste la destruction et le chamboulement de la faune et flore du territoire des Inuits. Napaguuna qullusi (Se tenir debout) de Ole Gjerstad raconte le cheminement laborieux et interminable des Inuits qui se sont associés aux Cris sous l’égide de l’Association des Indiens du Québec (AIQ) avec pour finalité la reconnaissance de leurs droits sur leurs terres ancestrales. Le gouvernement libéral québécois qui n’en a eu cure, a renvoyé la balle au gouvernement fédéral d’Ottawa qui insinuait que les Inuits et les Cris n’avaient aucun droit puisqu’ils n’étaient pas inscrits dans le Code civil. Face au l’apathie du premier ministre et du gouvernement, rejetés et incompris, les peuples autochtones n’eurent guère d’autre choix que de porter l’affaire en justice où ils relatèrent leurs coutumes et leurs habitudes de vie si différentes de celles des autres Québécois. Grâce au juge Albert Malouf, qui a le premier reconnu et fut convaincu que malgré les précautions prises par les dirigeants d’Hydro-Québec, les conséquences des travaux pour la construction d’un barrage et de son exploitation seraient désastreuses sur l’environnement et sur la vie des peuples autochtones, le projet fut arrêté. Cela ne suffit pas à endiguer la reprise des travaux une semaine plus tard suite au renversement de cette décision en cours d’appel. Cependant, la position du juge fut un premier pas et obligea le gouvernement à négocier une entente reconnaissant les droits des Cris et des Inuits, leur territoire ainsi que l’indemnisation des terres exploitées. Une négociation en 11 points fut entreprise proposant la catégorisation de la territorialité, forçant les Inuits à céder une partie de leur terre (ce qui leur furent reproché au sein même de leur communauté) ainsi que l’octroi d’instances politiques propres et de droits sociaux comme le droit au logement, aux services de santé et à l’éducation. Ces droits acquis au prix de discussions houleuses qui s’étalèrent sur plus de deux ans avec le gouvernement québécois se concrétisèrent par une avancée sans commune mesure, soit la signature d’une entente le 11 novembre 1975 octroyant aux peuples autochtones une existence légale et sociale. Ce documentaire présenté sous une forme classique et hiératique qui lui fait grandement défaut, suscite pourtant l’attention par son sujet historique ainsi que l’usage de nombreuses images d’archives qui nous placent directement au cœur de ces négociations où l’incompréhension, l’ignorance et la tension sont palpables.
 
Surprenant et magnifiquement réalisé, Hija de la laguna de Ernesto Cabellos Damián retrace quant à lui le combat d’une jeune femme péruvienne des Andes, Nelida, qui a le pouvoir de communiquer avec la nature et attache une importance vitale au lac de son village menacé d’extinction par la plus grosse exploitation minière d’or de l’Amérique du Sud, Yanacocha. Malgré les actes de propriété conférant aux villageois le droit de vivre de leurs terres et d’utiliser ses ressources, la compagnie minière se fait oppressante et menaçante en envoyant des groupes armés toujours plus nombreux se poster devant les maisons et intimider les villageois afin d’obtenir par la force ces terrains qui pourraient contenir de l’or. Même si la mine représente pour certains l’assurance d’un revenu à court terme, la terre arable s’amenuise, sa végétation se dégrade et disparaît, l’eau ne s’écoule plus, révélant un paysage mort et pendant ce temps les camions défilent et le désastre écologique continue son expansion — les mines une fois exploitées sont laissées à l’air libre, contaminant les autres terres. Le paradoxe est poussé jusqu’à son paroxysme lorsque Bibi van der Velden, une joaillière hollandaise de luxe, s’enquiert de l’origine de l’or qu’elle confectionne et se conscientise de la charge de travail accomplie par les mains de Péruviens exploités et la destruction massive que provoque l’extraction de quelques grammes d’or. La joaillière met un point d’honneur à évoquer l’importance de la nature et le caractère festif et joyeux des ornements qu’elle confectionne en forme d’animaux qui sont offerts lors d’occasions célébrant la vie et s’acquitte finalement de la tâche de chercher de l’or « propre ». Ce film aux images saisissantes retranscrit à la perfection le devoir de considérer la nature comme un égal et non pas comme un subalterne à déposséder.
 
