ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Jeunesse année 0 (3e partie)

Par Réal La Rochelle

XVI

Une des caractéristiques du cinéma québécois naissant, à l’ONF, a été de faire naître une kyrielle assez impressionnante de films d’avant-garde. Ils ne pouvaient d’ailleurs surgir que dans pareille boîte de production, puisque c’était quasi impensable de le faire dans la sphère du privé.

Un de ceux-là fut Jour après jour (1962) de Clément Perron, avec une trame sonore imparable de Maurice Blackburn. À partir de divers plans d’un film non réalisé sur l’industrie des pâtes et papier, le réalisateur a construit une sorte de film abstrait, ponctué de poèmes dits par Anne Claire Poirier, qui nous chantent une époque de la technologie et des machines. Un âge fantasmatique annoté par la trame bruitiste du compositeur Blackburn, foisonnante de sons tout aussi surprenants et fascinants les uns que les autres. À cet égard, Jour après jour demeure un film d’avant-garde insurpassable jusqu’à aujourd’hui.

* * *

Une exception notable dans le cinéma privé est celle de l’opus d’Étienne O’Leary, qu’on connaît depuis peu grâce à un vinyle des bandes sonores de ses films ainsi qu’à un DVD. Une filmographie composée de trois films expérimentaux, Voyageur diurne/Day Tripper; Homeo/Minor Death : Coming Back from Goin’ Home; Chromo Sud. Ils furent réalisés à Paris entre 1966 et 1968.

Est-il même possible de décrire ces films, à la fois contrôlés et aléatoires, maîtrisés et hallucinatoires? Ils sont tous en 16 mm., le premier en noir et blanc, les deux autres en couleurs. D’inégales longueurs, Day Tripper (1966) fait 11 minutes, Homeo Death (1967), le second, près de 40, le troisième, Chromo Sud, en 1968, 21 minutes.

Un portrait du réalisateur, en lunettes noires, revient fréquemment dans ces films. De même que Michèle Giraud et Pierre Clémenti. Jean-Pierre Bouyxou écrit:

Ses trois courts métrages terminés ont la même fulgurance hypnotique, le même lyrisme incantatoire, la même exaltation sombre que Les Chants de Maldoror dont ils sont un peu la version pop, sous acide. Dans l’underground français des années 1960, O’Leary a incarné le psychédélisme plus intensément que quiconque13.

Il fut aussi, l’écrit-on parfois, le « Rimbaud du cinéma »14.
Ces films ont l’air de se ressembler – visages de famille – mais chacun a une sorte de personnalité. Day Tripper, par exemple, montre moult scènes érotiques, quand des mains caressent incessamment un corps de femme, ou encore quand O’Leary expose de multiples portraits de filles. Le cinéaste semble aimer aussi les objets de natures mortes, littéralement, comme cette banane pourrie, au départ du film, mais aussi à la fin.




::  Étienne O'Leary dans les années 1960


Homeo Death, pour sa part, est plus urbain, se promène de Paris à Londres, voire à Glasgow en Écosse. Dans une floraison ininterrompue d’images, souvent superposées, ce film très lyrique, accompagné de musique d’harmonium répétitive, de cloches et autres percussions, déploie des monceaux de trafics de villes, de manèges d’auto, d’enseignes de Coca-Cola, de vitraux d’églises, de silos à grains, de bandes dessinées, de mers et de navires, plages et baigneurs, danseurs nus. Dans ce galimatias surréaliste, trônent aussi plein de cigarettes et de mégots, d’herbes à fumer et d’amphétamines. Les enseignes commerciales y pullulent : TWA, Esso, Shell, sans compter les orgasmes de filles, les défilés militaires, des funérailles officielles, des journaux en flamme. De temps en temps, l’auto-portrait d’O’Leary.

Chromo Sud, enfin, est plus «clippé» que les précédents, plus rapide. Sur la bande sonore, en plus de l’harmonium lancinant, une voix déformée et un seul mot audible, approfondissement. Plein de petits objets de toutes sortes (qui me font penser à ce que Serge Murphy et Charles Guilbert développeront plus tard dans leurs poèmes vidéographiques), d’enfants, de masques, filles, fleurs, crânes, navires et têtes d’ami(e)s. En prime, si l’on peut dire, des images des manifs parisiennes de mai 68, dont cette banderole emblématique: L’Odéon est ouvert. L’œuvre filmique d’Étienne O’Leary se termine sur cette révolution culturelle à nulle autre pareille. Une filmographie, également, sans comparaison dans le cinéma québécois des années 1960.

