DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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SPASM 2017 (1)

Par Jean-Marc Limoges

Partie 1  | Partie 2




SPASM fête cette année ses 16 ans d’existence avec, à sa barre, l’inénarrable Jarrett Mann. Après s’être longtemps cherché une personnalité — était-ce essentiellement un festival de films d’horreur (excluant les autres genres), de courts métrages (excluant les longs métrages), de films québécois (excluant les films canadiens), de films francophones (excluant les films en langue étrangère), de films de mauvais goût (excluant les films au goût plus suave)… —, voilà que l’événement s’est, depuis quelques années, enfin clairement défini : Festival de courts métrages de genre (horreur, science-fiction, sexe, fantastique… mais aussi insolite, détraqué, trash, inclassable…) qui nous offre plus de 70 films de tous pays (États-Unis, Mexique, Uruguay, France, Belgique, Espagne, Italie, Australie, Pays-Bas, Norvège, Royaume-Uni, Japon, Afrique du Sud…) dont la moitié viennent du Québec. Au reste, comme nous l’avions déjà remarqué lors de l’édition précédente, la qualité des productions s’est nettement améliorée avec les années, à quoi on peut ajouter une maîtrise plus grande — voire une audace plus assumée — quant aux scénarios. Aussi SPASM est-il devenu un festival qui, sous ses airs festifs et badins, devient de plus en plus sérieux et respectable. C’est l’endroit pour découvrir cette forme encore trop boudée et méconnue qu’est le court métrage. C’est le lieu pour prendre le pouls des préoccupations taraudant toute une nouvelle génération de cinéastes.

 

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Les Insolites québécois

La soirée d’ouverture qui eut lieu au Théâtre Plaza nous présentait sept courts métrages entièrement québécois. Cependant, même si, comme l’annonçait Jarrett Mann, « on change[ait] d’univers pour chaque film », ne serait-il pas intéressant — voire instructif — d’essayer de tirer un fil conducteur, de déceler une thématique commune, qui liait un film à l’autre ? Lançons ceci : chaque film mettait en scène, à sa façon, quelqu’un qui venait en aide (ou tentait de venir en aide) à quelqu’un d’autre. Quelle leçon pourrions-nous bien apprendre de ces œuvres hétéroclites ?


 
Le Cowboy du mont Laurier (Gabriel Vilandré, 11 min.), dont l’action — simple et comique — se situe dans une buanderie de province, nous montre un sympathique cinquantenaire qui, après avoir sauvé une jeune fille des menaces d’un p’tit thug, lui propose un lift pour la conduire au party où elle doit se rendre après son séchage. Or, comme celle-ci hésite à lui faire confiance — « Qui me dit que vous n’êtes pas un violeur ? » —, notre homme revêt le costume de cowboy qu’il sort de sa machine, dépose l’aiguille sur un vinyle et entreprend une danse aussi gauche qu’attendrissante qui lui prouvera que, au fond, c’est un maudit bon jack. La jeune fille craque… et finit dans son sac ! Après un lieu commun (le téléphone cellulaire de la victime qui sonne dans la poche du filou quand celui-ci quitte la sœur de celle-là qui la cherche et tente de la rejoindre) et une finale surfaite (lors de laquelle il nous jette un regard complice), le film confirme l’adage selon lequel il ne faut pas parler aux inconnus (et encore moins accepter leur aide).
 
No Wave (Stéphane Lapointe, 11 min.) nous plonge dans un cauchemar bleuté et lynchéen. Un homme, s’adonnant à la relaxation après avoir syntonisé, sur sa radio, un poste lui donnant à entendre en continu le bruit des vagues, perçoit avec angoisse les cris d’un homme qui, se noyant, appelle désespérément à l’aide. Aussi absurde que semble la situation, il entreprend de téléphoner à la station pour les convaincre de le secourir. Si le cowboy de pacotille n’avait besoin que de se trémousser maladroitement pour convaincre la jeune fille de sa sincérité, notre lifeguard de service, lui, aura en revanche du fil à retordre pour faire avaler son abracadabrante histoire au propriétaire du poste. Pire encore, dans une finale singulièrement surprenante, il paiera même le prix de son altruisme, nous portant à conclure que, s’il ne faut pas accepter l’aide que nous proposent les inconnus, il faut encore moins penser à leur proposer la nôtre.
 
