Toutes proportions gardées, Paul est le film le plus doux qu’ait réalisé Denis Côté. La violence du style appuyé est mise à l’écart le temps de la rencontre — entre Paul et lui, entre Paul et les femmes — et tout à coup cette démarche née dans la recherche cinématographique des tensions se détend pour éviter d’instrumentaliser ses sujets. La caméra de Vincent Biron et François Messier-Rheault est discrète, sachant filmer la sexualité sans l’exploiter et la soumission sans la ridiculiser. Le mixage sonore de Terence Chotard nous fait appréhender le film d’horreur, mais pour mieux nous tenir sur le vif des textures, des sons qui font partie intégrante de la jouissance BDSM. Ça bouge et pas seulement dans les claques, car la mise en scène distille la performance imprévisible de ses sujets pour nous la transmettre à son tour, le cinéaste accomplissant une médiation entre exhibitionnisme et cinématographie qui n’est pas simplement de l’ordre de la captation du fétiche, mais de sa restitution la plus sensible. Le plat des interactions non performatives, le frottement des textiles, le crémage des beignes entre deux orteils, Paul est un film sur Paul qui s’immerge dans son univers de soumission à l’instar de l’Alice que celui-ci placarde partout chez lui — d’ailleurs la première version de cette entrevue s’intitulait « Denis au pays des merveilles », mais ça ne rendait pas suffisamment l’agentivité que son protagoniste réussit à dégager du film.
Il faut dire aussi que cette détente du cinéma de Côté arrive à point nommé. Après Un été comme ça (2022), film où il affirmait être un « mâle alpha », après Mademoiselle Kenopsia (2023) qui était un film d’apprivoisement du vide, voire de la mort, son cinéma s’énergise avec Paul, devient pour la première fois extensif plutôt que systématiquement intensif, au point où il ne serait pas impossible, à travers les « sujets importants » dont il traite ici (la dépression, les réseaux sociaux) qu’il finisse même par lui échapper. D’autant que, pour une fois, Paul se poursuit à travers Paul, sa page Instagram, dans un épilogue qui n’est toujours pas terminé et dont la réalisation reviendra aux mains de celui qui continuera de se mettre en scène.
Avec moi pour rejoindre le cinéaste au 2e étage du palais de la Berlinale, Dunja Bialas, directrice du Festival Underdox à Munich et conseillère régulière à la Semaine de la critique de Berlin. Nous retrouvons un homme encore sous le choc de la première mondiale qui avait lieu il y a quelques heures à peine et qui s’était terminée par des applaudissements plus nourris qu’à l’habitude…
*
Mathieu Li-Goyette : C’était une belle salle, une belle réception.
Denis Côté : Je suis un petit peu en état de choc… Ce n’est pas juste positif, mais c’est quelque chose qui fait réfléchir. Je n’ai jamais eu ce genre d’accueil en seize films… OK, ça applaudit tout le temps, je suis d’accord, mais là, c’était nourri.
MLG : Oui, et ça a persisté.
DC : Il y avait même du monde qui criait, et ce n’était pas notre équipe. Pendant le Q&A, t’aurais dû voir les visages à partir du stage. Sortir un film qui fait une sorte d’unanimité que je n’ai jamais connue ? Voyons, crisse, mon prochain, est-ce qu’il va falloir que je me venge ? [rires]
MLG : Justement, habituellement, j’ai l’impression que tu fais des films sur des états, parfois presque sur des stases. Là, c’est quelque chose de très flottant. Et Paul le met de l’avant dès le départ, il a une trajectoire, des objectifs à atteindre. Certes, il y avait une trajectoire dans Wilcox (2019), mais en même temps, on savait bien qu’il n’y avait pas vraiment de destination au bout du chemin alors que ce Paul est certainement différent.