Étienne O’Leary est décédé dans la nuit du 18 octobre 2011 d’une septicémie, dans un hôpital de Montréal. Il était né en 1944, et n’avait donc pas encore atteint ses 70 ans. Il aura sans doute eu la consolation, avant sa mort, de voir que ses œuvres des années 1960 existaient maintenant en DVD et qu’un disque vinyle gardait dans ses sillons la trace des bandes sonores de ses films. En 2004, il disait à sa sœur Véronique: « Voir mes films en 2004, c’est toujours neuf, quand on aime un auteur ou une personne, c’est toujours neuf »15.

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À l’ONF, Arthur Lipsett, génial funambule, se distingue en réalisant cinq courts métrages durant les années 1960. D’abord, Very Nice Very Nice, en 1961, qui fait l’effet d’une bombe et se trouve, l’année suivante, mis en nomination pour un Oscar. Le Dictionnaire du cinéma québécois souligne que ce film « annonce à la fois le vidéo clip, les trente canaux de télévision et la télécommande avec, en plus, l’inquiétude et le désarroi propres aux années 80 »16. Il est composé de photos enchaînées et rythmées par les techniques du cinéma d’animation.

21-87, en 1962, ajoute à l’animation de photos des images en prises de vues réelles et quelques plans d’animation pure. Encore là, comme dans son film précédent, Lipsett joue de la bande sonore autant, sinon davantage, que des effets de la trame des images. D’ailleurs, des témoins comme ceux du documentaire de Martin Lavut, Remembering Arthur (2006), soutiennent que pour Lipsett « chaque chose avait un son » et que le cinéaste faisait systématiquement la chasse aux fragments de pellicules sonores dans les poubelles de l’ONF. En ce sens, Lipsett se révèle un compositeur moderne imparable, jouant des voix, des bruitages et des musiques en partitions aussi riches que celles que Maurice Blackburn concocte à la même époque. D’autres encore évoquent la manie de Lipsett de « recueillir de petits morceaux de sons », comme cela est rapporté dans le portrait d’Éric Gaucher, The Arthur Lipsett Project: A Dot on the Histomap, en 2007.

Art des collages d’images et de sons, loin des synchronismes trop évidents, la manière de Lipsett équivaut, suivant la belle expression de Brian Larkin, à une « attaque d’images », d’un radicalisme puissant, qu’un autre nomme « un Niagara d’images ». C’est que le cinéaste, en plus d’être excellent caméraman, est aussi un monteur hors-pair. Ce qui, aux yeux de certains, produit des films certes intéressants, mais noirs et sombres, qui étalent un vieil ordre social fatigué, épuisé. Témoins Free Fall, en 1964, de même que A Trip Down Memory Lane en 1965, œuvres d’« un pionnier de l’anxiété ».

Fluxus, en 1967, atteint la longueur impressionnante de 23 minutes. Tableau d’un monde fragmenté par la technologie, ce nouveau collage multiplie les assemblages d’images d’archives (le procès de Nuremberg et Adolph Eichman, des paysans asiatiques, des singes dressés pour des vols extraterrestres, ou encore le temple d’Ankhor Vat) avec d’autres photos ou portraits plus familiers, celui de Lipsett lui-même, ou encore un autre fragment montrant le fondateur de l’ONF, John Grierson. Des paroles très audibles se glissent dans la trame sonore, « Now, I can control life absolutely », « Notre seule moralité est de survivre », « Tuer ce qu’on aime le plus », une bande de sons que la fiche de l’ONF appelle une « sorte de magma sonore contemporain ». La même fiche précise que ce film montre une « terre de robots, de machines surproductrices et d’ordinateurs, où l’homme est devenu le cobaye de ses propres expériences ».