My Father (Jean Malek, 7 min.) — une hypnotisante histoire de secte religieuse dont les rayons de soleil éclairant les protagonistes apathiques délavent les couleurs de leur somnolente commune — proposerait la troisième variation du même adage. Un homme apporte son « aide » à un groupe de personnes en quête de spiritualité qu’il tiendra sous sa gouverne. Or, la fille du gourou sera, elle aussi, prise sous son joug. À qui faire confiance ? Ni à ceux que l’on ne connaît pas, ni à ceux que l’on connaît bien.
 
En attendant Pascal (Guillaume Harvey et Marc-André Charpentier, 15 min.) — un décapant récit d’anticipation situé à Montréal en 2028 dans un mois de décembre sans neige – fourmille d’idées toutes plus brillantes et jouissives les unes que les autres : quatre jeunes hipsters, enclos sur leur terrasse à l’abri des pauvres hispanophones qui survivent en bouffant des écureuils dans la ruelle, vapotent de la dope à l’envie, gaspillent de la bouffe à tire-larigot et se frenchent tout sexe confondu à bouche que veux-tu. C’est un retour du retour du balancier. Après avoir grandi dans une époque exagérément politically correct (soyons soucieux de l’environnement, mangeons végé, respectons notre prochain, portons le condom, sans oui c’est non, pas d’alcool au volant), voilà que nos protagonistes slackent la poulie et « se foutent de tout » (même de la sincérité). La délirante parenthèse météo, avec son animateur en chest égotiste, narcissique et imbu de lui-même n’est pas sans évoquer les frasques de certaines personnalités récemment déboulonnées de leurs piédestaux. Retenons toutefois ceci : jetant sans aucun remords et dans un je-m’en-foutisme accablant le repas trop cuit par-dessus sa clôture, notre hôte infatué poussera l’arrogance en déguisant son geste d’un altruisme auquel il ne croit pas lui-même. S’il jette sa bouffe aux poubelles, c’est pour aider les pauvres. Faut-il refuser l’aide que nous apportent des gens qui n’ont cure de nous aider réellement ?
 
Partie de chasse (Myriam Guimond, 8 min.) proposait-il un récit dans lequel, des femmes, chassant (littéralement, à la carabine) des hommes, proposaient à leur façon d’apporter leur aide à quelque obscure cause féministe ? Le peu de substance offerte par le film nous oblige à laisser la réponse en suspens.
 
 




La voyante 
(Alexis Fortier Gauthier et Alexandre Auger, 18 min.) se présentait comme un film simple (un seul lieu), dépouillé (peu d’actions), verbeux (beaucoup de dialogues), classique (champ-contrechamp) dont la judicieuse job de casting et la rigoureuse direction d’acteurs surent camper une atmosphère qui hantera longtemps le spectateur après le visionnement. Tout repose ici sur la justesse des comédiens et le savant équilibre sur lequel se tient l’écriture de cette histoire intime. La voyante, qui « reçoit [ses] clients chez elle » et qui « écoute leurs problèmes, nous dit le synopsis, afin de leur venir en aide » est-elle, malgré ses yeux de biche et son charmant sourire, un charlatan ? De minces indices nous permettraient de le penser. Mais qu’importe, puisque cette femme semble réellement aider ceux qui lui font confiance. Suffit-il de croire à l’honnêteté des gens qui nous apportent leur aide pour en jouir réellement ?
 
