Flavourcel est un collectif de cinéastes d’animation basé sur le territoire non-cédé des Salishes côtiers sur la côte ouest du Canada. Il fut formé en 2018 via un appel à tous lancé sur Instagram par l’artiste Anna Firth. Ses membres actuels sont : Alia Hijaab, Chhaya Naran, Chris Strickler, Gil Goletsky, Harlo Martens, Josh Neu, Julia Song, Kat G Morris, Lana Connors et Laurel Pucker.
En tant que collectif, les premières activités de Flavourcel consistaient à animer des ateliers d’animation, organiser des spectacles, diriger des séances de dessin et participer à des collaborations musicales dans des lieux de bricolage locaux et des espaces indépendants à travers Vancouver. Leur priorité est de rendre plus accessible la discipline de l’animation tout en explorant ses possibilités en tant qu’expression artistique. Les œuvres de Flavourcel offrent des variations ludiques sur des pratiques collaboratives qui mettent en valeur le style de chacun des membres. Ceux-ci travaillent dans un large éventail de techniques, de l’animation en volume à la 3D en passant par les expérimentations analogiques. Ils ont conçu plusieurs vidéoclips et GIFs animés en plus d’avoir présenté leurs courtes animations sous forme d’art public, projeté sur les écrans de la ville grâce au support des galeries d’art Grunt et Surrey. Leur plus récent projet, exposé au centre Western Front, implique une série d’installations animées de sculptures molles, de médias interactifs, de projections et de surprises.
:: Publication Instagram du collectif Flavourcel faisant partie du projet M.A.S.H :
contient le GIF animé Bathroom (Chayaa Naran) réalisé pour la galerie grunt,
affiché au Mount Plaisant Community Art Screen
Lianne Zannier : En tant que collectif, vous avez une façon très particulière de créer des animations qui incorporent le style de chacun des membres. Il y a souvent un thème ou un objet rassembleur qui relie chacune des sections. Votre œuvre M.A.S.H (2019) est un parfait exemple de cela. Elle a été projetée sur le Mount Pleasant Urban Art Screen de la galerie Grunt dans un lotissement de condos gigantesque. M.A.S.H démontre bien votre style collaboratif puisque toute l’animation est faite de pièces individuelles animées par les différents membres du collectif. Vous êtes parvenus à attirer les gens grâce à son caractère ludique, tout en abordant le problème plus large du logement à Vancouver. Pouvez-vous me parler de l’inspiration derrière ce projet ?
:: Une autre publication Instagram du collectif Flavourcel faisant partie du projet M.A.S.H
Alia Hijaab : Ma partie préférée du projet M.A.S.H ont les images promotionnelles que j’ai créées grâce à Craigslist. Quelque chose à quoi j’ai pensé, c’est : comment est-ce que les gens trouvent ces condos au juste ? Sur Craigslist ? Probablement pas. Je me souviens que nous avions eu plusieurs discussions à propos de se procurer un espace studio. Et comment cette demande simple, archi simple est en fait une demande énorme à Vancouver. Nous y sommes revenus récemment, lorsque nous avons dû trouver un studio d'artistes. La seule façon pour nous de le trouver à Vancouver, c’est d’occuper un édifice à la veille d’être démoli. C’est pourquoi nous devrons probablement passer de studio en studio, de démolition en démolition, ce qui nous semble assez intense et sinistre. Je pense que le projet M.A.S.H marche sur la ligne entre une vraie réflexion sur l’enjeu du logement à Vancouver et le caractère ludique de notre collectif. C’est sur la ligne entre le jeu et les ténèbres que nous devons marcher. Et je crois que c’est ce que nous avons fait.
:: Le vidéoclip « WYD » de l'abum éponyme de Kimmortal, animé par Flavourcel et réalisé par Steven Roste, 2021
LZ : Vous avez fait plusieurs vidéoclips pour différents artistes. Je pense ici au vidéoclip WYD (2021) pour le musicien Kimmortal. WYD est basé sur le concept de l’espace imaginaire interne d’un ordinateur dans lequel Kim est aspiré. La vidéo contient différents types d’animation tout en incorporant les techniques variées de tout le monde, de l’animation 2D au claymation en passant par la pixellisation. Comment c’était de travailler en collaboration avec Kimmortal ?
