LE MALIEN CHEICK OUMAR SISSOKO
À l’Afrique - Dédicace de
Guimba, un tyran, une époque (1995)
À tous ceux qui, de par le monde, sont victimes de conflits fratricides.
À tous ceux qui font la paix. – Dédicace de
La Genèse (1999)
L’idée, classique, vient pourtant d’un hasard. Me retrouvant perdu devant certaines données que me donnaient à lire les deux dernières oeuvres du cinéaste québécois Sylvain L’Espérance (
Fleuve humain et
Intérieurs du delta), je me suis mis à lire sur la culture malienne et, évidemment, sur son cinéma, ses systèmes de subventions, l’histoire de sa politique et de son septième art. Ensuite, parce que la curiosité a pris le dessus, c’est la recherche et l’écoute de quelques films qui me prirent le reste de ce qui, au final, devait rester un amalgame d’articles sur l’oeuvre du cinéaste québécois; ces articles paraîtront, mais vers la fin du mois de septembre. Pour l’instant, voyons ce qu’un Malien nous dit du Mali.
Pour être honnête, de l’Afrique je ne connaissais que quelques noms et quelques films et, comme la majorité des cinéphiles, c’est d’abord à travers une série de reculs que j’ai dû foncer tête baissée en espérant faire ressortir de ces oeuvres un sens, bien qu’elles soient d’un pays dont les coutumes et la langue (le bambara) me sont à peu près inconnus. Si tel ton est employé ici - le journal de bord - c’est parce que les cinémas nationaux, à notre ère où le DVD et Mubi ont vaincu le Festival des Films du Monde, se perçoivent comme de petits voyages individuels dans lesquels l’arpenteur le plus chevronné voudra consulter maints ouvrages et maints documentaires sur le lieu même du tournage avant de se prononcer. Il voudra remplacer les idées qu’il possède du lieu filmé par d’autres, plus nuancées, plus originales, plus rares en fin de compte. Films de fiction, ces films nationaux offrent une documentation inestimable puisqu’ils sont avant tout la cristallisation de l’esprit créatif d’un là-bas toujours plus exotique que l’ici.
En dehors de ces considérations, c’est aussi pour cela que le premier volume de ce qui - je l’espère - sera une chronique mensuelle, porte sur le Malien Cheick Oumar Sissoko, figure importante du cinéma malien, auteur de onze courts et longs métrages dont on peine malheureusement à trouver de la documentation dans les archives physiques comme sur la toile. Les lignes qui composent ce dossier sont donc une humble tentative d’explorer une oeuvre restreinte à ses deux opus distribués et d’analyser les aboutissements d’une cinématographie qui, depuis 1971, compte un peu plus de soixante courts et longs métrages à son actif.
LA GENÈSE de Cheick Oumar Sissoko |
Signant un premier documentaire en 1982 avec
L’école malienne, Sissoko participe activement à la révolution de 1991 visant à destituer la dictature en place depuis 1968. En 2001, il quitte son siège de réalisateur pour devenir ministre de la Culture du Mali et poursuivre, d’une autre façon, le combat de la libre et saine expression. Visant d’abord au rayonnement à l’étranger, le cinéma du Mali, à l’opposé des films faits pour la télévision, n’ont malheureusement qu’un très faible public dans son pays producteur étant donné l’absence quasi totale de salles de cinéma. Caravanes arpentant le désert, les cinémas mobiles sont souvent le seul diffuseur - lorsqu’ils ne présentent pas du cinéma étranger (américain ou européen surtout). Concernant la production, c’est le Centre National du Cinéma du Mali (CNCM, anciennement CNPC, dont Sissoko a été président durant toute la décennie 80) qui s’occupe de la production, de la distribution, de la transmission des techniques et de l’exploitation des oeuvres avec l’aide du CNC français, de fonds étrangers donnés un peu comme l’on donne à une oeuvre de charité. Loin d’être rentable, le cinéma malien est donc financé principalement par des intérêts d’ailleurs qui y voient surtout le possible succès dans les festivals européens. Alors que la postproduction se fait surtout en France (le pays colonisateur), Sissoko est reconnu pour avoir tenu tout du long de sa carrière à n’engager que des techniciens et artisans maliens qui apprennent, de celui qui fut formé à l’école nationale française Louis Lumière, les rudiments du métier.
