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Jim Cummings : Lettre d'amour d'un père à sa fille

Par Anne Marie Piette

Anne Marie Piette : Thunder Road était d’abord un court métrage, un film d’une douzaine de minutes composé d’un seul plan-séquence. Il a remporté le grand prix au Festival Sundance en 2016. Vous avez par la suite constaté son potentiel pour en faire un long métrage. Comment l’avez-vous adapté et comment l’histoire de Jimmy s’est-elle créée ?

Jim Cummings : Pendant un long moment, jusqu’à environ un an après notre victoire à Sundance, je pensais que le film ne pourrait pas devenir un long métrage, car je croyais fermement que si nous devions en faire un long, la scène des funérailles (l’unique plan séquence du film) devrait obligatoirement se dérouler à la fin du film. Or la fin du film devait être l’apogée du film, et je n’aimais tout simplement pas l’idée que tout le reste de l’évolution du film soit la représentation d’une mauvaise relation entre le fils et sa mère, pour qu’elle meure ensuite à la fin. Je n’approuvais tout simplement pas cette alternative. Je ne trouvais par contre aucun moyen de remédier à cette problématique. Entre-temps, j’ai fait plusieurs autres projets : nous avons tourné neuf autres courts métrages après Sundance, c’était fou. C’est bien plus tard que j’ai eu le déclic de déplacer la scène du plan-séquence au début film. Le court métrage devenant ainsi le début du long métrage. J’ai réalisé que, lorsque dans la scène de l’enterrement ma fille s’éloigne de moi, et que j’essaie de la faire asseoir à côté de moi, ce pouvait être le momentum qui fait démarrer toute l’histoire ; que la suite du film serait un voyage de reconstruction entre le personnage de Jimmy et sa famille, spécialement sa fille. Dès que j’ai eu cette idée d’en faire la scène d’ouverture, l’écriture du long métrage a débloqué rapidement. J’ai passé environ cinq jours à l’écrire dans le sous-sol d’un ami, en buvant de la Budweiser, et en écoutant Bruce Springsteen sur YouTube. À la fin des cinq jours, j’avais un brouillon du script que je voulais faire, et j’ai commencé à faire des appels. J’ai appelé tous mes producteurs et leur a dit : « Je pense que nous avons quelque chose de vraiment bien !». Je leur ai envoyé rapidement le scénario. Ce fut tout un revirement de situation.

AMP : Vous aimez le côté sincère, direct et transposable du plan-séquence. Vous avez mentionné avoir créé neuf autres courts métrages faits de plans-séquences en dehors de votre long métrage, dont la trilogie Still Life pour Topic. L’utilisation du plan-séquence semble être devenue votre signature. En quoi cette façon de faire vous convient-elle comme comédien et comme réalisateur ? Avez-vous l’intention de continuer à exploiter cette approche filmique ?

JC : Oui, j’aime vraiment cette façon de travailler en plan-séquence, et j’appréciais déjà le plan-séquence avant même de faire des courts métrages. J’ai adoré le travail d’Alfonso Cuarón qui a réalisé Et... ta mère aussi! et Children of Men. J’ai vraiment adoré ses longues prises de vues. Pour de nombreuses raisons, le plan-séquence est efficace. Psychologiquement, le public se sent présent, comme s’il était à l’intérieur de la scène. Quand c’est filmé de manière conventionnelle, cela peut parfois vous faire décrocher de la scène, tandis que dans un plan-séquence, vous regardez une situation évoluer fluidement sous vos yeux en un seul moment, comme dans la réalité. Vous vous sentez nettement plus connecté aux personnages de l’histoire, d’une façon que vous ne pouvez pas atteindre dans un cinéma de plusieurs plans, un cinéma de montage. Et puis oui, j’aime vraiment utiliser les plans-séquences, car c’est également très difficile à réaliser, et donc c'est un défi à relever. Quand je regarde un film comportant un plan-séquence réussi, je me dis « Mon dieu, je ne peux pas croire qu’ils ont fait ça ! ». C’est tellement impressionnant et je suis très content de pouvoir à mon tour laisser une forte impression sur l’auditoire. C’est un super sentiment, c’est tout ce qu’un cinéaste rêve de faire.

