Avec douze films à son actif (10 courts et 2 longs), Olivier Godin, réalisateur de
Nouvelles, Nouvelles, a constitué en quelques années un univers aisément reconnaissable, bordé par la magie, par un amour des sonorités de la langue et par la tradition orale. Son cinéma est à contre-pied des productions entérinées par les instances subventionnaires et cette première sortie en salle marque pour le jeune réalisateur l’aboutissement d’un projet indépendant tourné au péril du 16 mm et mené par une troupe de comédiens et de techniciens qui lui sont restés fidèles de film en film. Dans cet entretien, nous entrons dans l’univers d’un authentique cinéaste qui trouve dans le conte l’occasion de renouer avec une certaine tradition québécoise.
Panorama-cinéma : Premièrement le titre.
Nouvelles, Nouvelles. Un titre curieux, qui rappelle évidemment la nouveauté – un souffle qui colle bien au film –, mais aussi la forme littéraire. Pourquoi ce titre?
Olivier Godin : L’interprétation est généreuse. Pour moi c’est l’idée de variation qui est très présente dans le film; à l’écriture je partais avec en tête l’idée que ce serait un film de Noël – Noël, Noël… Nouvelles, Nouvelles – et le dédoublement est aussi très présent dans le film. Chaque personnage se dédouble dans une version réelle et une version onirique, avec des personnages qui se rêvent dans la fiction et vice-versa. Le titre était pour moi une clé d’interprétation, quelque chose qui faisait partie de l’idée, qui n’était pas arbitraire. D’ailleurs, au départ le film s’appelait
Une invitation au voyage, mais je trouvais ce titre trop littéraire et l’ai changé.
Panorama-cinéma : Au centre du film, il y a un conte rempli d’objets magiques, de personnages un peu farfelus. Comment considérez-vous le conte? Pour certaines personnes, c’est une instance qui peut être moraliste, voire moralisante et pour d’autres c’est d’abord un moyen d’évasion, une ouverture au fantastique.
Olivier Godin : Je dirais que c’est très bien que le conte soit un moyen d’évasion. Je n’approche pas le cinéma en me disant que je vais faire des films divertissants : je veux plutôt faire des films stimulants. Et avec le conte, on part avec l’impression qu’on peut s’en permettre un peu et dans mon amour de la parole, de la tradition orale, il y a cette idée des jeux, des interprétations qui est importante et déterminante dans la phase de l’écriture et dans ma manière de l’interpréter. J’ai eu un beau compliment de
Michel Faubert qui a vu le film et qui est un conteur que j’aime beaucoup; il m’a dit que je poursuivais à ma manière une tradition, comme au départ il s’agissait d’une reprise d’un conte d’
Alain Lamontagne, mais aussi de la comptine
Dans la ville de Paris. Le film contient beaucoup de variations sur des éléments comme ça auxquels j’ajoute mon bagage cinéphilique.
À travers tout le processus de création – qui est très intense puisque nous avons tourné en 10 jours – il y a des réécritures qui s’opèrent également, de la même façon qu’un conteur, dépendamment de l’état dans lequel il est, va réinterpréter son récit. On le voit quand on regarde Fred Pellerin d’une salle à l’autre, puisqu’il s’adapte et opère des réécritures assez savantes entre sa performance à Montréal et la suivante en banlieue…
Ensuite, le conte m’en permet certes plus, mais j’essaie d’être rigoureux et je ne veux pas que ce soit n’importe quoi, ce n’est pas l’impression que je veux donner. Un journaliste a déjà écrit que je devais en fumer du bon…
Panorama-cinéma : C’est l’argument facile.
Olivier Godin : Oui, justement. J’y réfléchis au cinéma! Je lui avais respectueusement écrit que je ne prenais pas de drogue et pendant ce temps ma mère avait lu l’article et commençait à s’inquiéter un peu! (rires)
Panorama-cinéma : Nouvelles, Nouvelles est structuré en portes dérobées, puisque ce sont les incongruités – dans le meilleur sens du terme – qui font progresser le récit, en s’emboîtant les unes dans les autres. Ces jeux de hasard, de déboulement, comme les travaillez-vous? Partez-vous d’une structure limpide qu’il vous reste à complexifier ou avancez-vous en étant attentif à la manière dont les morceaux peuvent se cumuler au fil de l’écriture?