Flavourcel : Kim nous a donné une liste de mots-clés et d’effets sur lesquels se baser. L’un des termes spécifiques mentionnés était « espace liminal ». Je dirais que les autres instructions que nous avons reçues étaient plutôt vagues, à part pour l’« espace liminal ». Pour ce qui est de créer notre vision, le processus a semblé assez naturel. Ça dépend des artistes. Nous travaillons parfois pour des gens qui nous laissent faire ce qu’on veut, tandis que d’autres ont une vision plus précise. Je crois que c’est une question de savoir s’ils sont capables de communiquer leurs idées ou non. L’ambiance doit être la bonne. L’ambiance avec Kim était impeccable.
Laurel Pucker : C’était aussi du vraiment bon timing que certains membres du collectif soient en train d’essayer des nouveaux styles et des nouvelles façons d’animer qui possédaient justement un look plus numérique et analogique.
Kat G Morris : Je crois que WYD a été un succès, puisque dans nos vidéoclips précédents, on ne parlait pas de transitions entre les séquences de chaque personne. Dans la vidéo de Kim, on avait planifié de faire une sorte de cadavre exquis où on prenait le dernier plan de chaque segment individuel, et on partait de là. Ça a très bien marché.
Harlo Martens : J’aimais tellement les pas de danse de Kim que c’est la première fois où je me suis vraiment consacré à l’animation des personnages. Je me disais : il faut que j’ajoute quelques danseurs de fond là-dessus.
:: it goes it goes it goes it goes it goes it goes it, Gil Goletski (2021), GIF animé
LZ : Le ludisme est très important dans votre travail, et vous incorporez souvent des jeux dans vos collaborations. C’est particulièrement évident dans la façon dont vous coupez les coins ronds et jouez avec les conventions de la production animée. La plupart d’entre vous sont basés à Vancouver, où il semble y avoir une infinité de studios d’effets spéciaux et d’animation qui créent de l’animation très lisse. Que signifie ce contraste pour vous en termes de créer une œuvre qui n’est pas axée sur la perfection formelle de l’animation ? Quels sont les raccourcis et les techniques que vous utilisez pour jouer avec les limites de ce qui constitue de l’animation ou pas ? Gil, par exemple, il y a ton cycle de marche de trois images…
Gil Goletsky : … oh oui ! C’est quoi le standard Richard Williams déjà ? Genre 16 images par seconde ? Huit pour chaque pied ? Tu n’en as besoin que de trois ! J’adore l’idée de faire tout le contraire de ce qu’on m’a appris à l’école. Je sais ce que me dirait le professeur. Je sais que je peux dessiner. Ça devient presque un jeu à savoir combien de raccourcis je peux prendre tout en gardant ça bon et convaincant. Le cycle de marche de trois images que j’ai fait pour Into the Belly of the Beast (2021), était devant un arrière-plan qui ne contenait qu’une seule image, dessinée avec un seul point de fuite. Je l’ai animé dans Photoshop en utilisant le recadrage intelligent — élargissant de façon algorithmique certaines parties de l’image. Ça a rendu l’image très étrange et déformée. On aurait dit une caméra qui passe à travers un tunnel. Mais j’utilisais seulement ce à quoi Photoshop croyait que mon dessin ressemblerait si on l’élargissait de 300%. Ça a pris beaucoup d’ajustements et de fignolages. La première fois que je l’ai fait, c’était pour le vidéoclip de Kimmortal.
LZ : La raison pour laquelle je pose la question est que Flavourcel travaille avec des GIFs et s’amuse avec de courtes animations, mais ce ludisme et ces expérimentations, comme ce que fait Gil avec ses raccourcis technologiques, sont intéressants en comparaison avec l’industrie vancouvéroise qui produit du cinéma d’animation qui nécessite des quantités incroyables de ressources et de main d’œuvre. Et pourtant, il est possible de faire un cycle de marche de trois images qui provoque autant de joie, celle de voir quelque chose prendre vie avec juste la moitié du travail.
