DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Animation, réparation : Les voies de la guérison

Par Claire Valade


:: Angakuksajaujuq (Zacharias Kunuk, 2021) [Kingulliit Productions, Taqqut productions]


En juin 2022, le Centre culturel canadien à Paris présentait un programme de courts métrages d’animation intitulé « Dire, affirmer, révéler : cinq films de (ré)appropriation culturelle » dans le cadre du Mois national de l’histoire autochtone, en collaboration avec le Festival international du film d’animation d’Annecy et les Sommets du cinéma d’animation de Montréal. Le choix des cinq films s’est délibérément porté sur des productions récentes et indépendantes, soulignant par la même occasion la stimulante expansion du cinéma d’animation indépendant dans les dernières années et le dynamisme de ce milieu. Les titres, dans leur ordre de présentation, étaient :
Angakuksajaujuq — The Shaman's Apprentice de Zacharias Kunuk (Canada, 2021), Meneath: The Hidden Island of Ethics de Terril Calder (Canada, 2021), Premonition: On the Eve of Signing Treaty 6 de Barry Bilinsky (Canada, 2021), Kapaemahu de Hinaleimoana Wong-Kalu, coréalisé avec Dean Hamer et Joe Wilson (États-Unis [Hawaï], 2020) et Annah la Javanaise de Fatimah Tobing Rony (Indonésie, 2020).

Notre compatriote Marco de Blois, directeur artistique des Sommets et programmateur-conservateur du cinéma d’animation à la Cinémathèque québécoise, offrait dans sa note de programme une perspective claire sur ce qui l’avait motivé dans cette sélection : « Depuis quelques années, des réalisateurs et des producteurs autochtones investissent le cinéma d’animation pour transmettre leurs valeurs, leurs préoccupations, leur imaginaire. De surcroît, les conséquences désastreuses du colonialisme sont de plus en plus souvent, et ce avec raison, dénoncées dans des films remarquables. Cette programmation de cinq courts métrages d’animation permet de prendre la mesure de ce nouveau courant qui accroît le spectre du cinéma d’animation à l’aide de voix fortes, singulières et engagées. [1] »

On comprend très rapidement, bien sûr, pourquoi Angakuksajaujuq — The Shaman's Apprentice ouvrait ce programme. Mieux connu comme étant le réalisateur d’Atanarjuat (2001), Zacharias Kunuk (Inuit) propose ici, en quelque 20 minutes d’animation image par image, un film aussi magistral que le long métrage en prise de vues réelles qui l’a mis sur tous les radars il y a déjà 20 ans. Auréolé d’une myriade de prix internationaux et nationaux prestigieux [2], Angakuksajaujuq impressionne particulièrement par sa maîtrise exceptionnelle des techniques d’animation en volume, mais surtout par l’ampleur et le souffle extraordinaires que Kunuk est parvenu à donner à son œuvre en ayant uniquement recours à des décors et des poupées miniatures.

C’est dans sa photographie exceptionnelle que le film trouve cette envergure rare dans le cinéma d’animation de ce type. Le traitement de la lumière est d’une minutie à couper le souffle. Les clairs-obscurs dans les igloos sont dignes de Rembrandt, avec ces courtes flammes manipulées par la chamane qui illuminent seulement les visages et les gestes, avant que l’ouverture du rabat de l’abri n’inonde l’intérieur de lumière. La blancheur éclatante de la neige ouatée est rendue encore plus éblouissante par la caméra qui suit l’apprentie à sa sortie de l’igloo sombre, puis durant le périple sur la banquise dans des plans d’ensemble rehaussant la froide monochromie marmoréenne des espaces nordiques, mais aussi dans le songe montrant le chasseur tuant l’ours polaire. La noirceur opaque et la lueur bleutée du tunnel rendent parfaitement l’atmosphère angoissante et surréelle de la descente vers le monde souterrain de Kannaaluk, Celui d’en bas.

