À peine quelques minutes se sont écoulées depuis le début de la projection de cette première production américaine du réalisateur d’origine suédoise
Daniel Espinosa et il est déjà on ne peut clair que le cinéma du nouveau venu doit beaucoup à celui d’un certain
Tony Scott. Une impression qui émane d’emblée de la texture granuleuse et des couleurs très prononcées de la direction photo d’Oliver Wood (également responsable de celle des trois premiers épisodes de la saga
Jason Bourne). Il y a également la présence (inévitable) de
Denzel Washington à la tête de la distribution, lui qui aura pris part à la majorité des projets du Britannique au cours de la dernière décennie, comme cette étrange manie de souligner textuellement à l’écran le lieu et le moment où se déroule l’action sans que cela ne permette forcément une meilleure compréhension de l’histoire. Et il y a, bien entendu, cette manière reconnaissable entre mille de traiter l’action et le développement des personnages types de ce genre de scénarios. Une façon de faire dont la valeur aura certainement été prouvée dans les productions les plus tempérées de Scott comme les faiblesses auront pu ressortir de celles où ce dernier aura malencontreusement laissé le style prendre complètement le dessus sur la substance. Bien qu’Espinosa revisite ici une formule et une approche auxquelles il n’apporte pratiquement rien de nouveau, le cinéaste parvient malgré tout à orchestrer une intrigue suffisamment distrayante et bien ficelée, mais suivant néanmoins à la trace la horde de récits d’espionnage ayant vu le jour ces dernières années plutôt que de chercher d’une quelconque façon à prendre les devants.
Safe House nous transporte donc en Afrique du Sud, où s’est déplacé l’ancien agent de la CIA Tobin Frost (Washington) afin d’effectuer une transaction avec un confrère du MI6. Un échange sur lequel seront rivés bien des regards alors qu’un groupe de mercenaires cherchera à s’en prendre à la vie de Frost afin de mettre la main sur la marchandise. Ce dernier ira alors se réfugier à l’ambassade américaine, où il sera aussitôt arrêté pour trahison. Frost sera ensuite escorté jusqu’à l’un des refuges de l’agence pour y subir son interrogatoire. Un endroit gardé par Matt Weston (
Ryan Reynolds), qui s’y tourne les pouces depuis environ un an en attendant de pouvoir prouver sa valeur aux yeux de ses patrons. Une opportunité qu’il obtiendra finalement lorsqu’il devra tenter d’escorter Frost jusqu’aux autorités américaines après que ledit refuge ait été pris d’assaut par les mêmes individus le pourchassant depuis le début. À partir de ce moment,
Safe House suivra à la lettre l’itinéraire généralement emprunté par ce genre de récits de chasse à l’homme impliquant un jeune héros trop crédule ne pouvant concevoir que l’organisation pour laquelle il travaille soit corrompue à ce point et un vétéran visiblement au fait de sur ce qui se trame réellement dans les coulisses du pouvoir. Deux personnages qui, étant de plus en plus confrontés à l’adversité, devront se résigner à travailler ensemble pour se sortir de cette fâcheuse position alors que l’un découvrira que l’autre n’est pas l’ennemi tant redouté et que ce dernier verra en son nouvel acolyte un être qui, comme lui, n’aura pas été pourri par le système. Maintenant, comment ajoute-t-on un peu de relief à une telle peinture à numéros?
Voilà une question à laquelle Espinosa et le scénariste David Guggenheim ne connaissent visiblement pas totalement la réponse. Ainsi, plutôt que de prendre des risques qui auraient pu s’avérer autrement plus payants, le duo aura préféré jouer de prudence en s’entourant de quelques grosses pointures de l’industrie et en exploitant un ensemble d’éléments ayant déjà fait leurs preuves auprès du public d’aujourd’hui. Il n’est donc pas surprenant de voir le présent exercice marcher dans les traces de la très lucrative franchise
Jason Bourne (également distribuée par la Universal) en intégrant à la poursuite continue sur laquelle repose l’action du film une incursion plus réaliste que la moyenne au coeur des bureaux de la CIA, d’où ces dirigeants n’étant évidemment pas tous blancs comme neige superviseront l’opération en cours.
Safe House s’aventurera ainsi à son tour dans cette éternelle quête de vérité faisant écho à celle bien réelle ayant entouré autant les derniers conflits au Moyen-Orient que la nature des liens unissant les gouvernements aux grandes entreprises. Un concept que ce type d’intrigues exploite bien entendu depuis déjà plusieurs décennies, mais qui trouve à présent une tout autre résonnance en cette ère où les fuites d’informations auront beau fait de donner raison à une population de plus en plus désillusionnée face à ses dirigeants et son « élite », sur lesquels pleuvent continuellement des accusations de corruption. Le film d’Espinosa introduit du coup lui aussi des protagonistes qui, malgré nombre de prouesses lors de combats à mains nus, mettent désormais en valeur leur héroïsme et leur force de caractère par l’entremise d’un acharnement à vouloir faire triompher la vérité, et ce, indépendamment des conséquences dont ils pourraient être victimes.
Sur le plan de la mise en scène,
Safe House aura été édifié dans les règles de l’art, se conformant pour le meilleur et pour le pire aux standards du cinéma d’action hollywoodien d’aujourd’hui. Les scènes les plus musclées sont ainsi dominées par une abondance de gros plans assez approximatifs et un montage des plus frénétiques auquel nous ne pouvons vraisemblablement plus échapper. Le présent exercice tire néanmoins son épingle du jeu de par la façon particulièrement habile dont il ponctue ces séquences exploitant essentiellement toutes formes de poursuites et la rapidité d’exécution des héros par le comportement étonnamment posé du personnage interprété par Denzel Washington, demeurant de glace lorsque les autres s’agitent autour de lui, marchant calmement tandis que ses poursuivants courent derrière lui.
Safe House s’avère, certes, à bien des égards un simple thriller d’espionnage parmi tant d’autres qui ne réservera que très peu de surprises à ceux ayant été exposés à la majorité de ces productions mises sur pied par les gros canons hollywoodiens depuis le début du nouveau millénaire. Espinosa et Guggenheim s’en tirent néanmoins à bon compte grâce à la fougue et la compétence déployées dans leurs méthodes comme au rythme soutenu auquel progresse leur effort et à l’interprétation des deux vedettes se prêtant allègrement au jeu aux côtés d’une distribution étonnamment imposante - au sein de laquelle les
Brendan Gleeson,
Vera Farmiga,
Sam Shepard,
Liam Cunningham et même
Robert Patrick défendent avec l’énergie voulue les rôles somme toute mineurs qui leur furent confiés. Daniel Espinosa ne réinvente peut-être pas la roue avec son quatrième long métrage, mais sait au moins comment la faire tourner.