Gil Goletsky : Je crois que le mien a l’air plus drôle en plus. C’est d’utiliser les techniques des marionnettistes pour faire quelque chose d’expérimental. Je trouve ça intéressant d’utiliser une technologie qui est clairement destinée à émuler une sorte de réalisme, à créer quelque chose de prévisible. Je trouve ça hilarant de l’utiliser comme un néandertalien et de la dénaturer complètement. Il y a tellement de façons d’utiliser la technologie, et je crois que beaucoup de gens considèrent qu’elle possède cette sorte de… fonction supérieure. C’est comme utiliser l’animation 3D de la mauvaise façon. Il y a tellement de façons de l’utiliser qui n’ont pas été explorées encore. Être capable de monter un projet où on me donne carte blanche, c’est l’idéal pour moi.
:: L'installation Into the Belly of the Beast de Flavourcel, Western Front, 2021, documentation par Alysha Seriani
LZ : Lorsque vous travailliez sur vos installations au centre Western Front pour Into the Belly of the Beast et Immortal Coil (2021), tout le monde a créé des œuvres individuelles, mais c’était un ensemble à travers lequel les gens devaient naviguer, plutôt que de les voir toutes en même temps sur un écran. Comment êtes-vous parvenus à transposer l’expérience de création collective dans un espace physique où les spectateurs partent à la rencontre et marchent autour de vos animations ?
Lana Connors : N’importe quelle occasion de jouer avec l’idée de ce que peut être l’art médiatique de type muséal est excitante. C’est comme ça que j’ai abordé le travail que nous faisions sur les installations du Western Front. Je trouve que la deuxième expo que nous avons faite, Immortal Coil, était une façon très intéressante de traverser la galerie comme s’il s’agissait d’un labyrinthe. Et s’il fallait trouver tous ces petits cadeaux cachés dans l’espace ? C’est comme faire une visite normale de la galerie, mais si on vous amenait quelque part. Le but de l’exposition était d’amener les gens quelque part, et peut-être de les perdre en chemin.
Alia Hijaab : On ne pensait pas beaucoup à la façon dont les gens naviguent à travers l’espace avant d’essayer ça. J’ai toujours trouvé que les galeries étaient l’une des façons les plus inaccessibles de découvrir l’art. Je ne me suis jamais vraiment imaginée dans une galerie. Ma partie préférée, c’est lorsque nous avons commencé à retirer des éléments des animations numériques pour les mettre dans notre espace physique. Je trouve que la boîte de Lana dans Into the Belly of the Beast amenait une matérialité vraiment rafraîchissante à l’animation. L’animation peut vraiment être un médium très physique et interactif. Ça nous a stimulé et on est parti là-dessus. Gil a construit l’homme-chat en tissu ; et Josh a construit ce dôme, et j’ai accroché toutes mes images celluloïd comme s’il s’agissait de peintures sur les murs. C’était tellement amusant. Ça a étendu ma façon de voir l’animation.
LZ : Pourriez-vous me parler un peu plus de vos processus décisionnels ? Comment avez-vous élaboré votre façon collective de travailler ensemble ?
Harlo Martens : Nos processus décisionnels ont beaucoup changé. Lorsque nous avons commencé à faire des projets, il y avait un système en place. On parle souvent de cela, parce que c’est vraiment drôle. Ça s’appelle « la théorie du chef ». Grosso modo, il y a un chef qui est responsable de quelques autres animateurs, et ils travaillent tous ensemble. Mais cette méthode s’est comme épuisée. Je crois que tout le monde sait ce qu’il a à faire maintenant, jusqu’au point où je n’ai presque plus besoin d’en parler. La façon dont nous abordons les projets est différente. Je crois que c’est quelque chose d’important pour un collectif — savoir dire non aux commandes lorsque tu es trop occupé, même si le projet semble vraiment cool. Avant, je crois que nous étions plus stimulés, peut-être un peu surmenés et un peu plus chamboulés. J’aimerais ravoir un peu de cette énergie.