DC : Parce que je suis le seul maître à bord de mes autres projets ; c’est moi qui vais les propulser. Je choisis l’état ou la stase dont tu parles. Ça donne des films un peu plus cérébraux, très, très « cinéma ». On essaie des choses, puis au bout, à l’arrivée, il y a des gens qui aiment, il y a des gens qui n’aiment pas, il y a des gens qui accusent, il y a des gens qui disent « chef-d’œuvre » ou « on ne comprend rien ». Mais on a fait notre truc. Ici, j’avais tout de suite une obstruction qui est un être humain, et je dois trouver une humilité devant lui. Je ne peux pas amener la charge Denis Côté, sinon c’est wrong.
J’ai été habité pendant tout le film par Ulrich Seidl. Quand Ulrich Seidl fait des conneries, il fait de très grosses conneries, et quand c’est bien, c’est très intrigant, puis tu essaies de comprendre le projet. Dans les dernières années, il a fait un peu plus de conneries, mais ça m’habite… J’ai vu un film qui s’appelle Models (1999) il y a 25 ans, et ça continue de m’habiter.
Donc là, j’ai Paul devant moi, un vrai humain, avec une vraie densité, de vrais paradoxes, de vraies contradictions, et je sais que je vais perdre d’avance. Paul va rester une énigme parce que je tourne mes films sans budget et très vite. Je sais que je n’aurai pas de début, de milieu, de fin, donc je filme un journey. Je filme un moment dans la vie de Paul, les bras baissés, parce que je ne peux pas gagner. C’est seulement Paul, il va me dicter les choses, il faut que je sois humble, il faut que j’accepte, et il faut que je le protège. C’est peut-être pour ça que le film est un petit peu plus doux, un petit peu plus protecteur, empathique, bienveillant, des mots à la mode… Je ne pouvais pas faire Ulrich Seidl et le manipuler. Je crois qu’il n’y a aucune scène dans le film où on lui met un poignard dans le dos, où il arrive et c’est la surprise, parce que moi, je suis le cinéaste. Je ne pouvais pas me le permettre. J’avais déjà fait un brouillon de ce film avec Ta peau si lisse (2017), avec les culturistes. Ce n’était pas un brouillon, mais disons que c’était une première répétition pour aller vers Paul. Donc il y a un peu moins de ma force dans le film ou de ma lourdeur de cinéaste. C’est un peu plus pour lui.
:: Paul [Coop Vidéo de Montréal]
Dunja Bialas : Donc c’est une aventure, tant pour toi que pour lui, pour vous deux. Et on apprend toujours dans une aventure.
DC : Lui, il a une vraie aventure dans sa vie. Il a commencé à un point, et il doit se rendre à un autre point. Moi comme cinéaste, son point A, je n’étais pas là. Et où il va se rendre ? Je ne le sais pas. Donc, ce qui tombe sous mes yeux, ce sont des choses que certaines personnes appelleraient des sexualités alternatives, des kinks, du BDSM. On peut appeler ça comme on veut, et après il faut décider comment on se place par rapport à ces choses-là. Est-ce que ce sont des scènes ou des sexualités où on se dit « Oh my God! » ?
Sans parler trop personnellement — je ne suis pas spécialiste — , mais j’ai des bases sur ces sujets, et un de mes directeurs photo avait aussi des bases. Tout ce que Paul nous racontait, on prenait des notes. Son monde était déjà banalisé par notre regard. Vous avez vu le film, vous déciderez, mais je ne crois pas qu’il est choquant. Je ne crois pas qu’il est voyeur. Je ne crois pas qu’on exploite un « pauvre type », parce qu’on avait déjà un regard un peu blasé sur ce qu’il fait. Donc, on ne va pas chercher le choc, on va chercher l’humanité dans une sexualité alternative, alors que d’autres films vous la mettraient au visage.
DB : Absolument. Ce n’est même pas mis en évidence. Il y a par exemple la scène avec le donut, qui est aussi un peu marrante, et qui demeure très sobre malgré ce qu’on imagine en hors-champ.