::  N-Zone (Arthur Lipsett, 1970)


À la fin de la décennie, N-Zone est sans doute le film le plus ambitieux de Lipsett. Sa durée est de 45 minutes. Scénarisé par le réalisateur et Henry Zamel, c’est un des rares films du cinéaste où on le voit aussi souvent – comme comédien, ou en tant que lui-même. Assis sur un lit, en forêt ou en train, jouant de la flûte ou du xylophone, s’amusant avec des babioles ou de faux bijoux, face à des photos plein les murs, portant une lampe de poche ou encore un petit ventilateur qu’il se plaque sur le front…

Cet auto-portrait, joint à celui de ses entourages, amis plus ou moins éméchés ou parenté bourgeoise à l’heure du thé, est inscrit dans un foisonnement de films d’archives où déambulent éléphants et dromadaires, de multiples statues de bouddhas, des rats en cage, des masques de diables, des squelettes en papier ou en images radiographiques, des ingénieurs et des agronomes, voire des portraits de Mao Tsé-Toung. D’ailleurs, plusieurs musiques asiatiques s’égrènent tout au long de la bande sonore, très riche comme toujours chez ce cinéaste, des coups de gongs, des incantations religieuses mi-parlées, mi-chantées, des phrases répétées comme « I am the love drug ».

Pourtant, ce n’est pas un film joyeux ou serein, loin de là. Il illustre jusqu’à plus soif la banalisation de la communication humaine, le vide suite à pratiquement tout ce que nous disons ou faisons. La présentation du film par l’ONF souligne, avec le plus grand sérieux, que voilà «un échantillon surréaliste sur la condition humaine».

Après la finition de N-Zone en 1970 et le bouclage d’une fulgurante décennie, la vie et l’œuvre d’Arthur Lipsett deviennent erratiques. Ce cinéaste qui disait: « Si je pouvais m’exprimer en mots, je ne ferais pas de films », est alors victime d’une condition mentale qui se détériore. Né de parents russo-juifs en 1936, affligé par le suicide de sa mère alors qu’il était encore enfant, Lipsett va désormais d’errances en errances, de fugues en séjours en institution psychiatrique. Le Dictionnaire conclut: « En avril 1986, il met fin à ses jours »17. Au seuil de la cinquantaine, ce Rimbaud de l’audiovisuel filmique a navigué sur des mers à la fois enchantées et maudites.

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Si on excepte les films d’avant-garde en prises de vues réelles à l’ONF, comme Je de Louis Portugais (1960) ou Jour après jour de Clément Perron (1962), deux films magnifiés par les trames sonores de Maurice Blackburn, c’est surtout du côté de l’animation qu’il faut chercher les films expérimentaux les plus révélateurs.

Ceux de Pierre Hébert, par exemple. Opus 1 (1964), Op Hop (1965), Opus 3 (1967) et Autour de la perception, en 1968, marquent pour ce cinéaste le début d’une longue et fructueuse carrière. Son premier « opu s» est toutefois fait avant son entrée à l’ONF. Les deux premiers films de cette suite onéfienne sont en noir et blanc, alors que les couleurs somptueuses s’étalent dans Autour de la perception. Dans les trois cas, les bandes sonores sont constituées de sons synthétiques produits par le cinéaste, à la manière qu’explorait déjà McLaren. Pour Op Hop (3 minutes), Pierre Hébert parle de « variations optiques sur 24 images ». Son Opus 3 (6 minutes) est décrit, de son côté, comme « des variations sur une structure aléatoire ». Autour de la perception, plus long (13 minutes), fait usage de l’ordinateur et se présente comme une longue coulée à caractère psychédélique.

Pourtant, en 1967, avec Explosion démographique, film didactique de 14 minutes, Hébert rompt avec ses films expérimentaux abstraits et métisse diverses prises de vues, ce qui annonce une méthode qu’il développera plus tard. Le pré-générique propose des prises de vues réelles, en noir et blanc, avant que l’animation en couleurs ne prenne le relais pour décrire les inégalités entre les pays riches et pauvres, de même que des propositions de solution pour contourner ces déséquilibres. Le film se clôt également sur des images en prises de vues réelles.

Lors de l’un de nos stages de cinéma en Abitibi, Victor Jobin, de l’ONF, avait apporté des boîtes et des boîtes de films. Un de ceux-là était Op Hop de Pierre Hébert. Ce court métrage d’animation avait beaucoup étonné, et certains étudiants disaien : « Ce film-là, il nous crève les yeux! » Quand, plus tard, j’ai rencontré Hébert à Montréal et que je lui ai rapporté ce commentaire, cela l’a beaucoup fait rire. Il faut dire que ce film, tout comme les deux autres de la même décennie, met la persistance rétinienne à rude épreuve. Ce que l’ONF, dans sa présentation, fait remarquer à sa manière: « la rétine ne peut plus accomplir son travail ».

