Qui pense jeu vidéo pense d'abord distraction. Pour les plus occasionnels comme pour les habitués, l'idée de jeu renvoie le plus souvent à quelque arrangement de gratification, de fantaisie et d'évasion. Mais sans écarter cette dimension plus candide, une partie des amateurs voue un intérêt plus prononcé au jeu vidéo en tant qu'espace de fiction.
BioShock, sortie majeure de 2007, avait particulièrement ramené à l'avant-plan une question fondamentale: qu'adviendrait-il d'explorer un monde aussi riche en le vidant de ses couches ludiques, ou à tout le moins de ses obligations violentes? Plus encore, qu'en serait-il d'un jeu qui n'aurait recours à aucune forme de fantastique pour encadrer ses thèmes à résonance terrestre? Des questions qui ont connu depuis plusieurs réponses, mais rarement de plus complètes, convaincantes et accessibles que le récent
Gone Home de la Fullbright Company.
Steve Gaynor, fondateur de Fullbright et principal concepteur de
Gone Home, était bien placé pour formuler ce contrepoint. Recruté comme designer sur
BioShock 2, puis chargé d'écrire et diriger son excellente extension
Minerva's Den, le jeune trentenaire et deux de ses collègues abandonnèrent le navire de la franchise en vue de monter un projet plus accordé à leurs intérêts. Leurs priorités incluaient de se concentrer sur les plaisirs plus discrets de classiques tels que
Thief ou
Deus Ex : arpenter l'espace ni vu ni connu, fouiller à sa guise les aires sensibles, assimiler bribe par bribe une fiction plus large. Partant de là, une toile familiale confondante d'authenticité s'est dessinée, le design du programme s'y adaptant et l'inspirant à la fois, l'objectif restant toujours d'optimiser l'expérience de découverte tout en lui procurant une digne raison d'être.
Gone Home s'avère donc un objet ludique sans obstacles, sans pression, sans encombrements mathématiques et sans énigme autre que les zones d'ombre de son récit domestique. Mais à l'inverse d'un
Dear Esther, figure de proue d'une certaine école de "non-jeux" à priorité narrative, il ne s'agit ni d'un paysage mental aux enjeux difficiles à pénétrer, ni d'une belle ligne droite soigneusement agencée pour une traversée optimale. D'une rare assurance, l'architecture virtuelle de
Gone Home émule à s'y méprendre le déploiement d'un manoir de luxe tout en appliquant finement la signalisation lumineuse et le découpage en tableaux propres aux meilleurs ouvrages en point de vue subjectif. Loin d'être absente, la dramatisation du récit s'effectue simplement de manière plus libre, plus ambiante, se répartit dans l'espace à intervalles mesurés, attend surtout d'être perçue et configurée au bon gré de l'utilisateur.
Si une importante qualité de
Gone Home est d'affirmer de manière particulièrement probante la conception d'espaces numériques comme nouvelle littérature, l'univers intime qu'il donne à découvrir n'en touche pas moins une multitude de cordes plus immédiates. À travers la matérialité des mixtapes et fanzines, l'écriture vivante des correspondances pré-Internet et le graphisme des produits de consommation courante, l'esprit d'un 1995 déjà historique est pleinement conjuré, et avec lui un monde de désirs, de frustrations et de traumatismes refoulés. Crucialement, les personnages évoqués atteignent une existence pleine et complexe par la seule entremise de leurs traces laissées, et ce jusqu'à l'avatar du joueur qui, il est permis d'imaginer, connaît par ses recherches une profonde remise en perspective. Devant la surenchère confuse d'un
BioShock Infinite, le minimalisme délicat et la densité chargée de vécu de Gone Home apaise et donne espoir, tandis que sa réception triomphale laisse entrevoir un climat toujours plus favorable au design ludique à priorité humaine.
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