DC : Oui, mais la scène avec le donut… Bon, ça nous a surpris. On ne savait pas que ça s’en allait jusque-là. Cette journée, elle n’était pas prévue, et là on la voit jouer avec les beignes… Et je dis ensuite à Vincent Biron :
— Mais, qu’est-ce que t’as filmé ?
— Tu voulais que je filme Paul ?
— Ouais.
— J’étais deux tiers sur Paul, un tiers sur elle.
Donc, on se comprend. Ensuite, j’ai demandé à la femme de prendre sa douche et de s’habiller pour aller prendre le thé avec Paul, pour qu’ils se parlent, pour qu’elle essaie d’obtenir des informations sur sa vie. Et ça commence… Ils ont parlé pendant une heure avec du petit thé. Bon, pour nous, au montage, c’est devenu moins intéressant. On n’a pas mis les échanges, mais là, tu vois une fille complètement nue qui se rentre des donuts et après, elle boit un petit thé avec Paul à la table. C’est ça, les jeux de chaud et de froid que tu peux faire dans un film de ce genre, et peut-être que d’autres cinéastes seraient allés ailleurs.
MLG : Il y a un côté, qui est explicité dans le film, très Alice au pays des merveilles. On plonge dans une sorte de rabbit hole en montrant ça. Je n’ai pas pu m’empêcher de me demander à quel point le motif d’Alice, qu’on retrouve de plein de manières, à travers des tableaux sur les murs, jusqu’à la scène des donuts justement, est quelque chose que t’es allé planter là ou bien quelque chose qui faisait déjà partie de l’univers de Paul.
DC : Ah non, je pense que le deuxième truc qu’on a appris sur Paul, c’était son obsession pour Alice au pays des merveilles. Mais il n’est pas cinéphile, il n’a jamais vraiment vu les films. Il n’a jamais vraiment lu le roman non plus. Il aime l’imagerie parce que c’est un homme-enfant ; il vit dans un monde, et son monde doit toujours être safe. Donc Alice au pays des merveilles, c’est enfantin, c’est un endroit pour se réfugier. Ça existe, c’est tout vrai : son décor, c’est ça. Dans tout ce qu’on a filmé, il n’y a rien qu’on ait placé, sauf quand il est en train de faire son montage, sur l’écran à côté, je suis allé mettre un film, une vieille version d’Alice de 1972. Ça, c’est moi qui l’ai mis. Sinon tout le reste, c’est le décor chez lui.
Une fois, une femme trans qui n’est pas dans le montage final est arrivée et elle lui apportait un cadeau — c’était sa fête — et nous on filme. Il ouvre le cadeau, et c’est un puzzle d’Alice ! Et il regarde ça comme un bébé. Puis le soir, il le monte en 3D. Donc, il trouve une sécurité dans la figure d’Alice, et sa sécurité, c’est d’être entouré de femmes tout le temps, tout le temps. Il ne connaît aucun homme dans sa vie. Et on a été surpris par l’extension de son bras qui est son téléphone. Son téléphone contrôle toute son image et ce qu’il envoie dans l’univers. Ça, c’est un vrai safe space ; il filme absolument tout, toujours. Et il va recommencer tant qu’il n’est pas content. C’est un mal de notre époque que moi, qui suis un petit peu plus vieux, je ne connais pas ; je ne retourne pas la caméra vers moi. Donc ça, ça m’a surpris, le contrôle de son image.
L’autre chose que je n’avais pas prévue, c’est que, lorsqu’il rencontre ces femmes, elles font du contenu elles aussi ! Elles amènent toujours leur kit pour faire des vidéos — téléphone, ring light et tout. J’ai commencé à remarquer qu’à chaque fois qu’on allait voir une femme, elle exploitait la soumission de Paul pour faire du contenu gratuit pour son OnlyFans, comme la première avec le masque de licorne. Elle, c’est une vraie dominatrice qui fait ça dans la vie, à 400 $ de l’heure pour ses clients. Elle disait : « Mais moi je dois faire du contenu dans le temps de Noël. » Et quand on a filmé, j’ai compris. C’est qu’elle fait « mal » ou elle utilise un soumis pour montrer à ses futurs clients ce qu’elle peut faire. Donc, Paul devient un tapis sur lequel elle marche et, en échange, il fait la vaisselle. Le film est devenu un système transactionnel entre toutes ces personnes, mais plein de consentement. Ça, ça m’a surpris aussi.