Les conséquences néfastes de l’exploitation massive des terres sont également relatées dans le court métrage Où sont passées les hirondelles ? de Mari Corrêa. Ces autochtones du Xingu au Brésil voient leur environnement complètement ravagé par la déforestation et la culture intensive du soja et du maïs. L’hirondelle qui annonçait l’arrivée de la pluie ne vient plus sonner le glas, des insectes qui n’existaient pas autrefois sur ces terres envahissent les cultures et détruisent les plantations sur leur passage, le soleil trop fort brûle les aliments dénudés de protection suite à la déforestation et la forêt devenue sèche n’est plus capable de circonscrire les feux de la culture sur brûlis aux terres cultivables. Ce moyen métrage, aux visuels simples et efficaces, frappe par les discours de mécontentement et d’inquiétude des chefs Yapatsiama Waura et Sadea Yudja qui vont droit au but.
 
Sur l’île de Baffin (la plus grande île du Canada) de l’archipel arctique canadien dans le territoire du Nunavut vivait une famille inuit qui a vu son avenir compromis par l’arrivée d’une mine de forage, provoquant son expropriation à des milliers de kilomètres, à Igloolik. Nowhere Land (Entre-deux) de Rosie Bonnie Ammaaq expose le point de vue du déracinement et du déchirement sous les traits de l’aînée de la famille — la réalisatrice — qui s’est vue sombrer dans l’alcool et la dépression, propulsée sur une terre étrangère envers laquelle elle ne ressent pas d'appartenance.
 



:: Nowhere Land (Rosie Bonnie Ammaaq, 2015)


Si le Canada a tardé dans la reconnaissance des droits de ses autochtones, ce fut également le cas pour les États-Unis et plus précisément l’État du Maine qui ne s’est engagé que récemment dans un processus de reconnaissance de la vérité et de réconciliation à propos des enfants amérindiens que se sont vus séparés de leur famille pour être « rééduqués » aux standards euro-américains dans des pensionnats à la fin du 19e et au début du 20e siècle. First Light de Adam Mazo et Ben Pender-Cudlip retrace l’histoire de ce drame où des enfants durent renoncer à leur culture et leur identité, contraints de changer de nom, d’apparence, de coupe de cheveux, sans avoir le droit d’échanger dans leur langue, en plus d’être abusés sexuellement, mentalement et physiquement dans ces écoles avant d’être adoptés par des parents américains. En 1978 le gouvernement édicta pourtant une loi fédérale, le « Indian Child Welfare Act » afin que les enfants ne soient plus séparés de leur famille. Cependant, la commission d’enquête chargée de regrouper les témoignages et déclarations de ces Amérindiens maltraités et forcés au déracinement dans l’état du Maine ne fut mise sur pied qu’en 2012 et ses conclusions et recommandations furent publiées en 2015.
 
Au nom du sort funeste des 1181 femmes autochtones disparues et assassinées entre 1980 et 2012, non recherchées par la police, This River de Erika MacPherson et Katherina Vermette, met en exergue le travail d’une flotte de volontaires communément regroupés sous le nom « Drag The Red » qui sillonnent quotidiennement la Rivière Rouge de Winnipeg à la recherche de corps disparus en ratissant le fond de l’eau à la recherche de preuves. Cette rivière qui a vu arriver les indigènes et les Européens et dont le nom symbolise étrangement les actes commis, regorge encore de crimes non élucidés pour lesquels la police n’a jamais voulu s’impliquer. Ce court métrage souligne le courage des proches des victimes s’insurgeant contre la passivité sans équivoque des forces de police : « We only pay attention when the river becomes a crime scene ».
 