 

 

AMP : Comment composez-vous avec les difficultés de travailler en plan-séquence quand vous êtes à la fois devant et derrière la caméra ?

JC : L’idée est de toujours faire beaucoup de répétitions. Si par exemple je m'installais dans une pièce comme celle-ci [nous étions dans le lobby de l’Hôtel Hyatt], je jouerais et répéterais mille fois la scène en question. Que ce soit moi ou un(e) autre acteur qui doive ensuite la jouer n’y change rien. Je joue toujours chaque scène pour chaque personnage. Je me concentre ensuite sur les meilleures choses qui en sont ressorties. Je répète donc mille fois la scène jusqu’à ce qu’elle soit parfaite, et ensuite je transpose le tout par écrit. J’imagine également à quoi le film va ressembler visuellement. Au tournage, j’en parle à mon directeur de la photographie, je lui dis tout bonnement ok voilà comment nous devrions cadrer, et lui très détendu me répond parfait on va le faire comme ça, puis on démarre la caméra. On a beaucoup de plaisir à travailler ensemble, c’est beaucoup de planification, mais beaucoup de plaisir.

AMP : J’ai aussi vu le court métrage de Thunder Road. La scène d’introduction, le plan-séquence d’origine, n’a pas été recyclée dans le long métrage, elle a été tournée de nouveau avec plusieurs différences. Elle ne comporte entre autres pas la chanson thème. Qu’est-ce qui a guidé vos choix à faire ces changements alors que la version originale avait été récompensée ?

JC : Mis à part le fait que la chanson thème n’est finalement pas utilisée dans le long métrage, nous avons tourné le plan-séquence avec les deux options : avec et sans chanson. Nous l’avons tourné neuf fois le matin avec la chanson. Les neuf dernières fois, nous l’avons tourné sans la chanson. Ma performance était meilleure sans la chanson. C’est l’unique raison pour laquelle la chanson ne se trouve pas dans le long-métrage. Et puis il y a quelques passages, quelques mots, qui sont différents dans le monologue de la scène d’enterrement du court et du long métrage. C’est arrivé comme ça. Il y a ce moment, par exemple, où je dis être allé à l’école LSU (Louisiana State University), j’ai soudainement dit « Go Tigers! » et j’aime bien ce moment, car Jimmy tente stupidement de gagner son auditoire et ça ne marche pas. Mais mes deux mots préférés dans le film sont quand je dis : « J’étais méchant avec elle (en faisant allusion à sa mère), je lui mentais, je ne voulais pas être… John Wayne », et je dis « John Wayne », au milieu de ce monologue, c’est tellement bon. C’est mon moment préféré de tout le film, parce que Jimmy utilise ce mot comme un homme costaud du Texas le ferait, il est comme ce personnage de John Wayne, il est ce policier texan dur à cuir. Mais il dit aussi « John Wayne » comme une excuse pour expliquer pourquoi il a été si minable avec sa mère, et prétend du même coup avoir été stupide d’admirer John Wayne. Et c’est génial. Ce sont juste deux mots, John Wayne, mais tout le monde comprend.

 

 

AMP : Je vais donc rebondir sur le sujet. Lors d’une conférence de presse, vous avez dit que vous aviez grandi à la Nouvelle-Orléans avec le mythe de l’homme viril à la John Wayne, icône qui pèse lourdement et qui affecte le taux de suicide des hommes dans la région. [Cummings laisse entendre un « oui »]. Pouvez-vous m’en dire plus et en quoi cela a affecté la création du personnage de Jimmy ?

JC : La première fois que j’ai répété et écrit la scène du plan-séquence de l’enterrement, je l’ai fait avec mon propre accent. Un accent américain normal. Puis j’ai glissé vers un accent du Sud, et cela fonctionnait mieux pour moi parce que c’était tellement plus tragique d’ajouter cette touche concernant les hommes du sud des États-Unis. En tant qu’audience, vous vous rendez compte que s’ils sont vulnérables, si mon personnage se montre faible, ce n’est pas quelque chose que la culture apprécie ou valorise. C’était la première fois que je commençais à jouer avec l’accent du personnage, et c’était comme une évidence : il fallait absolument que Jimmy soit un gars du Texas, qu’il soit comme les enfants avec qui j’ai grandi. Les joueurs de football, ou ceux avec qui je suis allé au secondaire. C’était très important pour moi que ça orbite autour des gars durs du sud. Reste que oui, tout cela n’a été qu’une évolution de la performance d’acteur. C’était simplement moi qui le jouais et le mettais en scène suffisamment de fois pour créer ce personnage de dur à cuire. Et c’était tellement plus difficile de voir un prototype de John Wayne s’effondrer, c’était tellement plus émotionnel et différent, tellement plus inhabituel à regarder aussi, un homme endurci qui s’effondre et pleure devant un public [durant la scène d’enterrement].