Derrière un titre radicalement unpolicically correct (surtout quand on sait que la Ruby du titre est une craquante fillette de six ans) — Ruby pleine de marde (Jean-Guillaume Bastien, 18 min.) — nous donne à vivre, avec une déconcertante acuité et une navrante justesse — une veillée de Noël dans une famille québécoise catholique. Le tout est narré avec beaucoup de drôlerie par Denis (que son chum Carl a invité dans sa famille) qui ne recule devant rien pour briser le quatrième mur et nous faire part, dans un délire verbal assumé, de son mépris bien senti pour cette famille homophobe et de sa haine croissante pour la détestable gamine autour de laquelle tous gravitent avec un sourire béat et des yeux dans la graisse de bine. Outre la narration, remarquablement punchée, on notera la progression incessante de cette haine, laquelle mènera à un coup poing aussi surprenant que choquant lancé au visage de Ruby par Denis qui quittera, sous les yeux ahuris des congénères, la soirée sans mot dire et le cœur moins lourd. Cet acte de violence, ayant pour but premier de se décharger d’une colère qui grossissait, n’avait-il pas aussi pour effet de déciller les yeux à cette famille obnubilée par la méchante gamine et sourde aux amours homosexuelles d’un des leurs ? Denis, au fond, ne cherchait-il pas, à sa façon, à leur venir en aide ? Comment qualifier une vengeance personnelle qui vient en aide à une société malade, un geste purement revanchard qui contribue, malgré tout, à l’éveil d’une communauté et à son meilleur fonctionnement ?
 
Qu’est-ce que venir en aide à quelqu’un ? Voilà la question que posaient, déclinée sous toutes ses formes, des films de différent acabit, de factures diverses et d’horizons multiples.
 

 

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Les détraqués

Jarrett Mann présente la soirée des Détraqués ainsi : « Des films qui ne sont ni de l’horreur, ni du trash, mais qui présentent le côté sombre de l’humain. » Il ajoute : « Voilà notre critère de sélection. » Allait-on découvrir, derrière le côté lumineux, une préoccupation commune ? La mort. Une façon commune de l’aborder ? L’oxymore. Jouxté de toutes les autres figures aporétiques ou paradoxales. Malgré les divers traitements offerts — tantôt légers, tantôt tragiques, tantôt absurdes, tantôt poétiques — les sept films présentés lors de cette soirée nous donnaient à voir les diverses facettes d’un « côté sombre » toujours préoccupé par l’ultime voyage.
 
Multipliant les renvois de toutes sortes — on pense à Broadway Danny Rose, à Reservoir Dogs, à It —, Une bonne mauvaise idée (Manuel Lessard, 10 min.) — dont le titre est déjà un oxymore — nous donnait à voir une confrontation entre flics et truands dans un hagard artistement remplis de ballounes rouges et blanches gonflées à l’hélium. Malgré un léger problème de rythme, le film offrira tout de même au public un choc quand il lui révélera que, ce qui doit normalement susciter de joyeuses festivités, peut aussi provoquer de sanglants carnages. Éclatant.
 
Situant son action dans l’obscur fond d’une ruelle, Renégat (Stéphane Youssouf, 6 min.) raconte l’histoire toute simple d’un homme fuyant la gang qui lui réclame de l’argent (sous peine de mort). « Apprends les bonnes manières à c’t’animal », lancera le chef à son bras-doit, recourant ainsi à une forme d’injonction paradoxale. Or, caché dans l’ombre, un va-nu-pieds qui ne veut que du feu viendra en aide à la victime et massacrera allègrement toute la bande. En bref, c’est l’histoire d’un homme sans le sou sauvant celui qui en a moins de ceux qui en ont trop.
 
Nos Dimanches (Sébastien Delporte, 2 min.) rapprochera, lui aussi, des contraires autour d’une même figure : comment un homme peut-il donner un second souffle au couple dont la femme — morte d’ennuie ? — vient de pousser son dernier ?
 
