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Alexandre Philippe | Etats-Unis | 2017 | 91 minutes | Documentaires de la marge
Il suffit de dire « la scène de douche » pour que tout le monde comprenne. Les enfants même, la connaissent avant de l’avoir vue. Il y a, dans l’histoire du cinéma, un
avant et un
après « scène de douche ». C’est la scène la plus repiquée, la plus imitée, la plus parodiée. On pourrait aussi affirmer que c’est « la » scène la plus étudiée, analysée, disséquée. Un jeune professeur qui, en retard dans sa session, voudrait préparer son cours de cinéma, pourrait se satisfaire de cette seule et unique scène. Elle illustre tout, exemplifie tout. Vous voulez parler du montage ? La scène de douche. De la musique ? La scène de douche. Des cadrages ? La scène de douche. De la bande-son ? La scène de douche. De la condition de la femme et de la censure ? La scène de douche. De l’hygiène corporelle et autre type de purification ? La scène de douche. Bref, la scène de douche peut être conviée à tous les propos. Aussi pouvait-on se questionner sur la pertinence d’un documentaire qui s’attarderait, une fois de plus, à cette scène constituée de 78 plans et totalisant 52 secondes. Allait-on l’approcher d’un nouvel angle, lui jeter une nouvelle lumière, en dire quelque chose d’inédit ? Alexandre Philippe et son équipe relèvent ce défi. Ils réunissent des fans, des professeurs, des cinéastes, des artisans qui, tour à tour, regarderont la scène et la commenteront. Ce morceau d’anthologie est ainsi approché sous toutes ces collures : historique, politique, sociologique, symbolique, esthétique… On rappelle le contexte dans lequel elle est née, les craintes qu’elle cristallise, le changement qu’elle a opéré dans les mentalités et dans la façon de faire du cinéma. On en discute chaque plan, chaque raccord. On parle de son importance dans l’économie narrative. On décortique les scènes et les répliques qui nous y conduisent. On interprète la bande-son. On en révèle les trucages. On égraine les anecdotes de tournage. On en mesure l’influence sur les centaines de films qui l’ont suivi. L’Amérique. L’Ouest. La Mère. Le voyeurisme.
Suzanne et les vieillards. Regards. Sourire. Main. Pluie. Toilettes. Mouches. Cercles. Melons. Bref, s’il faut mesurer la réussite d’un documentaire au lot d’informations qu’il nous catapulte, celui-ci est prodigieusement réussi. Mieux encore, il nous cloue sur notre siège.
(Jean-Marc Limoges)
THE H-MAN
Ishiro Honda | Japon | 1958 | 87 minutes
Contribution du grand Ishiro Honda au sous-genre du film de gélatine vivante,
The H-Man renoue avec la thématique centrale de son chef-d’œuvre
Godzilla (1954) : cette crainte de l’énergie atomique, qui permet au cinéaste japonais d’évoquer la fragilité de l’espèce humaine face aux puissances combinées de sa propre science et de la nature. Comme à l’habitude, la mise en scène de Honda magnifie habilement les superbes effets spéciaux conçus par son collaborateur Eiji Tsumuraya – les images de corps se liquéfiant comptant sans contredit parmi les trucages les plus inspirés conçus par ce dernier. Mais le film s’avère, dans l’ensemble, beaucoup plus sombre que les autres de l’auteur. Marqué par l’influence du film noir,
The H-Man rappelle par moments les films de yakuzas produits par la Nikkatsu à la même époque; et l’univers interlope de cabarets et de dealers de drogues que se plaît à dépeindre le cinéaste rompt avec ce ton bon enfant caractérisant la majeure partie de sa filmographie. La conclusion, à ce titre, est peut-être la plus pessimiste de son oeuvre – la « solution » trouvée pour enrayer la menace donnant lieu aux images les plus ouvertement apocalyptiques du film. Tandis que se succèdent des plans de la ville en proie aux flammes, une voix nous rappelle que si l’humanité poursuit sur cette voie, l’homme H la remplacera peut-être éventuellement.
