En trois films, Giovanni Princigalli a affiné un style et une raison de tourner qu’est celle du film ethnographique. Installé à Montréal, mais originaire d’Italie, même son
Les fleurs à la fenêtre tourné en Afrique (sa dernière oeuvre et la plus aboutie) évoque son pays natal. Ses intervenants, quant à eux, nous parlent de l’immigration, du souvenir lointain d’une contrée qui, à travers ces « prises de notes », fait miroir à l’expérience personnelle du réalisateur. D’abord ceux de
Japiglia Gagi, un camp de banlieue de Roms (des Roumains exilés) situé en Italie, ensuite les Italo-Montréalais qui se commémorent leur enfance en Italie dans
J’ai fait mon courage (le courage de l’immigré), puis finalement les jeunes Camerounaises qui rêvent de quitter l’Afrique au bras d’un riche homme blanc, les trois groupes de personnes sont des déracinés. Ils cherchent un espace (au sens large du terme) dans lequel leur quotidien et leur culture pourrait s’épanouir. Or, à chaque culture sa terre la plus fertile, et c’est ce dérèglement que Princigalli capte en solitaire.
Cinéma ethnographique, donc cinéma « prise de notes » comme nous disions, il diffère cependant de celui de Raymond Depardon, de Sylvain L' Espérance. Princigalli n’est pas complètement absent de ses films. En fait, plus sa carrière avance, plus l’oeuvre se fait personnelle. De
Japiglia Gagi, où le cinéaste filma simplement pendant une année le quotidien du camp, à
Les fleurs à la fenêtre où il s’inclut comme sujet du documentaire en racontant à la première personne sa démarche consistant à se faire passer pour un occidental à la recherche d’une « belle jeune femme noire », l’ethnographie cède le pas au roman de voyage. Toujours parabole d’un monde où l’identité des plus démunis est friable, son intervention parvient ici à convaincre deux Camerounaises d’abandonner leurs espoirs de traque sur des sites de rencontres et leur fait préférer un compagnon camerounais. À cet égard, la scène introduite dans leur témoignage montrant un couple inconnu se mariant en Afrique (une jeune Française de bonne famille se lie à un Camerounais musulman de la basse classe sociale) en dit long sur ce que recherche Princigalli dans sa captation du réel : prouver que le mouvement inverse est possible, celui de l’intégration du riche chez le pauvre.
J'AI FAIT MON COURAGE de Giovanni Princigalli |
Non pas faiseur de belles images (si certaines le sont, c’est par leur sujet et non leur plasticité), il creuse pour trouver des situations à résoudre, des métaphores du monde mondialisé. Entre les Italiennes mariées outre-mer via des correspondances et des magouilles de mariages arrangés lors de la première moitié du siècle jusqu’à ces clavardages sensuels où les jeunes Africaines vendent leur corps en ligne à des pervers en quête d’exotisme, Princigalli nous dit que cette tension n’a pas tant changé. L’Internet n’est qu’un nouvel outil de communication. Il ne fait que révéler plus rapidement et plus efficacement la relation maître-esclave entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud. « Les pays riches sont les voyeurs des pays pauvres », nous explique-t-il dans son dernier film; lui l’immigré-émigré se met toujours, au nom du spectateur, à cheval entre les pans du globe.
Comme écartelé par l’impossibilité d’une réconciliation dans le respect, il décrit alors les moeurs de chacun : comment les Roms fêtent le mariage, comment les Italiens âgés de Montréal se sont organisés pour défier la solitude, comment une jeune Camerounaise s’est plongée dans l’écriture dès son plus jeune âge. Il scrute, espérant y déceler là les différences avec notre mode de vie. Il procède par comparaison d’une manière humble, sans prétention, avec le minimum de poésie possible. On n’y retient pas des exemples de films ethnographiques parfaits, mais bien un trio de réflexions éducatives sur le monde contemporain et sa carte géopolitique (compte tenu aussi de leur courte durée de 50 minutes chacun, le cinéphile anxieux de les visionner n’aura certainement pas peur d’y perdre son temps). Ils sont une manière de faire comprendre des enjeux. Un apprentissage (du cinéaste, qui améliore de film en film son utilisation du langage cinématographique, comme du spectateur) qu’il serait dommage d’écarter du revers de la main sous le prétexte de leur minuscule budget ou de l’approche singulière, voire dérangeante dans sa quête de l’originalité, de Giovanni Princigalli.
LES FILMS DE GIOVANNI PRINCIGALLI
Japigia Gagi : storie di rom (2003)
J’ai fait mon courage (2009)
Les fleurs à la fenêtre (2010)