:: Paul [Coop Vidéo de Montréal]
MLG : Tu parles de réseaux sociaux, de relations transactionnelles, que ce soient des relations transactionnelles monétaires, ce qui n’est pas le cas dans le film, ou des relations transactionnelles qui sont purement affectives. J’ai l’impression qu’en touchant à ça, tu touches à des sujets qui sont dans le zeitgeist, des sujets « contemporains », alors qu’habituellement, tes films, on a l’impression qu’ils sont en dehors du monde. Pensons à Mademoiselle Kenopsia (2023) que tu as fait juste avant.
DC : Ce que tu viens de dire, je pourrais le dire moi-même. Puis je vais répéter que c’est un film qui m’a piégé parce qu’il était rempli de sujets. Quand je vous dis que je vois des gens obsédés par les réseaux sociaux... Moi, à la base, je veux juste suivre un mec qui fait le ménage pour des dominatrices. Là, je découvre tout un monde avec ses reels… Donc, les sujets s’invitent, et j’ai l’air d’avoir fait un film qui est très 2025 : l’anxiété, le rapport à l’image et tout. Avant la première mondiale, on avait déjà 19 festivals de confirmés. Après ce soir, ça va être encore plus. Pourquoi ? Parce que j’ai des sujets, comme tu dis. Je parle d’anxiété ; il y a une fille à la première, pendant le Q&A, elle a dit : « Merci Paul, tu parles vraiment au nom de ma génération ! » Ça m’a fait réaliser qu’effectivement ça pourrait résonner.
MLG : Mais c’est vrai.
DC : Paul pourrait devenir, pas un porte-parole… mais c’est fou ! Ça m’a surpris sur le stage. Le film m’a surpris. Quant à ta question, je ne suis pas un mec à sujets, tu le sais, mais j’ai été piégé par des sujets. Tu parlais de transactionnel, et en y pensant, moi aussi je suis 100 % transactionnel avec lui. Quand je dis à Paul : « J’aimerais ça, faire un film sur ton monde », et qu’il me répond « OK, je vais accepter parce que moi, je veux être célèbre »… Donc, moi je veux un film, puis toi, tu veux être célèbre ? On peut s’entendre.
Cela dit, il ne faisait pas nécessairement confiance au film, parce qu’il ne savait pas ce qu’il y avait au bout de tout ça. Il voyait ce grand mec rentrer chez lui ; il n’a jamais regardé mes films. Puis parfois, je suis un petit peu condescendant… « Ça va Paul ? Il fait froid aujourd’hui, mais t’as l’air bien. » Tu sais, un petit peu condescendant pour essayer d’aller vers lui. Puis là, il était comme, [d’un air las] « oui, oui, oui… ».
« Aujourd’hui, Paul, ça va être cool. Paul, on va faire ça pis ça aujourd’hui. » Il était comme, [toujours las] « ouais… ok, ok, ok… ». C’est la première fois que je fais un film où je n’ai pas fait la rencontre complète de mon sujet. On n’est pas devenus amis, mais on ne se déteste pas non plus. Là, aujourd’hui, il est très, très, très fier du film. Et des fois, il va m’écrire des choses comme : « Merci Denis, de me montrer des choses que je n’aurais jamais vues dans la vie et que d’autres ne verront jamais. » Tout simplement parce qu’on l’a invité dans un studio de mixage. Donc là, il sort un peu de son côté homme-enfant, ou bien peut-être il le vit encore plus, mais moi et lui, en entrevue avec vous aujourd’hui, je pense pouvoir dire que, même si on a terminé le film, Paul reste un peu une énigme pour moi. Et comme cinéaste, je n’aime pas beaucoup dire ça, parce que notre responsabilité, c’est censé d’être en mesure de bien comprendre ce qu’on est en train de faire.