(Alexandre Fontaine Rousseau)
HOUSE OF THE DISAPPEARED
Lim Dae-Woong | Corée du Sud | 2017 | 100 minutes
Plus qu’un simple film d’horreur – voire de maison hantée –, le
remake de Lim Dae-Woong est un drame profondément existentiel nous permettant d’imaginer la lutte que nous serions prêts à mener contre la fatalité. À l’exemple d’une ligne sur laquelle nous aurions marquée la moitié, puis la moitié de la moitié, puis la moitié de la moitié de la moitié,
House of the Disappeared, prend le temps de poser les éléments de son récit, jusqu’à ce qu’advienne, à son mitan, un puissant renversement qui permettra ensuite aux péripéties de dévaler de plus en plus rapidement vers une finale quelque peu prévisible mais allègrement troublante. Le film nous invite à nous identifier à Mi-Hee, la mère de famille injustement accusée du meurtre de son mari et de la disparition de son jeune garçon, qui demeure d’ailleurs toujours introuvable. Après 25 ans de prison, elle retourne dans sa piaule et tente – tout comme nous – de comprendre ce qui a bien pu se passer, ce soir du 11 novembre 1992. Effectuant régulièrement des sauts dans le temps, le cinéaste lève d’abord le voile sur un très lent drame familial : la mère, qui a eu un fils d’un premier mariage, a dû – après que son mari fut mort d’une maladie héréditaire dont le fils a hérité – accepter le mariage avec un autre homme, dont elle a eu un second garçon, et qui est devenu alcoolique après la mort accidentelle du benjamin que le cadet aurait failli à protéger. Un quart de siècle plus tard, la mère, veuve et sans enfants, aidé d’un jeune curé qui peine à lui faire retrouver la foi, se remémore et tente toujours de comprendre les curieux évènements qui ont précédé la mort de son second mari et la curieuse disparition de son fils derrière une porte donnant sur un trou noir. Quel est donc le secret qui hante cette maison ? Le réalisateur, non satisfait de semer ses implants, tapisse les murs d’indices. Les horloges sont partout, découpant sans cesse le temps qui file. Quand on apprend finalement ce qui se passe derrière cette porte et que l’on assiste, dans d’angoissantes ténèbres, à une discussion entre le fils plus vieux que sa mère s’observant elle-même plus jeune tentant de sauver son petit, le vertige nous prend. Puis, quand elle est confrontée à un enjeu éthique d’importance – doit-elle laisser son fils mourir pour vivre libre et heureuse ou tenter de le sauver en sachant qu’elle vivra malheureuse et enfermée –, nous n’avons plus, vu le rythme effréné auquel les informations nous sont divulguées, que quelques secondes pour nous décider… et on se dit, longtemps après, que ce film est une petite réussite comme on en voit trop peu.
(Jean-Marc Limoges)
THE NIGHT OF THE VIRGIN
Roberto San Sebastián | Espagne | 2016 | 118 minutes
Il faut voir
The Night of the Virgin comme une lente descente aux Enfers dont chaque cercle représente un fluide : sueur, bave, larmes, pisse, foutre, sang, merde. Et peut-être est-ce parce qu’il glisse sans cesse sur ces humeurs que le récit, peinant à s’avancer, s’enfonce. Partant de la comédie burlesque pour arriver au film
gore non sans passer par le suspense satanique, cette « nuit », qui se déroule presque en temps réel, nous convie à un étouffant huis clos. Séquestré dans le glauque appartement de cette Médée moderne – magicienne et matricide –, le film évite de sombrer dans la théâtre filmé en recourant sporadiquement aux écrans fragmentés, aux coupes nerveuses, aux caméras pivotantes. Peu intéressé au récit – à ses péripéties, à ses renversements, à sa progression, à sa quête et à sa sanction –, le film de San Sebastián procède un peu comme
La Grande bouffe : il pousse à l’extrême le principe de plaisir pour observer le moment à partir duquel il deviendra douloureux. Là, manger, ici, baiser. Car la nuit de ce puceau aurait pu être paradisiaque : elle sera infernale. Comme si l’enjeu du réalisateur consistait à retirer à cette phrase – « Fais-moi l’amour » (ou «
I want your dick ») – tout ce qu’elle pouvait contenir d’érotique ou d’excitant pour lui injecter ce qu’elle pourrait contenir de morbide et de repoussant. Explorant même, d’une certaine façon, le cinéma expérimental, le cinéaste nous permettrait aussi de vivre, au fond de nos trippes, un viscéral soulagement en nous montrant, après de longues et insupportables minutes, le laideron accoucher du cul dans une marre de merde. On sort de cette nuit un peu déboussolé, à l’instar du jeune Nico, pas trop sûr de ce que nous avons vécu, avec cette vague impression de s’être fait violer.
(Jean-Marc Limoges)
THE SENIOR CLASS
Hong Deok-Pyo | Corée du Sud | 2016 | 83 minutes | Axis
Le réalisateur sud-coréen Hong Deok-Pyo, frustré de voir jaillir, en son pays, des films d’animation pour-toute-la-famille et dégouliner sur les écrans trop de bons sentiments, a clairement pris son parti : réaliser un film d’animation « pour adultes » (dans les deux sens que l’on peut donner à cette expression : un film « de cul » qui s’adresse, de plus, à notre intelligence). Et il y réussit.
Foin des licornes et des arcs-en-ciel, oubliez les princes et les princesses aux yeux qui brillent, voici des étudiants timorés, appliqués ou indisciplinés bûchant sur leur projet de fin d’année, à la fac d’art plastique, et qui apprendront surtout, plutôt que la peinture ou la sculpture, à se façonner une personnalité et à atteindre leur dessein. Le trait de Hong n’a ni la naïveté des contes de fées, ni la précision des dessins érotiques ; il tend vers le réalisme, mais avec pudeur et retenu (même si les parcimonieuses scènes de sexe sont crues). Un dessin entre deux âges, donc, pour un film qui porte sur ce passage d’un âge à un autre.