Olivier Godin : Au niveau de l’écriture, il y a d’abord le lieu, le bar, ce autour de quoi tout gravite; un défi en partant qui nous est imposé par des questions de faisabilité, c’est-à-dire le très maigre budget du film, qui nous force à réfléchir pas tant en termes de compromis qu’en termes de contraintes, la contrainte étant toujours plus intéressante que le compromis. Ensuite, j’espère développer un sens de la digression qui soit à la fois élégant et pas totalement gratuit. Chacun des personnages de
Nouvelles, Nouvelles a beau avoir l’air éparpillé et brouillon, ils ont tout de même un arc dramatique très clairement défini qui, dans chacun des cas, se boucle en fin de parcours.
Ces agencements s’imposent d’une façon harmonieuse et à travers tout ça, il y a le bar qui s’est dessiné dès le départ et qui me viens, je crois, de mon goût pour le théâtre et pour le
sitcom…
Panorama-cinéma : Avec ses personnages qui entrent et sortent de scène.
Olivier Godin : Exactement et ces formes sont souvent portées par une galerie de personnage assez riche. Ensuite, c’est sûr qu’en écriture, on ajoute des morceaux. Admettons qu’on a un désir de cinéma très fort de faire un monologue sur un fond rouge, comme le mien, qui est une idée que j’avais en moi depuis assez longtemps et que je voulais réaliser, on essaie de la faire fonctionner. Je me souviens avoir lu une entrevue avec
Shane Black par rapport au travail d’écriture dans
Kiss Kiss Bang Bang où il expliquait qu’il écrivait au fur et à mesure son scénario et les idées généraient des réécritures en première ou deuxième page en faisant gonfler le scénario. Ça devient gros et c’est tellement stimulant, puisque tu es seul avec la matière de ton film. C’est après que ça devient plus laborieux, mais le fait que nous soyons une petite équipe (nous sommes quatre ou cinq, en plus des acteurs) permet toutes sortes de nouveautés, par exemple des scènes qui n’étaient pas écrites ou du moins pas de cette manière, comme la scène du balcon avec le saxophone ou la scène de la roche. En fait, tout le rêve final n’était pas dans le scénario. De nombreuses scènes se sont imposées avec les collaborateurs, peut-être parce que ça fait longtemps que je travaille avec eux. Avec
Nouvelles, Nouvelles – et je ne dis pas que ce sera tout le temps comme ça –, on s’est vraiment mis en danger dans la mesure où nous faisions avec tellement peu… C’était une expérience déchirante, mais stimulante.
Panorama-cinéma : Ce qui est intéressant dans votre travail d’écriture, c’est la capacité à dénicher constamment des tournures musicales pour les dialogues, avec des rimes, avec la manière dont le dialogue est déclamé. C’est quelque chose qui semble faire écho à la présence de la musique dans vos films, notamment par la présence des instruments et même par ces glissements qu’il peut y avoir entre les deux, par exemple quand le saxophone se met à parler. Quel est votre rapport à la musique, qu’attendez-vous d’elle dans vos films?
Olivier Godin : Si l’on prend le projet dans son ensemble, il y a une volonté musicale qui est derrière. La musique, les instruments en soi, je ne sais pas si c’est tant un désir d’accompagnement pour supporter le récit…
Panorama-cinéma : Mais elle n’est pas non plus une béquille pour le scénario.
Olivier Godin : Peut-être un peu dans mon long-métrage précédent,
Le pays des âmes, au sens où mes personnages étaient des musiciens et je voyais leur musique comme une forme d’interprétation, mais dans
Nouvelles, Nouvelles, il est plus question de la musique comme d’une musique qui participe à créer l’enveloppe onirique et estivale du film. Après, on ne chante pas dans le cinéma québécois et c’est dommage, car nous avons un très beau répertoire traditionnel et nous avons de très bons artistes qui pourraient le faire. Je ne sais pas à quand remonte la dernière comédie musicale. Et j’aime les comédies musicales, j’aime voir les gens chanter; il y a d’ailleurs deux chansons dans
Nouvelles, Nouvelles et un peu de danse… Parce que j’aime ça et parce que ça fait avancer le récit.
Panorama-cinéma : Et justement dans
Nouvelles, Nouvelles, vous réussissez constamment à fibrer les deux. L’apport de la musique à la narration est constamment réitéré. Peut-être aussi qu’il est plus facile de se « connecter » sur la musique que sur les images pour induire une dynamique au film.