LZ : C’est intéressant de vous voir développer une façon spécifique de travailler, comme la théorie du chef, mais je constate aussi que ces structures peuvent être un peu floues. Parfois, c’est correct de fonctionner à l’intérieur de ce flou. Je me rappelle que vous aviez manifesté le désir de former un centre d’artistes autogéré pour l’animation sur la côte ouest. Je me demande si vous avez toujours ce même désir de fonder un organisme à but non lucratif ou de vous réorganiser de façon différente ?
Harlo Martens : Alia, Chaya et moi avons participé à une sorte de camp d’entraînement pour organisateurs de coops. Nous voulions nous mouiller et découvrir les possibilités qui s’offraient à nous — si ça reflétait la mission et les valeurs de notre collectif. Je crois que la fluidité est très importante, afin que les gens puissent se relaxer et ne pas hériter de responsabilités dont ils n’ont pas envie. Je crois que nous pourrions devenir une coop. Mais ça dépend de nos envies — et ça, c’est une autre histoire.
Alia Hijaab : Ce à quoi l’atelier de développement coopératif nous a vraiment confronté, c’est le fait que nous n’avions jamais pensé à la façon dont nous serions rémunérés. Nous n’avions jamais parlé de ça. Je trouve que nous avions besoin de gouvernance pour développer le cadre dans lequel nous allions collaborer ; mais je crois que c’est d’une expérience relationnelle dont nous avions vraiment besoin. Nous avions besoin de construire la relation, et d’apprendre comment être en désaccord et comment s’entendre ensemble. C’est pas mal ça la gouvernance après tout, mais d’une façon plus officielle, avec d’autres règles. Est-ce que la structure actuelle de Flavourcel va rester pareille ? Je ne sais pas ; je crois en fait que c’est très important pour nous de rester fluides quant aux besoins du collectif et des individus. Ça marche pour l’instant, mais ça ne va peut-être pas marcher pour toujours. Je crois que nous serons ouverts à reconsidérer les choses quand elles auront besoin d’être changées.
Chris Strickler : Avec Flavourcel, nous avons beaucoup d’opportunités dont nous pouvons profiter ou faire profiter à nos amis. On a fait ça plusieurs fois déjà. Pour moi, c’est la preuve que Flavourcel est bel et bien un groupe communautaire inspirant. Je trouve que c’est vraiment cool.
Alia Hijaab : Ce qui m’attire chez Flavourcel, c’est que j’ai la liberté totale de faire ce que je veux au sein du collectif. Je crois qu’il y a cette fausse idée voulant que « collaboratif » signifie faire des compromis. Je crois que c’est plutôt une conversation. C’est très important pour moi de pouvoir prendre mes propres décisions lorsque j’anime. C’est pourquoi je ne travaille pas dans l’industrie en ce moment. Je ne crois pas pouvoir travailler à ce rythme. Le fait de pouvoir prendre en charge la façon dont j’aborde cet espace est très unique pour moi. Ce n’est pas comme aucun autre milieu de travail ou entreprise. Ça ne veut pas dire que Flavourcel perdra cette façon de faire si nous devenons une coop de travail. Ce genre de prise en charge est très importante. En ce moment, je suis beaucoup plus intéressée par la façon dont nous interagissons, dont nous collaborons, et ce que cela représente de faire partie du collectif.