Plutôt que de nous montrer un homme bien vivant aimer sa femme sans vie, de surcroît sur un mode comique, 3:36 (Jean-Philippe Ferré, 13 min.) nous montrera un homme bien mort continuer d’aimer sa femme en vie, et ce, sur un mode autrement plus tragique. Campant son action dans une simple salle de bain, remplaçant les dialogues par une efficace bande sonore, jouant habilement des éclairages stroboscopiques, exploitant ingénieusement les possibilités que lui propose un miroir, le cinéaste parvient à nous faire intimement vivre la détresse de cette femme qui a perdu, dans un accident de la route, son conjoint, et qui revoit – voire revit – sa mort (oxymore toujours), toutes les nuits (suppose-t-on) à la même heure.
 



:: Ordalie (Sacha Barbin, 2017)


Film au scénario astucieux, ponctué d’incessants revirements, joué par deux acteurs particulièrement justes livrant des répliques joyeusement incisives, accumulant les quiproquos comiques sur le mélancolique Adagio 974 de Bach, Ordalie (Sacha Barbin, 15 min.) abordait aussi la mort en s’amusant avec les situations paradoxales : un homme finira par tuer le tueur qu’il avait engagé pour le tuer.
 
C’est sur un autre air classique — le Jazz Suite, Waltz 2 de Dmitri Shostakovich (utilisé en jouissif contrepoint) — que se déroulera le match de lutte du film suivant, le sublime et émouvant Iron Spyder (Chris Mitchell et Yoav Lester, 11 min.). Dans les coulisses d’un aréna, parmi les montagnes de muscles bien huilées et les bimbos siliconées, un adolescent solitaire et fluet enfile son masque de Spider-Man puis se rend dans le ring pour affronter, devant une foule électrisée, un opposant faisant trois fois son poids. C’est minimaliste. Efficace. Sans paroles. Bien monté. Terriblement prenant. C’est l’histoire d’un jeune qui confronte la mort pour se garder en vie. C’est l’histoire, en somme, d’une glorieuse défaite.
 
Rempli de testostérone et d’hémoglobine, nerveux, saccadé et chaotique à souhait, Mayday (Sébastien Vanicek, 12 min.) nous offrait un étouffant et terrorisant voyage en avion sur le bord de crasher. À quoi pense un mec avant de mourir ? Au sexe, évidemment ! Éros et Thanatos. Couple indissociable. Le dernier plan — on voit l’avion qui décline et explose, au loin, dans le ciel sombre, depuis une chambre sordide où un homme solitaire se branle sur des vidéos pornos — se présente comme l’ultime conclusion à cette soirée : Jouissons donc... en attendant la mort.
 

 

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Les Inclassables

La deuxième partie de la soirée fut présentée par Jarrett Mann comme la « Carte blanche » du festival, celle pour laquelle il n’y a « aucun thème imposé ». Cependant, un leitmotiv surgissait tout de même de ces différents courts métrages : la remise en question de toute forme d’autorité. Sommes-nous en train de déboulonner les statues ?
 
Le craquant coup de cœur de la soirée : Garden Party (coll. 7 min.). Cette touchante animation mettant en scène des grenouilles aux traits hyperréalistes et aux riches personnalités déployait si habilement son monde qu’il nous permettait même de nous prendre d’affection pour cette bande de sympathiques batraciens. Les cadrant d’abord de très près, faisant alterner le récit de l’une avec celui de l’autre, la caméra s’éloignait pas à pas pour nous révéler tranquillement le milieu dans lequel elles évoluaient nonchalamment : une immense villa abandonnée dont le riche et (sans doute) crapuleux propriétaire fut assassiné et jeté dans la piscine. Quand le parrain flotte, les grenouilles coassent.
 
L’atmosphérique Birthday (Alberto Viavattene, 15 min.) ouvrait les portes d’un glauque asile pour personnes âgées dans lequel une jeune infirmière manquera de respect envers les vieillardes (représentantes d’une autorité déclinante) et chapardera impunément la bague d’une centenaire sénile. Après avoir traversé les sombres couloirs de ce lugubre institut, le public cachera son malaise sous des applaudissements qui ne feront que l’accentuer davantage.
 