Olivier Godin : Oui et je crois que l’humour y est aussi pour beaucoup. J’ai l’impression que les spectateurs s’y accrocheront peut-être davantage qu’au fil narratif… Il y a différents types de spectateurs et parfois on en rencontre qui n’ont pas nécessairement les clés pour réfléchir le cinéma de façon formelle; ils le reçoivent alors beaucoup plus en termes de contenu et je trouve que l’humour facilite alors certaines choses. Si j’ai le goût de parler du Québec, de l’amertume de nos héros, si je le fais par l’humour, j’ai beaucoup plus de chance d’être entendu. C’est une approche qui est aussi celle de
Jacques Ferron ou de
George Bernard Shaw, le dramaturge irlandais que Ferront admirait aussi. Je m’identifie beaucoup à ces deux auteurs – même si je pense être plus romantique.
Panorama-cinéma : Pendant que nous sommes aux influences – et je sais que la comparaison a déjà été faite et qu’à la limite elle nous fait radoter –, qu’est-ce que ça vous fait quand on vous dit que votre cinéma fait penser à celui d’
André Forcier?
Olivier Godin : C’est venu un peu comme une surprise. Ensuite, je me suis dit « pourquoi pas? ». Je me suis souvenu d’
Au clair de la lune, que j’avais vu il y a longtemps, et c’est aussi un film restreint dans l’espace, confiné dans un bowling à cause de la tempête.
Panorama-cinéma : Et beaucoup de films de Forcier partent d’un lieu sur lequel il fait défiler sa galerie de personnages.
Olivier Godin : Si je peux dialoguer, même sans le savoir, avec des réalisateurs importants d’ici, tant mieux! Ça fait aussi du bien d’entendre ça, même si mon champion du cinéma québécois, c’est
Jacques Leduc. J’ai parfois l’impression que la comparaison peut être un peu facile avec les grands noms du cinéma artisanal comme
Éric Rohmer ou
Hong Sang-soo, mais avec Forcier, pourquoi pas.
Panorama-cinéma : Revenons à la musicalité des dialogues. Comment la dirigez-vous chez vos comédiens?
Olivier Godin : Je cherche un équilibre dans ma direction d’acteur, car on ne veut pas être trop littéraire. On cherche plutôt à enquébécoiser une parole littéraire, la mettre en bouche de la façon la plus élégante et musicale possible. Pour ça, je crois qu’il faut souvent dépsychologiser les dialogues, diriger avec une oreille musicale où je mets mon cerveau à
off et je leur demande d’aller plus vite, plus lentement, de m’en tenir à des indications de rythme qui confèrent peut-être au dialogue cette dynamique.
Panorama-cinéma : De la même manière que la musique dans vos films, la magie occupe une place importante. Mais cette magie a-t-elle pour vous un définissable? Est-ce un mystère? Une manifestation du destin? De la magie prise pour elle-même?
Olivier Godin : Mélissa est une sorcière, la mère l’est aussi et Tranchemontagne est un genre de mage qui fait des potions… Au départ, quand on créé ces personnages, c’est entendu qu’ils maîtrisent la magie, alors on ne se pose pas trop de questions à savoir comment on pourrait la faire intervenir; en même temps, tu ne veux pas que ça devienne comme dans la série
Harry Potter où les personnages peuvent toujours se sortir de toutes les situations grâce à tel ou tel sort qui pourrait les sortir de l’embarras. C’est toujours un peu frustrant et facile… Alors j’essaie de ne pas trop appuyer là-dessus, de ne pas trop la représenter comme un moyen de sauver mes personnages. C’est aussi pour ça que je trouvais important que Lamirande ne fasse pas de magie, qu’il soit un guerrier Lancelot, un romantique amer. Je voulais que mon personnage central soit victime de la magie et que cette dernière soit associée aux méchants, un peu comme dans
Conan le barbare où le héros déteste tous les magiciens et méprise toutes les magies.
Panorama-cinéma : Donc la magie vous est utile pour caractériser vos personnages.
Olivier Godin : Tout à fait. Par exemple, l’image du bras bleu est une image forte qui m’habitait et la magie permet certaines fulgurances esthétiques. C’est aussi un beau défi pour un amoureux de la parole comme moi de mettre encore plus d’emphase sur celle-ci en ayant recours à la magie, puisque dans la mesure où il n’y a pas d’effets spéciaux dans mon film, tous les tours de magie sont annoncés par la parole et si le spectateur peut y croire, c’est parce que c’est prononcé, c’est dit. Je ne sais pas à quel point ce dernier la reçoit ou la subit ou si, d’une manière très douce, au fil du récit, il finit par se coucher dans le lit narratif.
Panorama-cinéma : Donc la magie, c’est la parole. Et presque vice-versa.
Olivier Godin : C’est ça.
