Georges-Albert Astre, co-directeur de la revue
Études cinématographiques, prend sous son aile, au début des années 70, le jeune Albert-Patrick Hoarau, chercheur sur le western, et écrivent ensemble un livre somme sur l’univers du Far West. 400 pages de précieuses informations écrites, véritable épilogue au genre venant tout juste de se diluer dans le western crépusculaire naissant. Le nez collé à l’Histoire, Astre et Hoarau observent le western à son dernier pic esthétique et populaire juste avant la dissolution de ses codes et invariants iconographiques. Devenu depuis structure narrative plus que style, devenu souvenirs nostalgiques plutôt qu’engrenage du box-office quotidien, l’univers du western traité dans le livre homonyme est un assemblage des derniers voeux pour le renouvellement ou la survie du genre dans le cinéma contemporain d’après les nouvelles vagues. Cinéma non plus innocent qu’est celui que perçoivent les auteurs en Peckinpah. À l’aube d’une nouvelle ère, bien que les descendants d’aujourd’hui foisonnent brillamment dans de petits recoins, le livre qu’ils ont écrit est une histoire de la genèse primitive jusqu’à son apocalypse crépusculaire.
Car les auteurs ont eu la brillante idée de faire porter leurs premières 100 pages sur l’Ouest « réel », ses réalités historiques et les modalités de production du western dans son statut privilégié de « cinéma américain par excellence » (pour reprendre à Bazin sa belle appellation). S’en suit une brillante analyse (fortement en réaction aux quelques écrits dudit Bazin sur le genre) et en adéquation avec l’époque de la rédaction : 1973, l’après mai 68 et cette attaque sournoise du classique de la part de jeunes saboteurs d’idéaux hégémoniques. Lorsqu’ils écrivent : « Une conclusion? Non, pas vraiment. Parce qu’on ne conclut pas une étude sur le western : loin de s’éteindre, nous l’avons dit, il ne cesse de se renouveler, de se nourrir de toutes les obsessions, de toutes les hantises de la civilisation d’où il est issu » (p. 391), on ne peut s’empêcher de sourire à l’évocation d’un avenir pour ces déserts aujourd’hui abandonnés. À pieds joints dans cette époque de révolte contre l’arrière-garde, on les lit porter aux nues
Shane (1953, Georges Stevens) et le tout-Peckinpah en écorchant au passage les
Broken Arrow (1950, Delmer Daves) et
The Man Who Shot Liberty Vallance (1962, John Ford), véritables monuments du cinéma hollywoodien classique.
À la fois en réaction à leurs prédécesseurs, à la fois pris d’un temps politique (tant social que théorique) intrinsèquement relié à l’étude du genre le plus discuté, Astre et Hoarau remportent cependant la mise grâce à une recherche documentaire remarquable, l’usage d’extraits d’archives dont la contribution est rarement (du moins, de nos jours) aussi importante dans une étude de fond sur l’histoire du cinéma. À mi-chemin entre l’Histoire positiviste et le discours critique,
Univers du western est une brique à assommer les incrédules et à satisfaire les cinéphiles. Retravaillant l’évolution des principaux mythes de l’Ouest (Custer, Buffalo Bill, Calamity Jane, Billy the Kid, etc.), Astre et Hoarau partent à partir de l’histoire des historiens jusqu’à se plonger dans l’histoire des producteurs et des auteurs ayant façonné la panoplie d’oeuvres ou d’événements (sociologiques autant que cinématographiques) au fil de plus de 200 illustrations commentées. Référence en son genre, peu d’ouvrages sur le thème peuvent aujourd’hui se vanter d’un éventail aussi épatant de regards et de regardés. Une référence, un modèle d’écriture et de lecture.
Aux sources du Western
-Western, mythe et aventure
-De l’Histoire au film
-Préfigurations littéraire du Western
Les données permanentes du Western
-Topologie, scénographie, symbolisme, durée (Les lieux de la civilisation)
-Les « Héros » du Western : types, stéréotypes et modèles (Le cow-boy et ses vicissitudes, Le hors-la-loi, Le Sheriff, L’Indien, Les femmes dans le Western)
Le Western et son Évolution
-L’espace du muet (1894-1917, 1903-1910 : L’héroïsation du Western : Broncho Billy, Rio Jim, Tom Mix, 1918-1927)
-Le Western a la parole (1927-1929, Les années trente)
-Généralités sur un mythe au pouvoir (Portrait du Héros de la première génération)
-L’usure du pouvoir
-Plus dure sera la chute (La réhabilitation de l’Indien, Le sur-Western : renouveau ou décadence?, Delmer Daves et la « documentary approach », L’Apport d’Anthony Mann, Ces Hommes qui n’ont plus d’étoiles, La seconde mort des brigands bien-aimés, Deux champions de l’individu : Rio Bravo ou la voie hawksienne et Budd Boetticher, un homme à part, Portrait du Héros de la seconde génération)
-Les Westerns crépusculaires
Conclusion
Bibliographie sommaire
ASTRE, Georges-Albert et Albert-Patrick Hoarau. 1973. Univers du Western. Édition Seghers, coll. Cinéma Club, Paris. 423 pages.
À lire : notre dossier Le Western crépusculaire