:: Petit Poulet (Nicolas Legendre, 2017)


Petit poulet (Nicolas Legendre, 7 min.) renversera le ton. Deux jeunes rappeurs pratiquent leur rap battle dans le back-store de la shop où ils bossent. C’est tout croche. C’est gauche. C’est cute. Quittant l’usine, ils découvrent avec stupéfaction leur patron, juché sur une poutre, la corde au cou, prêt à se jeter dans le vide, pour commettre l’irréparable. Recourant au moyen d’expression qui lui sied le mieux, un des jeunes entreprend, avec une attendrissante maladresse, de le dissuader de sauter. La « bataille » à laquelle ils se rendront ensuite, après ce moment fort en émotions de toutes sortes, n’aura jamais paru aussi insignifiante.
 
Captivant huis clos en noir et blanc confrontant deux personnages plongés dans l’obscurité d’une chambre qu’une allumette sporadiquement allumée viendra éclairer, Neron (Rubin Stein, 17 min.) — ainsi nommé en raison de cet empereur romain qui jouait de la lyre pendant que les flammes ravageaient Rome — prendra le temps qu’il faut pour contester une puissante figure d’autorité. Le président du pays, dont la maison fut récemment la cible d’une attaque (« terroristes », affirme-t-il), a tenté, en vain, de sauver ses enfants des flammes, et s’est retrouvé à l’hôpital, où l’on soigne son corps presque entièrement brûlé. Il souffre atrocement sous ses bandelettes. Or, cette journaliste qui viendra l’interviewer, plutôt que de s’attendrir sur son sort, le défiera : et si tout cela n’était qu’une mise en scène pour gagner les élections ?
 
Sorte d’hommage à Karmina (Gabriel Pelletier, 1996), Sang papier (Kevin T. Landry, 8 min) raconte, sur un ton éminemment léger, l’histoire du vampire Grigore Constantirescu tentant, en déjouant l’autorité, de rentrer au Canada. Il y réussira, non sans avoir été inopinément aidé par sa tante, laquelle cache sa véritable personnalité sous son costume de douanière. Et voilà pourquoi on qualifie le pays de passoire.
 
Pisser dehors (Jonathan Beaulieu-Cyr, 15 min.) offrait le portrait juste et sympathique d’une jeunesse à la dérive. Suivant les tribulations de trois amis que la vie a séparés — l’un (croit-on) est parti faire fortune à Toronto, tandis que les deux autres croupissent dans leur bled — et qu’une seule soirée rapprochera, la caméra portée à l’épaule nous les montre buvant, déconnant, gueulant, riant, jouant et pissant dans les rues de Sainte-Adèle, rêvassant vaguement de partir leur entreprise de lavage de fenêtres. Or, aucun des trois n’a la trempe d’un patron, ni celui qui a lâché ses études (et qui ne fait finalement pas fortune à Toronto), ni celui qui souffre de dyslexie, encore moins le gros barbu ironiquement caché sous sa casquette BOSS. Malgré une finale un peu appuyée, ce petit film sans prétention nous aura donné à voir des moments d’une palpable sensibilité (dont la subreptice scène au cimetière).
 
Dans une esthétique kitsh année 1990, Hit TV (Saman Kesh, 12 min.) nous donne une idée de ce qu’il arriverait dans une société où la télé tiendrait lieu de loi et où chacun pourrait devenir le maître. Canardage et bain de sang.  
 
Magnifiquement filmé dans les montagnes enneigées de l’Ouest canadien, Lost Face (Sean Meehan, 14 min.) adapte, pour le plus grand plaisir des yeux, un récit de Jack London. Pour éviter de mourir dans d’atroces souffrances, un coureur des bois (campé avec fougue et crédibilité par Martin Dubreuil), prisonnier d’une tribu amérindienne, fait miroiter au chef l’existence d’une potion qu’il peut concocter afin de lui rendre la peau aussi dure qu’une armure. Pour lui prouver sa bonne foi, il acceptera même, après s’en être enduit le cou, de se mesurer à sa hache. Après moult incantations (dont un comique savamment dosé viendra alléger l’insoutenable tension) et une généreuse application, voilà notre homme, la tête couchée sur le billot, prêt à montrer à tous qui est le plus fort. Il en perdra le chef, comme le chef, la face. Il jouira donc, dans la mort, d’avoir désarçonné l’autorité.
 
