Le visage creusé par les années, les pores plus apparents qu’autrefois, la mâchoire moins rapide à s’ouvrir grand, les dents blanches d’une annonce Colgate au rendez-vous, Eddie Murphy apparaît pour la première fois au tiers de
Tower Heist. Resplendissant comme il l’a toujours été, se trouvant comique au fil de ses gags et basant son talent sur une alternance répétée entre deux expressions figées (le regard sérieux et le regard éclaté par ses yeux et sa bouche y prenant trop d’espace), il s’accapare l’attention des Ben Stiller, Matthew Broderick, Casey Affleck et Michael Peña. Il est simplement plus drôle qu’eux. Ou du moins, il l’a déjà été.
Il fallait être attentif pour le reconnaître, présenté d'abord sous les traits d’un vidangeur, tellement la caméra de Ratner s’empressait de le flouer dans sa profondeur de champ. Est-ce Eddie Murphy? Probablement. Nous nous attendions tous à le voir sous un autre jour depuis le dévoilement de l’affiche du film, soit la première fois qu’on fit imprimer sur grand format le visage vieilli de l’acteur.
Meet Dave, c’était il y a à peine 3 ans et pourtant, celui qu’on retrouve aujourd’hui est massacré par on ne sait qu’elle traumatisme. Le temps qui passe probablement, les années de honte s’étant succédé depuis la fin des années 90 sûrement. De
Berverly Hills Cops à
Pluto Nash, le comique de visage de Murphy n’a pas changé, mais si Landis savait en tirer profit mieux que les autres, l’industrie a changé radicalement et a testé de nouveaux styles – celui moitié cool et décontracté de « Ben Stiller v.s. l’absurdité de la vie », par exemple. Élément probablement surprenant d'une oeuvre d'où nous n'attentions que du néant gênant, avec Broderick au bataillon,
Tower Heist est l’un des rares films des dernières productions de la Universal qui mérite bel et bien que l’on prenne le temps de dire que c’est un film de la Universal.
Trois employés et un locataire endetté sont renvoyés d’une immense tour de New York. Ça sent la magouille et le grand patron congédie les témoins de l’arnaque. De toute façon, ils n’avaient jamais droit au pourboire, leur rappelait le crédo de leur profession de serviteurs des gens riches et célèbres. Contraint à trouver un nouvel emplois, Josh Kovacs (Stiller) devient la tête pensante du groupe et recrute l’ex-taulard Slide (Murphy) dans l’espoir qu’ils pourront refaire ensemble ce que Clooney, Pitt, Damon et sbires accomplissaient dans
Ocean’s Eleven. Les pauvres joueront à Robin des bois, Kovacs aura sa Marianne en l’agente du FBI (Téa Leoni) qui s’amourachera de lui en le tranquant pendant que les problèmes à résoudre s’accumulent. Des gardiens assommés, un gérant prisonnier d’un placard, la parade bondée entourant la tour, des situations impossibles conclues par des échanges de regards amicaux et surpris, l’humour selon Brett Ratner n’a pas évolué en 20 ans. Pire encore, tandis que sa mise en scène s'efforce à ne rien inventer, le scénario ne semble même pas voir été écrit, car de toutes les séquences du film, difficile d'en trouver une qui ne donne pas l'impression d'avoir été péché dans le tiroir-des-mauvaises-idées des liquidations de stock d'un producteur déchu. Bien que Ratner aurait certainement pu refaire avec classe ces classiques de la Universal, l’ambition de sa thématique opposant peuple américain à capitalisme sauvage échoue à soulever la moindre once de sympathie. Capra en aurait fait un petit chef-d’œuvre et Landis un film culte, le pseudo-cinéaste ci-présent - arrêtez d'insister sur « A Brett Ratner film » et nous arrêterons d'en faire un souffre-douleur - ne peut que signer là une œuvre comestible, mais sans plus, une œuvre qui sera disponible à la télé sur demande trois semaines suivant sa sortie. Voilà qui n’est pas le meilleur vote de confiance de la part des studios.
Sans en rehausser la qualité, la « trace Universal » réconfortera un minimum ses habitués. Le studio dont les grandes années semblent définitivement derrière lui (aggloméré dans la machine médiatique NBC, il n’est qu’un prolongement d’un média de masse faussement engagée) nous ressert sa sauce « années 80 », celle des premiers John Hughes, de ces premiers « teen movies » où un groupe de camarades étaient amenés à s’élever contre l’ordre établi pour se faire respecter tout en sauvant une cause américaine quelconque de la catastrophe. Ces jeunes hommes téméraires avaient comme principales embuches des femmes charmantes et des « partys » à surmonter. Si
Tower Heist reprend cette structure en y insérant une part de vétérans et de plus jeunes, il faut savoir que son récit, à proprement parlé, est aussi original qu’il est absurde et ne parvient à s’inscrire dans la normalité des situations qui firent le succès de ses prédécesseurs. C’est-à-dire que la force d’
Animal House était l’explosion de folie qu’il présentait au sein d’un campus tout comme
Breakfast Club rendait au « high school » l’allégresse que seul le cinéma pouvait imaginer. Loin du problème que pose Tower Heist – comment faire descendre d’une tour de 70 étages une Ferrari en or massif –, ces films soulevaient une toute autre question qui s’avérait systématiquement branché dans la réalité la plus urgente qui soit, celle de la jeunesse. En empruntant la recette nostalgique, on a en a oublié la raison du succès, succès que Tower Heist n'aura pas face aux comédies plus mordantes qui attirent les foules d'aujourd'hui.
L’urgence de Brett Ratner, c’est plutôt celle, comme Tom Hanks en fit sa mission avec le bien médiocre
Larry Crowne, de rappeler que malgré la crise économique, le peuple américain se tient les coudes serrés. Dans un plan final nous montrant Stiller accepter sourire en coin sa condamnation en échange de la liberté de ses frères d’armes, l’optimisme malhonnête tout à fait étasunien abonde avec une telle force qu’il assomme et paralyse : tous les employés de la tour reçoivent pour l’Action de grâce un bout de la voiture. Fête de l’abondance, c’est celle-ci qu’on fête dans le film et qu’on célèbrera peu après sa sortie en salles; les riches vivent dans l’opulence, c’est aujourd’hui le temps aux salariés d’une gargantuesque tour à condos de
mériter le dû de leur labeur quotidien.
Tower Heist doit néanmoins ses meilleurs moments aux comédiens réunis à l'écran et à sa cohérence interne respectée d’un bout à l’autre. Une cohérence plutôt maligne dont la finalité se résume par l’alliance d’un Blanc, d’un Latino, d’un Noir et d’un Juif pour voler un investisseur millionnaire de la même espèce que ceux ayant plongé les États-Unis dans leur crise économique actuelle. En simplifiant la politique pour en rire, Ratner échoue où ceux à qui il rend hommage, ceux qui simplifiaient la comédie pour ouvrir sur une politique, ont réussi. Et perdurés.