:: L'une des fenêtres de l'installation Rear Window Cinema, dirigée par la professeure et conservatrice Alla Gadassik (ECU),
en partenariat avec le VIVO Media Arts Centre et le collectif Flavourcel (animation de Chris Strickler, 2020)
LZ : Votre travail chez Flavourcel est axé sur l’accessibilité aux espaces de bricolage et la capacité à conserver une certaine liberté créative dans l’expérimentation. Je voulais parler un peu de Rear Window Cinema, qui s’est déroulé du mois d’octobre au mois de décembre 2020. C’était un projet spécial, unique à la pandémie, qui célébrait l’esprit artisanal qui caractérisait beaucoup des premiers événements de Flavourcel, où l’on visait à rendre l’animation accessible à un plus grand public tout en demeurant assez intime. Rear Window Cinema proposait aux gens de se promener dans divers quartiers de Vancouver et de découvrir des animations projetées sur vos fenêtres. C’était comme un jeu de téléphone, où le nombre de projections augmentait constamment, et où on ajoutait des quartiers à chaque version. Est-ce que vous pourriez me parler des œuvres que vous avez faites et de comment vous avez abordé le fait d’animer pour vos propres quartiers individuels ?
Alia Hijaab : La mienne était inspirée des marches que j’avais faites dans mon quartier… que nous avions tous faites pour garder notre satanée santé mentale au pire de la pandémie. Elle était inspirée par ces envahissantes mûres himalayennes. Il y a un jardin communautaire près de chez moi, et j’essaie toujours de voir ce que font les gens, alors je finis par discuter avec les jardiniers. Ils mettent tellement d’efforts pour faire pousser leurs légumes, tandis que ces mûres énormes poussent dans des endroits comme des drains, et nous apportent tant. Mon animation ressemblait à une version East Van de l’histoire de ces mûres, de leurs interactions, de comment elles poussent malgré leur environnement — peut-être par mépris pour leur environnement. Mon voisin de l’autre côté de la rue a fini par commenter sur l’Instagram de Rear Window Cinema, en disant : « je peux voir ça par ma fenêtre. » J’ai eu de belles discussions avec les gens du voisinage après que ça a eu joué sur ma fenêtre.
Lana Connors : J’avais déménagé d’une maison où je vivais avec un paquet de colocs vers mon propre logement sur Commercial Drive. Je suis passée d’une maison très vivante à une solitude et un isolement total durant la pandémie. Je travaille en cinéma à temps plein. Je travaillais 15 heures par jour, puis je retournais à la maison et je pensais à la façon dont je connecte avec mon quartier, pour réaliser que je ne connais même pas les noms de mes voisins. Durant cette période, je passais beaucoup de temps à marcher le soir, à apprendre à connaître les nombreux ratons-laveurs et moufettes qui habitent sur Commercial Drive. J’ai aussi dû composer avec les asticots qui jaillissaient de notre compost même en hiver, ce qui n’est pas normal, mais ils étaient là quand même. C’était agréable de rencontrer des gens qui ne faisaient pas partie de ma bulle familiale — dont certaines personnes que je n’avais pas vues depuis presque un an, qui sont venues spécifiquement pour se tenir à distance, boire du thé et regarder mes œuvres. C’était un projet intéressant, de réfléchir à propos de l’isolement et comment je suis liée à un espace dans le temps. C’était vraiment une belle façon de reconnecter.
:: Le vidéoclip « Garnet Graves » de l'album Iconoclast de Devours, animé et réalisé par Flavourcel, 2019
LZ : En tant que collectif, vous avez rédigé un manifeste, dans lequel vous mentionnez que vous voulez défendre ce que peut être l’animation contemporaine. Qu’est-ce que l’animation contemporaine selon vous ?
Gil Goletsky : J’ai l’impression que c’est la capacité d’être… éphémère. J’ai l’impression que nous sommes constamment en mouvement ou que nous sommes animés. Je sais que ça sonne vraiment cliché ! Nos rôles individuels au sein du collectif ne sont pas fixes. Chaque fois que nous proposons quelque chose de nouveau, c’est comme si nous évoluions et que nous expérimentions. Je monte sur mes grands chevaux parfois, mais je trouve que l’animation est vraiment la forme d’art ultime puisqu’elle peut être toutes sortes de choses. Même penser à ses propriétés en tant qu’objet non-visuel m’intéresse.