 
 

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Science-fiction
 
Faut-il essayer de continuer de trouver des thèmes communs à cette troisième soirée ? Les premiers courts-métrages nous laissaient miroiter que l’enfant — l’enfant perdu, l’enfant qui se perd, l’enfant qui cherche, l’enfant qui se cherche, l’enfant que l’on cherche — allait être au centre de ces nouveaux univers. Or, celui-ci allait très vite laisser sa place à diverses figures menaçantes — l’« Autre » qu’il voulait rencontrer ou affronter et qui n’avait jamais le visage qu’il lui avait imaginé —, lesquelles allaient revêtir les apparences les plus diverses.
 
Il nous fallait descendre dans un sous-sol aux airs de bunker pour découvrir l’univers angoissant de Monsters (Steve Desmond, 13 min.), là où papa, maman, fiston et fillette vivaient à l’abri des « monstres » qui peuplaient maintenant la surface de la Terre. Le brio de ce film fut de nous placer dans la perspective de la jeune fille qui, sous les ordres de ses parents et de son grand frère, devait rester terrée quand eux sortaient affronter le monde, casqués de masques à gaz et d’armes de fortune. Désirant, elle aussi, combattre ces « monstres », elle sortira à leur insu pour faire — et nous avec elle — une découverte déconcertante : ce monde ne ressemblait aucunement à cet inquiétant univers post-apocalyptique que nous nous étions imaginés. Mais le film allait pousser la surprise plus loin en nous offrant un autre troublant retournement. Quand la pureté de l’enfant doit être préservée à tout prix…




:: Émetteur récepteur (Vincent Wilson, 2017)
 

Sur un mode incomparablement plus apaisant et mignon, Émetteur récepteur (Vincent Wilson, 9 min.) racontait l’histoire d’un garçonnet surdoué qui, plutôt que d’envisager croiser le fer avec les monstres terrestres, cherchait désespérément à entrer en contact avec le monde extra-terrestre. Nous l’accompagnions dans l’élaboration de son outil, nous espérions avec lui recevoir un message de l’au-delà et nous découvrions par ses yeux l’aboutissement de telles recherches. Placé, encore une fois, dans la perspective de l’enfant, dans un monde où l’adulte était cependant absent, le spectateur pouvait, là aussi, aller au bout de ses espoirs et apprendre, dans un revirement combien plus charmant, que l’« Autre » n’a toujours pas les traits qu’on lui prête. À quel prix l’enfant doit-il perdre son innocence…
 
Si les deux premiers films nous montraient — sur deux modes opposés — un enfant qui peinait, qui combattait, qui cherchait à découvrir le visage d’un « Autre » qu’il imaginait autrement, le troisième film, iMedium (Alfonso Garcia López, 6 min.), nous montrait plutôt des parents qui peinaient, qui combattaient et qui cherchaient à retrouver leur enfant dont le visage était perdu. Dans une esthétique qui rappelle Blair Witch Project et [REC], mais qui la renouvelle habillement en utilisant, cette fois, le téléphone cellulaire comme caméra, et en injectant à la trame une intelligente prémisse — le site I-Medium peut nous permettre de communiquer avec les morts —, ce court métrage, porté par une actrice sur l’adrénaline et complété par un monteur sur les speeds, avait de quoi nous river sur notre siège jusqu’au revirement final lors duquel on apprenait avec la mère, arrivée si près du but, que c’était le tueur de sa fille qui n’avait pas le visage qu’on lui avait imaginé.
 
Par la suite, l’enfant s’éclipsait, et c’était plutôt la menace — présente, du reste, dans les trois premiers courts métrages — qui prenait les devants, une menace qui allait prendre de surcroît plusieurs visages (quand on lui en donnait un) et qui allait sourdre de divers endroits.
 
