Edward Jay Epstein |
En 1977,
Star Wars sortait sur 32 écrans. Trente ans plus tard,
The Dark Knight est projeté sur plus de 9 000 écrans. Le marché n’est plus le même. Pour des sorties internationales simultanées, les majors hollywoodiennes doivent produire plus de 10 000 copies. C’est dire la quantité de polyester requise. Mais s’il fut une époque où les studios portaient peu d’attention à la fin de vie des bobines après leur exploitation, Hollywood s’est depuis lancé dans la récupération des métaux prisés contenus dans les pellicules tel l’argent. Un moyen parmi tant d’autres d’engranger de nouveaux profits en attendant le passage complet au numérique. Dans son dernier ouvrage
The Hollywood Economist, l’américain Edward Jay Epstein, journaliste et professeur émérite en sciences politiques à l’Université de Californie, décortique pour nous les petites astuces comme les grands stratagèmes permettant de comprendre les importantes mutations de l’industrie du cinéma hollywoodien depuis l’an 2000.
Son approche est avant tout journalistique et se base sur des enquêtes de terrain l’ayant conduit, par exemple, à assister aux rencontres confidentielles de ShoWest, évènement annuel organisé à Los Angeles où se retrouvent distributeurs et exploitants américains. De mèche avec l’un des dirigeants des puissants multiplexes Hollywood Theaters, Epstein observe incognito les ficelles du métier, analyse les jeux de pouvoir à l’oeuvre entre distributeurs, exploitants, et… fabricants de chocolat, friandises et autres nachos. Plus encore, les actionnaires des chaînes d’exploitation s’arrachent les rendez-vous privés avec les représentants de Coca-Cola, qui détient plus de 70% du marché des ventes de boissons en salles aux États-Unis. Pour une chaîne d’exploitation comme AMC, la marge de profits sur les ventes de boissons est en moyenne de 80%. Sans cet apport, les cinémas perdent beaucoup trop d’argent une fois les droits de distribution et les coûts de fonctionnement payés. C’est dire que toutes les méthodes sont bonnes pour « fidéliser » la clientèle : les brevets des plus récentes innovations pour inciter à la consommation sont achetés à des prix impressionnants. Sans trop d’ironie, Epstein passe au travers de tous les moyens utilisés pour maintenir un passage permanent devant les comptoirs de vente et ajouter toujours plus de sel dans le popcorn.
Si les premiers multiplexes ont vu le jour à Kansas City en 1963 (réseau AMC), leur développement s’est multiplié durant les années 90 suite à un décret fédéral obligeant les salles de cinéma de plus de 300 places à fournir un accès pour les personnes handicapées. Dans le but d'éviter des coûts d’installation élevés, les salles ont été divisées en deux, contenant un maximum de 299 fauteuils. C’est précisément par cette anecdote que
The Hollywood Economist dresse un portrait détaillé des dessous de l’industrie. Epstein nous fait profiter des contrats auxquels il a eu accès : des montants exorbitants dépensés pour assurer le genou droit de Nicole Kidman au système de partage des bénéfices pour les ventes DVD, les informations sont triées et savamment agencées pour n’en retenir que l’essentiel. À l’heure où la survie des studios dépend plus que jamais de films évènements devant convaincre les spectateurs en un weekend, tout est permis. Pensées bien avant même l’écriture du script, les campagnes de communication sont la clé. Sans oublier le poids des préventes à l’étranger présentées comme essentielles dans la budgétisation d’un film important…
Du haut de ses quelques 200 pages,
The Hollywood Economist est une lecture ludique et passionnante pour tous ceux avides de découvrir les dessous de l’économie du cinéma hollywoodien. Loin d’être exhaustif, l’ouvrage est une bonne entrée en matière. Soucieux de respecter sa forme - l’enquête d’Epstein est une succession de fragments brefs et concis - nous avons retenus trois sujets importants et vous en proposons de courtes synthèses. S’il est peut-être à regretter l’absence dans l’ouvrage d’analyses culturelles plus approfondies (et inhérentes aux engrenages hollywoodiens), ces trois thématiques tirées des propos de l’auteur en disent déjà beaucoup sur tout un système.
PARTIE 1 : CASH BREAKEVEN & CIE : CES STARS QUI TIENNENT HOLLYWOOD
PARTIE 2 : ODE À LA DÉLOCALISATION
PARTIE 3 : HOLLYWOOD, MECQUE DE L'AUTOCENSURE
EPSTEIN, Edward Jay.
The Hollywood Economist: -The Hidden Financial Reality Behind the Movies. New York: Melville House Publishing, 2010. 240 pages.
Disponible en librairies ou sur le site personnel de l’auteur.
Extraits :
www.edwardjayepstein.com et
www.slate.com/id/2116708/landing/1