Cet incroyable souci du détail se trouve dans chaque aspect du film : l’exactitude dans la reproduction miniature des costumes des personnages et la texture des matériaux de fabrication des igloos (glace à l’extérieur, branchages et peaux à l’intérieur), le vent dans les coiffes des chamanes et les langues pendues des chiens qui courent. Le choix d’intégrer du dessin animé à l’animation en volume est aussi une technique intéressante qui permet d’évoquer d’autres sensations d’ordre plus éthéré, plus surnaturel, comme la séparation du corps des chamanes qui laissent leurs os dans le tunnel durant leur descente. La précision et la beauté de chaque poupée-personnage sont aussi sidérantes, de leurs maquillages à la texture de leur peau, jusqu’à la profondeur de leurs regards. Chacun de ces éléments s’assemble pour servir ce récit simple et direct, et en magnifier les aspects mystiques et magiques.

Le second film du programme, Meneath: The Hidden Island of Ethics de Terril Calder (Métisse), est une production de l’Office national du film du Canada, qui nous a habitué·e·s en plus de 80 ans d’histoire non seulement à des œuvres d’animation hors du commun, mais aussi à une ouverture favorisant les regards issus de la diversité, et tout particulièrement les regards autochtones. Second film en animation image par image du programme, Meneath propose une approche considérablement plus éclatée que celle d’Angakuksajaujuq pour offrir « une perspective unique sur les angles morts des systèmes coloniaux », comme le souligne le programme du Festival Présence autochtone 2022. La réalisatrice a en effet recours à une foule de médiums et de techniques mixtes — marionnettes, objets du quotidien détournés, papier découpé et déchiré, textiles, collage, modelage, etc. — pour créer une atmosphère sordide et violente qui sera déconstruite graduellement dans une série de vignettes articulées autour des Sept péchés capitaux de la religion catholique, auxquels Calder oppose judicieusement les Sept enseignements sacrés des cultures métisse et anichinabée. Elle orchestre son film à la manière d’une leçon… à sa façon. D’un côté, les apprentissages de l’Église, tous punitifs et répressifs, dispensés en effet jadis dans le cadre de leçons magistrales par des religieux dans les infâmes pensionnats, sont martelés dans le film par un narrateur intransigeant et alarmiste, un Jésus-épouvantail chrétien à faire peur aux enfants. De l’autre côté de cette « leçon », c’est l’envers de la médaille qui est offert en contrepoint sur un ton calme par une narratrice bienveillante, Nokomis, et ces apprentissages-ci s’avèrent au contraire cohérents, harmonieux, humains et émancipateurs.
 


:: Meneath: The Hidden Island of Ethics (Terril Calder, 2021) [ONF]
 

Ainsi, aux péchés —
luxure, gourmandise, avarice, paresse, colère, orgueil, envie — s’opposent, comme un baume, amour, respect, sagesse, courage, vérité, honnêteté et humilité, les enseignements sacrés anichinabés. Au cœur de ce déchirement, Baby Girl, une toute jeune Métisse curieuse et allumée,en plein questionnement, apprend à désapprendre les règles dévalorisantes et déshumanisantes qu’on lui a inculquées afin de reconquérir sa dignité. Calder illustre cette quête de façon décisive et construit un récit qui ne mâche ni ses mots ni, si l’on peut dire, ses images. Meneath est une œuvre sombre, brutale, dure, provocante et dérangeante. D’une beauté crue, baignée d’un rouge et d’un oranger tour à tour sanglants puis chaleureux, chacune des vignettes ne ménage rien pour faire ressentir au spectateur les sensations et les sentiments de peur, de dégoût et de honte éprouvés par Baby Girl lorsqu’elle est confrontée aux mots incendiaires du Jésus, pour ensuite apposer un souffle rassurant et réconfortant qui favorise l’apaisement et la guérison. L’utilisation de symboles forts des cultures autochtones et métisses, comme les animaux totems (bison, lièvre, loup, etc.), permet d’ancrer chacun des enseignements sacrés dans un visuel tout de suite identifiable et significatif. Est particulièrement réussie et évocatrice l’animation par papier déchiré, comme dans les titres de chaque vignette, d’une sublime élégance dans leur simplicité, ou par papier découpé, comme les deux figures du Jésus et de Nokomis qui offrent un contraste marquant avec Baby Girl (d’ailleurs, ils sont tous deux les fruits du travail de bricolage de celle-ci, une touche sensible permettant d’illustrer que le tiraillement déchirant qu’éprouve la protagoniste émerge d’elle-même).
 