Si Émetteur récepteur nous révélait que le garçonnet qui croyait communiquer avec les extra-terrestres communiquait, en somme, avec un semblable, Une lumière dans la nuit (Ludovic De Gaillande, 2 min.) nous révélera que l’homme qui croyait communiquer avec ses semblables, communiquait plutôt avec des extra-terrestres. Si l’un voyait une éventuelle menace là où il n’y en avait pas, l’autre ne verra pas de menace là où il y en a une. Décidément, l’« Autre » n’a jamais le visage qu’on lui prête.
 
Dans le très beau et très épuré Lost Boy (Ash Thorp et Anthony Scott Burns, 9 min.), la figure menaçante était réduite à un cyborg qui, poursuivant un androïde, lui arrachait définitivement le visage tandis que dans le complexe et époustouflant Breaker (Philippe McKie, 10 min.), la menace — au visage curieusement absent, car campé par une intelligence artificielle — se cachait quelque part dans le cyberespace et mettait constamment en péril la vie du mercenaire qui l’avait chapardée.
 



:: Apocalypse Now Now (Michael Matthews, 2017)


Enfin, il était amusant de constater, dans deux films à la facture fort différente, mais ne se prenant ni l’un ni l’autre au sérieux, les traits qu’allaient recevoir diverses menaces. Apocalypse Now Now (Michael Matthews, 7 min.) revêtait son monstre de détritus de toute sorte (faut-il comprendre que la pollution est le monstre qui nous guette ?), tandis que Résistance (coll., 7 min.) donnait comiquement à ses trois crapuleux commensaux l’apparence de coquerelles géantes (faut-il comprendre que les hommes d’affaires corrompus ne sont, en somme, que de vulgaires vermines ?).
 
Comment garder la pureté de l’enfance ? Comment vaincre toute menace ? La réponse — désenchantée — se trouvait peut-être dans How to be Human (Bruno Centofanti, 14 min.) : en cachant ses émotions, en mimant, au final, le visage (figé) de ceux qui nous menacent.

 
 

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Cabaret Trash

Que pourrait bien nous révéler cet antre de la vomissure, ce repaire de l’excrémentiel, cette caverne de la scatologie qu’est le tant attendu Cabaret Trash ? Sang, pisse, merde, foutre, morve, pus et autres déjections… ce Cabaret nous en envoie plein la trogne. Plus que tout autre soirée, ce bloc du mauvais goût assumé — et revendiqué — mérite notre attention. Souvent tournés avec moins de sérieux (mais combien plus de conviction !), ces films nous permettent de tâter plus concrètement le sordide et peut-être même d’atteindre plus viscéralement la vérité. Cependant, comme du fumier poussent les fleurs, c’est l’amour — cet inassouvissable besoin de l’autre — qui s’épanouira de ce tas d’immondices. Outre cet inqualifiable Termitator (Camille Monette, Roxane De Koninck et Keenan Poloncsak, 14 min.) — sorte de néo-Bag man dont le public se sera réjouit en conclusion de programme –, osons poser que cette hétéroclite brochette nous parlait d’amour.
 
Prenons Being (Josh Thomas et Darcy Prendergast, 3 min.), un des courts métrages les plus soutenus de la soirée, qui mettait en scène une jeune femme rencontrant, lors d’une séance de speed dating, l’amour de sa vie, lequel était campé par une repoussante bibitte (qui l’engrossera par ailleurs). L’amour au-delà des apparences, pourrait-on résumer.
 
L’amour au-delà du dégoûtant, pourrait-on poursuivre. Car c’était aussi là le thème d’un autre court métrage, The Third Date (Mark Soulard, 8 min.), qui mettait en scène un cinquantenaire ventru désirant plus que tout scorer, en cette soirée où il invite chez lui la femme qu’il a retenue sur un site de rencontres. Or, une réaction allergique — il s’est aspergé le sexe de push-push qui sent bon — lui fait gonfler le scrotum par les pores duquel s’écoule un inconvenant pus blanchâtre. Qu’à cela ne tienne ! Le besoin d’amour — et de sexe — est plus fort que les abjectes excrétions.
 