AMP : Donc au départ, pour le court métrage, vous aviez l’idée de ce type, ce policier texan du sud en tête, mais vous n’aviez toutefois pas encore fait le lien avec John Wayne pour cibler cette mentalité. C’est arrivé plus tard spontanément, comme vous l’avez décrit ?

JC : Dans le court métrage, je n’avais pas cela en tête, non, je savais seulement que c’était un dur. Environ trois semaines avant le début du tournage, je suis allé au Texas. Sur un plateau de tournage, j’ai entendu l’un de mes producteurs dire « tu sais, j’ai grandi au Texas. Quand j’étais enfant, si quelque chose de grave m’arrivait, je devais être un dur, me la jouer John Wayne. » J’ai pensé « Oh mon dieu, il faut que ce soit dans le film ». Si j’avais connu cette expression (« I’ll be tough, I’ll John Wayne it ») avant de faire le court métrage, il est certain que ce serait allé dans le court métrage, c’est pourquoi j’ai modifié le texte dans le long. Une autre raison qui explique pourquoi nous avons refait la scène de l’enterrement.

 

 

AMP : La façon dont Jimmy exprime sa sensibilité et sa vulnérabilité est également une critique du comportement genré, un sujet d’actualité. Votre but était-il de toucher insidieusement les hommes dans leurs convictions, sans qu’ils ne puissent l'anticiper ?

JC : (Riant) Oui, c’était le but ultime. Que des gars durs, des hommes très machos regardent ce film et qu’ils soient ensuite plus attentifs à leurs relations avec les autres et plus spécialement avec les femmes. Je pense que c’était une considération majeure pour moi d’arriver à ce que le personnage de Jimmy puisse agir de la sorte, être vulnérable et fou, pour ensuite en arriver à se rapprocher de sa fille en guise de lettre d’amour à sa défunte mère. J’espérais que cet archétype de l’homme machiste, s’il voyait le film, serait par la suite plus courtois, plus attentionné, plus conscient de son comportement et des conséquences qu’il engendre. C’était le rêve.

AMP : Quel avenir y a-t-il pour des hommes comme Jimmy ?

JC : Je ne sais pas. Je ne pense pas qu’il deviendrait un agent de police. J’y pense beaucoup.

AMP : Mais pensez-vous que cela va être de plus en plus accepté, cette sensibilité et l’expression de cette sensibilité chez les hommes. Que le mythe de John Wayne va s’effondrer ?

JC : Je ne sais pas s’il va s’effondrer. Ce genre de mentalité est tellement compétitive, cela fait partie de notre espèce. C’est comme les chimpanzés. On continuera à répéter les mêmes comportements. Je pense toutefois que les sociétés vont être plus tolérantes envers cette sensibilité masculine. Je remarque que les hommes endurcis sont généralement récompensés s’ils s’ouvrent, s’ils parlent de leurs sentiments. Oui. Je ne sais pas quel est l’avenir de ce genre de type.

 

 

AMP : Comment avez-vous concilié toutes vos fonctions à titre d’acteur, réalisateur, producteur, scénariste et compositeur sur le film ? Vous le distribuez également vous-même aux États-Unis, je crois.

JC : J’ai distribué le film oui, et également monté le film.

AMP : Alors, comment avez-vous jonglé avec toutes ces casquettes ?

