Le «
first-person shooter » est tout à la fois la meilleure et la pire chose qui soit arrivée au jeu vidéo depuis le début des années 90. Popularisé par
DOOM, considérablement assoupli par
Half-Life puis engoncé dans un format strict et frénétique par le titan
Call of Duty, le genre continue d’être le catalyseur des trouvailles techniques les plus spectaculaires autant que le principal carburant du fétiche pour une violence virtuelle souvent triviale. Moteur apparemment nécessaire de l’économie du jeu, il n’en demeure pas moins que plusieurs efforts sont parvenus à s’approprier les outils du shooter pour servir des intentions plus singulières. Au nombre de ces spécimens plus insolites, on compte une certaine école de productions est-européennes regroupant notamment les impitoyables simulations tchèques
ARMA, l’aventureuse science-fiction russe des jeux
S.T.A.L.K.E.R., de même que la plus récente série
Metro de la maison ukrainienne 4A Games.
Initié par Metro 2033 au printemps 2010, ce dernier exemple se démarque de ses pairs non seulement par son orientation plus narrative, mais également par sa nature d’adaptation littéraire ; best-seller national en Russie, le roman d’anticipation du même nom engendra légion de fanatiques et devint vite phénomène multimédiatique. Si l’origine romanesque n’est pas en soi un gage de qualité, elle procure néanmoins au premier jeu une solide fondation de référents très spécifiques de laquelle émerge une épopée d’une grande clarté de vision. Paru au printemps 2013, Metro : Last Light poursuivit quant à lui le récit du brave Artyom sans être tiré d’un roman particulier, l’auteur Dmitri Gloukhovski ayant voulu profiter du passage au médium ludique pour renouveler son univers. S’ensuivit donc une très apparente hausse d’ambition de la part des développeurs, diversifiant grandement les lieux et situations pour dynamiser ce périple présentant une humanité fragile dont l’espoir ne tiendrait qu’à un fil.
Au premier chef des qualités de la production, il s’avère tout à fait possible de traverser Last Light sans faucher la vie d’un seul être humain. Au-delà de sa rareté dans le genre, cette particularité renforce les visées thématiques d’un récit ne se voulant pas ouvertement sanglant. D’un raffinement plastique absolument extraordinaire, imposant une cadence calme et posée par le biais de divers intermédiaires, Last Light est en effet un jeu bien plus intéressé à présenter au joueur des atmosphères mémorables, à mêler une certaine méditation à l’angoisse de la désolation, qu’à satisfaire les seuls bas instincts. L’abondance d’interactions fines intégrées à la jouabilité - le chargement manuel de la lampe-torche, l’entretien du masque à gaz... - sont autant de moyens déployés pour favoriser la projection dans ce Moscou souterrain où gens honnêtes et apeurés s’accrochent à leur dernier souffle. Et si un joueur décidé peut facilement s’adonner au massacre sans affecter la fiction globale, c’est surtout la possibilité d’y résister qu’il faut souligner.
Sur le plan du bon goût comme du maintien de l’intérêt narratif,
Last Light est certainement loin d’être impeccable. Le traitement qu’il réserve aux quelques femmes croisées lors du récit demeure lamentable, son insistance à ressasser les clichés nazis et staliniens s’avère risible, tandis que sa manière d’en appeler régulièrement aux sentiments les plus fleuris dénote de sévères limites en matière de subtilité. Il manque donc encore à ce deuxième
Metro une direction créative suffisamment éclairée pour être prise au sérieux dans son entièreté. C’est plutôt dans l’assurance de ses choix d’ordre ludique et de son exécution technique qu’il se distingue et touche au sublime ; qu’il ait été réalisé dans des
conditions de misère totale ne le rend que plus impressionnant. Entre les ruines encore fumantes de la surface, les camps de fortune jonchant les tunnels et l’économie réglée aux précieuses cartouches, quelque chose comme une authentique hantise nationale parvient à percer les filtres de la production commerciale.
Disponible sur Xbox 360, Playstation 3, PC, Mac et Linux depuis le 14 mai 2013.
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