Panorama-cinéma : Puisque votre magie est issue de la parole, elle pourrait prendre n’importe quelle forme qu'elle pourrait s’introduire dans le récit, surtout à partir du moment où elle dépend d’un jeu de langue. Ceci dit, craignez-vous parfois qu’elle dérape? Qu’elle vous mette dans une position où vous seriez trop enclin à délirer, dans un espace sans commune mesure?
Olivier Godin : Myriam Charles (directrice de la photographie) et moi en avons beaucoup discuté et il n’a jamais été question d’appuyer la magie, de la même façon qu’avec l’humour, nous ne voulions pas mettre l’emphase sur les effets; idem avec les combats qui sont davantage suggérés que montrés, d’où l’approche naturaliste, avec une lumière qui se maintient, qui demeure sobre, même face à la magie. C’est
Tarkovski dans
Le temps scellé qui avait cette réflexion sur la manière de filmer les rêves au cinéma et qui me semble assez juste. Je ne condamne pas le contraire non plus, mais dans un film comme
Nouvelles, Nouvelles, je pense que c’était plus intéressant de maintenir une ambiance, une unité qui serait la même du début à la fin.
Panorama-cinéma : Une question de contrôler le pouvoir d’évocation ou de suggestion du cinéma plutôt que ses effets d’artifice.
Olivier Godin : Je pense, oui. Je suis aussi un amoureux des acteurs et j’ai l’impression que leur énergie me suffit. Les comédiens avec qui je travaille sont suffisamment généreux pour que je n'ai pas besoin de passer constammenr au gros plan ou de renchérir par la mise en scène ce type de présence immatérielle. C’est certain que nous étions conscients de nos limitations techniques et si j’avais eu un plus gros budget, peut-être que j’aurais été tenté d’aller dans une autre direction. Je ne peux pas le savoir, je n’ai jamais travaillé avec de gros budgets… Comment j’envisagerais mon scénario avec 100 000 $ au lieu de 25 000 $? Je ne le sais pas.
Panorama-cinéma : Justement, est-ce que la magie vous permet de pallier à certains problèmes au niveau de la production? Peut-elle devenir une porte de sortie?
Olivier Godin : Bien sûr. Pas seulement la magie, mais surtout le contrat invisible entre le spectateur et le réalisateur. À un certain point dans le film, j’étais conscient que le public serait prêt à en absorber énormément; quand
Mani Soleymanlou a eu un problème d’horaire et n’a pas pu se pointer, je lui ai demandé si ça lui dérangeait que je le change en roche, d’où la scène où il est une roche. Ce n’était pas dans le scénario et ça c’est fait parce que je l'ai envisagé comme une solution agréable et probablement plus intéressante que s’il avait été disponible. Quand je vous disais qu’on se met en danger, c’est que lui m’avait averti qu’il voulait bien faire mon film, mais qu’il avait très peu de disponibilité. Je lui ai dit qu’on s’arrangerait, qu’on trouverait un moyen et la journée où il ne pouvait être là a bien tombé : c’était la scène où je pouvais le remplacer par une roche. En plus, ça m’a donné l'occasion d’écrire un dialogue que j'aime beaucoup et qui vient boucler les questionnements du curé sur la foi et le cinéma.
Panorama-cinéma : Cette manière de transfigurer le réel par la présence des comédiens et le pouvoir de la parole me fait beaucoup penser au
Perceval le Gallois d’Éric Rohmer, où la facticité est bien là pour souligner le travail de
Fabrice Luchini.
Olivier Godin : C’est certainement une influence.
Panorama-cinéma : Plus tôt vous évoquiez Shane Black, qui est un maître des films de Noël… Revenons à Noël: pourquoi Noël? Pourquoi cette période de l’année semblait si propice pour raconter cette histoire? Est-ce pour la « magie de Noël », à partir de laquelle un glissement serait plus facile à opérer entre cette magie hivernale, bien présente dans l’imaginaire collectif, et la vôtre?
Olivier Godin : C’est possible. À Noël, il y a aussi le sens des traditions qui redevient très important. Je suis très intéressé par le bagage culturel québécois et cette fête permet de canaliser ces énergies, près de Dickens, mais aussi du cinéma de l’enfance, qui est évidemment liée à Noël; il s’agit d’une période qui est toujours propice pour regarder des films. Ensuite, quand je pense à mon cinéma de l’enfance, je pense aux films d’action, aux films d’aventure et quand je regarde la filmographie d’un producteur comme
Joel Silver, je n’ai pas le choix d’admettre qu’il est comme un second père, dans la mesure où il a produit des films – parfois très étranges – qui ont marqué ma jeunesse, comme
Hudson Hawk,
Commando et
Die Hard.