DB : C’est aussi parce qu’il contrôle tout ce qu’on peut savoir sur lui. Donc là, comme tu as dit, tu as respecté ses limites.
DC : Bon, il y a des choses qui sont des surprises, autant pour moi que pour lui. Par exemple, quand on arrivait chez des dominatrices, ils s’étaient parlé la veille et ils savaient ce qu’ils feraient devant notre caméra. Même si moi je leur avais dit : « Faites comme d’habitude. » Il y avait un niveau de préparation qui m’était caché. En retour, on a aussi triché sur des choses, et il finit par y avoir une machine de cinéma de fiction qui m’appartient, comme dans tous mes films. Vous êtes capables de voir que la finale avec la montagne, c’est inventé pour le film, c’est l’idée que j’avais pour la finale. On n'arrivera pas à comprendre le mec seulement à travers le film. En sept mois avec lui, il n’a pas eu l’air de cheminer beaucoup, mais c’est correct, c’est un processus avec lui-même. Donc, la montagne, c’était mon image pour pouvoir finir le film. Et là je dis : « Paul, je t’amène sur le mont Royal, et on va te faire marcher longtemps. » Il n’acceptait pas parce qu’il disait : « C’est pas ma vie, Denis. Je ne fais jamais ça dans la vie, Denis, du hiking. » Et j’ai été obligé de lui dire : « Paul, dans mon film, tu fais du hiking. » [rires] Donc là, je cassais un peu des choses, mais il est joueur. Il se présente ensuite avec deux bas de couleurs différentes, puis il est venu faire du hiking pour le film. Il est acteur, il est un peu manipulateur…
MLG : Il voulait t’en donner un peu aussi.
DC : Mais il manipule ! Il est très, très intelligent. Il est très brillant, il s’exprime bien. Ce n’est pas un mec qui fait pitié, là. Il a une belle voiture, tu sais, il gagne sa vie, même si on n’en parle pas dans le film. C’est quelqu’un. Je n’ai pas pris un pauvre type, puis fait un pauvre film sur un pauvre type. C’est plein de paradoxes.
:: Paul [Coop Vidéo de Montréal]
MLG : Justement, je pense que dès les premiers plans du film, on réalise que Paul, en faisant ses reels, en plaçant sa caméra, en se filmant, il fait aussi du cinéma. Lorsqu’il prépare ses rencontres avec les dominatrices dans ton dos la veille, il est aussi en train de faire de la mise en scène à l’intérieur de ta mise en scène.
DC : Il a beaucoup appuyé sur le fait qu’il se sent créatif. Il ne dit pas qu’il veut faire du cinéma ; parce qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui font des TikTok, puis des reels, puis ils pensent qu’ils sont un peu cinéastes, hein. Mais lui, il dit : « Les femmes chez qui je fais le ménage, je les veux créatives, sinon, je n’y retourne pas. Je veux jouer avec elles, qu’elles me battent, qu’elles m’humilient, qu’elles me donnent des cadeaux, tant qu’il y a du jeu, moi j’accepte. » Il est joueur comme ça.
MLG : Mais là-dedans, il y a quelque chose. Il fait des images pour communiquer, ou en tout cas pour rejoindre un public à l’autre bout…
DC : Sans le rencontrer.
MLG : Sans le rencontrer. En même temps, y a-t-il quelque chose là-dedans qui t’a peut-être permis, ou en tout cas aidé, à connecter avec lui ? Lui, il fait son film, et toi tu fais ton film sur lui. Vous avez ça en commun.