« J’ai choisi le cinéma pour aider à résoudre les problèmes qui se posent chez nous, ou comme le dirait Sembene Ousmane, le cinéaste sénégalais, pour éclairer nos populations. Avec les images, il faut créer un choc, éveiller les consciences et provoquer le changement… L’analphabétisme est tel qu’il faut utiliser le cinéma comme une force éducative, et montrer que nous vivons dans une Afrique dominée économiquement. » - Cheick Oumar Sissoko (interviewé par Salima Hamou dans Jeune Afrique, no 1351, nov 1986, p. 84. Cité par Françoise Wera dans Ciné-Bulles, vol. 6, no 3, 1987, p. 39)
Aux côtés de Souleymane Cissé et d’Abderrahmane Sissako, que l’on connaît surtout pour
Bamako, Sissoko n’est ni l’ésotérique réalisateur de
Yeelen (1987) ou le très contemporain et « auteurisé » responsable de
Heremanoko (2002). Axée sur la transmission du savoir et sur l’enseignement du peuple via le cinéma, sa force est celle qui le mènera à la politique, celle qui fait de lui un altruiste, un véritable auteur évacuant ses caprices pour aborder, par des thèmes traditionnels, des problèmes amenés par la modernité. Sans être agressif, sans être totalement pacifiste, il est l’un de ces rares cinéastes africains où la violence tapisse le fond de ses films et où le continent qu’il nous donne à voir tente toujours de sortir d’une période sombre (la tyrannie de
Guimba ou l’après-déluge de
La Genèse). Il dédie ses films à l'Afrique, aux déshérités (textuellement, au début de ses oeuvres) et politise dès l'écran noir du générique des histoires médiévales et bibliques qui n'ont apparemment rien à voir avec le Mali, le Rwanda ou la droite au pouvoir.
C’est aussi un cinéma de l’oralité, misant sur la force de la parole vernaculaire et son unicité pour forger dans le geste même de filmer la légitimité d’un peuple au grand écran. Sissoko réfléchit cette idée, joue avec la voix off de ses films, nous fait toujours état d’un « film dans le film », nous rappelle que ses comédiens enfilent des costumes pour dénoncer que, dans les faits, le Nord du monde les imagine quotidiennement affublés de ces vêtements. L’idée qu’on s’est trop longtemps fait de leur cinéma, comme de celui de bien d’autres, est ce qui nous pousse aujourd’hui dans ce dossier à cette idée de revenir ponctuellement sur des cinémas nationaux, d’auteurs ou non, et à espérer, dans la mesure de la patience et de la curiosité du lecteur, qu’il participera à la recherche d’équilibre de notre regard face au troisième cinéma (tel que pouvait l'entendre Fernando Solanas et Octavio Getino). C’est la première étape pour réfléchir les cinémas nationaux : se dire qu’on ira y chercher l’information pour comprendre la géopolitique, en faire des images et des mots qui ouvriraient, du Québec, une « fenêtre sur le monde »; les réservoirs de la mémoire du monde et non des mythes, c’est dans les particularismes qu’on les repérera comme autant de dictons pour résister au rouleau compresseur du conformisme, du consentement et du préconçu. Beaucoup de « cons » dont nous n’avons guère besoin.
« Les cultures anciennes qui subsistent font partie de l’histoire actuelle, même si les forces hégémoniques les voient comme des résidus en voie de disparition. D’aucuns parlent de la fin de l’histoire comme d’un aboutissement, mais si on peut parler de la fin, c’est plutôt à cause du danger de la fin : ceux qui se disent « avancés » menacent l’existence de tous en consolidant leur hégémonie au lieu de partager leurs avantages. Loin d’être le cinéma archaïque ou artisanal que l’on boude en Occident, le cinéma africain est la marque d’une différence essentielle, celle de cultures dont la modernité n’a pu effacer la tradition et les singularités. » - Germain Lacasse (Le cinéma oral africain: forme de résistance postmoderne dans L’Afrique fait son cinéma, p. 24)
FILMS CONCERNÉS
GUIMBA, UN TYRAN, UNE ÉPOQUE (1995)
LA GENÈSE (1999)