La grande force de cette animation est de nous conduire à nous identifier avec Jung-woo, personnage central de l’histoire, le jeune étudiant aussi acharné à réussir son projet de fin d’année qu’empêché par sa gêne à révéler son amour au grand jour, celui par qui toutes les informations sont filtrées, celui par les yeux de qui on perçoit le monde, celui qui essaie de mieux le circonscrire, le dessiner et le comprendre, celui dont on entend les pensées, celui dont on a accès aux rêves, celui qui désire, celui qui lutte, celui qui peine, celui qui souffre et celui dont en entend, tout au long du film, la respiration.
Jung-woo a le béguin pour Ju-hee, l’étudiante la plus brillante de la classe, mais aussi la plus secrète, sinon la plus froide. Il passe ses nuits à projeter ses fantasmes dans la BD qu’il crée et met en ligne (« Elle est si belle, écrit-il, que tout le laid qui l’entoure en devient beau »). Son pote, Dong-hwa, piètre étudiant aux pulsions sexuelles exacerbées, méprisant les filles autant que Jung-woo les vénère, incarne son envers. Un jour qu’il lui demande de le remplacer pour effectuer une course à sa place dans un bordel de luxe (il n’y pas de sot métier), le jeune Jung-woo découvre avec stupeur l’amour de sa vie, le jolie Ju-hee, qui y fait la pute (non, vraiment, il n’y en a pas). Dès lors, ce secret scelle, croit-il, leur amitié. Ils se recroisent à l’école. Jung-woo fait comme si de rien n’était, respecte la fille et son secret. Ronge son frein. Plutôt que de s’effondrer à l’idée de la savoir se faire ramoner par de richissimes et dégoutants goujats (que l’on ne voit pas, parce que lui non plus ne les voit pas), il ne cherche qu’à l’écouter, qu’à l’appuyer, qu’à l’aider.
Au dernier tiers du film, un autre revirement fait écho au premier. Dong-hwa, le cancre libidineux, a lui aussi découvert le secret de Ju-hee. Mais, contrairement à son ami, il a 1° décidé d’abuser sexuellement de la fille pour acheter le silence, 2° trahi sa promesse en le criant sur tous les toits. Ju-hee est en larmes. Ses condisciples ne veulent plus lui parler. On l’ostracise. On la menace d’expulsion. Elle perdra même la chance de représenter son école. Sa vie est finie, mais Jung-woo est toujours là pour la consoler, parce qu’il l’aime. Cependant, la « pute » (il faut bien appeler une chatte une chatte) – car cette étudiante modèle se révèle une pute le jour comme la nuit – entreprend de coucher avec son prof pour qu’il revienne sur sa décision, décision, du reste, que le prof – autre salaud – ne tiendra pas. Pire, elle annoncera même son geste à son confident qui l’écoutera, en pleurs. Bref, elle devra tout de même quitter l’école. Lors d’une dernière rencontre avec Jung-woo, elle aura le front de lui demander s’il l’aime. Et lui, désabusé, désillusionné, blessé mais flegmatique, lui répondra laconiquement : « Non. Pourquoi ? » Sur quoi, elle partira. Pour ne plus jamais revenir. Jung-woo a perdu ses illusions d’adolescents et est rentré dans l’âge adulte.
Tout ce drame intimiste est joué par des personnages se déplaçant sur un décor statique, ou bien plus flou, ou bien plus réaliste, comme s’ils se détachaient de leur environnement, comme si plus rien autour d’eux ne vibraient à leurs crises. À la question « Est-ce autobiographique ? » (question qu’on ne peut pas ne pas poser devant ce drame intimiste), le réalisateur répond : « Non. Mais j’ai voulu faire une histoire qui est arrivée à tout le monde, une histoire que tout le monde a vécue. » Et il a réussi. Derechef.
(Jean-Marc Limoges)
PRÉSENTATION
JOUR 1
(The Vilainess, JoJo's Bizarre Adventure: Diamond is Unbreakable – Chapter 1,
Super Dark Times)
JOURS 2-3
(A Ghost Story, The Honor Farm, Museum)
JOURS 4-5
(Animals, Brigsby Bear, Confidential Assignment, Liberation Day, My Friend Dahmer)
JOURS 6-7
(Bitch, The Little Hours, Origami, Radius, Poor Agnes,
Valerian and the City of a Thousand Planets)
JOURS 8-10
(78 / 52, The H-Man, House of the Disappeared,
The Night of the Virgin, The Senior Class)
JOURS 11-12
(A Day, Cold Hell, Have a Nice Day,
Ron Goosens, Low-Budget Stuntman)
JOURS 13-15
(Good Time, King Cohen, The Laplace's Demon,
Most Beautiful Island)
JOURS 16-19
(68 Kill, L'ange et la femme, Fabricated City, Mayhem,
The Tokyo Night Sky is Always the Densest Shade of Blue, Tiger Girl)
ENTREVUE AVEC LARRY COHEN
JOURS 20-21
(Bushwick, Fritz Lang, Geek Girls, Tragedy Girls)