:: Termitator (Camille Monette, Roxane De Koninch et Keenan Poloncsak, 2017)


En ira-t-il de même dans Potty Talk (Megan Brotherton, 2 min.), un film dans lequel une sympathique blondinette, déféquant sans relâche sur le bol dans la tranquillité de son foyer, reçoit inopinément l’appel de l’homme qu’elle aime — et qu’elle ne peut pas ne pas prendre —, lequel sera le témoin auditif et dégoûté de cet incessant soulagement. Ici, le besoin de pisser et de chier semble plus fort que le besoin de baiser.
 
Pourrait-on parler, en aparté, d’un amour « pour le passé », palpable dans le très réussi pastiche de Friday the 13th (comiquement post-synchronisé en français-de-France !), Vendredi 13 : la fille de 89 (Rémi Fréchette, 7 min.) et dans cette très juste parodie d’annonce de jouets VHS : Toys War (Mathieu Caillière et Jérémy Vazzoli, 3 min.)? Certains, parmi le public, auront sans doute versé quelques larmes de nostalgie entre deux rires francs.
 
Est-ce que l’amour peut nous conduire à commettre des actes irréparables ? Est-ce l’amour qui incite la jeune fille survoltée de The Robbery (Jim Cummings, 10 min.) à voler, avec beaucoup de détermination, mais très peu de savoir-faire, ce liquor store de banlieue (dans un efficace plan-séquence et une drolatique finale) ? Est-ce l’amour qui pousse ce piètre bras droit, ce Bad Guy #2 (Chris McInroy, 10 min.), à prendre son courage d’une main et sa machette de l’autre afin de tuer, dans cette comédie décalée gore à souhait, le tortionnaire sous lequel sa blonde était tannée de le voir croupir ? Est-ce l’amour qui — dans une grinçante parodie de films apocalyptiques — pousse Sleazy Pete (Frank Appache, 10 min.) à prendre sous son aile ce pauvre garçon qu’il droguera (et sodomisera ?) en prétextant le remettre dans le droit chemin ?
 
Est-ce que l’amour peut, au contraire, nous conduire à commettre de remarquables actes de bravoure ? Est-ce l’amour qu’il éprouve envers ses patients — ou peut-être est-ce simplement la conscience professionnelle — qui oblige ce médecin à claustrer ce jeune homme qui s’amuse, dans Hand Fart (Stanley Wong et Travis Ashkenasy, 5 min.), à faire « des pets avec ses mains » sous peine de le voir mourir (exploser !) s’il en fait un dernier ? Est-ce l’amour — ou disons l’amitié, pour lequel on mettra de côté l’amour-propre — qui poussera in extremis ce jeune homme muni d'un micro-pénis — tel que le laisse deviner l’émoticône 8=D (Charles-Alex Durand, Jonathan Larose et Philippe Morel, 18 min.) — à venir en aide à celui qui l’aura toute sa vie intimidé ?
 
Si l’amour se sera souvent cristallisé dans une bite, La Bite (Pierre Mortel et Jérôme Leroy, 4 min.) permettra quant à elle de cristalliser la haine. Cette décapante animation proposera, en quatre comiques minutes intelligemment rythmées, une judicieuse leçon de sociologie : vandalisme, violence policière, médias sociaux, récupération politique, retour à la case départ, cercle vicieux… Cette bite mérite qu’on la regarde et qu’on l’ausculte, encore et encore. 
 
Terminons avec l’explicitement politique et honteusement actuel M.A.M.O.N. — Monitor Against Mexicans Over Worldwide (Alejandro Damiani, 5 min.) qui personnifie Donald Trump sous les traits d’un gigantesque Transformers écrasant sur son passage tout ce qu’il trouve de Mexicains et dont seul un poulet (!?) viendra à bout. Il fallait une antithèse comique à ce surcroît d’amour. Comment se défaire d’une exécrable figure politique et mettre fin, pour de bon, à la haine ?

 

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Article publié le 26 octobre 2017.
 

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