La décennie se termine pour Hébert, avec la complicité de Francine Desbiens, de Michèle Pauzé et d’Yves Leduc, par une pochade drolatique, Le Corbeau et le renard. Une gentille moquerie de la fable de La Fontaine. Face au discours mielleux du renard (en français de France) qui voudrait bien attraper le fromage de l’oiseau, ce dernier, après avoir mis son trésor à l’abri sous son aile, réplique en bon québécois: « Hostie, m’prends-tu pour un corbeau françâ? » Très court métrage de deux minutes, irrésistible.

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Norman McLaren, à la solide réputation internationale, est un cinéaste d’animation qui cumule le double trophée de réalisateur très pointu, voire scientifique, et d’auteur de films accessibles à un large public, aimés par lui. Quand, au début des années 1940, John Grierson fait entrer McLaren dans un nouvel ONF, fondé depuis peu, c’est à Ottawa que le cinéaste travaille, dans un service d’animation qu’il a mis sur pied. Par après, en 1956, il s’installe à Montréal, quand cet organisme déménage ses pénates à Ville Saint-Laurent.

Durant les années 1960, McLaren a déjà derrière lui une abondante et riche carrière, qui s’est déroulée tant en Écosse qu’en Angleterre, à New York puis à l’ONF. Cette décennie-là, il réalise quatre films: Opening Speech en 1960 ainsi que, la même année, Lignes verticales; puis Lignes horizontales en 1961, enfin Mosaic en 1965. Le premier de cette série est un film en pixillation (animation d’images de prises de vues réelles). Il montre McLaren lui-même en train de se quereller avec un microphone en révolte, au moment où le cinéaste doit commencer un discours. Robert Daudelin note: « Ce film est le discours du président d’honneur du premier Festival international du film de Montréal, en août 1960 ; il s’était engagé à faire un discours, il est arrivé avec un film ». Court métrage brillant et hilarant sur les problèmes de la technologie du son. Nous l’avons intégré au spectacle The Birds Are Coming! (en 1998 et 1999), qui portait sur les rapports entre les sons et les images au cinéma, et qui combinait les extraits de films avec un spectacle live auquel participaient Martin Tétreault (tables tournantes), Robert Marcel Lepage (clarinette et okinara), Jean-Sébastien Durocher à la vidéo. J’agissais pour ma part à titre d’animateur radiophonique commentant la problématique sons/images. Le film de McLaren ouvrait magnifiquement, et avec beaucoup d’humour, plus d’une heure de pérégrinations au cœur d’un spectacle sur «les sources phonographiques et radiophoniques du son au cinéma».




::  Pas de deux (Norman McLaren, 1967)


Les trois autres films de McLaren jouent avec les lignes, les couleurs et les musiques. Ce sont des œuvres très lyriques, combinant avec dextérité ce simple matériau de lignes avec une maestria de l’animation qui hisse ces éléments ténus, presque abstraits, au niveau de la chorégraphie et de la danse.

Le cinéaste termine sa décennie, en 1967, avec Pas de deux, « un poème visuel d’une ineffable beauté ». Ce qu’écrit, pour Le Dictionnaire du cinéma québécois, Louise Beaudet, qui fut, pendant de nombreuses années à La Cinémathèque québécoise, la directrice de la section animation. Sa grande passion pour ce type de cinéma lui fit admirer, entre autres, toute l’œuvre de McLaren, en particulier « l’image chronophotographique » de Pas de deux18. C’est en effet un film envoûtant, dans lequel deux danseurs classiques, en blanc, simplement éclairés sur fond noir, voient se démultiplier leurs gestes par la grâce de la pixillation. McLaren réussit ainsi à saisir la fragile beauté de figures chorégraphiques fluides et en partie évanescentes.



 

 

XVII


Voici, en vrac, quelques autres films des années 1960 qui me semblent avoir laissé une trace intéressante.

