DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Change-Up, The (2011)
David Dobkin

L'art de ne pas se casser la tête

Par Jean-François Vandeuren
Combien de fois peut-on supporter de se faire raconter la même histoire avant d’en avoir assez vu - et entendu? La question peut évidemment paraître quelque peu futile puisqu’il s’agit en soi du stratagème sur lequel repose la majorité des activités des grands studios américains depuis un nombre incalculable d’années. Les cinéastes les plus habiles issus de ce système sauront intégrer juste assez de nouveauté à une formule établie pour que le spectateur n’y voie que du feu et accepte volontiers de faire un autre tour de manège. Dans le meilleur des cas, certaines courbes auront été inclinées davantage, on aura peut-être même ajouté une ou deux vrilles au parcours afin de prendre le public encore plus par surprise. Mais plus souvent qu’autrement, nous sommes confrontés à des attractions dont il n’y a finalement que la couleur de l’engin qui ait été lâchement modifiée. C’est le cas de cette « bonne » vieille histoire entourant deux êtres suivant des modes de vie diamétralement opposés l’un de l’autre qui, suite à des circonstances pour le moins extraordinaires, seront forcés d’agir sous les traits de leur contraire jusqu’à ce qu’ils aient tous deux réussi à régler leurs différends, et surtout à évoluer en tant qu’individu. La prémisse est archiconnue, prévisible et redondante à un point où s’en est désormais ridicule. Mais c’est pourtant à celle-ci que décidèrent étrangement de s’attaquer le réalisateur David Dobkin (Wedding Crashers) et les scénaristes Jon Lucas et Scott Moore (The Hangover). Sommes-nous en présence d’un cas flagrant de paresse créatrice? Ou si le présent The Change-Up n’est-il pas plutôt habité par cette idée de génie qui permettrait finalement à une telle intrigue de se renouveler un tant soit peu?

Les deux (mal)heureux individus qui seront confrontés cette fois-ci à cette fâcheuse situation sont Dave Lockwood (Jason Bateman) et Mitch Planko (Ryan Reynolds). L’un est un brillant avocat sur le point d’obtenir une importante promotion ainsi qu’un père de famille dévoué pour qui tout semble aller pour le mieux en surface, l’autre est un acteur raté vivant une vie d’éternel adolescent inspirée par un je-m’en-foutisme pour le moins démesuré. Enfin, ce qui doit arriver arrivera et les deux amis de longue date seront soudainement forcés d’échanger leurs existences respectives après s’être soulagés dans une fontaine suite à une soirée particulièrement arrosée en faisant simultanément le souhait irréfléchi de mener la vie de l’autre. À partir de cet instant fatidique, vous aurez rapidement votre réponse à savoir à quelle catégorie citée plus haut appartient le travail de Dobkin, Lucas et Moore alors qu’il s’en suivra une avalanche de situations comiques - assez inégales en termes d’efficacité - découlant principalement des tentatives on ne peut plus maladroites des deux hommes de se conformer aux exigences de leur nouveau quotidien. Un parcours qui sera, certes, beaucoup moins ardu pour Dave en tant que Mitch que l’inverse. Évidemment, les deux protagonistes seront appelés à tirer une leçon des plus inspirantes de cette folle aventure, à savoir que tout ce qui leur manquait au fond, c’était l’attitude plus décontractée de l’un ou la détermination sans limite de l’autre. Tout ce dont ils avaient besoin, c’était d’une perspective extérieure sur leur propre existence, l’occasion de perdre quelque chose pour se rappeler à quel point elle est importante ou de simplement se faire dire ses quatre vérités. Bref, l’expression peinture à numéros semble avoir été spécialement inventé pour définir le présent exercice.

L’attrait de la nouveauté découle dans le cas présent de cette idée de reprendre une prémisse ordinairement destinée à un public plus familial (Freaky Friday, Vice Versa) et de tremper le tout dans un mélange de machinations tout ce qu’il y a de plus vulgaires. L’initiative se révèle évidemment à l’image de ce que nous propose la clique de comiques régnant actuellement sur Hollywood, dont il ne semble pas passer une semaine sans que leurs noms ne refassent surface d’une manière ou d’une autre. Mais là où les Judd Apatow, Todd Phillips, Adam McKay et autres réussissent à insuffler à leurs efforts une verve cinématographique qui leur est propre, permettant du même coup à leurs comédiens de se laisser aller davantage devant les caméras, la mise en scène de David Dobkin demeure pour sa part prisonnière des conventions de la comédie de situation, multipliant les séquences paraissant beaucoup trop calculées auxquelles il ne manque bien souvent que les rires en canne. Il faut dire que le réalisateur américain n’a pas non plus sous la main la distribution idéale pour arriver à des résultats aussi enviables que ses contemporains, même si celle-ci s’acquittent assez bien de sa tâche en général. The Change-Up s’avère ainsi une comédie qui, si elle remplit son mandat de faire rire son public, ne réussit pas forcément à inspirer un capital de sympathie assez significatif pour que celui-ci ait réellement à coeur la cause de ses protagonistes. Le tout résultant d’une approche s’appuyant beaucoup trop sur l’étalage de stéréotypes tandis que l’évocation souvent trop sommaire de l’évolution des deux individus, sur laquelle repose pourtant l’essence du présent scénario, ne passe la plupart du temps que par l’entremise de scènes de montage aussi peu inventives que stimulantes.

Le principal problème de The Change-Up, c’est que si ses auteurs s’en permettent énormément sur le plan des obscénités, tout dans le présent exercice respire néanmoins la facilité et une volonté de ne jamais s’éloigner d’une certaine zone de confort. À commencer par le choix des différents interprètes alors que Jason Bateman et Ryan Reynolds débuteront leur parcours dans les rôles dans lesquels nous sommes habitués de les voir, et dans lesquels nous risquons de les retrouver pour encore plusieurs années à venir, avant que les circonstances ne les amènent à jouer l’autre dans un assez peu savant jeu de miroir. Et à cet effet, c’est définitivement Bateman qui aura l’opportunité ici de réellement sortir de son registre habituel. La même observation s’applique également à Leslie Mann qui, bien que toujours aussi convaincante, joue essentiellement le même personnage que celui qu’elle campait dans Funny People, Knocked Up, voire 17 Again. Ainsi, ce qui afflige le plus The Change-Up n’est pas tant qu’il soit une suite gênante de faux pas (ce qu’il n’est étonnamment pas) plus que le fait qu’il nous confronte au triste constat que tout se passe exactement comme nous pouvions nous y attendre, en faisant une expérience qui, bien que divertissante à ses heures, n’a en soi absolument rien de mémorable. Une occasion ratée pour des scénaristes qui, avec The Hangover, avaient su accoucher d’un film culte dont le grand public continue de parler, et ce, plus de deux ans après sa sortie. Le film de David Dobkin propose ainsi sa part de dialogues et de moments hilarants, lesquels ne risquent toutefois pas d’être répétés avec enthousiasme par un auditoire qui ne se laissera sûrement pas tenter non plus par un second visionnement.
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Critique publiée le 5 août 2011.