DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Ciné Zapping : Gifles, mornifles et dynamite

Par DJ XL5

Adolescent, j’étais littéralement fou des westerns spaghettis. J’aimais la musique, l’attitude cool des principaux protagonistes, mais surtout, j’affectionnais le style visuel et l’apparente authenticité de l’ensemble. Un cowboy à l’hygiène corporelle quasiment inexistante (mais avec les dents d’une rare blancheur) me semblait plus véridique qu’un cowboy bien rasé et habillé de blanc. Je ne manquais jamais les télédiffusions des films de Sergio Leone. Certains des premiers films que j’ai vus étaient des westerns méditerranéens - notamment Navajo Joe de Sergio Corbucci (avec Burt Reynolds dans le rôle d’un indien vengeur), Soleil rouge de Terence Young (avec Charles Bronson, Ursula Andress, Toshirô Mifune et Alain Delon), La brute, le colt et le karaté d’Antonio Margheriti et On l'appelle Trinita de E.B. Clucher (avec Terence Hill et Bud Spencer).

Le western italien se distingue des westerns américains entre autres par l’ambivalence de ses personnages, l’utilisation habile d’une musique ancrée dans le métissage, une moralité souvent douteuse, l’excentricité des vilains, la mosaïque de visages grotesques à grosses moustaches, l’omniprésence de symboles religieux, la violence gratuite et le constat d’une profonde désillusion face au mythe de l’Amérique. Tout y est distinctif, les angles de caméra iconiques, le son des révolvers ainsi que le bruit des gifles et des coups de poing. Le western spaghetti est si stylisé qu’il en devient de l’hyper cinéma où tous les éléments doivent contribuer à créer un spectacle visuel et une symphonie sonore. Ces westerns ont principalement été tournés dans la région d'Almería en Espagne.



Le titre du film The Good, The Bad and the Ugly  de Sergio Leone résume à lui seul tout le genre. Le titre est en fait une démonstration du cynisme employé dans la relecture du mythe de l’Ouest américain. L’ironie réside dans le fait que le film met en scène trois racailles impitoyables et individualistes, trois anti-héros nihilistes à l’opposée du titre.  Un western américain des années 50 aurait en effet mis en scène un bon, une brute et un truand. Ainsi, l’héroïsme romantique des westerns américains des années 30 à 50 fait place à un monde impitoyable, cruel et barbare. Chacun pour soi! La loi du plus fort, ou du plus agile avec un révolver! Ainsi, dans ces westerns, on ne tire plus du révolver nécessairement pour défendre la veuve ou redresser des torts.

Sergio Leone sera une influence incontournable qui, à bien des égards, définira le genre. Ses angles de caméra largement ouverts, son montage alternant plans serrés et plans d’ensemble, ses compositions visuelles, ses confrontations et duels et son emploi de la musique d’Ennio Morricone sont autant de signatures distinctives. Par contre, Sergio Leone est aussi l’arbre qui cache la forêt. Plusieurs historiens associent souvent le genre à un groupe de trois réalisateurs prénommés Sergio : Leone, Corbucci et Sollima. Outre Leone, les westerns de Corbucci et de Sollima sont d’excellentes portes d’entrée pour explorer le genre.



Sergio Corbucci est un réalisateur fascinant, original et audacieux. Chacun de ces films tourne autour d’un concept essentiellement visuel, ponctué d’images fortes et de scènes d’une rare violence. L’arrivé de Django, cowboy solitaire, tirant derrière lui un cercueil dans une ville bourbeuse est anthologique. Corbucci propose une relecture du western italien aux antipodes des classiques du western américain. Il propose un univers cauchemardesque où règnent la boue, la neige, le mutisme, la violence et la cruauté. Il repousse littéralement le cadre visuel et moral du genre. Il pousse même l’audace en introduisant l'usage de la mitrailleuse dans un western.  Son style visuel est empreint de gothisme et de brutalité. Django met en scène l’emblématique et charismatique Franco Nero.

The Great Silence est une oeuvre majeure du genre mettant en vedette Jean-Louis Trintignant et un Klaus Kinski étonnant de retenue malsaine. Corbucci y filme un enfer enneigé.  Le scénario jouissif propose de nombreux retournements imprévisibles et brise une règle majeure à l’égard du destin du héros. Un brillant exercice de style sur la notion de justice.  Avec Companeros, Corbucci déplace le western en pleine révolution mexicaine et évoque au passage les interventions des États-Unis en Amérique du Sud et la guerre du Viêt-Nam.



Sergio Sollima réussit pour sa part à unir fable politique et spectacle lyrique à ciel ouvert. Dès 1966, il impose le Zapata western avec The Big Gundown et offre à Lee Van Clef son premier rôle principal. Il enchainera rapidement avec Run, Man, Run, une suite à The Big Gundown, et  Face to Face pour ensuite passer définitivement à d’autres genres cinématographiques.

A Bullet for the General de Damiano Damiani est certainement l’un des meilleurs westerns politiques avec son rythme enlevant et son casting inspiré. Les amoureux du genre doivent absolument voir Keoma de Enzo G Casteralli, film mystique et surréaliste. Les avides de sensations fortes sont invités à regarder Django Kill! If You Live Shoot de Giulio Questi, littéralement psychédélique, résolument brutal et aux multiples connotations homo-érotiques.  Les fans du gore apprécieront pour leur part Mannaja de Sergio Martino. Comment résister à un héros viril armé d’une hache?

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Article publié le 18 juin 2010.
 

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