Perù Nativo, los anos 1970trois courts métrages du cinéaste Carlos Ferrand, reposaient sagement dans leurs boîtes depuis plus de 40 ans et furent miraculeusement retrouvés et projetés pour la première fois. À cette époque où le gouvernement militaire socialiste jugea pertinent de jouer le rôle de Robin des bois, en confisquant les terres de riches familles blanches au profit des autochtones et petits exploitants agricoles, ces récits à la fois humains et troublants témoignent de l’exploitation et de l’extrême pauvreté qui sévissaient déjà depuis trop longtemps. Les conditions sociales sont ostensibles : les enfants après l’école sont astreints au gagne-pain afin d’améliorer les moyens de subsistance de la famille ; les paysans se métamorphosent en porteurs faisant fi des lois de la gravité avec un chargement maintenu par une simple corde dépassant largement leur taille et leur poids en transportant nourriture, paille et bois en déambulant dans les rues pliés en deux et miséreux ; la forêt Amazonienne est éradiquée alors que seulement 15 % de ses terres sont propres à l’exploitation agricole ; un pipeline traverse le pays pour le soi-disant bien-être de ses habitants alors que la surconsommation bat son plein et qu’une partie du pays n’a toujours pas accès à l’électricité ; le tout au prix de centaines de civilisations indigènes annihilées sous le joug de la civilisation « blanche ». Si l’ambiance sonore bénéficierait d’une mise au point, la dichotomie noir/blanc transcrit avantageusement la situation poignante des Péruviens et s’élève parfois même jusqu’à un univers poétique, voire onirique, s'éveillant à la beauté des prises de vues du cinéaste.
 



:: Marie's Dictionary
(Emmanuel Vaughan-Lee, 2014)
 

Transcendant la mise à mal généralisée des traumatismes des peuples premiers, la culture se voit favorablement régénérée par la dernière génération qui a soif de ses racines et, indubitablement, désire refonder ses liens aux valeurs ancestrales. À travers le court-métrage Marie’s Dictionary réalisé par Emmanuel Vaughan-Lee, Marie Wilcox se réveille chaque matin avec une volonté inébranlable et épatante pour achever la réalisation d’un dictionnaire Wukchumni dont elle partage les secrets avec son petit-fils. Dernière locutrice de la langue, elle y aura consacré en tout et pour tout sept années de sa vie pour sa rémanence en tapant et en  enregistrant à son rythme les intonations, expressions et combinaisons de lettres spécifiques à cette langue à la veille de son extinction.
 
Spirit of Birth de Rebeka Tabobondung quant à lui célèbre la vie et le respect des traditions autochtones à travers la création en 2014 d’un centre de naissance à Toronto dédié aux futures mères descendantes des Premières Nations. Une jeune femme renoue ainsi avec sa culture et affirme sa volonté de la recevoir en choisissant d’accoucher dans ce centre aux pratiques bien différentes des hôpitaux classiques. Symbolisant la réconciliation entre le gouvernement et les femmes indigènes qui pendant de nombreuses années furent contraintes de donner naissance dans des centres occultant leurs origines où elles étaient réprimées dans leur connaissance de la mise au monde d’un enfant, cette jeune femme redonne l’espoir du respect et de l’apprentissage au plus proche de l’humain. Le pouvoir sacré des femmes à donner la vie est magnifié et reprend sa place initiale en faisant l’éloge notamment du placenta, trop souvent considéré comme un déchet par le corps médical classique.
 
La réappropriation intergénérationnelle de la culture émerge également, avec tact et sensibilité dans le moyen métrage Katary de Esteban Lema, où un petit-fils, Esteban, raconte ses souvenirs liés à ses grands-parents qui revêtaient leurs plus beaux habits et préparaient de nombreux mets pour la fête indigène de Saint-Juan, l’Inti Raymi, le 23 juin de chaque année. La tresse masculine,  symbole de la culture Kitchwa Otavalo, devient alors une obsession pour le jeune homme qui ressent le besoin de réaffirmer ses origines. Curieux et en plein questionnement, il se nourrit de la sagesse et de la sagacité de ses aînés sous de nouveaux rapports et réalise qu’il n’a nul besoin de la tresse pour faire de la culture autochtone sienne.
 
La culture cinématographique des peuples autochtones, loin de s’inscrire dans un courant prédéterminé, s’écoule indéfectiblement tel l’Amazone en empruntant autant de chemins qu’il le faut afin de polariser notre attention. Ces tentatives de sensibilisation, d’apprentissage et d’enrichissement sont autant d’offrandes que d’élévation commune de leurs voix cherchant un exutoire. Nous ne pouvons enfin que souligner ces prises de paroles, cette audace énergisante et la persévérance indéniable dont ils font preuve et, par là même, la tenue du festival Présence Autochtone qui en est un des moteurs importants... N'en déplaise à certains décideurs qui semblent le remettre ponctuellement en question.
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Article publié le 3 octobre 2016.
 

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