En fin de compte, même si l’exercice a quelque chose d’un peu trop didactique, Meneath choque et ébranle. La « leçon » qui est donnée est cruciale et perceptible, d’abord puisqu’elle émane d’une voix autochtone, qui répond avec sagesse et sérénité, fermement mais sans être péremptoire, à celle des prêtres et des religieuses d’avant. On comprend fort bien le jury des 20e Sommets d’avoir eu un coup de cœur pour Meneath et de lui avoir décerné son Prix spécial du jury « pour l’honnêteté du récit et le courage de la réalisatrice de nous confronter avec cette réalité, pour la prise de risque graphique, l’esthétique audacieuse ainsi que la complexité de techniques, de médias et de matières et finalement parce qu’il nous donne envie de réconforter cette enfant qui pourrait être la nôtre [3] ».

Si les deux films suivants du programme n’ont pas la même force de frappe que Meneath ni la puissance d’évocation d’Angakuksajaujuq, ils demeurent tous deux fort beaux dans leur façon d’illustrer avec élégance et émotion la façon dont des cultures autochtones ont pu être effacées ou occultées, sinon carrément bafouées. Dans le cas de Premonition: On the Eve of Signing Treaty 6 de Barry Bilinsky (Cri, Métis et Ukrainien), les promesses des colonisateurs venus occuper les terres ancestrales des Cris et des Métis dans les Prairies et l’Ouest canadien sont évoquées à la lumière des souhaits d’avenir d’un aîné cri, à la veille de la signature du Traité de paix no 6. Le film s’ouvre sur un texte annonciateur : cet aîné prie en fait pour que de bonnes relations s’établissent entre son peuple et les colons canadiens. Lorsqu’on sait que le Traité no 6 a été conclu en 1876, la même année où l’abjecte Loi sur les Indiens a été votée au parlement canadien, les prières — et les prémonitions — de l’aîné revêtent toute une autre dimension que le cinéaste traduit avec beaucoup de doigté et même une subtilité étonnante, considérant l’impact dévastateur de ces politiques sur les peuples cris.
 


:: Premonition: On the Eve of Signing Treaty 6 (Barry Bilinsky, 2021) [Hidden Story Productions E.D. Films]


Dans un style de dessin animé impressionniste rappelant à la fois les techniques de peinture, d’aquarelle et de photographie, Bilinsky pose ses images en contraste avec les vœux de paix exprimés oralement par l’aîné. Ainsi, des orages électriques éclatent dans un ciel d’encre, annonçant de mauvais présages. Des bisons éclatent en mille morceaux comme s’ils étaient faits de la glaise des plaines et non de chair, pour se décomposer en vain dans les herbes hautes maintenant traversées par le train intercontinental. Alors que l’aîné dit souhaiter voir les ancêtres respectés et honorés, un point rouge apparaît sur le sol cultivé par des machines crachant de la suie sur les étendues vertes du pays, comme une tache de sang qui devient peu à peu le sceau du fameux traité du titre, ce dernier se transmutant immédiatement en images d’enfants seuls et perdus dans les décors des pensionnats. Chez ces derniers, l’unique trace du souvenir de leur histoire et des grands espaces de leurs origines est représentée par leurs corps scintillants, comme ce ciel étoilé si impressionnant des Prairies. Cette image est particulièrement vibrante et Bilinsky la reprend dans les scènes suivantes, la poussant plus loin en transformant une foule de manifestants autochtones en points brillants dans la Voie lactée. Tous ces éléments s’entremêlent et se répondent de façon organique, soulignant le déséquilibre entre les mots tolérants de l’aîné et le tableau du futur réel qui l’attend, mais sans jamais brandir de doigt accusateur ni appuyer outre mesure sur un message dénonciateur. Remarquablement, le film se conclut sur un sentiment d’espoir, de communauté et de communion, le réalisateur préférant favoriser une vision réparatrice qui s’ouvre à la réhabilitation et à la réappropriation en reconnaissant que l’Histoire n’appartient pas uniquement au passé et doit être vécue ensemble, comme il le soulignait sur les ondes de la chaîne radio autochtone albertaine CFWE [4]
.