Panorama-cinéma : Ce ne sont pas des films très étranges, ça. (rires)
Olivier Godin : J’en parlais avec Martin Gignac hier et quand on est enfant, on n’a pas vraiment conscience qu’un film comme
Hudson Hawk a drastiquement souillé la carrière de beaucoup de gens. On le voit plutôt comme l'un des films les plus merveilleux qui soit parce qu’il s’y passe tellement chose, parce qu'il est tellement généreux. Joel Silver, à travers Shane Black parfois, a produit énormément de films de Noël. Parmi ceux-là, il en a fait des étranges, comme
Ricochet, un autre film que j’aime beaucoup, avec
Denzel Washington, mais là je m’emporte…
Panorama-cinéma : Et qu’est-ce que ça implique, de tourner un film en plans longs, avec un micro-budget et sur du 16mm?
Olivier Godin : Tourner en pellicule amène une rigueur qui n’est pas présente lors des autres tournages. C’est vraiment autre chose et tous mes comédiens étaient avisés qu’ils allaient avoir droit à une prise, deux prises au maximum. Ça amène une autre énergie sur le plateau, car même les plans de trois ou quatre minutes, il fallait les répéter énormément avant de tourner, car nous n’avions pas le luxe d’en faire plus. Nous avions tellement peu de pellicule qu’au montage, au moment des inserts qui sont de quelques secondes, nous avons «
loopé » les images. Je sais que c’est un peu sacrilège, mais c’est le prix à payer pour tourner avec si peu.
C’est aussi très drôle parce que le film fait 82 minutes et j’avais à peu près 150 minutes de métrage en tout, un ratio vraiment petit! Durant tout le processus de production, tout le monde s'est moqué de nous, nous avions l’air de gens qui ne savaient pas ce que ça impliquait, tellement que lorsque nous avons amené nos bobines au laboratoire pour les développer, ils pensaient qu’il s’agissait de nos tests, mais non, c’était le film au complet!
Alors heureusement que Myriam était là, parce que de ne pas avoir de moniteur, de ne pas pouvoir revoir les rushes et surtout quand il y en a si peu, c’est très angoissant. À l'inverse, faire de nombreuses prises amène une forme de sécurité, comme
David Fincher qui est réputé pour faire un nombre ridicule de prises, un type de démarche qui peut finir par souligner une espèce d’insécurité mal placée.
Panorama-cinéma : Presque de la tyrannie.
Olivier Godin : Oui, tout à fait. Pour
Nouvelles, Nouvelles, si c’était à refaire, je le referais, même si le tournage a été tellement exigeant et difficile qu’il fallait parfois accepter de piler sur son orgueil. Les acteurs en ont aussi souffert – certains m’ont même supplié à genoux de faire une autre prise et je devais être ferme et dire « non », puisqu’on ne pouvait pas se le permettre. À partir du moment où j’étais satisfait, il fallait aller de l’avant. Ceci dit, même si c’est angoissant, c’est beaucoup plus stimulant de tourner en pellicule. Il n’y a pas le réconfort de regarder la dernière prise et ce côté-là un peu fou est énergisant, au même titre qu'il influence aussi les réécritures, qui étaient faites à partir des images mentales du film que je me faisais, puisque je travaillais à partir des images que j’espérais ou pensais avoir plutôt que celles qui avaient été captées. Je crois qu'au final, la dimension onirique du film en bénéficie.
Enfin, au niveau de la production, c’est Myriam qui faisait les horaires puisque ça lui permettait de savoir ce qu’elle voulait tourner en fonction des fenêtres et de l’éclairage naturel. En fait, nous n’avons utilisé qu’un ou deux
spots à certains moments – tout le reste est en fait de la lumière naturelle, souvent réfléchie par des panneaux. Je suis vraiment content de son travail.
Panorama-cinéma : Tout ce péril, il vous plaît?
Olivier Godin : Rétrospectivement, oui, mais sur le coup ça génère des tensions, ce n’est pas vraiment facile. Ce n’est pas parce qu’on a un petit budget que c’est plus facile; ça reste une entreprise très humaine de faire un film et on s’est mis beaucoup de pression sur nos épaules et ça fait partie du défi de n’importe quel film, même de ceux qui demandent plusieurs millions de dollars. En fin de compte, peu importe le projet, il y a toujours quelque chose de miraculeux dans cette création commune qui voit le jour au prix de tant d’efforts.