La prémisse de
Submarine, le premier long métrage de l’acteur devenu réalisateur
Richard Ayoade, est aussi familier qu'une chanson que l'on fredonnerait dès la première écoute. C’est une mélodie connue, une ode simple. C’est l’histoire d’amour entre Oliver Tate (Craig Roberts) et Jordana (Yasmin Paige), deux adolescents du Pays de Galles. Leur union remplit un objectif mutuel et naît presque d'un commun accord : l'un veut perdre sa virginité avant son anniversaire et l'autre veut rendre son ancien amoureux jaloux. Des buts simples a priori qui deviendront évidemment de plus en plus complexes et déchirants à mesure que progressera le récit. En effet, ici se cache un récit d’un humour plaisant qui saura éveiller les sensibilités.
Disons avant tout qu'il est inutile de surcharger cette critique d’exemples de similitudes avec d’autres films du même genre (un exercice dont ce rédacteur a été malheureusement accablé). Car pour plusieurs,
Submarine n’est pas une oeuvre originale. Pour n'importe quels amateurs du médium, le tout pourrait paraître comme la dernière et plus flagrante contorsion postmoderne. N’arrivant certainement pas à la cheville des
Quentin Tarantino de ce monde, Ayoade réjouit néanmoins en livrant un essai regorgeant de références à des conventions et des archétypes issus d’autres courants et, plus précisément, à d’autres réalisateurs. Que ce soit à
Wes Anderson ou aux films phares de la Nouvelle vague - des couleurs de
Pierrot le fou à la fatalité des personnages des
Quatre cents coups -, Ayoade déploie ces citations avec conviction et sans le moindre scrupule. « Il n’y a rien de mal à utiliser les idées des autres en autant que vous les citiez! », devrions-nous nous dire parfois... à la condition
sine qua non qu'un tel usurpateur ait le talent d'Ayoade.
À la base,
Submarine traite de l’exploration amoureuse d’un jeune garçon, une exploration en profondeur. Car Oliver n’est pas un garçon typique (mais en même temps, qu’est-ce qu’un garçon typique?), mais bien l’un des adolescents les plus marginaux qui soient. Il est l’anomalie dans l’anomalie. Parmi les corps en mutation et les voix en transformation, il essaie à tout prix de trouver l’amour. Cette quête, elle s’effectue en deux temps : d'abord physique, et ensuite émotionnelle. Son but initial est de coucher avec une fille, mais ce désir animal se transforme très vite en peine d’amour - la déception d'une « défaite » se cachant évidemment dans le détour. Parallèlement, il est témoin de la détérioration du mariage de ses parents; le détachement émotionnel de son père (Noah Taylor) et la nostalgie à l'égard des moments passés avec sa mère (Sally Hawkins) entraîneront tous deux la famille dans l'abîme.
Mais ce qui rend ces aventures si charmantes et amusantes, c’est l’analyse qu’en fait le jeune Tate. Ce qui fait de
Submarine une oeuvre mémorable, c’est certainement l’écriture, la métamorphose du livre de Joe Dunthorne dont est tiré le scénario passant par le rythme et la cadence des personnages. Ici, Ayoade s'empare du récit pour y imposer un humour et un ton qui lui valent certainement les comparaisons et les accolades qui s’en suivent. Mais il est indéniable que le jeu des acteurs, eux-mêmes figés et intemporels dans cet univers, est délicatement planifié par le réalisateur. Le tout est si bien calculé que même le personnage principal en semble conscient lorsqu’il lance cette réplique tragique : «
In the biopic of my life, I imagine a sweeping crane shot now, but if things don’t get better there’ll only be enough budget for a zoom out ». Un narrateur - ou bien son auteur - dictant les mécanismes de sa représentation cinématographique. Ce type d'humour est récurrent dans le présent exercice et Ayoade cherche à l’exploiter à son plein potentiel. Et c'est définitivement grâce à de tels procédés que
Submarine livre la marchandise, et ce, autant dans ses moments comiques que dans ceux de désespoir, comme seul un adolescent en pleine crise peut les vivre.
Comme nous l’avons déjà mentionné, une des sources de drame dans ce récit est l’état de la relation conjugale des parents d’Oliver. Protagoniste en contrôle de son propre récit, rares sont les séquences où l’on s'écarte réellement de sa manière de penser ou de son parcours. Des moments intéressants se manifestent tout de même lorsque nous sommes témoins de la relation entre sa mère et une ancienne flamme (Paddy Considine, dans un rôle complètement hilarant). Commune en soi, cette infidélité est la catalyse - et le dénouement le plus comique - ramenant le récit vers le concret. Tant pour Oliver que pour son père, cet événement leur fournit une nouvelle conception de l’amour, voire des relations en général. C’est à ce moment que
Submarine gagne en réalisme et s’éloigne temporairement de son univers autrement plus léché et référentiel.
En somme, ceux jugeant
Submarine comme étant un produit dérivé des œuvres des cinéastes mentionnées plus haut (rajoutez Ashby, Hugues, Stillman ou Baumbach si vous voulez) tombent dans le panneau. Certes, plusieurs thèmes - notamment l’angoisse de la puberté - se croisent, mais l’originalité et la voix dominante de Richard Ayoade font taire tous les caprices des cinéphiles affirmant avoir tout vu. Nous sommes très loin ici d’un « copier-coller », puisque même si le cinéaste emprunte librement, il triomphe grâce à la cohérence de ces idées si fondamentales à son récit. Il est impossible de n'utiliser qu’une série de références sans passer par l’entremise d’un fil conducteur puissant. Du matériel source de Dunthorne à l’inoubliable performance de Craig Roberts, ce premier long métrage de Richard Ayoade s’élève au même niveau que les films exemplaires de ses collègues cinéastes. Mais, malheureusement, comme son personnage principal, l’analyse et la confusion sont toujours de la partie lorsque l’on doute de l’authenticité d’un produit. Plusieurs spectateurs oublieront de se laisser charmer, même si les citations sont justes et que le texte est bon.