DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Miroir, miroir... dis-moi qui est le plus laid (3)

Par Jean-Marc Limoges

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:: Laurin (Robert Sigl, 1989) [Dialog Filmstudio, Salinas Filmproduktion, Südwestfunk Baden-Baden, TS-Film]

III. REGARDS CROISÉS

À cet homme, qui détourne le regard de ce qui le trouble, répond évidemment celui de Laurin qui trouble tout ce sur quoi il se pose. Les deux personnages, que rien ne rapproche, ont pourtant ceci en commun qu'ils sont orphelins de mère. Plus encore, on note une scène, fonctionnant comme un miroir et deux fois reprises : la première fois (on en a parlé plus tôt) lorsqu'on nous montre Laurin découvrant son père nu (Figure 33), puis souriant timidement en détournant le regard (Figure 34), la seconde lorsque Van Rees découvre, par une fenêtre, le jeune Stefan prenant lui aussi son bain (Figure 35), mais s'avère incapable de détourner le regard de cette chair d’enfant qu’il convoite (Figure 36). S’il prend un vicieux plaisir à espionner les petits garçons, il est sensible auregard féminin, chose que confirme son assertion à propos de laquelle il « n’aime pas que les petites filles [l]’espionnent », qu’on entend en voix off sans pouvoir tout de suite l’assigner à un personnage spécifique.

Figure 33 : Perspective (semi-subjective) de Laurin sur son père nu...

Figure 34 : ...devant lequel Laurin détourne le regard (en souriant).

Figure 35 : Perspective (subjective) de Van Rees sur Stefan nu...

Figure 36 : ...sur lequel s'ancre son regard.

D’autres paroles prennent ainsi un autre sens à la relecture. Les Psaumes que lit le père de Van Rees à l’église résonnent, eux aussi, comme une mise en abyme : « Tous mes adversaires m’ont rendu un objet d’opprobre, de grand opprobre pour mes voisins, et de terreur pour mes amis. Ceux qui me voient dehors s’enfuient loin de moi. Je suis oublié des cœurs comme un mort. Je suis comme un vase brisé. J’apprends les mauvais propos de plusieurs, l’épouvante qui règne alentours, quand ils se concertent ensemble contre moi : ils complotent pour m’ôter la vie. » De la même façon dont l’ogre annonçait Van Rees comme le v(i)oleur d’enfants, ces psaumes annoncent la fin qui attend celui-ci.

On en aura le cœur net quand, au terme de l’intrigue, nous découvrons (par les yeux de Laurin) l’antre du tueur où repose le cadavre du jeune Stefan. Mirant une tache de sang sur les habits de celui-ci (le jeune a donc été déshabillé) (Figure 37), Van Rees entreprend de la frotter (Figure 38), mais d’une façon obsessive qui tient de la pulsion scopique à l’égard des fluides corporels ci-versés.
 

Figure 37 : Van Rees éprouve un plaisir pervers à la vue...

Figure 38 : ...des fluides déversés par son action.

C’est une sorte de carence scopique qui, en fait, est responsable des pulsions de l’antagoniste, embêté par une privation de miroir. Il n’y en a pas chez le tueur (Figure 39). Son père – pasteur – l’a répété : « Les miroir sont des instruments de la vanité humaine ». Van Rees ne s’est jamais vu. Quand il obtient le rôle d’instituteur, son directeur lui apprend la présence d’un miroir dans sa classe. Or, ce miroir n’est pas là pour qu’il puisse se regarder, mais pour qu’il puisse regarder derrière lui (Figure 40). Ce miroir est là pour prévenir qu’on parle dans son dos. Enfin, dans la dernière scène, pénétrant chez Laurin, qui a tout découvert, et dont il doit se débarrasser, il marche à tâtons dans la maison, craque une allumette et se voit dans le miroir : son visage a alors les allures du diable (Figure 41).

Figure 39 : Privation ascétique du stade du miroir.

Figure 40 : Le miroir sans le soi.

Figure 41 : Le soi monstrueux.

Si l’antre de Van Rees se situe dans une cave (lieu symbolique des pulsions primitives) (Figure 42) on le verra ensuite, poursuivant la petite (qui connaît maintenant son secret) jusque chez elle, monter au grenier (lieu symbolique de la conscience) (Figure 43), puis vaciller à la vue de Laurin vêtue comme sa mère, qu’il a tué accidentellement des années plus tôt. Il trébuche de peur et meure par l'épée avec laquelle il a pêché : en se faisant pénétrer (par un clou) de derrière (Figure 44). Et tandis que des larmes de sang embrouillent à jamais son regard, celui de Laurin n’aura jamais été aussi scintillant (Figure 45).

Figure 42 : Le repaire primitif du tueur.

Figure 43 : Ascension vers la conscience. 

Figure 44 : Mort ironique du tueur par pénétration...

Figure 45 : ...sous le regard triomphant de l'héroïne, aux cheveux détressés. 



Laurin a vaincu, par la seule puissance de son regard, l’ogre sorti de son conte de fées.


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Article publié le 1er septembre 2020.
 

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