DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Nehirowisi Pimatisitan : Vivons notre culture

Par Alexandre Nequado


:: Sur le tournage des Six saisons des attikameks [photo : Pierre Dinel]


À la Cinémathèque québécoise, debout devant plus d’une cinquantaine de personnes, Pierre Dinel, l’un des réalisateurs des
Six saisons des attikameks, prend la parole : « Ça fait presque 40 ans maintenant. » Son regard change et on le voit plonger dans ses souvenirs. Il ne peut retenir ses larmes en réalisant que tous ses amis, dans le film, ont quitté ce monde. C’est la première fois que je vois un homme de Lanaudière aussi émotif à propos de ma communauté. 

Pierre Dinel et Pierre Hivon ont été de grands amis de la communauté de Manawan. Ces amis des Atikamekw ont d’abord été leurs camarades de classe. Quand le système des pensionnats s’est effrité dans les années 1970 et que les jeunes étudiants atikamekw ont commencé à fréquenter les écoles publiques du Québec, de là est née une amitié entre Québécois et Autochtones.


::  Pierre Dinel et André Dudemaine à la Cinémathèque québécoise [photo : Alexandre Nequado]


Le projet initial des
Six saisons des attikameks devait s’appeler Orikihikaniwon, ce qui veut dire « entaillage des érables ». Les deux réalisateurs avaient élaboré un projet documentaire sur la fabrication du sirop d’érable dans la culture atikamekw. En 1977, quand ils ont fait le pitch de cette œuvre initiale à Radio-Canada, les producteurs ont été tellement impressionnés par la qualité du documentaire qu’ils ont libéré des fonds pour un projet mettant en valeur les activités des six saisons des Atikamekw. C’est là qu'ont germé Les six saisons des attikameks. Six épisodes de 25 minutes, qui illustrent le cycle de vie des Atikamekw, ont été mis en ondes sur la chaîne télé de Radio-Canada en 1983.

 

Takwakin, automne
Pitcipon, pré-hiver
Pipon, hiver 
Sikon, pré-printemps
Miroskamin, printemps
Nipin, été

 

Avec un épisode par saison, l’œuvre nous donne un aperçu des activités qui occupent les Atikamekw de Manawan et que ces derniers doivent pratiquer pour assurer leur survie. Cela va de la fabrication d’outils pour la chasse et la trappe à la confection de vêtements pour la saison à venir, la fabrication de paniers d’écorce, la construction et la réparation de canots d’écorce, le type de chasse pratiquée selon la saison, la cueillette de fruits sauvages, etc. Il ne faut surtout pas oublier l’importance de la transmission de ces savoirs ancestraux à la prochaine génération. Notre éducation est basée sur l’observation et la pratique en territoire. Une éducation que nous peinons à garder.


:: Sur le tournage des Six saisons des attikameks [photo : Pierre Dinel]
 

Presque 40 ans plus tard,
Les six saisons des attikameks sont projetées sur un écran de cinéma pour la première fois. Une délégation d’aînés et de jeunes de Manawan a pu assister à la projection. Tous des gens qui ont entendu parler de cette œuvre sans jamais avoir pu la visionner dans son entièreté. Les plus vieux ont dit en avoir vu des extraits il y a longtemps. Durant la projection, les aînés n’ont pas arrêté de chuchoter en atikamekw, commentant ce qui était en train de se passer dans le film, reconnaissant chacun des visages projetés à l’écran; on entendait leurs noms. Ces personnes ne sont plus de ce monde, ayant emporté avec elles le savoir que leurs ancêtres leur avaient donné. Beaucoup de ces Anciens sont nés sous une tente. Ils ont parcouru le territoire comme nos ancêtres le faisaient avant la création de Manawan en 1906. Ils étaient les derniers représentants d’un monde nomade. Ils ont été témoins du bouleversement de la vie en forêt jusqu’à la sédentarisation forcée des Atikamekw.

Une aînée de la délégation a avoué avoir pleuré plusieurs fois durant la projection. Elle était triste du fait que plus personne ne pratique les activités traditionnelles de la même façon que les ancêtres. La chasse s’étant modernisée, les pratiques ont changé. Les nombreux gibiers que nous chassions autrefois ne sont plus bons à la consommation, résultat de l’exploitation forestière. Le gibier est bon à manger quand l’environnement qui l’entoure est en santé. Les aînés ont été unanimes : il faut que les jeunes générations regardent ce documentaire. Il représente un important témoignage de notre culture. Il faudrait que cette œuvre soit accessible à la communauté qui l’a fait naître. 