Jean-Claude Labrecque, d’abord directeur photo (pour Jutra, Perrault, Carle, Groulx, entre autres), s’est lancé dans la réalisation, en 1965, avec son court métrage 60 cycles. Le Dictionnaire du cinéma québécois écrit à son sujet: « Brillant compte rendu visuel du tour cycliste du Saint-Laurent dont les prouesses techniques lui valent une quinzaine de prix, notamment un premier prix du court métrage au Festival de Moscou »19. Ce n’était encore rien à côté de son très célèbre La Visite du général de Gaulle au Québec, deux ans plus tard, qui fixe pour la postérité, depuis le balcon de l’Hôtel-de-Ville de Montréal, le cri de « Vive le Québec libre! ».

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La même année 1967, celle de l’Exposition universelle de Montréal, Marcel Carrière sort son ineffable Avec tambours et trompettes. Ce cinéaste a rempli avec brio un triple parcours à l’ONF, aux divers titres d’ingénieur du son, de réalisateur et d’administrateur. C’est à lui qu’on doit, entre autres, le talent d’avoir pu réunir un budget pour l’édition du coffret phonographique Maurice Blackburn. Filmusique. Filmopéra.

Son film sur un congrès de zouaves pontificaux, à Coaticook au Québec, on ne sait s’il faut en rire ou en pleurer. Ces braves soldats sont une sorte d’anachronisme. Dévoués à la cause du Vatican (« le trône de Pierre »), ils en forment comme une garde armée lointaine et inutile, portant des costumes venus tout droit du XIXe siècle. Toutes les couches d’âges sont présentes dans ces troupes: vieillards, adultes, jeunes gens, enfants. Le film de Carrière arrive tout juste un siècle après un premier convoi de zouaves canadiens partis à Rome pour défendre le pape Pie IX, dont les territoires furent menacés par les troupes de Victor-Emmanuel. Le mouvement para-militaire des zouaves est composé de « défenseurs de la foi » qui font moult serments, ont leur propre hiérarchie (soldats, colonels, généraux), possèdent leur aumônier, déambulent avec sabres et fusils, trompettes et tambourins. Le réalisateur a incorporé à son documentaire un sketch théâtral d’Ernest Pallascio-Morin, mettant en vedette le pape en visite aux soldats québécois et ontariens réunis en congrès à Coaticook!

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Jean Pierre Lefebvre s’est distingué en réalisant Le Révolutionnaire en 1965. Je n’ai vu qu’une seule fois ce film, beaucoup plus tard, mais, tout en admirant son humour glacé et sa parodie de faux révoltés empêtrés, il m’a paru un peu guindé. En revanche, mélancolique histoire que celle de Patricia et Jean-Baptiste, long métrage paru en 1966. Elle, jeune française enthousiaste tout juste débarquée à Montréal, engagée dans une petite usine de fabrication de meubles. Lui, le Québécois taciturne et engoncé, à qui son patron demande de guider Patricia dans son apprentissage de la métropole.

Ces deux francophones sont aux antipodes l’un de l’autre, aussi bien culturellement que physiquement. C’est à peine s’ils parlent vraiment la même langue. Luc Perreault, dans La Presse, a écrit à la sortie du film:

Patricia, toute ébahie, voit en Montréal une ville dynamique, accueillante, où il fait bon vivre. Pour Jean-Baptiste, c’est une ville sale, absurde, où l’on s’écoeure, inhumaine parce qu’il sent qu’on lui a enlevé tout moyen d’y mener une vie d’homme libre, parce qu’il a compris que l’image qu’on cherche à en donner aux yeux de l’étranger ne correspond pas à la réalité dont il a lui-même fait l’expérience. Patricia et Jean-Baptiste, c’est une espèce d’exposition universelle de l’incapacité de vivre du Québécois, contestant l’autre, l’euphorisante20.

J’ai connu Lefebvre d’un peu plus près quand j’ai travaillé à Faroun Films, distributeur responsable des lancements de Q-Bec my Love (1969) et de La Chambre blanche, la même année. Le premier, satire assez caustique du succès de certains films érotiques québécois, contraste avec le second, film lumineux sur l’amour partagé. Et puis, j’ai failli avoir un petit rôle de figurant amérindien dans Les Maudits sauvages (1971), mais les horaires de travail et de tournage ne concordaient pas. Ce dernier détail ne fait toutefois pas partie de l’histoire du cinéma de la décennie 1960.