JC : Très difficilement. Je ne sais pas comment j’ai jonglé [rires]. Il y a eu beaucoup de longues nuits à travailler jusqu’à quatre ou cinq heures du matin et je rentrais chez moi à l’aube, mais j’ai beaucoup de chance d’avoir cinq producteurs extraordinaires qui étaient sur le plateau de tournage. Ils ont été mes meilleurs amis tout au long de la postproduction et de la distribution, et si je n’avais pas eu une équipe autour de moi qui se souciait de mon bien-être et se souciait du film, je ne pense pas que j’aurais pu faire tout cela. Beaucoup de cette surcharge de travail était aussi une question de nécessité. C’était le fait de ne pas avoir d’argent pour embaucher un compositeur ou de ne pas avoir d’argent pour embaucher un monteur qui travaille tous les jours pendant 3 mois. Vous voyez le portrait, par manque d’argent, cette charge de travail est par défaut tombée entre mes mains. J’ai été très chanceux d’avoir su comment faire toutes ces choses. Je sais comment jouer du ukulélé autant que je sais comment monter avec le logiciel Premiere. J’aime ce processus. À la fin de la journée, le film est bien avancé, parce que je fais presque tout moi-même, et je pense que mes futurs films vont fonctionner de la même manière. Maintenant, les cinéastes peuvent tout faire sur un ordinateur portable de type MacBook Air. Je pense que c’est vraiment le futur du cinéma, les particuliers qui peuvent concurrencer les studios avec leur iPhone, et je pense que c’est non seulement très cool, mais avant tout très possible.

AMP : Oui, dans un esprit très do-it yourself. Vous dites que vous saviez comment occuper toutes ces fonctions. Quels sont donc votre profil et votre parcours, d’où venez-vous professionnellement parlant ?

JC : Oui. J’ai été producteur pendant des années. J’étais producteur de vidéoclips et de publicités, j’étais aussi monteur. Je montais différentes publicités, des sketches comiques, des trucs du genre, rien de vraiment cool. J’ai appris à monter. J’ai ensuite monté deux longs métrages sur une longue période, et compris comment couper les éléments pour qu’ils fonctionnent ensemble. Quand ce fut à mon tour de faire un film, ça a simplifié les choses. Surtout que mon film était déjà monté, car il ne contenait aucun réel montage, un seul plan séquence. Mais je le dis souvent, il est très facile de camoufler un mauvais film avec le montage, mais avec le plan séquence, vous ne pouvez rien reprendre. Il faut qu’il soit bien pensé avant le tournage. En raison de mon expérience de monteur, j’ai l’impression que cela m’a permis de faire ces longs essais et de réaliser toutes ces fonctions sur mon film, d’une manière que possiblement personne d’autre n’aurait pu le faire.

AMP : Maintenant, on dit que vous êtes bon en tout, et on aime vous comparer à un talentueux et polyvalent Vincent Gallo — l’attitude en moins. Cette comparaison vous convient-elle ?

JC : [Riant un peu] L’attitude en moins, ok ! Oui, j’entends beaucoup aussi la version d’un Xavier Dolan, avec aussi moins d’attitude. Je ne sais pas, j’aime le travail de Vincent Gallo, mais je ne pense pas qu’il aime l’humanité autant que moi [rires]. Je pense qu’il y a une nouvelle tradition de cinéastes, Damien Chazelle en est un, qui font leur propre travail, et je ne suis pas tellement différent de tous ceux qui font ce que je fais. Je sais qu’il y a des cinéastes, spécialement en France, qui ont une carrière dans le cinéma où ils font tout sur leur film. Pour ma part, je pense que je suis arrivé à ce résultat accidentellement, par manque d’argent. Le film est vraiment une extension de moi.

 

 

AMP : Corrigez-moi si je me trompe. Vous n’étiez pas un acteur professionnel avant de commencer le projet de Thunder Road. Vous avez pris le rôle principal par défaut, parce que c’était plus facile [Cummings a un petit rire affirmatif]. Maintenant que nous vous avons vu dans The Handmaid’s Tale et que votre performance dans Thunder Road a été reconnue et appréciée, avez-vous l’intention de poursuivre une carrière d’acteur ?

JC : Je ne sais pas. J’aime jouer dans le travail de mes amis, j’adore jouer dans mes propres films, entre autres parce que j'en contrôle beaucoup mieux le résultat final. Je ne sais cependant pas si je serais un très bon acteur dans le travail d’un tiers parce que mon mode de travail est tellement basé sur la répétition en solo, que c’est en quelque sorte devenu de l’autodirection. Je ne crois pas continuer à jouer en dehors de mes propres projets. On m’a offert beaucoup de rôles vraiment cool. Beaucoup de cinéastes qui étaient à Cannes cette année m’ont demandé de jouer le rôle principal dans leurs films. Mais, pour continuer à faire mes films, il m’est impossible de partir et de tourner, par exemple, un film en Italie pendant un mois, il m’a donc malheureusement fallu dire non.