Laurel Pucker : Oui, je pense que quelqu’un pourrait se mettre devant moi et faire une petite danse interprétative et dire que c’est de l’animation. J’aurais tendance à le croire. À certains égards, l’animation est très technique, précise,et tu peux décrire exactement ce dont il s’agit. J’adore ce type d’animation. Mais d’une autre façon, l’animation peut aussi se résumer à prendre deux images et à les retourner vraiment vite d’un bord et de l’autre. J’adore ça aussi. L’animation est un espace pour jouer, pour explorer, pour grandir. De faire ce qui te rend le plus heureux. Alia a beaucoup parlé de capter des moments de quiétude à travers l’animation, et je pense beaucoup à cela. Chaque fois que je veux dessiner la même chose, j’ai envie d’être vraiment immobile et attentive pendant tout ce temps-là. C’est tout aussi important que le désir d’aller vraiment vite. Il faut se donner la liberté d’entreprendre ce voyage.
Lana Connors : Si vous demandez à n’importe qui ce qu’est l’animation pour eux, c’est généralement Disney. C’est l’idée que nous essayons de déconstruire. Il y a toujours eu des artistes intéressants qui travaillent en dehors de ce genre de système, qui font progresser différents médias animés dans des directions intéressantes. J’ai l’impression que le Canada est spécial, dans le sens où l’ONF supporte vraiment les artistes indépendants qui sont capables de repousser certaines de ces limites. Les différentes techniques d’animation sont très faciles d’accès en ce moment. Tu n’as pas besoin d’un diplôme en animation pour être animateur. L’idée que quiconque puisse faire quoi que ce soit avec l’animation, et que tout soit plus accessible, c’est ce qui m’intéresse vraiment.
Alia Hijaab : Je suis totalement d’accord. Il y a beaucoup de cynisme par rapport au fait d’enseigner l’animation parce que la main-d’œuvre et les outils peuvent être très dispendieux… Mais les jeunes d’Emily Carr [l’université d’art et de design de Vancouver] avec qui je travaille font de l’animation avec un stylet et un téléphone intelligent. Ce n’est vraiment plus si compliqué aujourd’hui. Le plus gros problème qu’on rencontre, c’est que l’animation a été absorbée si vite et si brutalement par l’industrie, mais ce n’est pas si mal. Mais qu’y a-t-il de l’autre côté de la filière industrielle au juste ? Où sont tous les gens qui ont le savoir-faire, mais qui ne choisissent pas l’industrie ? Je crois qu’il y a de plus en plus de ces gens chaque jour. Je les vois. L’animation est une technique. Il a des outils essentiels, tout comme dans les autres formes d’art. Mais c’est une question d’inviter les gens à jouer, et leur montrer qu’ils peuvent choisir différentes avenues.
LZ : Pour conclure, je voulais vous demander quels autres collectifs d’animation ou quels autres artistes vous ont inspirés ?
Chris Strickler : Chimerik, un collectif de danse et un théâtre local dirigé par Semi Chen. Ils ont une vraiment belle structure. C’est pas mal comme du mentorat, pour stimuler les membres de leur communauté d’Asiatiques du Sud-Est et de LGBTQ.
Alia Hijaab : Chaque fois que je vois une œuvre de Sawako Kabuki, je me sens revigorée.
Lana Connors : Je trouve que des artistes comme Phoebe Parsons et Katie Kotler font des choses intéressantes en mélangeant l’animation avec la prise de vue réelle et la performance, et en expérimentant avec la matérialité de l’animation.
Flavourcel : Jonni Phillips et The Velvet Collective. Afterhours Animation n’est pas un collectif, mais c’est très cool. D’autres artistes qui nous inspirent sont : Trulee Hall, Jordan Minkoff, Cheng-Hsu Chung et Manabu Himeda.
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Lianne Zannier est une animatrice et chercheuse vivant à Vancouver, Colombie-Britannique, sur le territoire non-cédé des Xʷməθkwəy̓əm (Musqueam), des Skwxwú7mesh (Squamish), et des səl̓ílwətaʔɬ/Selilwitulh (Tsleil-Waututh). Son travail explore la relation entre le dessin et les technologies numériques. Elle est la fondatrice d’IFF - Animation, un catalogue en ligne d’entrevues longues avec des animateurs expérimentaux.
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