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The Hollywood Economist : Ode à la délocalisation

Par Guilhem Caillard
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Il faut du courage à tous ceux qui s’intéressent à l’économie du cinéma hollywoodien : s’il est une règle qui préside aux autres, c’est bien celle de ne jamais se fier aux chiffres. Tronqués sont ceux fournis par les studios, distributeurs, producteurs… Même la presse ne sait trop quoi en faire, entre les approximations et les « fuites » aux origines douteuses. Edward J. Epstein, qui est lui-même allé récupérer des données, nous conforte dans la méfiance requise : en prolongeant l’exemple déjà discuté du film Valkyrie, il est facile de réaliser la supercherie à l’oeuvre. Majoritairement tourné en Allemagne en raison des avantages fiscaux offerts à la production, Valkyrie est un échec. Avec un coût de production estimé à 75 millions de dollars, le film n’en rapporte que 83 et les dépenses relatives à l’énorme campagne publicitaire demeurent inconnues. Bref, autant dire que ces chiffres sont peu fiables. Ce qu'il faut retenir, c’est plutôt le coup de communication à l’oeuvre : le film est d’abord l’occasion pour Tom Cruise de refaire son image suite à son manque de popularité, lui qui venait d'être nommé à la tête de la United Artists, dont il se faisait l’ambassadeur/sauveur.


Tom Cruise défendant son VALKYRIE (Bryan Singer, 2008)

Au même titre que la plupart des productions indépendantes canadiennes ou européennes, les studios américains ont vite appris l’art et la manière de bénéficier des programmes de subventions gouvernementales… étrangères, de surcroît. Car, bien que plusieurs mesures d'incitation fiscale existent selon les états américains, pourquoi ne pas aussi se servir ailleurs? C’est alors que officiellement annoncé à hauteur de 94 millions de dollars, le budget dépensé par la Paramount pour Lara Croft: Tomb Raider (2001) n’est en réalité que de 8,7 millions. Pour avoir tourné une partie du film en Angleterre, le gouvernement britannique a fait bénéficier au studio d’un généreux programme d’incitation fiscale, permettant une économie de plus de 12 millions de dollars. Plus encore, l’Allemagne représente pour les comptables hollywoodiens un véritable eldorado : pour obtenir des déductions fiscales, les lois fédérales n’imposent pas que le film soit tourné sur le territoire ou qu’une partie de l’équipe soit allemande; il suffit qu’un producteur allemand détienne une partie des droits. La combine consiste alors à lui offrir un « fake ownership », le temps d’obtenir les réductions. Dans le cas de Lara Croft, le gain s’élève à 10,2 millions de dollars (couvrant le salaire d’Angelina Jolie). Et bien sûr, au budget annoncé de 94 millions, Paramount a pu déduire un autre 65 millions en préventes - avant même que le film soit tourné, le distributeur allemand Intermedia Films a acheté les droits européens payables d'avance, offrant au studio une belle niche de sécurité dans ses dépenses. On imagine alors l’aubaine que cela représente dans le cadre de tournages comme la trilogie Jason Bourne, où l’action se déroule majoritairement dans une dizaine de pays européens…


Jason Bourne (Matt Damon) à Tanger dans THE BOURNE ULTIMATUM (2007)

Sur leur propre territoire, les studios hollywoodiens ont aussi appris à se lancer dans la chasse aux films commissions, dont chaque état possède désormais ses représentants. Edward Jay Epstein n’hésite pas à parler de nouvelle guerre civile entre les états : quand la Louisiane offre des crédits d’impôts de loin plus avantageux, le Nouveau-Mexique propose des rabais de coûts de production pouvant atteindre 25%...  Pour les mêmes raisons, l’attrait du Canada reste inchangé (La Colombie-Britannique et l’Alberta se plaçant au sommet des avantages offerts dans le pays), à cette différence près qu’il est imposé aux studios que le réalisateur ou le scénariste ainsi que l’un des deux acteurs les mieux payés du film soient canadiens.

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EPSTEIN, Edward Jay. The Hollywood Economist: -The Hidden Financial Reality Behind the Movies. New York: Melville House Publishing, 2010. 240 pages.

Disponible en librairies ou sur le site personnel de l’auteur.
Extraits : www.edwardjayepstein.com et www.slate.com/id/2116708/landing/1
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Article publié le 14 mars 2011.
 

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