AMP : Je n’ai pas encore vu vos neuf autres courts métrages, donc je ne sais pas si vous jouiez dans les neuf films, mais avez-vous également réalisé sans vous mettre en scène ?

JC : Pour Thunder Road, le court métrage qui a été ma vitrine, j’étais un acteur, mais il s’agissait aussi d’une performance, et je voulais offrir cette même vitrine à mes neuf autres acteurs. J’ai joué avec eux, mais c’était juste pour les aider dans leur processus. Donc tous les autres acteurs de mes courts métrages sont vraiment des acteurs inconnus et talentueux à qui j’ai donné une plateforme pour créer quelque chose qui leur soit propre. J’aime ça, et même dans le cadre de ma direction d’acteur, je joue souvent avec eux en expliquant mes intentions. Ensuite, je joue la scène pour eux, et puis le tout se construit dans ce mode de deux acteurs qui jouent ensemble. Ma relation avec les acteurs en tant que réalisateur est donc très semblable à celle d’un acteur avec un autre acteur, et j’aime essayer de les aider le plus possible. Le court métrage de Thunder Road est sur ma chaîne Vimeo, elle contient également tous mes autres courts métrages..

 

 

AMP : La signification des paroles de la chanson thème de Bruce Springsteen, que vous connaissiez par cœur depuis longtemps, vous a particulièrement touchée un jour où elle jouait à la radio. Vous dites que vous en avez eu une compréhension adulte. À quel moment du processus de création du film cet aspect thématique a-t-il été pris en compte ?

JC : Oui peu de temps avant de faire le court métrage, j’ai entendu la chanson à la radio et j’ai pleuré pendant environ trois heures de façon incontrôlable. Je pensais à ma mère et à ce que cette chanson signifie pour sa génération, et à quel point le travail acharné peut affecter les gens et les amener à changer leur vie. Je savais qu’en faisant le court métrage, je devais chanter la chanson. Que si ma mère mourait, je jouerais cette chanson pour l’enterrement. Et j’ai extrapolé pour le scénario, je me suis demandé : et si ça se passait mal, et que je devais chanter. Ne serait-ce pas drôle, et c’est devenu le court métrage. Par la suite, je me suis demandé quelle était la signification de la chanson. C’est à propos de ce type qui persuade cette fille de quitter la ville ensemble pour toujours. De voyager avec lui pour sortir de leur trou pourri. C’est un bel hymne américain que ce leitmotiv voulant que si vous êtes malheureux, laissez tomber. Prenez votre butin et aller voir ailleurs, mais ne mourrez pas dans cette petite ville de malheur, allez faire quelque chose de votre vie. Ensuite je me suis rendu compte qu’en passant du court au long métrage, nous serions en mesure de montrer toutes les choses terribles qui se passent dans cette ville, et ce que sera l’avenir de Jimmy et de sa fille s’ils y restent. L’histoire d’un jeune type convaincant cette fille de monter dans sa voiture et de partir avec lui, c’est le sens de la chanson Thunder Road : une lettre d’amour. C’est beau. Il se trouve qu’ici au lieu d’être celle d’un lycéen à une lycéenne, c’est celle d’un père à sa fille. Et dans cette optique, je pleurais et je riais : Thunder Road, c’est le film, et c’est la chanson, et ça va être tellement inattendu à la fin du film, les gens vont rires et se dire « Oh ! Mon dieu, c’est la chanson ».

 

 

AMP : Nous en avons déjà parlé un peu dans vos réponses précédentes, mais avez-vous été inspiré par des événements personnels ou par ceux de vos proches, ou si le personnage et l’univers de Jimmy sont des constructions purement fictives ?

JC : Je n’ai pas d’enfants, mes deux parents sont encore en vie. J’ai cinq sœurs. L’une d’elle est dyslexique. J’ai été en instance de divorce en 2014. Donc, il y a de petites choses, mais tout le reste n’est que fiction, c’est juste moi qui joue la comédie et qui en fait quelque chose d’amusant et de tragique.