En plus de sa mission qui est dédiée au patrimoine cinématographique, télévisuel et audiovisuel québécois, ainsi qu’au cinéma d’animation international, la Cinémathèque québécoise se donne également pour mandat de collectionner des œuvres significatives du cinéma canadien et mondial afin de les rendre accessibles dans un but culturel et éducatif. Les bobines des films étant vieillissantes, Les six saisons des attikameks ne peuvent être vues qu’à la Cinémathèque québécoise pour le moment, car cette dernière possède l’équipement nécessaire à la conservation de ce patrimoine. La restauration étant fastidieuse et couteuse, des années pourraient encore s’écouler avant qu’une version numérique ne rende l’œuvre accessible aux communautés autochtones.

Quelques jours après la découverte des 215 enfants enterrés à l’ancien pensionnat de Kamloops, Richard Kistabish a proposé un moyen pour commencer à réparer les injustices vécues par les Autochtones :

C’est de restaurer notre image, c’est de restaurer la mémoire de nos parents, de nos grands-parents, de nos ancêtres. Pour dire que les Indiens ce n’étaient pas des gens paresseux, qui buvaient tout le temps, qui étaient tout le temps saouls. Au contraire, nous étions un très beau peuple, nous étions vaillants, nous entretenions le territoire comme il faut pour qu’il puisse demeurer beau, pour qu’il puisse profiter aux autres générations qui nous suivaient. C’était la raison de notre existence. Il faut d’abord reconnaître que ça existe avant de parler de réconciliation [1].

Trop souvent, on a martelé à nos parents que les savoirs ancestraux étaient sans valeur. On voit les ravages que ça a faits : perte identitaire, traumatismes, honte d’être Autochtone, etc. 

Je fais partie de cette génération qui a la tâche titanesque de réparer les dommages causés par le colonialisme. Nos parents ont été les pionniers de cette restauration; des gens comme Gilles Ottawa, gardien de l’histoire atikamekw; Lucien Ottawa, gardien de la langue atikamekw; Benoit Ottawa, artisan atikamekw, qui a passé les dernières années de sa vie à la transmission des activités traditionnelles aux jeunes de Manawan. Ces gens ne sont plus avec nous, mais ils ont laissé un riche héritage pour la survie de notre culture et cela me remplit d’espoir de voir une nouvelle génération reprendre le flambeau. 

Un de mes plus grands désirs, c’est que ces savoirs soient enseignés à l’école, peu importe sur quel territoire ancestral se trouvent les établissements scolaires; que le Canada puisse saisir l’attachement que l’on peut avoir au territoire grâce à ces enseignements traditionnels. Cela commence par l’éducation, et Les six saisons des attikameks sont un bon exemple à suivre pour s’atteler à la restauration de la mémoire des Atikamekw. 
 


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Sur le tournage des Six saisons des attikameks [photo : Pierre Dinel]
 

Je rêve d’une époque où chacun des jeunes Autochtones pourra avoir accès à l’enseignement de ses ancêtres, que ce soit par la transmission orale, par des écrits ou par des œuvres comme celle de Pierre Dinel et Pierre Hivon. C’est une nécessité. 

Je rêve du moment où la société va reconnaître la valeur de ces savoirs millénaires qui ont vu le jour sur ce territoire. Nos ancêtres ont acquis la quintessence de cette terre nourricière et nous sommes les porteurs de ce savoir. 

La réconciliation commence avec la connaissance de notre histoire et c’est une responsabilité partagée. 

Je serai éternellement reconnaissant du travail qu’ont fait nos deux amis Pierre Dinel et Pierre Hivon. Par leur amitié avec les Atikamekw, ils ont créé une œuvre dont nos générations futures pourront profiter. 

Je vous laisse avec un poème de mon grand-oncle, Gilles Ottawa :

 

Nehirowisi pimatisitan
Ekoci Nehirowatcihotan
Miro Matisi Kictisikewin apatcitatan
Iriniw otci ke nehickakotc

Vivons notre culture
Pratiquons notre façon d’être
Respectons nos propres valeurs
Cette harmonie enrichira l’humanité

 

 


[1] « C’est le moment de restaurer l’image des Autochtones, dit Richard Kistabish », Radio-Canada(2 juin 2022), https://ici.radio-canada.ca/rci/fr/nouvelle/1797990/pensionnats-autochtones-entrevue-richard-kistabish-telejournal.

 

*


Alexandre Nequado est Atikamekw de Manawan. Ayant passé la moitié de sa vie en ville, il apprend le français à l’âge de 8 ans. C’est à 25 ans qu’il commence à faire de la traduction atikamekw et qu’il redécouvre sa langue maternelle, de même que les valeurs et la philosophie associées à cette langue du territoire. Depuis 2014, il s’implique au festival Présence autochtone et en intègre l’équipe permanente en 2018. Il est aussi ambassadeur chez Mikana, un organisme qui œuvre à la sensibilisation sur les réalités autochtones.

 

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Article publié le 18 août 2022.
 

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