Le paysage du jeu vidéo commercial a toujours comporté une certaine diversité, mais rarement les écarts ont-ils été aussi prononcés que sur le marché d'aujourd'hui. Entre le plus haut échelon des productions blockbuster - les
Last of Us et
Assassin's Creed - et le noyau indépendant bourgeonnant grâce à Steam et autres services de distribution en ligne, on observe non seulement des projets d'ampleurs vastement diverses, mais une variété d'approches et d'intentions artistiques en perpétuelle croissance. Créneau encore méconnu des paliers les plus modestes, le jeu d'orientation sociale et documentaire connaît lui-même une tranquille expansion, et trouve en
Cart Life de
Richard Hofmeier un représentant particulièrement transcendant.
Sous bien des angles,
Cart Life constitue l'un des ouvrages ludiques les plus significatifs de l'année présente. Initialement paru fin 2011 via le site personnel de son auteur - qui déjà semblait réticent à réclamer quelques billets pour ses efforts - le bouche à oreille s'est répandu au point de lui octroyer trois victoires au prestigieux
Independent Games Festival de 2013; un tour du chapeau dont Hofmeier profita non pas pour se faire valoir, mais pour promouvoir à sa façon le fameux
Howling Dogs de l'auteure d'hypertexte
Porpentine. Cette réaction humble et généreuse au succès inattendu s'avère d'une part emblématique de la personnalité de l'artiste, mais trouve également des échos à même le fruit de son travail.
En effet,
Cart Life se fixe un objectif à la fois simple et très ambitieux : celui de marier un rare degré de spécificité narrative à une simulation de quotidien se voulant parfaitement exhaustive. Par l'écriture de ses trois protagonistes - un poète ukrainien nouvellement émigré, une mère monoparentale en instance de divorce et un cuisinier fauché de retour au patelin -, Hofmeier montre son goût pour les profils atypiques et cherche l'empathie par le biais du terre à terre. Ces personnages singuliers, dont les désirs et malheurs sont exposés au fil des parties, se retrouvent plongés dans un univers pixellisé dont le sens du détail a de quoi faire frissonner. Entre la justesse de ses dialogues et descriptions, l'abondance ahurissante d'animations distinctes et l'incalculable gamme d'interactions possibles,
Cart Life impressionne d'abord par la quantité, puis convainc par la constance et l'intelligence de son émulation du plancher des vaches.
Conséquence presque inévitable du nombre de variables en action, l'expérience du jeu à proprement parler se révèle d'une grande difficulté d'accès. Enseveli par les responsabilités, le joueur doit vite apprendre à se repérer, garder en stock les infimes fournitures de son commerce de rue et briser la glace avec sa clientèle, le tout au gré d'une horloge ne permettant aucun répit. Porteur d'un stress incommensurable (et encore sans compter les hoquets de nature plus technique), le résultat est cependant une incursion redoutablement efficace dans le train-train précaire d'invididus en transition. Soumises à la cruauté des heures et du portefeuilles, la nourriture du chat, les convocations au palais de justice et la préparation des bagels prennent toute l'importance qu'elles méritent dans ces contextes précis. Gauche et excessif, touchant et visionnaire en égales mesures,
Cart Life défriche sa propre voie et permet d'espérer de grandes choses à venir de son auteur unique.
Disponible pour PC Windows depuis décembre 2011
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