AMP : Je pense que même pour les femmes, le film est très transposable, et nous fait penser à notre entourage.

JC : Je suis ravi de constater que nombre des gens qui connectent avec le film sont des femmes, donc des personnes qui reconnaissent ce type de comportement très souvent chez les hommes. Elles me disent « Merci, mon Dieu, Jésus, je connais quelqu’un qui est comme ça, pourquoi ne cesse-t-il pas simplement d’agir de la sorte ? ». C’est un sujet de conversation sensible pour les femmes, depuis toujours, et maintenant elles voient ce comportement dans un film et peuvent confirmer que « Oui, voilà le problème ».

AMP : Quels sont vos projets à venir ?

JC : Je suis en train de développer une série télévisée pour Ulule sur des astronautes qui reviennent de la Lune et élèvent leur famille en Floride. C’est encore une fois très drôle et très mélancolique. C’est vraiment marrant.

AMP : Super ! Jouerez-vous dedans ?

JC : Oui oui ! Et j’ai prévu de tourner un film sur les loups-garous pour un grand studio américain cet hiver, mais bon (il touche le bois de la table), qui sait quand cela se produira. Donc, je veux aussi continuer à faire de plus petits projets, et tourner des films avec mes amis. Ne pas devoir attendre, ne pas devoir écouter les gens qui me disent « Oui, nous voulons vous aider, dans un an ». Ok, super, mais je vais continuer de faire mes propres choses. J’écris présentement trois films dans ce même esprit do-it yourself, comme pour Thunder Road, et (avec mon équipe), on pense faire une autre campagne Kickstarter et les produire nous-mêmes.

AMP : Si prolifique. Et maintenant, j’ai entendu dire que vous cherchiez un distributeur au Canada, pour Thunder Road ?

JC : Nous en avons un. A71 Entertainment sortira le film au Canada.

 

 

AMP : Comment avez-vous réagi lorsque Thunder Road a remporté le Grand Prix du jury du Festival du cinéma américain de Deauville, et que l’actrice française Sandrine Kiberlain a parlé de vous en des termes si élogieux ? Avez-vous été surpris ?

JC : Oh ! Mon dieu, oui, c’était fou, c’était complètement fou. J’étais assis dans la foule pleine de célébrités, tous des gens que je connais, et des gens que j’admire, qui ont fait des films que j’ai vus. Je suis assis avec mon équipe, et il ne reste plus qu’un prix à décerner : c’est le Grand Prix. Je me dis qu’on ne gagnera certainement pas, qu’il vaudrait mieux sortir d’ici. Puis Sandrine (Kiberlain, présidente du jury) et le reste du jury disent « Ce prix revient à un auteur, réalisateur et acteur » et dès qu’elle a prononcé ces mots, j’ai pensé mon dieu, et toute l’équipe me donnait de grandes tapes dans le dos en me disant eux aussi « Mon dieu, tu as gagné ! ». C’était génial. Ce fut un grand succès, non seulement pour moi dans le fait de rencontrer tous ces incroyables acteurs et cinéastes, mais également un succès pour mon équipe. Paname Distribution ne compte que trois ou quatre femmes qui dirigent l’ensemble de la société et de penser à tout le travail qu’elles ont accompli. Vous savez, pour obtenir cette affiche, pour sortir le film dans les salles de cinéma, et le fait que ce soit un succès pour elles, c’était tellement épanouissant. Nous avons eu le grand sourire aux lèvres une semaine durant, nous étions tous si heureux. Il y avait vraiment un esprit de famille chaleureux là-bas en France, avec tous les artisans du Festival. Et puis, vous savez, pour moi l’enfant qui n’est pas un acteur, c’était un rêve qui se réalisait. J’aime aussi vraiment l’idée de déménager un jour en France pour y tourner des films presque exclusivement. Ce séjour était mon introduction à la culture du cinéma français, et je suis impatient d’y retourner.

AMP : Merci beaucoup pour votre temps !

JC : Merci de m’avoir reçu, c’était très amusant.

 

Traduction de l'anglais au français : Anne Marie Piette

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Article publié le 23 janvier 2019.
 

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