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De Michel Brault réalisateur, je retiens Entre la mer et l’eau douce (1967). Denys Arcand avait écrit un premier scénario, mais il ne fut pas retenu. En lieu et place, Brault trace le portrait d’un jeune chansonnier parti de sa région de Charlevoix pour faire sa marque à Montréal. C’est Claude Gauthier, qui rencontre une jeune fille (Geneviève Bujold). Un amour discret et pudique se développe entre eux, dans ce Montréal qui se découvre aux yeux du jeune «provincial» et la chanson québécoise naissante dans la Révolution tranquille.
J’ai presque laissé croire, tout au long de ce fascicule, que j’avais volontairement oublié Pierre Perrault, qui s’installe à l’ONF et dans le cinéma québécois des années 1960 comme une icône. À l’instar de Gilles Carle, je trouve que la réputation de Perrault est surfaite et qu’il a peut-être eu beaucoup de succès et de disciples grâce à ses positions nationalistes très affirmées.




::  Michel Brault derrière la caméra de Jour de juin (collectif, 1959) (coll. Cinémathèque québécoise)


À l’époque du film-culte Pour la suite du monde, en 1963, un second cinéaste est cité à la co-réalisation, Michel Brault, dont l’apport n’apparaît pas aussi fulgurant que celle de son coéquipier, au verbe facile et à l’écriture abondante. Pourtant, Brault est un cinéaste très important. Il était d’abord caméraman – il a fait l’image de tout ce qui compte dans la naissance du cinéma québécois, mais cette position s’imbriquait alors dans des collectifs de gens de divers métiers tous considérés comme cinéastes. Brault aura aussi, en 1971, l’occasion de co-signer avec Perrault le long métrage L’Acadie l’Acadie!?!, qui se déroule, cette fois-là, hors du territoire de l’Île-aux-Couldres. Cette co-réalisation de Brault aura été précédée, en 1969, d’un court film très émouvant, Éloge du chiac, que le cinéaste est seul à signer. Dans ce film, Brault donne avec empathie la parole à de jeunes acadiens qui discourent de leur « patois » ou « dialecte », le « chiac ». Ils en sont un peu gênés, mais surtout très fiers. C’est leur signature langagière, leur parole culturelle. La carrière de réalisateur de Michel Brault est ainsi magnifiquement lancée.

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Quand, en 1968, Fernand Dansereau réalise Saint-Jérôme, il ouvre toute grande la porte du film d’animation sociale. Ce n’est pas rien. Un filon qui aura un avenir glorieux durant la décennie suivante. Ce cinéaste, qui fut à l’ONF le premier directeur de l’équipe française, aura présidé comme producteur à ces films marquants que sont Golden Gloves, Bûcherons de la Manouane et Pour la suite du monde. Il a donc, au sens plein, été l’un des fondateurs du cinéma québécois. Avec Robert Forget, il a mis sur pied le Groupe de recherches sociales. Saint-Jérôme, sur la condition ouvrière, «sert autant de miroir que d’évaluation d’une méthodologie d’intervention sociale à l’aide du film»21.




::  De gauche à droite: Bernard Devlin, Léonard Forest, Fernand Dansereau et Louis Portugais dans les bureaux de l'ONF à la fin des années 1950 (coll. Cinémathèque québécoise) 


Je me souviens qu’on avait invité Dansereau en Abitibi, en 1969, pour un grand colloque sur les communications régionales. Il s’y était montré fin pédagogue, convaincant discoureur, participant avec attention à toutes sortes d’ateliers et de débats. Il était devenu l’un de nos meilleurs amis et complices, en plus d’être un cinéaste admiré. Depuis, à chaque fois que nous nous croisons à Montréal, surtout à La Cinémathèque québécoise, nous nous saluons comme de « vieilles » connaissances.


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13 Cité par Richard Brouillette, « Projections libérantes de la Casa Obscura », 20 octobre 2011.
14 Idem.
15 Étienne O'Leary, Véronique O'Leary, « ''C'est toujours neuf''. Entretien avec Étienne O'Leary », site web de Hors Champ, 21 octobre 2011.
16 P. 470.
17 P. 471.
18 P. 502.
19 P. 392.
20 Cité sur le site du film, dans « Films du Québec ».
21 Le Dictionnaire du cinéma québécois, op. cit., p. 190.
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Article publié le 15 avril 2013.
 

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