Kapaemahu de Hinaleimoana Wong-Kalu (Kanaka Maoli), Dean Hamer et Joe Wilson explore quant à lui une légende des premiers peuples hawaïens, à laquelle la cinéaste et ses coréalisateurs redonnent vie. Dans ses notes de production, Wong-Kalu souligne que, « en tant qu’indigène d’une nation insulaire qui a été illégalement conquise et qui continue d’être occupée par une puissance étrangère, [elle] reconnaît que la survie de son peuple dépend de la capacité de celui-ci à connaître et à pratiquer ses traditions culturelles, à parler et à comprendre sa langue, et à ressentir une connexion authentique avec sa propre histoire [5] ». Conçu et narré en Olelo Niihau, la seule langue hawaïenne encore pratiquée aujourd’hui (et qui était déjà en usage avant l’arrivée des Européens dans l’île), le film donne en effet toute la place à l’expression active d’une Histoire et d’une culture par et pour son peuple. Le mythe raconté est celui de quatre pierres mystérieuses de l’actuelle plage de Waikiki. Toujours en place de nos jours, bien que désormais clôturées et anonymes, ces pierres contiennent selon la légende le pouvoir de quatre esprits à la fois mâles et femelles, des mahus, qui auraient jadis apporté les arts de la guérison à l’île. Leur histoire oubliée au fil du temps est ramenée à la vie par la cinéaste et, avec elle, les notions d’écoute, de tolérance, de respect des nations hawaïennes retrouvent leur primauté. Le fait que les créatures mystiques aient une double identité de genre n’est pas un hasard non plus pour la cinéaste transgenre, qui se considère elle-même mahu, une troisième identité sexuée comme il en existe dans plusieurs cultures autochtones, à l’instar de l’identité bispirituelle par exemple. Il était important pour elle de mettre en scène de tels personnages forts et positifs en guise d’exemples pour les jeunes d’aujourd’hui, alors que l’histoire de ces quatre pierres a été occultée par l’hégémonie culturelle de l’occupant.
 


:: Kapaemahu (Hinaleimoana Wong-Kalu, Dean Hamer et Joe Wilson, 2020) [Kanaka Pakipika, Pacific Islanders in Communications]
 

Wong-Kalu raconte tout ça dans un style de dessin animé numérique évoquant un peu le collage, un peu le papier découpé, très stylisé, presque géométrique même, la mer étant illustrée uniquement par des lignes ondulantes qui trouvent aussi un écho dans l’expression visuelle des pouvoirs des
mahus, par exemple. La réalisatrice utilise principalement des silhouettes pour camper ses personnages, à l’exception des yeux auxquels elle donne chaleur et bonté tranquille, émerveillement et ouverture. C’est tout spécialement vrai à propos des yeux d’un enfant auquel la cinéaste semble donner le rôle d’intermédiaire du spectateur au sein de ce monde spirituel, et ce, tant dans le passé que dans le présent : en effet, à la toute fin, elle relie le gamin qui a accueilli les mahus à leur arrivée à Waikiki au jeune écolier contemporain qui entend les pierres chanter et les découvre avec le même regard que celui de son lointain ancêtre. Elle exprime aussi le récit observé par l’enfant et l’épopée des mahus par des jeux de lumière et, surtout, de camaïeux en dégradé. Du jaune, de l’oranger et de l’ocre qui font entrer le soleil du Pacifique, les flammes nourrissantes et le sable des plages dorées dans chacune des scènes. Des couleurs de terre foncées qui ancrent les formes des personnages et des objets de leur quotidien dans le sol hawaïen. Des verts et des bleus occasionnels qui permettent de plonger dans les flots de l’océan bienfaiteur. Les quatre pierres mystiques, elles, d’un gris tacheté, sont de la couleur de la pleine lune, les seuls objets qui revêtent une texture réaliste, les faisant ressortir de l’ensemble peu importe le cadre où elles se trouvent, bien en vue au milieu de la plage des temps anciens ou à moitié camouflées 700 ans plus tard, derrière leur clôture contemporaine au milieu de la circulation urbaine. Il en résulte un film à l’image des mahus : particulièrement lumineux et placide, généreux et complexe.