DC : Oui, mais là où j’ai du mal à connecter, c’est parce qu’il souffre — il souffre — d’une chose que je ne connais pas et ne comprends pas : l’anxiété sociale et l’anxiété tout court. Je ne prends pas de médicaments pour ça, je ne connais pas ça. J’ai côtoyé une personne qui est complètement TDAH. Je ne connais pas ça, moi, des personnes TDAH, donc quand elles ont un comportement, ou comme lorsque Paul est anxieux, comme je ne comprends pas ses comportements, je les trouve abstraits. Puis je peux même me mettre de mauvaise humeur parce que je ne comprends pas. Donc j’ai eu du mal dans la vie de Paul à ramener quelque chose dans ma propre vie qui m’apprenne quelque chose. Je continue de voir un gars qui s’amuse bien et qui essaie de se sortir de son anxiété.
DB : Tu le filmes aussi comme un personnage. D’ailleurs, vers la fin, lorsqu’on découvre tous ces décors thématiques chez lui, il les présente comme s’ils faisaient partie de son propre appartement qui aurait simplement évolué.
DC : C’est que Paul, il devient très, très, très anxieux quand il est tout seul le soir chez lui. Paul, s’il vient dans la pièce ici où on parle, c’est peut-être un peu nouveau pour lui, mais ça reste quand même la vraie vie. Et ça, ça l’angoisse. Et le soir, ou même ici, il peut devenir très dépressif parce que c’est trop la vraie vie. Mais si tu lui mets un peu d’Alice au pays des merveilles, si tu lui mets une fille toute nue qui va le frapper… Là c’est différent. Je l’ai remarqué aussi avec la Miss Jasmine — ce n’est pas son vrai nom —, la fille qui fait la passe avec la tête de licorne. On était avec elle, et elle, sur son Instagram, elle est toujours en train de faire des figurines en Lego. Elle a des jeux de société chez elle, de vraiment gros jeux de société là. Et pendant qu’on préparait le tournage, je lui demande : « Mais, Jasmine, toi, t’es quelqu’un qui joue beaucoup, hein ? » Elle acquiesce vivement de la tête. « T’es tout le temps dans le jeu ! » que je lui dis, et elle répond : « Ben oui, sinon tu t’ennuies, hein ! » C’est une femme de 40 ans, elle était capable de verbaliser la vraie vie, les ennuis, tout, et peut-être que c’est comme ça pour tous les anxieux du monde, je ne sais pas, mais ça leur prend des fuites dans un monde de jeu. Des systèmes de fuite, d’exploitation, de transactions, c’était fascinant à filmer, mais c’était dur parce que je suis capable, moi, de m’asseoir tout seul, puis de lire un livre. C’est excitant pour moi, mais pas pour tout le monde.
MLG : En même temps, le mystère que tu as préservé autour de Paul, c’est très typique de ton cinéma, cette espèce d’impénétrabilité.
DC : Oui, bien sûr, parce que, OK, c’est Paul à travers tout le film, mais j’ai trop d’ego et j’ai trop fait de films qui m’appartiennent. J’aimerais qu’à la fin ce soit écrit un film de Denis Côté. Donc la montagne, si t’as pas vu Denis Côté nulle part avant dans le film, la montagne, la danseuse burlesque, ce sont des idées de Denis Côté. Ça fait que l’effacement total pour en faire un documentaire, j’ai du mal à y arriver. Mais c’est un film qui appartient un petit peu plus à Paul qu’à moi. C’est un crowd pleaser.
:: (Cleaning Simp) Paul, lors de la première du documentaire de Denis Côté [Berlinale 2025]
Transcription : Élodie François
PARTIE 1
(Night Stage, Friendship's Death,
Spring Night, The Swan Song of Fedor Ozerov)
PARTIE 2
(Köln 75, Living the Land,
queerpanoma, Fwends)
Woche der Kritik — Back to the Class Issue
PARTIE 3
(Evidence, Satanic Sow,
Time to the Target,
Reflet dans un diamant mort)
PARTIE 4
(Wrong Husband, Mapping Lessons,
The Memory of Butterflies, Magic Farm,
Underground)
Paul et Denis s'en vont en tournage
PARTIE 6
(à venir...)
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