Proche cousin de Kapaemahu sur le plan artistique, Annah la Javanaise de l’Indonésienne Fatimah Tobing Rony, est le seul titre du programme qui n’est pas un film autochtone au sens américain du terme (la réalisatrice n’étant pas autochtone). Marco de Blois précisait dans sa correspondance avec moi avoir délibérément fait ce choix, d’abord parce que c’est un titre ayant une résonance avec le public français du Centre culturel canadien (on comprendra pourquoi ci-après), puis aussi parce que le programme voulait aborder la question du néocolonialisme de façon plus large. Et ce film poignant répond certainement de façon pointue à ces deux impératifs. En réimaginant l’histoire de cette adolescente javanaise déplacée, dépaysée et dénaturée après avoir été vendue par sa mère à des Français, la cinéaste ébranle l’édifice du grand homme érigé autour du peintre Gauguin. Surtout, faisant complètement fi du génie artistique de celui-ci dans son récit et en donnant à ce récit la voix d’Annah, la réalisatrice remet les pendules à l’heure en ce qui concerne la réalité du traitement enduré par l’une des très jeunes modèles du peintre, d’origine polynésienne, qui s’était vue privée de tout pouvoir décisionnel sur le sort qu’on lui réservait.
 


:: Annah la Javanaise (Fatimah Tobing Rony, 2020) [Savage Films]


La seule trace du célèbre peintre, outre de brèves interventions hors champ et en français, se trouve dans le traitement de l’image : en effet, l’animation en aplat est simplissime et colorée, imitant le style et la manière du fauvisme tel qu’appliqué par Gauguin. Ce choix de direction artistique pourrait sembler d’un goût douteux et même opportuniste de prime abord, mais on réalise rapidement qu’il n’en est rien. Au contraire, il sert plutôt à redonner cette imagerie colorée à la petite Javanaise, pour que nous puissions enfin en faire l’expérience de son point de vue à elle et non de celui du peintre. Après tout, ce sont son corps et son pays d’origine qui ont inspiré à Gauguin cette imagerie — le peintre se l’est appropriée, déclare le film sans le dire noir sur blanc, comme il s’est approprié la jeunesse, les rêves et la culture d’Annah. C’est par ses yeux que le spectateur découvre son histoire et c’est donc tout naturel que le récit soit teinté des couleurs vives de cette île du Pacifique qui manquent tant à la jeune fille. Certains passages sont élégamment créés entre son ancien monde et le nouveau par le recours à quelques idées très simples, comme cette neige du ciel parisien où apparaissent tout à coup les étoiles bigarrées du firmament javanais. Dans l’atelier du peintre, la réalisatrice fait tomber les atours attrayants et romantiques de la vie de modèle vivant en montrant l’autre versant de la vie d’Annah avec Gauguin : davantage celle de la servante exploitée — non, de l’esclave — que de la muse adulée. Les derniers moments du film confirment l’intention de réappropriation iconographique seulement esquissée jusque-là dans la facture visuelle, alors qu’Annah s’enfuit littéralement avec son portrait, balai enflammé à la main comme une sorcière libérée dans la nuit. Symbole puissant s’il en est un. Les derniers mots prononcés par la petite Javanaise — en français, sa langue d’adoption forcée — viennent sceller cette réflexion avec toute la complexité de l’émotion liée à son histoire : « J’ai repris mon image. Ce n’était pas moi. (Rire.) Mais c’était la mienne. » 

 


[1] « Dire, affirmer, révéler : cinq films de (ré)appropriation culturelle », Centre culturel canadien (juin 2021), https://canada-culture.org/event/dire-affirmer-reveler-cinq-films-de-reappropriation-culturelle/.
[2] Incluant le Prix de la FIPRESCI au Festival d’Annecy 2022, le Grand Prix Guy-L.-Côté du meilleur film d’animation aux 20e Sommets, le Prix Écran Canadien du meilleur court métrage d’animation 2022 ainsi que les prix du meilleur court métrage canadien et du meilleur court narratif au Festival d’animation d’Ottawa.
[3] « Les prix des 20es Sommets du cinéma d'animation », Cinémathèque québécoise(16 mai 2022), https://www.cinematheque.qc.ca/fr/salle-de-presse/les-prix-des-20es-sommets-du-cinema-danimation/.
[4] Daniel Barker-Tremblay, « Indigenous director creates short film on the history of Treaty 6 », CFWE (29 juin 2022),https://www.cfweradio.ca/news/alberta-news/indigenous-director-creates-short-film-on-the-history-of-treaty-6/.
[5] «Kapaemahu», Brooklyn Film Festival (2021), https://www.brooklynfilmfestival.org/film-detail?fid=2305. [Traduction libre]


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Article publié le 17 août 2022.
 

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